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Le capitalisme a vécu sa nuit du 4 août

C’est bien à une nouvelle nuit du 4 août à laquelle on a assisté le 26 mars. Ce n’est pas le jeune duc de Noailles qui a déposé devant la nation titres et privilèges mais les dirigeants de GDF-Suez qui ont abandonné leurs stock-options.

Depuis une semaine, se succédaient les nouvelles de dirigeants de sociétés en quasi faillite ou sauvées par l’Etat obligés d’abandonner leurs immenses privilèges auto-attribués. La réprobation unanime de ces débordements a atteint un tel degré dans l’opinion que même une société largement bénéficiaire comme GDF-Suez a été contrainte une journée après l’annonce de cette attribution de stock-options de faire volte-face et à y renoncer.

Pourquoi ? Parce que ses dirigeants qui n’ont pourtant pas à craindre d’être accusés de mauvaise gestion ou de prévarication ont compris les premiers (il aurait pourtant mieux valu qu’ils le comprennent une journée plus tôt !…) que le capitalisme serait désormais moral ou ne serait plus. Enfin !…

Car cela fait plus de trente ans que c’est engagé le grand mouvement de conversion de l’Occident, et à sa suite de tous les pays émergents, au capitalisme dérégulé et mondialisé. La dérégulation ne pouvait s’accompagner que de l’abandon de toute règle y compris morale. On a alors vu les docteurs de la foi (en saint Milton Friedman) se répandre dans tous les colloques, dans tous les think tanks, dans toutes les revues, en prêches et incantations : il ne fallait plus fixer de règles mais laisser jouer le marché, aussi inhumain fût-il, au nom de l’efficacité. On a vu ce qu’il en était de l’efficacité après la ruine du système d’épargne américain en 1987 et on sait ce qu’il en est aujourd’hui. Cela n’empêcha pas le philosophe André Comte-Sponville de parcourir toutes les tribunes avec sa conférence bien rodée pour nous dire que le capitalisme n’avait pas à être moral et qu’il échappait à la morale.

Eh bien non ! Le capitalisme peut et doit être moral. Le 26 septembre est bien un nouveau 4 août : plus rien ne sera désormais comme avant. Car des dirigeants d’une grande entreprise – les aristocrates des temps modernes – ont découvert le poids de la morale et leur décision d’abandonner leurs privilèges en entrainera d’autres. Alors bien sûr il y aura encore des scandales, car là où il y a morale il y a scandales potentiels, mais le 26 septembre ouvre une nouvelle ère pour le capitalisme. Une ère de rédemption dans la vertu.

La messe est dite

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Tout fout le camp. Vendredi n’est plus seulement le jour du poisson. C’est depuis quelques mois déjà le jour de parution de l’hebdomadaire du même nom (éponyme pour les auditeurs de France culture) : l’actualité y est puisée et sélectionnée dans la netosphère. Et si cette semaine, dans la foulée des scoops de Nicolas Cori sur Libération, les patrons et leurs parachutes dorés se font une belle place au soleil du buzz, c’est notre François Miclo à nous qui se taille, lui, la part du lion : selon la Netscouade (qui suit, entre autres, sur le net l’actualité politique française avec un radar de sa composition), il est le premier de la classe avec son article sur les déclarations de Benoît XVI, catholiquement orthodoxe mais cathodiquement un rien hétérodoxe.

Riez, c’est un ordre !

