Accueil Site Page 3042

Vieillard indigne

26

Quelques députés européens ont manifesté préventivement leur angoisse à l’idée que Jean-Marie Le Pen puisse, comme doyen d’âge, présider la séance inaugurale du nouveau parlement européen élu en juin prochain. Dany Cohn-Bendit (64 ans aux cerises) a proposé de confier cette honneur à la plus jeune des députées et lancé dans une de ces envolées lyriques dont il a le secret: « Allons jusqu’au fond du symbolisme: on ne veut pas des croulants! ». Cette sortie devrait lui valoir séance tenante une admonestation publique de la Halde. On notera l’utilisation, par le chef de file des Verts, du parler « djeune » des années yé-yé pour désigner les seniors, et d’un style qui mérite d’être amélioré s’il veut, comme on lui en prête l’intention, postuler à cette honorifique fonction lors d’une prochaine législature. On lui conseillera donc la lecture des discours de doyens de l’Assemblée nationale française prononcés en leur temps par Marcel Cachin, le chanoine Kir ou Marcel Dassault, que le croulant auteur de ces lignes écoutait avec délices, l’oreille collée à la TSF.

Obama joue au bon flic. Pour l’instant…

33

L’idée commence doucement à faire son chemin dans les têtes des obamaniaques de tous les pays : le métis de Chicago n’a pas été élu président du monde, mais installé pour quatre ans par les électeurs des Etats-Unis dans une fonction qu’eux seuls peuvent décider de prolonger pour un nouveau bail.

Toute l’action du nouveau président, à l’intérieur comme à l’extérieur, va donc être orientée vers un seul objectif : créer les meilleures conditions pour sa réélection en 2012. La réponse aux attentes de ses admirateurs à travers le monde, variées et parfois contradictoires, n’est pas son principal souci, et nos obamaniaques de novembre risquent fort de devenir des barackodéçus une fois les beaux jours revenus.

Barack Obama sait fort bien ce que son élection doit à la crise financière, puis économique, qui a éclaté lors de la campagne pour la présidentielle de 2008. La demande de sécurité du peuple américain n’est plus, aujourd’hui, liée à la crainte d’une attaque terroriste, mais à celle d’une panne durable de l’économie mettant à mal ce rêve américain incarné, justement par Barack Obama.

Signalons, en passant, que l’effacement, dans les consciences de la menace terroriste est à mettre, au moins partiellement, au crédit de l’administration Bush qui a fait en sorte qu’aucun attentat d’envergure ne se produise sur le sol des Etats-Unis depuis 2001.

Cela a été possible, quoiqu’en disent les détracteurs systématiques de l’ancien président, en préservant l’essentiel des libertés publiques garanties par la Constitution, et surtout en mettant en place sur le territoire des Etats-Unis des moyens de défense anti-terroriste type plan Vigipirate, dont le pays était jusque-là dépourvu. Une fois éliminé l’injustifiable Guantanamo, ce dispositif reste en vigueur, et semble raisonnablement efficace.

Une politique extérieure anti-crise est avant tout pragmatique. Il ne s’agit plus de rendre le monde meilleur, plus démocratique et moins brutal, mais de créer les conditions susceptibles de redonner confiance au marché, c’est à dire à vous et moi, consommateurs et producteurs mondialisés.

Et s’il y a bien une chose dont le marché a horreur, c’est l’instabilité politique, une marche erratique des affaires d’un monde où plus personne n’a les moyens ou le courage de mettre de l’ordre.

Le premier souci diplomatique du nouveau président a donc été de garantir aux dirigeants chinois que les Etats-Unis ne se mêleraient pas de leurs histoires internes, genre Tibet ou Sinkiang, pour autant que la Chine continue à financer le déficit commercial américain par des achats massifs de bons du trésor US. Ce fut fait lors du voyage à Pékin d’Hillary Clinton en février 2009.

C’est également à la lumière de cette priorité des priorités, le rétablissement de l’économie des Etats-Unis qu’il faut analyser l’attitude de l’administration Obama dans sa gestion des deux conflits armés hérités de son prédécesseur, l’Irak et l’Afghanistan. Contrairement à une idée largement répandue, l’arrêt de ces opérations et le transfert des sommes et des hommes qu’elles mobilisent vers des activités civiles n’est pas un remède anti-crise radical. C’est même l’inverse: plus que les grands travaux de la première phase du new-deal de Franklin D. Roosevelt, c’est l’économie de guerre qui a produit la formidable prospérité et la puissance des Etats-Unis au lendemain de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, il est un plan de relance silencieux, dont personne ne parle, mais qui fonctionne à plein : c’est le maintien, voire l’augmentation, des budgets militaires qui « tire » des pans entiers de l’économie – aéronautique, systèmes avancés, informatique – sans risquer d’accroître le déficit extérieur. Pour l’essentiel, en effet, ces industries ne sont pas délocalisables. C’est pourquoi Barack Obama se hâte lentement dans son programme de retrait des troupes d’Irak, faisant passer de seiez à dix-neuf mois le calendrier de ce retrait par rapport à ses promesses électorales, et encore, en se réservant de modifier ce calendrier en fonction de la situation sur le terrain. Il reste fidèle, en revanche, à son discours de campagne en augmentant la présence des GI en Afghanistan. Au total, c’est un maintien, sinon un accroissement de l’engagement militaire extérieur américain et du périmètre de l’armée, qui résulte, pour l’instant du changement d’administration à Washington.

Le discours, en revanche, a notablement changé: l’axe du mal n’existe plus dans le langage produit à la Maison Blanche, et l’heure est aux propositions de dialogue tous azimuts: avec les Iraniens dans l’adresse télévisée d’Obama au peuple et aux dirigeants persans à l’occasion de leur nouvel an, avec les Russes à qui on fait miroiter l’abandon de système de défense anti-missiles si Moscou coopère pour empêcher l’accès de Téhéran à l’arme nucléaire, au monde arabo-musulman en général auquel le nouveau président tend la main alors que Bush leur tendait le poing.

C’est donc l’option « good cop » qui semble s’imposer, le bon flic espérant amener par la douceur et la persuasion le mauvais sujet à avouer ses fautes et s’amender, relayant le « bad cop » aux méthodes musclées.

Barack Obama n’est pourtant ni un naïf, ni un idéaliste: il sait fort bien que cette attitude peut produire l’inverse des effets attendus. Soit l’Iran est rationnel, comme le proclament certains analystes américains et européens, et saisira la perche tendue par Washington, soit il reste sous l’emprise d’une idéologie islamiste radicale, et considèrera la nouvelle attitude des Etats-Unis comme une victoire lui permettant de poursuivre son objectif hégémonique régional. La réponse pourrait sortir très rapidement des urnes, lors de l’élection présidentielle du 12 juin 2009. La reconduction de Mahmoud Ahmadinejad marquerait l’échec de cette stratégie. La présence d’Obama en Turquie début avril, à l’occasion du « forum de l’Alliance des civilisations », un bidule mis en place par l’ONU pour faire pièce aux prophéties de feu Samuel Huntington, est également conçue comme un message à l’ensemble du monde arabo-musulman: on peut être de bons musulmans comme Erdogan et ses amis de l’AKP, et entretenir des relations diplomatiques et commerciales avec Israël, avoir des perspectives économiques prometteuses et des bonnes relations avec les Etats-Unis.

Il ne s’agit pas d’un appeasement au sens classique, et dépréciateur, que le terme évoque depuis Munich 1938, mais de l’essai d’une méthode « soft » pour tenter de maintenir le minimum de stabilité sur la planète en attendant que la crise économique s’éloigne. On désigne le bon élève comme modèle à imiter par les cancres et les voyous, une méthode, qui, en matière éducative ne marche pas à tout les coups, mais vaut tout de même la peine d’être tentée.

La règle dans ce genre de situation est de ne pas tenter d’apporter des solutions à des conflits lorsque les chances qu’elles puissent être mises en œuvre ne sont pas optimales. Une situation bloquée, par exemple dans le conflit israélo-arabe, est préférable à la mise en mouvement incontrôlable d’une région, ou d’une sous-région. Tant que le conflit intra-palestinien n’est pas réglé, et il n’est pas près de l’être, il est inutile est même dangereux de se presser d’aboutir aux « deux Etats pour deux peuples ». C’est pourquoi on ne peut constater aucun activisme réel de l’administration Obama dans ce dossier, qui n’est géré que par signaux lancés aux uns et aux autres: de l’argent pour Gaza d’un côté, mais donné à Mahmoud Abbas, les gros yeux à Israël pour quelques immeubles détruits à Jérusalem-est, mais l’assurance donnée au chef d’état-major de Tsahal, Gabi Askenazi, que l’option militaire en cas d’accès de Téhéran à l’arme nucléaire était toujours sur la table…

À la différence de George W. Bush, l’Administration Obama n’est pas peuplée par les partisans d’une conception unique – et messianique – de la politique extérieure des Etats-Unis. Les tyrans peuvent donc dormir tranquille, à l’exception du despote soudanais Omar El Bechir, auquel est dévolu le rôle de bad guy, parce qu’il en faut toujours sur la scène internationale. Mais même celui-là, il n’est pas du tout certain qu’on ira le chercher manu militari pour le transférer à La Haye.

Obama place, ou tente de placer des « progressistes » (lire capitulards) tendance Jimmy Carter à des poste importants du Conseil national de sécurité, comme l’ex-journaliste Samantha Power ou l’ambassadeur Charles « Chas » Freeman, lequel a été contraint de se retirer en raison de ses prises de positions violemment anti-israéliennes. Mais il nomme également Dennis Ross, ancien négociateur de Bill Clinton pour le processus de paix israélo-arabe et proche de la communauté juive américaine, à un poste d’envoyé spécial pour les questions du Golfe et de l’Iran. Il fera son marché dans les propositions des uns ou des autres, en fonction de son analyse de ce qui est bon pour Obama, donc pour l’Amérique.

Act Up rétablit l’ordre moral

28

Ce qui devait arriver arriva: exaspérés par les provocations répétées des militants d’Act Up sur le parvis de Notre-Dame, où ils étaient venus distribuer des capotes en hurlant : « Benoit XVI assassin! » à la sortie de la messe dominicale, quelques paroissiens, d’ordinaire doux comme des agneaux pascaux, se sont mis en colère et leur ont balancé quelques œufs qui n’étaient pas tous en chocolat. Fâchés de voir souillés leurs T-shirt noirs et leurs slims, les activistes gays, toujours aussi courageux sont allés requérir la force publique sarkozyste pour qu’on embastille les génocidaires (i .e. les catholiques) ce qui fût fait illico. Bref, l’ordre moral règne à nouveau, et ce qui aurait dû se terminer au pressing risque fort de finir au Tribunal. En conséquence de quoi le groupe « Touche pas à mon Pape! », où l’on retrouve notamment la sémillante Frigide Barjot, s’est associé au manifeste « Benoit j’ai confiance en toi! » pour publier un communiqué pacificateur, mais un rien rageur, où ils posent entre autres, cette question pleine de bon sens : « Imagine-t-on seulement un chrétien distribuant des chapelets à la Gay Pride ou à la sortie de boîtes échangistes, au cri de Pierre Bergé assassin ?»

Sidaction, piège à cons

Moi, le sida, je suis pas pour. Je suis même très fortement contre. Et non seulement je suis contre le sida en général, mais je suis très contre le sida des Africains, des Européens et des autres ; je suis tout aussi farouchement opposée au sida des homos, des hétéros, des travelos et des abstinents-transfusés. N’essayez pas, vous ne trouverez pas chez moi une once de complaisance pour cet ennemi public qui prétend nous priver de nos droits acquis au plaisir avec-qui-je-veux-quand-je-veux. On a pu me reprocher d’avoir cherché à comprendre les électeurs de Le Pen et ceux du FIS en Algérie (on connaît la pente glissante qui va de comprendre à justifier), d’aucuns me soupçonnent de ne pas participer avec une ferveur suffisante à la défense de nos libertés attaquées par qui vous savez. Mais dans la guerre de l’Humanité contre le redoutable HIV, mes états de service sont impeccables. Ou en tout cas passables. Si on ne peut pas dire que je sois à la pointe de la mobilisation, je n’ai jamais proféré ou écrit un mot qui laissât percer une sympathie mal réprimée ou une admiration nauséabonde pour le virus immonde – ni même pour son complice, le terrible Ratzinger (que paraît-il, les cathos français veulent débarquer comme s’il s’agissait d’un patron-voyou ou d’un président liberticide). Non, je vous jure, sur le sida, je suis clean. En cherchant bien, je suis à peu près sûre de n’avoir jamais répondu à un quêteur en ruban rouge « moi, le sida je suis pour », alors que, honte à moi, j’ai bien dû une fois ou deux envoyer ainsi sur les roses un adversaire de la torture ou de la vivisection. Je ne le ferai plus.

Pourtant, depuis quelques jours, la vue d’un ruban me fait voir rouge. Ce défilé de journalistes concernés, animateurs engagés, artistes mobilisés et amuseurs conscientisés, me file des boutons. J’ai envie de leur balancer mes chaussures à la tête. Les politiques qui pérorent avantageusement, leur attestation de compassion épinglée au plastron me débectent. J’avais l’intention de m’infliger un peu de télévision ce week-end dans l’espoir de découvrir quelques contrevenants qui auraient refusé d’arborer leur rosette. Je l’avoue, j’ai renoncé. Un petit tour sur DailyMotion m’apprend cependant que Ruquier, Zemmour et Naulleau arboraient des revers affreusement vides. Il est vrai que l’obsédant ruban était gravé en incrustation sur l’écran, service public oblige. Heureusement, l’honneur fut sauf grâce aux invités. Avec leurs pin’s identiques, ceux-ci faisaient irrésistiblement penser aux « six anchois croupis dans la saumure du Bien » de Muray (la charité chrétienne m’interdit de rappeler qui il désignait par cette aimable formule). En tout cas, j’aurais adoré être invitée à l’émission pour ne pas le porter, ce ruban. Les programmateurs, ces divinités impitoyables qui terrorisent toutes les attachées[1. Je sais, c’est sexiste et c’est fait exprès.] de presse de Paris, n’ont pas pensé à moi.

Pourquoi tant de haine, me direz-vous ? Après tout, toutes ces bonnes volontés ne font de mal à personne. Et même elles font le bien. Or, contrairement à ce que pourraient penser des esprits simples, je ne veux aucun mal au bien. Je souhaite ardemment qu’on découvre un vaccin et qu’on arrête de nous prendre le chou avec cette malédiction contemporaine. Je suis également disposée à ce que l’on encourage l’usage du préservatif indépendamment de toute considération religieuse, ethnique, géographique ou sexuelle et à ce que l’on en enseigne le maniement à la maternelle. J’applaudirai quand on nommera Pierre Bergé ministre des Grandes causes et des Droits de l’homme – il ne le leur a pas envoyé dire aux Chinois : pas de droits de l’homme, pas de statuettes ! – et que sa première mesure sera la nationalisation immédiate de Durex et le remboursement du préservatif par la Sécurité sociale (je suis étonnée que cette revendication ne soit pas encore à l’ordre du jour de la Gay Pride). Au moment où j’écris ces lignes, je constate avec satisfaction que « mon » opérateur de téléphone mobile s’associe à l’union sacrée : je viens de recevoir un message me suggérant de soutenir le sidaction en envoyant un texto (et au fait, il toucherait pas un peu sur ce coup-là, frère SFR ?).

« Donnez pour le sida » (enfin contre, vous aurez rectifié) et « mettez des capotes » : j’ai beau chercher, je ne vois rien à redire aux deux commandements de la nouvelle religion officielle. Rien, sinon justement, qu’ils sont des commandements, gravés sur nos écrans comme la devise républicaine au fronton des mairies. Et avec ce genre de chose, on ne rigole pas. Le non-prosélytisme est déjà un crime. Essayez d’affirmer publiquement que vous préférez vous offrir un week-end ou des escarpins de douze plutôt que de donner un fifrelin à cette bonne œuvre obligatoire et vous verrez si ça fait rire votre auditoire. Voilà donc une semaine que tous les humoristes rebelles cognent en boucle sur le pape. J’attends celui qui osera se payer la fiole de Bergé ou ricaner sur le saint-ruban. J’admettrai que les Guignols sont subversifs le jour où ils déchireront le sidaction. Non madame, on ne peut pas rire de tout. Surtout avec vous. Pas un zeste de second degré ne sera toléré. Il était bien triste, vendredi, d’entendre Stéphane Bern qui avait troqué son élégance et sa distance amusée contre une solennité pompeuse et empreinte de respect onctueux pour l’inévitable Bergé. « Non ne me remerciez pas, c’est à nous de vous remercier pour tout ce que vous faites », pour un peu il allait le remercier d’exister. Le fou du roi s’est aussi fendu d’une petite leçon de vie à l’usage des jeunes générations : « Ne faites confiance à personne. » Et pour être bien sûr que personne ne se marrait, dès que l’un de ses chroniqueurs tentait une vague blague au parfum de gaudriole, il s’empressait de lever l’ambiguïté d’un sentencieux : « C’est de l’humour, il faut utiliser des préservatifs. » Ce qui est marrant chez tous ces gens englués dans leur compassion pour les malades du sida, c’est qu’ils prennent lesdits malades, et avec eux tous leurs contemporains, pour des cons, incapables de faire le distinguo entre une blague et une affirmation sérieuse. Regardez-moi ces Africains qui obéissent aveuglément au Pape – comme en témoigne le succès de ses appels à la fidélité conjugale. Ces noirs sont de grands enfants. Cela dit, puisqu’on en est à l’éducation des masses, il faudrait peut-être préciser que les monogames impénitents peuvent se dispenser du recours à la capote – à condition bien entendu d’être munis d’une attestation de non-séropositivité qui devra être présentée sur demande à leur fucking-partner.

Désolée, mais le sidaction ne passera pas par moi. On me dira ce qu’on voudra, cet étalage de générosité, ce dégoulinage de vertu, ce matraquage de compassion sont obscènes. Ce défilé de pipoles qui rient de se voir si bons en ce miroir est dégoûtant. Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, que ton aumône soit secrète, vous n’avez jamais entendu parler des Evangiles les gars ? D’ailleurs, le péquin est invité lui, à donner dans l’anonymat. Et puis, au-delà de l’obscénité, il y a le ridicule qui, comme toujours, semble échapper à tous les professionnels de la rebellitude. Pas un qui soit vaguement gêné de partir sabre au clair contre un adversaire sur lequel tous ses petits camarades se sont déjà rués. Montjoie, Saint-Denis, sus à l’ennemi ! Se payer le pape et dénoncer le virus, ça ne mange pas de pain et c’est bon pour l’image. Ce qu’aiment par-dessus tout nos courageux défenseurs du malade et de l’orphelin, c’est tirer sur les ambulances, de préférence en meute. Proclamer son soutien à une cause incontestable, telle est la dernière trouvaille des bouffons bouffonnants. À quand des badges pour dénoncer Hitler ? Un pin’s contre le racisme ? (Ah oui, celui-là on nous l’a déjà fait.)

On m’accordera (ou non) que le caractère hautement consensuel et même parfaitement unanimitaire de cette mobilisation a déjà de quoi porter sur les nerfs. Cela devrait suffire à renverser la charge de la preuve. Après tout, ce n’est pas à moi d’expliquer pourquoi ce raffut m’insupporte mais à ses auteurs de m’expliquer pourquoi ils le font. J’ai une petite idée que je vous livre telle quelle. Le sidaction est une proposition qu’on ne peut pas refuser parce que le sida est une maladie communautaire. Pour le dire clairement l’affaire des homosexuels mâles. Inutile de piailler, je sais qu’en vrai, c’est pas vrai. N’empêche que pour des raisons historiques et médicales, elle a été, dès son apparition (ou plutôt avec un train de retard comme l’explique Frédéric Martel dans Le Rose et le Noir), prise en charge par les associations homosexuelles. Pourquoi Pierre Bergé déploie-t-il tant d’énergie pour cette maladie-là et pas pour une autre ? Pourquoi toutes ces grandes âmes qui saignent pour l’Afrique ne donnent-elles jamais un gala pour lever des fonds pour la lutte contre la malaria ou la lèpre ? Pourquoi cette débauche d’empathie obligatoire ? La réponse est simple : le sidaction n’est que l’un des fronts de la lutte homosexuelle – et comme chacun sait la lutte continue. En conséquence, ne pas y participer, c’est être homophobe. (Et ironiser est bien pire encore.) D’ailleurs, je retire tout ce que je viens d’écrire. Je voudrais moi aussi contribuer à l’édification de mes concitoyens. Ne vous laissez pas enfariner. Comme le dit mon ami Marco, contre le sida, le ruban rouge, c’est pas efficace.

Pas de Printemps pour Martine

Mille cinq-cents participants selon les organisateurs. Quiconque a fait un peu de politique est capable de ramener ce chiffre vers sa valeur réelle : à tout casser, mille clampins, non plus selon les organisateurs mais en comptant les organisateurs. Ce qui nous ramène à huit cents spectateurs. Une fois déduits de ceux-ci les six autocars de militants du Nord-Pas de Calais réquisitionnés pour faire la claque et on arrive au grand maximum à cinq cents Parisiens ou banlieusards venus de leur plein gré. On n’ose même pas imaginer le chiffrage si le « grand » rassemblement du PS n’avait été agrémenté d’un concert gratuit de Sanseverino. Auquel cas nos amis socialistes auraient aussi bien fait de fêter le Printemps des Libertés sous un préau d’école du Pré-Saint Gervais.