Jamais anarchistes n’auront été si fastueusement couronnés. Si les Guignols et tous leurs émules avaient un peu de bon sens – en plus d’être dépositaires officiels de l’esprit satirique national – ils auraient fui à toute allure les festivités organisées pour leurs vingt ans. « Les Guignols, c’est la grand-messe » : cette phrase n’a pas été prononcée par un ronchon conformiste, réactionnaire et inaccessible à cet humour si corrosif que l’on n’appelle plus que « l’humour Canal » mais par la présentatrice du JT de la chaîne. Grand-messe ? La métaphore qui fleure l’Inquisition, les Croisades et Benoît XVI aurait dû faire bondir les intéressés. Rien du tout. Tous se sont, au contraire, montrés fort satisfaits des marques de déférence qui leur ont été dispensées à foison. « Meilleurs éditorialistes de France » par-ci, « seuls opposants à Sarkozy » par-là, puis encore « héritiers de Molière et La Fontaine » et aussi « indispensables garde-fous de la démocratie » ou « symboles de la liberté d’expression à la française » : dans ce registre de bondieuserie cool et moderne, aucun lieu commun n’aura été épargné aux malheureuses marionnettes et surtout aux malheureux Français. L’esprit de sérieux (l’une des pires menaces qui pèsent sur l’humanité) n’est jamais aussi lourd et désolant que lorsqu’il s’abat sur l’humour lui-même.

On me conseillera comme toujours d’éteindre ma télé. Libre à chacun de se priver du spectacle du monde, cela n’est pas ma pente. En vérité, le sacre des Guignols et des humoristes dérangeants rangés sous la bannière de Stéphane Guillon, est un événement considérable. Les bouffons sont devenus rois. Mais ils continuent à se prétendre bouffons. Et nous marchons, ou, pire encore, nous faisons semblant – situation parfaitement orwellienne d’imposture partagée où le conformisme passe pour subversif et l’idéologie dominante pour l’esprit de résistance.

L’affaire Guillon avait préparé les esprits au putsch des amuseurs. Putsch soft, au demeurant improvisé à partir d’un incident. Un ancien ministre mal réveillé se prend en pleine figure les blagues au vitriol d’un type payé pour jouer le garnement et qui le fait très bien. Comme les blagues reposent sur ses frasques réelles, et qu’il a oublié que la règle numéro un de ce jeu de cons est de faire bonne figure et d’affirmer qu’on trouve ça hilarant, il fait savoir qu’il n’est pas content. Accessoirement, il a aussi oublié que quand on se fait pincer la main dans le pot de confiture, il faut assumer. Bref, il grogne, pas très fort d’ailleurs. « C’est méchant et pas drôle. » Immédiatement la machine à réécrire l’histoire se met en marche. Sur internet, la chronique de Guillon « fait » des centaines de milliers de connections. La rumeur enfle : DSK veut sa peau. Le président de la République qui essayait sans doute de faire savoir subtilement à Guillon tout le bien qu’il lui veut, y va de sa petite phrase. Là, c’est la légion d’Honneur. Sarko demande sa tête ! Il vient de gagner ses galons de martyr pour le jour où ses employeurs voudraient se séparer de lui. Au moins dans son triste exil, retrouvera-t-il d’autres résistants tombés au combat contre le tyran comme PPDA et Alain Genestar – ça va être fun dans le camp de travail. En sera-t-il réduit, comme ce pauvre PPDA à officier sur Arte ? On n’ose imaginer une telle issue.

C’est l’émeute. Guillon est invité sur tous les plateaux à exposer avec solennité la haute conception qu’il a de sa mission d’intérêt général. « Le seul critère, c’est que ça fasse rire. » Quelle fulgurance ! Quelle hauteur de vue ! Quel courage ! La presse serre les rangs, consacre dossiers et analyses au Jean Moulin des ondes et des écrans. Pas un jour ne se passe sans que l’un des confrères du héros en remette une louche en signe de solidarité. Le pouvoir n’a qu’à bien se tenir. Nous ne sortirons que par la force des baïonnettes. De plus, Guillon est un fusil à deux coups. Son admirable courage rejaillit sur son employeur Jean-Paul Cluzel dont le départ était programmé par l’Elysée depuis belle lurette. Il sera désormais admis de tous que le président a décidé de le débarquer à cause de Guillon. (La plupart des confrères, probablement choqués sans oser l’avouer, ont assez vite renoncé à le défendre sur le coup du calendrier d’Act up pour lequel il a posé torse nu et le visage masqué. Il est vrai que lui-même a confessé une faute de goût ; sans doute a-t-il jugé qu’il serait assez hasardeux d’accuser Sarkozy d’homophobie.) Daniel Schneidermann dont l’obsession sarkozyste peut tempérer la justesse d’analyse tombe dans le panneau tête baissée : « Si le pouvoir cherche à déstabiliser Cluzel pour se débarrasser des impertinents de France Inter, écrit-il, il trouvera mille discours d’accompagnements. » Hier, Jean-Marie Colombani se rengorgeait parce que, disait-il, « Le Monde fait peur ». Désormais ce sont les Guignols qui font peur. Tremblez, puissants !