La cata, le bide absolu, la Bérézina. Même Martine n’a pas pu le cacher aux participants, et s’est trouvée forcée d’abandonner dans son allocution le principe de déni absolu qui tient lieu de langue vernaculaire aux politiques de tous bords, bref de cracher le morceau : « Alors on nous dit qu’on n’est pas très nombreux ! » Oui, Martine, on te le dit, vous n’étiez pas très nombreux, en vérité vous étiez ridiculement peu nombreux ; et comme on n’est pas des méchantes filles, on va même t’expliquer pourquoi.

Arrêtons-nous d’abord à l’hilarante thèse officielle du parti, à savoir le manque de préparation et le calendrier trop chargé du fait des mouvements sociaux. Manque de préparation, manque de temps ? De qui se moque-t-on ? Le Livre Noir du PS sur les libertés publiques – socle de ce rassemblement – annoncé depuis des mois, a été présenté il y a dix jours, accompagné d’un tonnerre de louanges dans la presse et imprimé à des dizaines de milliers d’exemplaires.

Manque de bol pour Martine et Marie-Pierre de la Gontrie, son auteur, si ce livre a probablement enthousiasmé Laurent Joffrin et Edwy Plenel, ce ne sont pas eux qui sont chargés de diffuser cet excellent ouvrage sur les marchés, dans les manifs ou au porte-à-porte. A peine imprimés, des dizaines de milliers d’exemplaires sont allés s’entasser dans les sous-sols des sections, impitoyablement livrés, comme disait Tonton Karl « à la critique rongeuse des souris ».

Sur place, au Zénith, même les plus vaillants militants renâclaient à lâcher un billet de 5 euros pour acquérir la chose. C’est que l’enthousiasme, lui, n’était pas à son zénith et la vision des travées vides donnait l’impression de s’être trompé d’endroit ou d’heure. Il est fort regrettable que la sauterie n’ait pas été programmée une semaine plus tard. Il y avait alors moyen d’exciper de la difficulté du passage à l’heure d’été et de son heure de sommeil en moins pour justifier l’ambiance sépulcrale.

D’ailleurs, deux petits signes ne trompent pas : les facebookiens socialistes ayant annoncé avec tambours et trompette sur leurs status du dimanche matin qu’ils filaient Porte de Pantin, se sont bien gardés de faire des commentaires élogieux le soir venu sur leur activité dominicale. Et lisons les leftblogs : sinistrose, sinistrose, le matin après les débats sur les collectivités locales. « À la fin de l’intervention, rien, pas un appel pour manger ensemble, partager un verre, sinon par ses propres moyens. Tout le monde faisait la gueule dans les rangs. Les militants venus en car pour voir, les intervenants sur scène, sans doute les chefs au premier rang. Et moi qui me demandais si j’avais bien fait de perdre une heure de métro pour venir me plomber le moral (…) J’ai donc eu un coup de blues. Pas longtemps. Juste le temps de sortir, parce qu’après le parc de la Villette, avec Géode, canal de l’Ourcq, cité des Sciences, est très sympathique, même sous un ciel grisouille[1. Lu sur le blog Au café Royal.]. » Des militants socialistes se sont cachés dans le jardin au milieu des joueurs de djembé et des enfants en bas âge, sauras-tu les reconnaître ?

Côté excuses à deux balles, on retiendra aussi celles de quelques hiérarques solfériniens présents sur place, tel David Assouline, qui a osé expliquer que l’affluence n’était pas si nulle pour assister à un « colloque ». Bien, bien, David. Mais as-tu le programme : « Rassemblement républicain pour la défense des collectivités locales et des droits de l’opposition », « les libertés d’expression menacées, avec témoin slam », sans oublier la clôture par Sanseverino, néo-chanteur français sautillant. Vous avez dit colloque ?

Quant à l’hallucinante antienne du mouvement social qui a gêné la préparation elle laisse sans voix. Heu, c’est quoi un parti gravement handicapé par un développement exponentiel du mécontentement populaire ? Normalement, c’est l’UMP. Ben non, ce coup-ci, c’est le PS. Et autant le dire tout de suite, en se cherchant des excuses à la va-vite pour justifier sa contre-performance de dimanche, Solférino, pour une fois, s’est approché de la vérité. Nous avons croisé des centaines de socialistes dûment badgés dans le cortège parisien jeudi dernier. Rien que devant le Cirque d’Hiver, point de rendez-vous des militants, ils étaient, au minimum un bon millier (c’est-à-dire plus qu’au Zénith, mais ne soyons pas cruels). Eh bien, pas un qui nous ait proposé d’acheter ce fichu Livre Noir, et à peine deux ou trois pour distribuer le tract du Printemps. Les autres, on se demande pourquoi, préféraient massivement distribuer le dépliant consacré aux problèmes du moment : « Réagir avec les socialistes ». Interrogé par nous-mêmes sur ce manque d’enthousiasme libertitudophile, un maire de la grande couronne nous a tranquillement expliqué qu’il se refusait absolument à diffuser un livre où l’on laissait entendre « que la justice était trop dure avec les petits voyous » avant de conclure, un rien agacé : « Marie-Pierre, quand elle veut, je l’emmène dans une cité ! » Bref, oui, le mouvement social a plombé le Zénith des Libertés, pas pour cause de contretemps technique, mais de contresens stratégique. En clair, la direction du Parti a été incapable de voir qu’en bas, la mayonnaise sociétaliste ne prenait pas, qu’une fois franchies les frontières de l’hypercentre parisien, le militant lambda se contrebattait de la grande affaire du moment.

Le pire est qu’avec un soupçon de clairvoyance, on aurait pu éviter le naufrage : il suffisait, il y a une semaine, de changer de cap et transformer le raout « pour les libertés » en rassemblement pour le pouvoir d’achat ou contre les licenciements ou même pour l’abrogation immédiate du bouclier fiscal. Mais changer le programme des festivités, c’était alors prendre le risque de se fâcher avec la Ligue des Droits de l’Homme, le Grand Orient, les associations gaies lesbiennes ou trans, sans parler des SM ou du SM… C’était aussi prendre le risque d’avoir des choses concrètes à dire aux Français en matière d’emploi, de salaires, de protectionnisme.

Alors cessons d’accuser le temps ou le timing, la fatigue ou la haute tenue intellectuelle des débats. Si personne n’est venu, c’est qu’encore une fois le PS est à côté de la plaque. On avait pu croire qu’avec la défaite à la présidentielle, le retour de maman Martine, alias « La dame des 35 heures, du Nord et de ses usines », le parti allait revenir aux fondamentaux. On sait que le PS est un parti de profs, de fonctionnaires, d’élus, de bac+5 bien pensants, mais on n’efface pas l’histoire comme ça. Dans les esprits, la gauche est du côté des petits. En clair ceux qui en bavent au boulot, dans des fonctions absurdes, mal payées ou guère mieux, dans des usines (excusez-nous pour le gros mot), des entrepôts ou des open space à la Défense. Et que c’est auprès de ces pouilleux-là, aujourd’hui encore plus qu’hier, que le PS doit aller chercher des électeurs. Et accessoirement tacler Sarkozy et la droite.

Croire que la droite est gênée aux entournures sur le mariage gay ou les sans-papiers est une erreur létale. Nadine Morano lance la polémique sur le « statut du beau-parent », en clair pour les parents homo, ou bien s’étrangle sur les propos de Benoît XVI sur le préservatif et le sida ? La droite s’en fiche. Roger Karoutchi fait son coming-out médiatique ? Les militants UMP continuent à se demander qui est Roger K, sans s’interroger sur sa vie sexuelle.

Croire surtout que les électeurs de gauche ou même du centre font de ces thèmes une question centrale est une monumentale ânerie. Plus que tout le mal que nous avons pu dire sur ce penchant suicidaire, la fête de la libertitude en a fait la démonstration. On a voulu, une fois de plus, faire au Zénith du ségolénisme sans Ségolène. Bien vu !

Big Brother ne la regarde plus !

6

Chose promise, chose due : Jade Goody, héroïne de Big Brother, la version britannique de Loft Story a trépassé ce dimanche. Un peu de recueillement s’impose et aussi un peu de jalousie. Outre-Manche, les accros à la téléréalité ont eu droit en direct live à un vrai cancer, doublé d’une agonie copieusement filmée, avec en prime un décès certifié par les autorités compétentes lequel sera suivi, n’en doutons pas, d’obsèques ad hoc. Le tout pour le bénéfice des gamins de feue cette working class hero, qui toucheront leurs vies durant les royalties de tout ce déballage obscène et poignant. Et nous, pauvres froggies, on n’a en pâture que la Loana qui nous raconte une agression dans sa baignoire, puis ne souvient de rien, puis détaille ses malheurs à un Fogiel en larmes sur Europe1, sans même qu’on ait droit à la moindre image du drame. Remboursez !

La vie privée, ça n’a pas de prix !

30

« Toute photo publiée sans consentement donnera lieu à des poursuites. » Jean-Pierre Mignard, avocat et porte-flingue de Ségolène Royal, prévient dans Le Parisien : si la presse people compte parler de Ségolène Royal, elle devra passer à la caisse. En quelque mois, la Poitevine a fait cracher aux hebdos, tous titres confondus, 45 000 euros de dommages et intérêts et de frais de procédures.

On pourra donc légitimement se demander pourquoi Ségolène Royal est d’un seul coup devenue si méchante avec une presse, certes infréquentable, mais qui jusque là assurait plutôt gentiment – et gratuitement – sa com’, une presse qui l’a mise en orbite dans l’opinion d’en-bas, en lui conférant ce fichu côté glamour que Martine Aubry n’aura jamais, quels que soient ses efforts, régimes, tentatives de chirurgie ou de relooking. Pourquoi Ségolène, jusque là si prompte – pour notre plus grand bonheur – à mélanger les genres, à flouter les limites entre vie privée et vie publique, nous veut-elle soudain autant de mal ?

C’est peut-être une preuve de mauvais esprit mais je me demande s’il ne s’agit pas tout simplement de petits et gros sous. Privée de subsides par la nouvelle direction du parti et lâchée d’un peu partout par les siens, Ségolène Royal a besoin de thunes pour exister politiquement et faire tourner Désirs d’avenir. Jusque très récemment, elle reversait systématiquement ses dommages et intérêts à des associations caritatives (ce qui lui donnait droit, soit dit en passant, à de sympathiques réductions d’impôts). Il se pourrait que désormais, l’argent soutiré grâce à l’article 9 du code civil serve à son « soutien logistique », autrement dit qu’il soit le nerf de la guerre qu’elle va devoir mener – avant tout au sein du PS.