Dans cette hilarante ambiance d’union sacrée autour d’un pauvre comique sans défense, le sacre des Guignols ne pouvait mieux tomber. Là, pas d’improvisation. Les festivités, organisées par les idoles que l’on célébrait, furent aussi fastueuses que celles que donnaient autrefois les souverains pour une naissance ou un mariage princier. Hélas, le bon peuple n’est plus invité à se réjouir et à faire bombance et libations jusqu’à rouler sous la table, mais à se masser devant ses écrans et à se goberger de spots publicitaires. Nos nouveaux rois ne peuvent pas lever l’impôt, il faut bien qu’ils vivent. D’ailleurs, leur pouvoir est le plus démocratique qui soit puisqu’il repose sur l’audimat. Un incomparable sujet d’émerveillement pour les commentateurs que ces audiences dopées et ventes qui s’envolent. L’impertinence paye. Pas trop mal d’ailleurs.

Pendant que nous étions plantés devant nos télés, les célébrités ont bien dû avoir droit à quelques soirées à la mode d’avant, avec du vrai champagne et du pipole en veux-tu en voilà. Mais ne soyons pas chien, pour vous et moi, ils n’ont pas lésiné. Le gratin de l’humour et de la politique a défilé sur le plateau de Canal pour rendre hommage à ses maîtres. Les plus grandes gloires du journalisme bankable, ceux et celles qui ont une chance de passer à la fois dans Gala et dans Match, ont été invitées à dire leur petit compliment. Idée géniale et tellement innovante, la rencontre entre la caricature et l’original a été déclinée sous diverses formes, le personnage réel étant de toute façons invité à dire tout le bien qu’il pense de sa marionnette – on aurait aimé un Jean-Louis Debré un peu moins copain et un peu plus président du Conseil constitutionnel. Certes, les Guignols ont raté un gros coup, Chirac ayant décliné la proposition. Aucun humour, celui-là, et même pas la reconnaissance du ventre, puisqu’il a été décrété que l’ancien président devait son siège et sa popularité à sa marionnette (ce qui est peut-être vrai d’ailleurs).

À entendre les responsables politiques rivaliser dans la flagornerie à l’endroit de ceux qui se paient leur tête, on comprend qui a le pouvoir. « Les Guignols sont toujours aussi mordants », affirme Le Parisien. Tellement mordants que la plupart des personnalités interrogées se débrouillent pour ne pas en dire de mal. « Ma marionnette me fait beaucoup rire » (Xavier Bertrand, type cool) ; « Je suis un fan inconditionnel… Mais je préfère la marionnette des autres à la mienne » (Jack Lang, comique involontaire) ; « C’est une forme de reconnaissance » (Yves Jégo, ministre méconnu). Pas très enthousiaste, Bayrou s’arrache cependant quelques mots aimables : « Au-delà du désagrément, il peut être utile de se faire cibler par les humoristes. » Même Le Pen juge que les Guignols sont parfois « drôles et impertinents et parfois convenus ». Faire rire Le Pen, c’est grave, non ? Heureusement, Philippe de Villiers est ouvertement hostile : non seulement il ne se reconnaît pas dans sa marionnette « catholique intégriste » et « xénophobe », mais il en a marre que les gens croient l’avoir vu à la télé alors qu’il n’y passe presque jamais, beaucoup moins en tout cas que son double de latex. On vous l’avait bien dit : il est coincé, celui-là.