Qu’elle en profite. Tant qu’elle sera bankable, nous balancerons des photos d’elle. Et financerons bien malgré nous sa petite boutique. Mais si Ségo tape trop fort ou que, par le plus grand des hasards, sa tête de chouette ravie ne fasse plus trop vendre de papier, elle risque de très vite perdre le beurre et l’argent du beurre, le bruit médiatique positif grâce à la presse people et l’argent gagné en procédures judiciaires. Quant au sourire de la crémière…

Du souci pour la fête de la libertitude ?

4

Depuis quelques jours, les sections socialistes de l’Ile-de-France sont bombardées de mails comminatoires leur demandant de détailler le nombre exact d’inscrits au Printemps des Libertés, la fête organisée ce dimanche au Zénith pour promouvoir le Livre Noir de Marie Pierre de la Gontrie sur les libertés publiques. Car en vérité, c’est un peu la panique rue de Solférino, où l’on craint ouvertement le bide pour cet après-midi. Il semblerait que la base du parti, notamment en banlieue, ait préféré s’investir dans la préparation de la manif de jeudi que dans la promotion du Livre Noir. Un ouvrage qui, s’il a été fort bien accueilli dans les rédactions, n’a pas déclenché l’enthousiasme général dans les quartiers où même le militant le plus endurci a souvent « le sentimenté d’être plus menacé dans sa sécurité que dans ses libertés…

Colombani, bon pour la Réforme ?

52

Samedi 21 mars 2009, 12 heures 50, France Culture, La Rumeur du Monde. Grand moment d’étonnement, ou de panique rentrée, de la part de Jean-Marie Colombani, l’animateur somnifère de ce talk-show pour les derniers « lou ravi » de l’économie de marché, dans sa version idyllique de l’époque qui nous semble déjà si lointaine, celle d’avant l’apocalypse des subprimes.

« Il semblerait que l’idée même de réforme soit devenue impopulaire », susurre ainsi ce parangon de la pensée unique, ce mètre-étalon du lieu commun libéral. S’il ne devait en rester qu’un, ce serait lui, auraient versifié ou chanté en termes voisins Victor Hugo et Eddy Mitchell. Le dernier à croire dans les vertus de la libre entreprise, du monétarisme, du capitalisme autorégulé, de la concurrence libre et non faussée, tous ces dogmes de la Sainte Foi qu’il propagea en infatigable évangéliste du marché pendant des années d’arrogance méprisante pour toute analyse qui aurait comporté ne serait-ce qu’un soupçon, une larmichette, une dose homéopathique de keynésianisme, même édulcoré.

« Il semblerait que l’idée même de réforme soit devenue impopulaire. » Savourons cette phrase. Colombani commentait ainsi les imposants défilés du 19 mars, en guise d’introduction à l’un de ses filandreux et interminables dialogues avec Jean-Claude Casanova, archéo-barriste girondin et aronien insubmersible, persuadé que tant qu’il restera quelques fonctionnaires en France, (sauf de police, évidemment…) nous serons en Union Soviétique.

Ce qui étonne, c’est surtout l’étonnement de Monsieur Colombani. Pour qu’il comprenne ce qui lui arrive, qu’on nous permette de le renvoyer à un livre remarquable, vieux d’une douzaine d’années mais toujours d’une singulière actualité pour ceux qui veulent éviter les chausse-trappes lexicales de la novlangue néo-libérale. Il s’agit d’un ouvrage qui se présente comme un dictionnaire, Le marché des mots, les mots du marché de Raoul Villette[1. Les nuits rouges/L’insomniaque, 1997, encore trouvable avec quelques efforts.]. À l’article « Réforme », on peut lire la définition suivante : « Liquidation des conquêtes sociales. Patronat et syndicats se battent désormais à fronts renversés. Le premier s’est emparé avec l’aide des médias de la connotation positive du mot pour imposer ses revendications tandis que les seconds obsédés par l’idée de déclencher un mouvement social qu’ils ne contrôleraient pas se sont laissé enfermer dans une posture « conservatrice » des avantages acquis complètement inefficace. »

Il semblerait donc, au grand dam de Monsieur Colombani, que si l’économie spectaculaire marchande s’effondre, on redécouvre sur le terrain du langage la bonne vieille adéquation entre signifiant et signifié ; par là-même, les mots retrouvent une valeur d’usage confisquée jusque-là par l’efficace propagande du Capital. Il est amusant, également, de constater que les exemples donnés par Raoul Villette pour illustrer sa définition sont tous extraits du journal Le Monde de 1995-1997, période fastueuse où le règne du même Colombani sur le malheureux quotidien du soir commençait et allait par la suite se révéler, comme on le sait, si brillant en ouvrant une grande ère de tolérance et d’investigation audacieuse et impartiale. Dégustons, par exemple, cette inoubliable citation de Jacques Toubon[2. Homme politique parisien de la fin du vingtième siècle.] du 25 septembre 1995 : « Nous avons à mener une politique de réformes pour aboutir au changement. »

La revanche des mots, récupérant leur fraîcheur originelle, voilà ce qui commence à faire vraiment peur aux élites autoproclamées. Aussi peur, finalement, que les millions de manifestants parmi lesquels une infirmière, une chercheuse ou une ouvrière de Continental aurait pu dire à Colombani, à l’instar de Martine dans Les Femmes Savantes :

« Tout ce que vous prêchez est je crois bel et bon ;
Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon. »

Philippe Muray à travers les âges

31

Le 2 mars 2006, il y a trois ans à présent, est mort le seul homme qui connaissait par cœur à la fois toute La Comédie humaine, L’introduction à la lecture de Hegel de Kojève et les paroles de Tata Yoyo[1. Auxquelles il rendit un vibrant hommage dans Roues carrées, Fayard-Belles Lettres, 2006.]. Son nom est Philippe Muray.

Depuis trois ans, nous ne pouvons plus toucher et être touché que (par) son second corps, promis lui aussi à la résurrection : son œuvre. Celle-ci constitue le portrait le plus ample, le plus décisif, le plus profond, de la France des années 1980 à 2006. Aucun élément sérieux ne nous permet d’écarter la crainte qu’elle soit en outre la peinture la plus exacte de l’ensemble du stupide XXIe siècle.

Cette œuvre comporte trois versants. Le plus fameux, jusqu’à maintenant, demeure celui des ses essais. Evoquons par exemple les quatre volumes d’Exorcismes spirituels (1997-2005), les deux volumes d’Après l’Histoire (1999-2000) et Festivus Festivus (1995), ses tumultueux entretiens avec Elisabeth Lévy. Une phrase d’Ainsi parlait Zarathoustra pourrait résumer ces livres : « O mon âme, je t’enseignais le mépris qui ne vient pas comme une pâture de vermine, le grand mépris, le mépris aimant qui aime le plus fortement lorsque fortement il méprise. »

Derrière les essais se cache le versant romanesque, encore méconnu, essentiel pourtant. Muray écrivant sous les auspices de Rabelais, de Balzac, de Céline et de Marcel Aymé, toute sa littérature est en réalité d’essence romanesque. Le troisième versant enfin, qu’il considérait comme éminent, mais dont la publication ne pourra probablement pas intervenir avant de nombreuses années, est constitué par les vingt à trente mille pages de son Journal, Ultima Necat.

L’année 2006 fut aussi celle de trois consolations posthumes. L’album Minimum Respect[1. Disponible notamment sur le site philippe-muray.com.] tout d’abord, interprétation par Muray de quelques-uns de ses poèmes, mise en musique avec talent et humour par des amis musiciens. Le portatif ensuite, précieux dictionnaire intime, hélas inachevé, de la pensée en mouvement de Muray, condensation de la force lumineuse et tranchante de sa pensée.

Cependant, le texte posthume le plus précieux, et que nul ne semble avoir réellement lu jusqu’à présent, s’intitule Roues carrées. Avec On ferme (1997), il s’agit de la seconde œuvre romanesque majeure de Philippe Muray. Roues carrées est le nom du tournant esthétique engagé par Muray dans les dernières années de sa vie. Celui-ci avait conçu ses Roues comme un recueil, qui aurait probablement été aussi imposant que les 700 pages d’On ferme, d’une quinzaine de très longues nouvelles reliées entre elles par le principe balzacien (déjà présent dans ses romans) du retour des personnages. Il ne put hélas achever que deux nouvelles. L’édition post mortem leur adjoint une troisième, inachevée, portant de manière saisissante le titre Comment je me suis arrêté. Le narrateur de la dernière œuvre de Muray raconte comment il a secrètement décidé d’arrêter de moderner, s’engageant ainsi sur un chemin inconnu, angoissant, obscur. Il nous confesse aussi ce soupçon, que nul n’aime sans doute véritablement moderner, que chacun ne moderne qu’avec une réticence intime, silencieuse, et parce qu’il imagine que le Moderne apporte à tous sauf à lui-même une joie pleine et sincère. La nouvelle repose sur une analogie entre le tabac et le Moderne, le narrateur dénonçant la dépendance morbide provoquée par le Moderne. Et cette Roue-là est carrée, parce que l’éloge du démoderner (ou du démodernage) y est fait dans le langage même du Moderne.

A l’époque de la conception des Roues, Muray répétait souvent avec une tonalité bouffonne et métaphysique : « J’arrête la critique ! Je ne critiquerai plus jamais rien ! » Muray a voulu alors en finir, en effet, avec tout élément de critique du Moderne. La découverte radicale des Roues ? Le Moderne est, dans sa structure ontologique, cancer. On ne critique pas le cancer. Voilà l’étrange affaire : au moment même où le cancer du poumon croissait en lui à son insu, Muray s’est inoculé le cancer du Moderne. Il est devenu absolument Moderne. Absolument cancer. Ce geste se nomme Roues carrées.

Si ces Roues sont carrées, c’est parce qu’elles inventent l’art inouï d’élever la folie, la monstruosité, l’informité de l’époque, au carré. Muray y ausculte des états infiniment plus avancés que ceux que nous connaissons du cancer qu’il découvre être le Moderne, des états d’effondrement de la subjectivité, du langage et de la pensée qu’aucune autre œuvre n’a explorés. Nous nous traînons péniblement vers leur horizon. Nous ne sommes pas près de rattraper notre retard sur l’art de Philippe Muray. L’infime Sarkozy est une lanterne du Moderne, un puceau du Moderne, un rachitique de la Réforme, au regard de la cavalerie hirsute lancée dans les Roues carrées.

Dans Le portatif, nous lisons ces mots qui ne pèchent pas contre l’espérance : « Je ne cherche nullement à faire tourner la roue de l’Histoire en arrière pour la bonne raison que cette roue, elle est désormais carrée. Je ne pense pas que c’était mieux avant ; je dis que c’était mieux toujours. »

Toujours ? L’œuvre de Muray nous y mène. Tel est son lieu. Elle nous attend.