C’est François Hollande qui crache le morceau. S’il ne s’aime pas trop en benêt (encore qu’il préfère « passer pour un couillon » que pour un « salopard cynique ») il n’a « aucun doute sur le fond culturel des Guignols basé sur des valeurs progressistes ». Nous voilà soulagés et affranchis du même coup. Ce qu’on aime dans les Guignols, c’est qu’ils pensent comme tout le monde. Sous couvert d’impertinence, nos amuseurs ne font que répéter ce qui se dit partout à longueur d’antenne et de colonnes. Sarkozy est méchant, le Pape est méchant, Bush est méchant, Le Pen est méchant, les patrons sont méchants, nos redoutables trublions récitent chaque jour le catéchisme de la gauche convenable.

Peut-être que les sans-papiers, les malades du sida et les ouvriers licenciés aimeraient bien, eux aussi, qu’on se foute de leur gueule.

Lance Armstrong, le yankee-étalon

La lecture de la presse sportive est parfois une épreuve. Depuis l’annonce, pour le moins incroyable, de son retour à la compétition il y a quelques mois, Lance Armstrong s’en prend plein la poire. Pas exactement une surprise. La France de la petite reine n’a jamais pu blairer le champion texan au visage angulaire. Pensez donc, un Yankee qui gagne le Tour de France sept fois de suite en laissant à chaque fois sur place les coureurs bien de chez nous, ce n’est pas supportable. Qu’un Espagnol ou un Belge fasse le fier-à-bras sur les Champs-Élysées avec le maillot jaune, passe encore. C’est la famille. Mais un Américain taiseux, arrogant, capable de semer tout le monde avec le coude à la portière, faut pas pousser Mémé dans les orties !

Au grand dam du journal L’Equipe, la bible des sportifs du dimanche, le « tricheur » est de retour. Armstrong n’a jamais été convaincu de dopage de toute sa carrière, mais peu importe. Caressant l’opinion populaire dans le sens du poil, le quotidien a décrété une bonne fois pour toutes que le sextuple vainqueur du Tour était dopé jusqu’aux yeux. À le lire, on a l’impression que le cycliste made in USA pisse de l’acide chlorhydrique et freine dans l’ascension des cols pour ne pas que ça se voie trop. Armstrong a toujours été chargé, pas possible autrement. Bernard Hinault a gagné le tour cinq fois à l’eau claire, mais pas l’autre con avec son cancer des bollocks.

Pas l’ombre d’une preuve solide derrière ces affirmations répétées depuis des années, mais le message est passé dans toutes les strates de la société française. Un journaliste de presse généraliste n’écrit plus un papier sur Armstrong sans évoquer « l’homme sulfureux », les « doutes qui pèsent sur son palmarès », etc. Tout cela n’est basé sur rien de tangible, mais la déontologie s’arrête là où commence l’esprit cocardier teinté d’un antiaméricanisme aussi crétin qu’hors sujet.

Pas de bol pour lui, Armstrong vient de se péter le bras lors d’une petite course de préparation en Espagne. Il risque de rater le Tour d’Italie. Mais il devrait être présent en juillet sur les routes noires de monde du Tour de France. Des milliers de supporters de Chavanel ou de Contador borderont le tracé, tous plus hostiles les uns que les autres au « dopé ». À force de bourrer le mou aux foules, on risque le dérapage, la boulette, l’attentat stupide perpétré par un débile imbibé au Ricard. Et si, par la faute de L’Equipe, le méchant « tricheur » terminait le tour au fond d’un fossé ?

Ubu roi d’Israël ?