Roues carrées: nouvelles

Price: 18,00 €

22 used & new available from 2,00 €

Vieillard indigne

26

Quelques députés européens ont manifesté préventivement leur angoisse à l’idée que Jean-Marie Le Pen puisse, comme doyen d’âge, présider la séance inaugurale du nouveau parlement européen élu en juin prochain. Dany Cohn-Bendit (64 ans aux cerises) a proposé de confier cette honneur à la plus jeune des députées et lancé dans une de ces envolées lyriques dont il a le secret: « Allons jusqu’au fond du symbolisme: on ne veut pas des croulants! ». Cette sortie devrait lui valoir séance tenante une admonestation publique de la Halde. On notera l’utilisation, par le chef de file des Verts, du parler « djeune » des années yé-yé pour désigner les seniors, et d’un style qui mérite d’être amélioré s’il veut, comme on lui en prête l’intention, postuler à cette honorifique fonction lors d’une prochaine législature. On lui conseillera donc la lecture des discours de doyens de l’Assemblée nationale française prononcés en leur temps par Marcel Cachin, le chanoine Kir ou Marcel Dassault, que le croulant auteur de ces lignes écoutait avec délices, l’oreille collée à la TSF.

Obama joue au bon flic. Pour l’instant…

33

L’idée commence doucement à faire son chemin dans les têtes des obamaniaques de tous les pays : le métis de Chicago n’a pas été élu président du monde, mais installé pour quatre ans par les électeurs des Etats-Unis dans une fonction qu’eux seuls peuvent décider de prolonger pour un nouveau bail.

Toute l’action du nouveau président, à l’intérieur comme à l’extérieur, va donc être orientée vers un seul objectif : créer les meilleures conditions pour sa réélection en 2012. La réponse aux attentes de ses admirateurs à travers le monde, variées et parfois contradictoires, n’est pas son principal souci, et nos obamaniaques de novembre risquent fort de devenir des barackodéçus une fois les beaux jours revenus.

Barack Obama sait fort bien ce que son élection doit à la crise financière, puis économique, qui a éclaté lors de la campagne pour la présidentielle de 2008. La demande de sécurité du peuple américain n’est plus, aujourd’hui, liée à la crainte d’une attaque terroriste, mais à celle d’une panne durable de l’économie mettant à mal ce rêve américain incarné, justement par Barack Obama.

Signalons, en passant, que l’effacement, dans les consciences de la menace terroriste est à mettre, au moins partiellement, au crédit de l’administration Bush qui a fait en sorte qu’aucun attentat d’envergure ne se produise sur le sol des Etats-Unis depuis 2001.

Cela a été possible, quoiqu’en disent les détracteurs systématiques de l’ancien président, en préservant l’essentiel des libertés publiques garanties par la Constitution, et surtout en mettant en place sur le territoire des Etats-Unis des moyens de défense anti-terroriste type plan Vigipirate, dont le pays était jusque-là dépourvu. Une fois éliminé l’injustifiable Guantanamo, ce dispositif reste en vigueur, et semble raisonnablement efficace.

Une politique extérieure anti-crise est avant tout pragmatique. Il ne s’agit plus de rendre le monde meilleur, plus démocratique et moins brutal, mais de créer les conditions susceptibles de redonner confiance au marché, c’est à dire à vous et moi, consommateurs et producteurs mondialisés.

Et s’il y a bien une chose dont le marché a horreur, c’est l’instabilité politique, une marche erratique des affaires d’un monde où plus personne n’a les moyens ou le courage de mettre de l’ordre.

Le premier souci diplomatique du nouveau président a donc été de garantir aux dirigeants chinois que les Etats-Unis ne se mêleraient pas de leurs histoires internes, genre Tibet ou Sinkiang, pour autant que la Chine continue à financer le déficit commercial américain par des achats massifs de bons du trésor US. Ce fut fait lors du voyage à Pékin d’Hillary Clinton en février 2009.

C’est également à la lumière de cette priorité des priorités, le rétablissement de l’économie des Etats-Unis qu’il faut analyser l’attitude de l’administration Obama dans sa gestion des deux conflits armés hérités de son prédécesseur, l’Irak et l’Afghanistan. Contrairement à une idée largement répandue, l’arrêt de ces opérations et le transfert des sommes et des hommes qu’elles mobilisent vers des activités civiles n’est pas un remède anti-crise radical. C’est même l’inverse: plus que les grands travaux de la première phase du new-deal de Franklin D. Roosevelt, c’est l’économie de guerre qui a produit la formidable prospérité et la puissance des Etats-Unis au lendemain de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, il est un plan de relance silencieux, dont personne ne parle, mais qui fonctionne à plein : c’est le maintien, voire l’augmentation, des budgets militaires qui « tire » des pans entiers de l’économie – aéronautique, systèmes avancés, informatique – sans risquer d’accroître le déficit extérieur. Pour l’essentiel, en effet, ces industries ne sont pas délocalisables. C’est pourquoi Barack Obama se hâte lentement dans son programme de retrait des troupes d’Irak, faisant passer de seiez à dix-neuf mois le calendrier de ce retrait par rapport à ses promesses électorales, et encore, en se réservant de modifier ce calendrier en fonction de la situation sur le terrain. Il reste fidèle, en revanche, à son discours de campagne en augmentant la présence des GI en Afghanistan. Au total, c’est un maintien, sinon un accroissement de l’engagement militaire extérieur américain et du périmètre de l’armée, qui résulte, pour l’instant du changement d’administration à Washington.

Le discours, en revanche, a notablement changé: l’axe du mal n’existe plus dans le langage produit à la Maison Blanche, et l’heure est aux propositions de dialogue tous azimuts: avec les Iraniens dans l’adresse télévisée d’Obama au peuple et aux dirigeants persans à l’occasion de leur nouvel an, avec les Russes à qui on fait miroiter l’abandon de système de défense anti-missiles si Moscou coopère pour empêcher l’accès de Téhéran à l’arme nucléaire, au monde arabo-musulman en général auquel le nouveau président tend la main alors que Bush leur tendait le poing.

C’est donc l’option « good cop » qui semble s’imposer, le bon flic espérant amener par la douceur et la persuasion le mauvais sujet à avouer ses fautes et s’amender, relayant le « bad cop » aux méthodes musclées.

Barack Obama n’est pourtant ni un naïf, ni un idéaliste: il sait fort bien que cette attitude peut produire l’inverse des effets attendus. Soit l’Iran est rationnel, comme le proclament certains analystes américains et européens, et saisira la perche tendue par Washington, soit il reste sous l’emprise d’une idéologie islamiste radicale, et considèrera la nouvelle attitude des Etats-Unis comme une victoire lui permettant de poursuivre son objectif hégémonique régional. La réponse pourrait sortir très rapidement des urnes, lors de l’élection présidentielle du 12 juin 2009. La reconduction de Mahmoud Ahmadinejad marquerait l’échec de cette stratégie. La présence d’Obama en Turquie début avril, à l’occasion du « forum de l’Alliance des civilisations », un bidule mis en place par l’ONU pour faire pièce aux prophéties de feu Samuel Huntington, est également conçue comme un message à l’ensemble du monde arabo-musulman: on peut être de bons musulmans comme Erdogan et ses amis de l’AKP, et entretenir des relations diplomatiques et commerciales avec Israël, avoir des perspectives économiques prometteuses et des bonnes relations avec les Etats-Unis.

Il ne s’agit pas d’un appeasement au sens classique, et dépréciateur, que le terme évoque depuis Munich 1938, mais de l’essai d’une méthode « soft » pour tenter de maintenir le minimum de stabilité sur la planète en attendant que la crise économique s’éloigne. On désigne le bon élève comme modèle à imiter par les cancres et les voyous, une méthode, qui, en matière éducative ne marche pas à tout les coups, mais vaut tout de même la peine d’être tentée.

La règle dans ce genre de situation est de ne pas tenter d’apporter des solutions à des conflits lorsque les chances qu’elles puissent être mises en œuvre ne sont pas optimales. Une situation bloquée, par exemple dans le conflit israélo-arabe, est préférable à la mise en mouvement incontrôlable d’une région, ou d’une sous-région. Tant que le conflit intra-palestinien n’est pas réglé, et il n’est pas près de l’être, il est inutile est même dangereux de se presser d’aboutir aux « deux Etats pour deux peuples ». C’est pourquoi on ne peut constater aucun activisme réel de l’administration Obama dans ce dossier, qui n’est géré que par signaux lancés aux uns et aux autres: de l’argent pour Gaza d’un côté, mais donné à Mahmoud Abbas, les gros yeux à Israël pour quelques immeubles détruits à Jérusalem-est, mais l’assurance donnée au chef d’état-major de Tsahal, Gabi Askenazi, que l’option militaire en cas d’accès de Téhéran à l’arme nucléaire était toujours sur la table…

À la différence de George W. Bush, l’Administration Obama n’est pas peuplée par les partisans d’une conception unique – et messianique – de la politique extérieure des Etats-Unis. Les tyrans peuvent donc dormir tranquille, à l’exception du despote soudanais Omar El Bechir, auquel est dévolu le rôle de bad guy, parce qu’il en faut toujours sur la scène internationale. Mais même celui-là, il n’est pas du tout certain qu’on ira le chercher manu militari pour le transférer à La Haye.

Obama place, ou tente de placer des « progressistes » (lire capitulards) tendance Jimmy Carter à des poste importants du Conseil national de sécurité, comme l’ex-journaliste Samantha Power ou l’ambassadeur Charles « Chas » Freeman, lequel a été contraint de se retirer en raison de ses prises de positions violemment anti-israéliennes. Mais il nomme également Dennis Ross, ancien négociateur de Bill Clinton pour le processus de paix israélo-arabe et proche de la communauté juive américaine, à un poste d’envoyé spécial pour les questions du Golfe et de l’Iran. Il fera son marché dans les propositions des uns ou des autres, en fonction de son analyse de ce qui est bon pour Obama, donc pour l’Amérique.

Act Up rétablit l’ordre moral

28

Ce qui devait arriver arriva: exaspérés par les provocations répétées des militants d’Act Up sur le parvis de Notre-Dame, où ils étaient venus distribuer des capotes en hurlant : « Benoit XVI assassin! » à la sortie de la messe dominicale, quelques paroissiens, d’ordinaire doux comme des agneaux pascaux, se sont mis en colère et leur ont balancé quelques œufs qui n’étaient pas tous en chocolat. Fâchés de voir souillés leurs T-shirt noirs et leurs slims, les activistes gays, toujours aussi courageux sont allés requérir la force publique sarkozyste pour qu’on embastille les génocidaires (i .e. les catholiques) ce qui fût fait illico. Bref, l’ordre moral règne à nouveau, et ce qui aurait dû se terminer au pressing risque fort de finir au Tribunal. En conséquence de quoi le groupe « Touche pas à mon Pape! », où l’on retrouve notamment la sémillante Frigide Barjot, s’est associé au manifeste « Benoit j’ai confiance en toi! » pour publier un communiqué pacificateur, mais un rien rageur, où ils posent entre autres, cette question pleine de bon sens : « Imagine-t-on seulement un chrétien distribuant des chapelets à la Gay Pride ou à la sortie de boîtes échangistes, au cri de Pierre Bergé assassin ?»

Sidaction, piège à cons

113

Moi, le sida, je suis pas pour. Je suis même très fortement contre. Et non seulement je suis contre le sida en général, mais je suis très contre le sida des Africains, des Européens et des autres ; je suis tout aussi farouchement opposée au sida des homos, des hétéros, des travelos et des abstinents-transfusés. N’essayez pas, vous ne trouverez pas chez moi une once de complaisance pour cet ennemi public qui prétend nous priver de nos droits acquis au plaisir avec-qui-je-veux-quand-je-veux. On a pu me reprocher d’avoir cherché à comprendre les électeurs de Le Pen et ceux du FIS en Algérie (on connaît la pente glissante qui va de comprendre à justifier), d’aucuns me soupçonnent de ne pas participer avec une ferveur suffisante à la défense de nos libertés attaquées par qui vous savez. Mais dans la guerre de l’Humanité contre le redoutable HIV, mes états de service sont impeccables. Ou en tout cas passables. Si on ne peut pas dire que je sois à la pointe de la mobilisation, je n’ai jamais proféré ou écrit un mot qui laissât percer une sympathie mal réprimée ou une admiration nauséabonde pour le virus immonde – ni même pour son complice, le terrible Ratzinger (que paraît-il, les cathos français veulent débarquer comme s’il s’agissait d’un patron-voyou ou d’un président liberticide). Non, je vous jure, sur le sida, je suis clean. En cherchant bien, je suis à peu près sûre de n’avoir jamais répondu à un quêteur en ruban rouge « moi, le sida je suis pour », alors que, honte à moi, j’ai bien dû une fois ou deux envoyer ainsi sur les roses un adversaire de la torture ou de la vivisection. Je ne le ferai plus.

Pourtant, depuis quelques jours, la vue d’un ruban me fait voir rouge. Ce défilé de journalistes concernés, animateurs engagés, artistes mobilisés et amuseurs conscientisés, me file des boutons. J’ai envie de leur balancer mes chaussures à la tête. Les politiques qui pérorent avantageusement, leur attestation de compassion épinglée au plastron me débectent. J’avais l’intention de m’infliger un peu de télévision ce week-end dans l’espoir de découvrir quelques contrevenants qui auraient refusé d’arborer leur rosette. Je l’avoue, j’ai renoncé. Un petit tour sur DailyMotion m’apprend cependant que Ruquier, Zemmour et Naulleau arboraient des revers affreusement vides. Il est vrai que l’obsédant ruban était gravé en incrustation sur l’écran, service public oblige. Heureusement, l’honneur fut sauf grâce aux invités. Avec leurs pin’s identiques, ceux-ci faisaient irrésistiblement penser aux « six anchois croupis dans la saumure du Bien » de Muray (la charité chrétienne m’interdit de rappeler qui il désignait par cette aimable formule). En tout cas, j’aurais adoré être invitée à l’émission pour ne pas le porter, ce ruban. Les programmateurs, ces divinités impitoyables qui terrorisent toutes les attachées[1. Je sais, c’est sexiste et c’est fait exprès.] de presse de Paris, n’ont pas pensé à moi.

Pourquoi tant de haine, me direz-vous ? Après tout, toutes ces bonnes volontés ne font de mal à personne. Et même elles font le bien. Or, contrairement à ce que pourraient penser des esprits simples, je ne veux aucun mal au bien. Je souhaite ardemment qu’on découvre un vaccin et qu’on arrête de nous prendre le chou avec cette malédiction contemporaine. Je suis également disposée à ce que l’on encourage l’usage du préservatif indépendamment de toute considération religieuse, ethnique, géographique ou sexuelle et à ce que l’on en enseigne le maniement à la maternelle. J’applaudirai quand on nommera Pierre Bergé ministre des Grandes causes et des Droits de l’homme – il ne le leur a pas envoyé dire aux Chinois : pas de droits de l’homme, pas de statuettes ! – et que sa première mesure sera la nationalisation immédiate de Durex et le remboursement du préservatif par la Sécurité sociale (je suis étonnée que cette revendication ne soit pas encore à l’ordre du jour de la Gay Pride). Au moment où j’écris ces lignes, je constate avec satisfaction que « mon » opérateur de téléphone mobile s’associe à l’union sacrée : je viens de recevoir un message me suggérant de soutenir le sidaction en envoyant un texto (et au fait, il toucherait pas un peu sur ce coup-là, frère SFR ?).

« Donnez pour le sida » (enfin contre, vous aurez rectifié) et « mettez des capotes » : j’ai beau chercher, je ne vois rien à redire aux deux commandements de la nouvelle religion officielle. Rien, sinon justement, qu’ils sont des commandements, gravés sur nos écrans comme la devise républicaine au fronton des mairies. Et avec ce genre de chose, on ne rigole pas. Le non-prosélytisme est déjà un crime. Essayez d’affirmer publiquement que vous préférez vous offrir un week-end ou des escarpins de douze plutôt que de donner un fifrelin à cette bonne œuvre obligatoire et vous verrez si ça fait rire votre auditoire. Voilà donc une semaine que tous les humoristes rebelles cognent en boucle sur le pape. J’attends celui qui osera se payer la fiole de Bergé ou ricaner sur le saint-ruban. J’admettrai que les Guignols sont subversifs le jour où ils déchireront le sidaction. Non madame, on ne peut pas rire de tout. Surtout avec vous. Pas un zeste de second degré ne sera toléré. Il était bien triste, vendredi, d’entendre Stéphane Bern qui avait troqué son élégance et sa distance amusée contre une solennité pompeuse et empreinte de respect onctueux pour l’inévitable Bergé. « Non ne me remerciez pas, c’est à nous de vous remercier pour tout ce que vous faites », pour un peu il allait le remercier d’exister. Le fou du roi s’est aussi fendu d’une petite leçon de vie à l’usage des jeunes générations : « Ne faites confiance à personne. » Et pour être bien sûr que personne ne se marrait, dès que l’un de ses chroniqueurs tentait une vague blague au parfum de gaudriole, il s’empressait de lever l’ambiguïté d’un sentencieux : « C’est de l’humour, il faut utiliser des préservatifs. » Ce qui est marrant chez tous ces gens englués dans leur compassion pour les malades du sida, c’est qu’ils prennent lesdits malades, et avec eux tous leurs contemporains, pour des cons, incapables de faire le distinguo entre une blague et une affirmation sérieuse. Regardez-moi ces Africains qui obéissent aveuglément au Pape – comme en témoigne le succès de ses appels à la fidélité conjugale. Ces noirs sont de grands enfants. Cela dit, puisqu’on en est à l’éducation des masses, il faudrait peut-être préciser que les monogames impénitents peuvent se dispenser du recours à la capote – à condition bien entendu d’être munis d’une attestation de non-séropositivité qui devra être présentée sur demande à leur fucking-partner.

Désolée, mais le sidaction ne passera pas par moi. On me dira ce qu’on voudra, cet étalage de générosité, ce dégoulinage de vertu, ce matraquage de compassion sont obscènes. Ce défilé de pipoles qui rient de se voir si bons en ce miroir est dégoûtant. Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, que ton aumône soit secrète, vous n’avez jamais entendu parler des Evangiles les gars ? D’ailleurs, le péquin est invité lui, à donner dans l’anonymat. Et puis, au-delà de l’obscénité, il y a le ridicule qui, comme toujours, semble échapper à tous les professionnels de la rebellitude. Pas un qui soit vaguement gêné de partir sabre au clair contre un adversaire sur lequel tous ses petits camarades se sont déjà rués. Montjoie, Saint-Denis, sus à l’ennemi ! Se payer le pape et dénoncer le virus, ça ne mange pas de pain et c’est bon pour l’image. Ce qu’aiment par-dessus tout nos courageux défenseurs du malade et de l’orphelin, c’est tirer sur les ambulances, de préférence en meute. Proclamer son soutien à une cause incontestable, telle est la dernière trouvaille des bouffons bouffonnants. À quand des badges pour dénoncer Hitler ? Un pin’s contre le racisme ? (Ah oui, celui-là on nous l’a déjà fait.)

On m’accordera (ou non) que le caractère hautement consensuel et même parfaitement unanimitaire de cette mobilisation a déjà de quoi porter sur les nerfs. Cela devrait suffire à renverser la charge de la preuve. Après tout, ce n’est pas à moi d’expliquer pourquoi ce raffut m’insupporte mais à ses auteurs de m’expliquer pourquoi ils le font. J’ai une petite idée que je vous livre telle quelle. Le sidaction est une proposition qu’on ne peut pas refuser parce que le sida est une maladie communautaire. Pour le dire clairement l’affaire des homosexuels mâles. Inutile de piailler, je sais qu’en vrai, c’est pas vrai. N’empêche que pour des raisons historiques et médicales, elle a été, dès son apparition (ou plutôt avec un train de retard comme l’explique Frédéric Martel dans Le Rose et le Noir), prise en charge par les associations homosexuelles. Pourquoi Pierre Bergé déploie-t-il tant d’énergie pour cette maladie-là et pas pour une autre ? Pourquoi toutes ces grandes âmes qui saignent pour l’Afrique ne donnent-elles jamais un gala pour lever des fonds pour la lutte contre la malaria ou la lèpre ? Pourquoi cette débauche d’empathie obligatoire ? La réponse est simple : le sidaction n’est que l’un des fronts de la lutte homosexuelle – et comme chacun sait la lutte continue. En conséquence, ne pas y participer, c’est être homophobe. (Et ironiser est bien pire encore.) D’ailleurs, je retire tout ce que je viens d’écrire. Je voudrais moi aussi contribuer à l’édification de mes concitoyens. Ne vous laissez pas enfariner. Comme le dit mon ami Marco, contre le sida, le ruban rouge, c’est pas efficace.

Pas de Printemps pour Martine

19

Mille cinq-cents participants selon les organisateurs. Quiconque a fait un peu de politique est capable de ramener ce chiffre vers sa valeur réelle : à tout casser, mille clampins, non plus selon les organisateurs mais en comptant les organisateurs. Ce qui nous ramène à huit cents spectateurs. Une fois déduits de ceux-ci les six autocars de militants du Nord-Pas de Calais réquisitionnés pour faire la claque et on arrive au grand maximum à cinq cents Parisiens ou banlieusards venus de leur plein gré. On n’ose même pas imaginer le chiffrage si le « grand » rassemblement du PS n’avait été agrémenté d’un concert gratuit de Sanseverino. Auquel cas nos amis socialistes auraient aussi bien fait de fêter le Printemps des Libertés sous un préau d’école du Pré-Saint Gervais.

La cata, le bide absolu, la Bérézina. Même Martine n’a pas pu le cacher aux participants, et s’est trouvée forcée d’abandonner dans son allocution le principe de déni absolu qui tient lieu de langue vernaculaire aux politiques de tous bords, bref de cracher le morceau : « Alors on nous dit qu’on n’est pas très nombreux ! » Oui, Martine, on te le dit, vous n’étiez pas très nombreux, en vérité vous étiez ridiculement peu nombreux ; et comme on n’est pas des méchantes filles, on va même t’expliquer pourquoi.

Arrêtons-nous d’abord à l’hilarante thèse officielle du parti, à savoir le manque de préparation et le calendrier trop chargé du fait des mouvements sociaux. Manque de préparation, manque de temps ? De qui se moque-t-on ? Le Livre Noir du PS sur les libertés publiques – socle de ce rassemblement – annoncé depuis des mois, a été présenté il y a dix jours, accompagné d’un tonnerre de louanges dans la presse et imprimé à des dizaines de milliers d’exemplaires.

Manque de bol pour Martine et Marie-Pierre de la Gontrie, son auteur, si ce livre a probablement enthousiasmé Laurent Joffrin et Edwy Plenel, ce ne sont pas eux qui sont chargés de diffuser cet excellent ouvrage sur les marchés, dans les manifs ou au porte-à-porte. A peine imprimés, des dizaines de milliers d’exemplaires sont allés s’entasser dans les sous-sols des sections, impitoyablement livrés, comme disait Tonton Karl « à la critique rongeuse des souris ».

Sur place, au Zénith, même les plus vaillants militants renâclaient à lâcher un billet de 5 euros pour acquérir la chose. C’est que l’enthousiasme, lui, n’était pas à son zénith et la vision des travées vides donnait l’impression de s’être trompé d’endroit ou d’heure. Il est fort regrettable que la sauterie n’ait pas été programmée une semaine plus tard. Il y avait alors moyen d’exciper de la difficulté du passage à l’heure d’été et de son heure de sommeil en moins pour justifier l’ambiance sépulcrale.

D’ailleurs, deux petits signes ne trompent pas : les facebookiens socialistes ayant annoncé avec tambours et trompette sur leurs status du dimanche matin qu’ils filaient Porte de Pantin, se sont bien gardés de faire des commentaires élogieux le soir venu sur leur activité dominicale. Et lisons les leftblogs : sinistrose, sinistrose, le matin après les débats sur les collectivités locales. « À la fin de l’intervention, rien, pas un appel pour manger ensemble, partager un verre, sinon par ses propres moyens. Tout le monde faisait la gueule dans les rangs. Les militants venus en car pour voir, les intervenants sur scène, sans doute les chefs au premier rang. Et moi qui me demandais si j’avais bien fait de perdre une heure de métro pour venir me plomber le moral (…) J’ai donc eu un coup de blues. Pas longtemps. Juste le temps de sortir, parce qu’après le parc de la Villette, avec Géode, canal de l’Ourcq, cité des Sciences, est très sympathique, même sous un ciel grisouille[1. Lu sur le blog Au café Royal.]. » Des militants socialistes se sont cachés dans le jardin au milieu des joueurs de djembé et des enfants en bas âge, sauras-tu les reconnaître ?

Côté excuses à deux balles, on retiendra aussi celles de quelques hiérarques solfériniens présents sur place, tel David Assouline, qui a osé expliquer que l’affluence n’était pas si nulle pour assister à un « colloque ». Bien, bien, David. Mais as-tu le programme : « Rassemblement républicain pour la défense des collectivités locales et des droits de l’opposition », « les libertés d’expression menacées, avec témoin slam », sans oublier la clôture par Sanseverino, néo-chanteur français sautillant. Vous avez dit colloque ?

Quant à l’hallucinante antienne du mouvement social qui a gêné la préparation elle laisse sans voix. Heu, c’est quoi un parti gravement handicapé par un développement exponentiel du mécontentement populaire ? Normalement, c’est l’UMP. Ben non, ce coup-ci, c’est le PS. Et autant le dire tout de suite, en se cherchant des excuses à la va-vite pour justifier sa contre-performance de dimanche, Solférino, pour une fois, s’est approché de la vérité. Nous avons croisé des centaines de socialistes dûment badgés dans le cortège parisien jeudi dernier. Rien que devant le Cirque d’Hiver, point de rendez-vous des militants, ils étaient, au minimum un bon millier (c’est-à-dire plus qu’au Zénith, mais ne soyons pas cruels). Eh bien, pas un qui nous ait proposé d’acheter ce fichu Livre Noir, et à peine deux ou trois pour distribuer le tract du Printemps. Les autres, on se demande pourquoi, préféraient massivement distribuer le dépliant consacré aux problèmes du moment : « Réagir avec les socialistes ». Interrogé par nous-mêmes sur ce manque d’enthousiasme libertitudophile, un maire de la grande couronne nous a tranquillement expliqué qu’il se refusait absolument à diffuser un livre où l’on laissait entendre « que la justice était trop dure avec les petits voyous » avant de conclure, un rien agacé : « Marie-Pierre, quand elle veut, je l’emmène dans une cité ! » Bref, oui, le mouvement social a plombé le Zénith des Libertés, pas pour cause de contretemps technique, mais de contresens stratégique. En clair, la direction du Parti a été incapable de voir qu’en bas, la mayonnaise sociétaliste ne prenait pas, qu’une fois franchies les frontières de l’hypercentre parisien, le militant lambda se contrebattait de la grande affaire du moment.

Le pire est qu’avec un soupçon de clairvoyance, on aurait pu éviter le naufrage : il suffisait, il y a une semaine, de changer de cap et transformer le raout « pour les libertés » en rassemblement pour le pouvoir d’achat ou contre les licenciements ou même pour l’abrogation immédiate du bouclier fiscal. Mais changer le programme des festivités, c’était alors prendre le risque de se fâcher avec la Ligue des Droits de l’Homme, le Grand Orient, les associations gaies lesbiennes ou trans, sans parler des SM ou du SM… C’était aussi prendre le risque d’avoir des choses concrètes à dire aux Français en matière d’emploi, de salaires, de protectionnisme.

Alors cessons d’accuser le temps ou le timing, la fatigue ou la haute tenue intellectuelle des débats. Si personne n’est venu, c’est qu’encore une fois le PS est à côté de la plaque. On avait pu croire qu’avec la défaite à la présidentielle, le retour de maman Martine, alias « La dame des 35 heures, du Nord et de ses usines », le parti allait revenir aux fondamentaux. On sait que le PS est un parti de profs, de fonctionnaires, d’élus, de bac+5 bien pensants, mais on n’efface pas l’histoire comme ça. Dans les esprits, la gauche est du côté des petits. En clair ceux qui en bavent au boulot, dans des fonctions absurdes, mal payées ou guère mieux, dans des usines (excusez-nous pour le gros mot), des entrepôts ou des open space à la Défense. Et que c’est auprès de ces pouilleux-là, aujourd’hui encore plus qu’hier, que le PS doit aller chercher des électeurs. Et accessoirement tacler Sarkozy et la droite.

Croire que la droite est gênée aux entournures sur le mariage gay ou les sans-papiers est une erreur létale. Nadine Morano lance la polémique sur le « statut du beau-parent », en clair pour les parents homo, ou bien s’étrangle sur les propos de Benoît XVI sur le préservatif et le sida ? La droite s’en fiche. Roger Karoutchi fait son coming-out médiatique ? Les militants UMP continuent à se demander qui est Roger K, sans s’interroger sur sa vie sexuelle.

Croire surtout que les électeurs de gauche ou même du centre font de ces thèmes une question centrale est une monumentale ânerie. Plus que tout le mal que nous avons pu dire sur ce penchant suicidaire, la fête de la libertitude en a fait la démonstration. On a voulu, une fois de plus, faire au Zénith du ségolénisme sans Ségolène. Bien vu !

Big Brother ne la regarde plus !

6

Chose promise, chose due : Jade Goody, héroïne de Big Brother, la version britannique de Loft Story a trépassé ce dimanche. Un peu de recueillement s’impose et aussi un peu de jalousie. Outre-Manche, les accros à la téléréalité ont eu droit en direct live à un vrai cancer, doublé d’une agonie copieusement filmée, avec en prime un décès certifié par les autorités compétentes lequel sera suivi, n’en doutons pas, d’obsèques ad hoc. Le tout pour le bénéfice des gamins de feue cette working class hero, qui toucheront leurs vies durant les royalties de tout ce déballage obscène et poignant. Et nous, pauvres froggies, on n’a en pâture que la Loana qui nous raconte une agression dans sa baignoire, puis ne souvient de rien, puis détaille ses malheurs à un Fogiel en larmes sur Europe1, sans même qu’on ait droit à la moindre image du drame. Remboursez !

La vie privée, ça n’a pas de prix !

30

« Toute photo publiée sans consentement donnera lieu à des poursuites. » Jean-Pierre Mignard, avocat et porte-flingue de Ségolène Royal, prévient dans Le Parisien : si la presse people compte parler de Ségolène Royal, elle devra passer à la caisse. En quelque mois, la Poitevine a fait cracher aux hebdos, tous titres confondus, 45 000 euros de dommages et intérêts et de frais de procédures.

On pourra donc légitimement se demander pourquoi Ségolène Royal est d’un seul coup devenue si méchante avec une presse, certes infréquentable, mais qui jusque là assurait plutôt gentiment – et gratuitement – sa com’, une presse qui l’a mise en orbite dans l’opinion d’en-bas, en lui conférant ce fichu côté glamour que Martine Aubry n’aura jamais, quels que soient ses efforts, régimes, tentatives de chirurgie ou de relooking. Pourquoi Ségolène, jusque là si prompte – pour notre plus grand bonheur – à mélanger les genres, à flouter les limites entre vie privée et vie publique, nous veut-elle soudain autant de mal ?

C’est peut-être une preuve de mauvais esprit mais je me demande s’il ne s’agit pas tout simplement de petits et gros sous. Privée de subsides par la nouvelle direction du parti et lâchée d’un peu partout par les siens, Ségolène Royal a besoin de thunes pour exister politiquement et faire tourner Désirs d’avenir. Jusque très récemment, elle reversait systématiquement ses dommages et intérêts à des associations caritatives (ce qui lui donnait droit, soit dit en passant, à de sympathiques réductions d’impôts). Il se pourrait que désormais, l’argent soutiré grâce à l’article 9 du code civil serve à son « soutien logistique », autrement dit qu’il soit le nerf de la guerre qu’elle va devoir mener – avant tout au sein du PS.

Qu’elle en profite. Tant qu’elle sera bankable, nous balancerons des photos d’elle. Et financerons bien malgré nous sa petite boutique. Mais si Ségo tape trop fort ou que, par le plus grand des hasards, sa tête de chouette ravie ne fasse plus trop vendre de papier, elle risque de très vite perdre le beurre et l’argent du beurre, le bruit médiatique positif grâce à la presse people et l’argent gagné en procédures judiciaires. Quant au sourire de la crémière…

Du souci pour la fête de la libertitude ?

4

Depuis quelques jours, les sections socialistes de l’Ile-de-France sont bombardées de mails comminatoires leur demandant de détailler le nombre exact d’inscrits au Printemps des Libertés, la fête organisée ce dimanche au Zénith pour promouvoir le Livre Noir de Marie Pierre de la Gontrie sur les libertés publiques. Car en vérité, c’est un peu la panique rue de Solférino, où l’on craint ouvertement le bide pour cet après-midi. Il semblerait que la base du parti, notamment en banlieue, ait préféré s’investir dans la préparation de la manif de jeudi que dans la promotion du Livre Noir. Un ouvrage qui, s’il a été fort bien accueilli dans les rédactions, n’a pas déclenché l’enthousiasme général dans les quartiers où même le militant le plus endurci a souvent « le sentimenté d’être plus menacé dans sa sécurité que dans ses libertés…

Colombani, bon pour la Réforme ?

52

Samedi 21 mars 2009, 12 heures 50, France Culture, La Rumeur du Monde. Grand moment d’étonnement, ou de panique rentrée, de la part de Jean-Marie Colombani, l’animateur somnifère de ce talk-show pour les derniers « lou ravi » de l’économie de marché, dans sa version idyllique de l’époque qui nous semble déjà si lointaine, celle d’avant l’apocalypse des subprimes.

« Il semblerait que l’idée même de réforme soit devenue impopulaire », susurre ainsi ce parangon de la pensée unique, ce mètre-étalon du lieu commun libéral. S’il ne devait en rester qu’un, ce serait lui, auraient versifié ou chanté en termes voisins Victor Hugo et Eddy Mitchell. Le dernier à croire dans les vertus de la libre entreprise, du monétarisme, du capitalisme autorégulé, de la concurrence libre et non faussée, tous ces dogmes de la Sainte Foi qu’il propagea en infatigable évangéliste du marché pendant des années d’arrogance méprisante pour toute analyse qui aurait comporté ne serait-ce qu’un soupçon, une larmichette, une dose homéopathique de keynésianisme, même édulcoré.

« Il semblerait que l’idée même de réforme soit devenue impopulaire. » Savourons cette phrase. Colombani commentait ainsi les imposants défilés du 19 mars, en guise d’introduction à l’un de ses filandreux et interminables dialogues avec Jean-Claude Casanova, archéo-barriste girondin et aronien insubmersible, persuadé que tant qu’il restera quelques fonctionnaires en France, (sauf de police, évidemment…) nous serons en Union Soviétique.

Ce qui étonne, c’est surtout l’étonnement de Monsieur Colombani. Pour qu’il comprenne ce qui lui arrive, qu’on nous permette de le renvoyer à un livre remarquable, vieux d’une douzaine d’années mais toujours d’une singulière actualité pour ceux qui veulent éviter les chausse-trappes lexicales de la novlangue néo-libérale. Il s’agit d’un ouvrage qui se présente comme un dictionnaire, Le marché des mots, les mots du marché de Raoul Villette[1. Les nuits rouges/L’insomniaque, 1997, encore trouvable avec quelques efforts.]. À l’article « Réforme », on peut lire la définition suivante : « Liquidation des conquêtes sociales. Patronat et syndicats se battent désormais à fronts renversés. Le premier s’est emparé avec l’aide des médias de la connotation positive du mot pour imposer ses revendications tandis que les seconds obsédés par l’idée de déclencher un mouvement social qu’ils ne contrôleraient pas se sont laissé enfermer dans une posture « conservatrice » des avantages acquis complètement inefficace. »

Il semblerait donc, au grand dam de Monsieur Colombani, que si l’économie spectaculaire marchande s’effondre, on redécouvre sur le terrain du langage la bonne vieille adéquation entre signifiant et signifié ; par là-même, les mots retrouvent une valeur d’usage confisquée jusque-là par l’efficace propagande du Capital. Il est amusant, également, de constater que les exemples donnés par Raoul Villette pour illustrer sa définition sont tous extraits du journal Le Monde de 1995-1997, période fastueuse où le règne du même Colombani sur le malheureux quotidien du soir commençait et allait par la suite se révéler, comme on le sait, si brillant en ouvrant une grande ère de tolérance et d’investigation audacieuse et impartiale. Dégustons, par exemple, cette inoubliable citation de Jacques Toubon[2. Homme politique parisien de la fin du vingtième siècle.] du 25 septembre 1995 : « Nous avons à mener une politique de réformes pour aboutir au changement. »

La revanche des mots, récupérant leur fraîcheur originelle, voilà ce qui commence à faire vraiment peur aux élites autoproclamées. Aussi peur, finalement, que les millions de manifestants parmi lesquels une infirmière, une chercheuse ou une ouvrière de Continental aurait pu dire à Colombani, à l’instar de Martine dans Les Femmes Savantes :

« Tout ce que vous prêchez est je crois bel et bon ;
Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon. »

Philippe Muray à travers les âges

31

Le 2 mars 2006, il y a trois ans à présent, est mort le seul homme qui connaissait par cœur à la fois toute La Comédie humaine, L’introduction à la lecture de Hegel de Kojève et les paroles de Tata Yoyo[1. Auxquelles il rendit un vibrant hommage dans Roues carrées, Fayard-Belles Lettres, 2006.]. Son nom est Philippe Muray.

Depuis trois ans, nous ne pouvons plus toucher et être touché que (par) son second corps, promis lui aussi à la résurrection : son œuvre. Celle-ci constitue le portrait le plus ample, le plus décisif, le plus profond, de la France des années 1980 à 2006. Aucun élément sérieux ne nous permet d’écarter la crainte qu’elle soit en outre la peinture la plus exacte de l’ensemble du stupide XXIe siècle.

Cette œuvre comporte trois versants. Le plus fameux, jusqu’à maintenant, demeure celui des ses essais. Evoquons par exemple les quatre volumes d’Exorcismes spirituels (1997-2005), les deux volumes d’Après l’Histoire (1999-2000) et Festivus Festivus (1995), ses tumultueux entretiens avec Elisabeth Lévy. Une phrase d’Ainsi parlait Zarathoustra pourrait résumer ces livres : « O mon âme, je t’enseignais le mépris qui ne vient pas comme une pâture de vermine, le grand mépris, le mépris aimant qui aime le plus fortement lorsque fortement il méprise. »

Derrière les essais se cache le versant romanesque, encore méconnu, essentiel pourtant. Muray écrivant sous les auspices de Rabelais, de Balzac, de Céline et de Marcel Aymé, toute sa littérature est en réalité d’essence romanesque. Le troisième versant enfin, qu’il considérait comme éminent, mais dont la publication ne pourra probablement pas intervenir avant de nombreuses années, est constitué par les vingt à trente mille pages de son Journal, Ultima Necat.

L’année 2006 fut aussi celle de trois consolations posthumes. L’album Minimum Respect[1. Disponible notamment sur le site philippe-muray.com.] tout d’abord, interprétation par Muray de quelques-uns de ses poèmes, mise en musique avec talent et humour par des amis musiciens. Le portatif ensuite, précieux dictionnaire intime, hélas inachevé, de la pensée en mouvement de Muray, condensation de la force lumineuse et tranchante de sa pensée.

Cependant, le texte posthume le plus précieux, et que nul ne semble avoir réellement lu jusqu’à présent, s’intitule Roues carrées. Avec On ferme (1997), il s’agit de la seconde œuvre romanesque majeure de Philippe Muray. Roues carrées est le nom du tournant esthétique engagé par Muray dans les dernières années de sa vie. Celui-ci avait conçu ses Roues comme un recueil, qui aurait probablement été aussi imposant que les 700 pages d’On ferme, d’une quinzaine de très longues nouvelles reliées entre elles par le principe balzacien (déjà présent dans ses romans) du retour des personnages. Il ne put hélas achever que deux nouvelles. L’édition post mortem leur adjoint une troisième, inachevée, portant de manière saisissante le titre Comment je me suis arrêté. Le narrateur de la dernière œuvre de Muray raconte comment il a secrètement décidé d’arrêter de moderner, s’engageant ainsi sur un chemin inconnu, angoissant, obscur. Il nous confesse aussi ce soupçon, que nul n’aime sans doute véritablement moderner, que chacun ne moderne qu’avec une réticence intime, silencieuse, et parce qu’il imagine que le Moderne apporte à tous sauf à lui-même une joie pleine et sincère. La nouvelle repose sur une analogie entre le tabac et le Moderne, le narrateur dénonçant la dépendance morbide provoquée par le Moderne. Et cette Roue-là est carrée, parce que l’éloge du démoderner (ou du démodernage) y est fait dans le langage même du Moderne.

A l’époque de la conception des Roues, Muray répétait souvent avec une tonalité bouffonne et métaphysique : « J’arrête la critique ! Je ne critiquerai plus jamais rien ! » Muray a voulu alors en finir, en effet, avec tout élément de critique du Moderne. La découverte radicale des Roues ? Le Moderne est, dans sa structure ontologique, cancer. On ne critique pas le cancer. Voilà l’étrange affaire : au moment même où le cancer du poumon croissait en lui à son insu, Muray s’est inoculé le cancer du Moderne. Il est devenu absolument Moderne. Absolument cancer. Ce geste se nomme Roues carrées.

Si ces Roues sont carrées, c’est parce qu’elles inventent l’art inouï d’élever la folie, la monstruosité, l’informité de l’époque, au carré. Muray y ausculte des états infiniment plus avancés que ceux que nous connaissons du cancer qu’il découvre être le Moderne, des états d’effondrement de la subjectivité, du langage et de la pensée qu’aucune autre œuvre n’a explorés. Nous nous traînons péniblement vers leur horizon. Nous ne sommes pas près de rattraper notre retard sur l’art de Philippe Muray. L’infime Sarkozy est une lanterne du Moderne, un puceau du Moderne, un rachitique de la Réforme, au regard de la cavalerie hirsute lancée dans les Roues carrées.

Dans Le portatif, nous lisons ces mots qui ne pèchent pas contre l’espérance : « Je ne cherche nullement à faire tourner la roue de l’Histoire en arrière pour la bonne raison que cette roue, elle est désormais carrée. Je ne pense pas que c’était mieux avant ; je dis que c’était mieux toujours. »

Toujours ? L’œuvre de Muray nous y mène. Tel est son lieu. Elle nous attend.

Roues carrées: nouvelles

Price: 18,00 €

22 used & new available from 2,00 €