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C’est fait : les travaillistes israéliens entreront donc dans la coalition de Netanyahou en échange, principalement, du maintien de leur chef, Ehoud Barak, au ministère de la Défense. Déjà, pendant et après le vote des militants sur ce ralliement, l’événement ressemblait un peu trop à une pièce de théâtre mal ficelée. Avant le scrutin, la moitié des députés de cette formation déplumée par la Bérézina des législatives avait fait son choix : pour la vielle garde sociale-démocrate, gouverner avec Netanyahou relevait du suicide politique et les bancs de l’opposition étaient le seul endroit souhaitable pour se refaire une santé politique. Après leur défaite, les réactions des opposants à l’entrée au gouvernement mardi avaient l’air d’être jouées. Chacun a fait comme s’il interprétait un rôle en faisant le service minimum et sans beaucoup de conviction. C’était bizarre. Et puis, le hasard a fait que deux jours plus tard les journaux ont parlé d’un raid de l’aviation israélienne au Soudan visant un convoi de trafiquants d’armes en route vers les dépôts du Hamas à Gaza. Il est maintenant évident que le débat politique israélien est totalement faussé. Des combinaisons secrètes se nouent sous les yeux du public, mais les acteurs ne peuvent bien évidemment pas en parler, dans un pays où le secret défense a encore cours. Vis-à-vis des électeurs, on joue la comédie pour essayer de légitimer un casting gouvernemental destiné à faire face à ce que les Monthy Python auraient raisonnablement qualifié de « something completely different ». Cette union nationale bizarroïde ne peut signifier qu’une seule chose : ça va chauffer. Si vous aviez prévu de passer vos vacances de Pâques à Téhéran, un bon conseil : annulez !

Enlèveront-ils nos filles et nos compagnes ?

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Mon cœur saigne. À trois ans, la chère Elise a été enlevée à son père français par une étrangère qui se prétend sa mère assistée de deux armoires à glace armées de matraques électrique. Et la France ne fait rien. L’ambassadeur moscoutaire n’a pas même été convoqué au Quai d’Orsay, le président se cloître dans un mutisme impardonnable, les juges et la police expédient les affaires courantes. Honte. Dégradation nationale. Hélas Victor Hugo n’est plus, pas une voix pour mettre Les Misérables au ban de l’humanité. Voltaire et Camus se sont tus, plus personne à qui parler. Et nous sommes seuls avec ces incapables aux commandes.

À quoi servent donc nos forces armées, nos cuirassés, notre force de frappe si ce n’est à se porter au secours de la nation en danger ? Le premier devoir de l’Etat consiste à protéger ses ressortissants contre l’ennemi toujours aux aguets. Que notre armée combatte pour préserver les femmes afghanes de la répugnante burka, cent fois d’accord. Verser notre sang pour sauvegarder l’unité ivoirienne sans laquelle la vie ne vaut pas vraiment la peine d’être vécue, c’est la moindre des choses. Sur tous les champs de bataille, nos soldats soutiennent vaillamment la cause des imprescriptibles droits de l’homme et il ne faut jamais manquer de leur rendre l’hommage qui leur est dû, surtout le 14 juillet sur les Champs-Elysées.

Mais pardon, charité bien ordonnée commence par soi-même. Là, il s’agit d’une Française comme vous et moi arrachée à l’affection des siens au cœur du territoire national. Qu’est-ce qu’ils ont dans les veines ces princes qui nous gouvernent ? Mais ce pourrait votre fille adorée, la mienne. C’est de la nation qu’il s’agit. De l’intégrité nationale et par-dessus tout de l’honneur du pays. Et avec l’honneur, on ne transige pas. Dieu soit loué, la presse ne s’est pas laissé intimider. Les radios et les télés, qu’elles reçoivent ici le témoignage de la gratitude populaire, se sont montrées dignes de leur mission et à la hauteur des circonstances. Si tant est que les Russes y eussent mis les formes, qu’ils sussent encore correctement se conduire, il y aurait eu place pour une offensive diplomatique bien sentie et, nos nouveaux alliés de l’Otan aidant, nous aurions amené les barbares à résipiscence en un tournemain, c’est moi qui vous le dit. Mais nous avons affaire à une engeance qui n’entend que le langage du canon, on l’a bien vu en Géorgie. De prime abord, ils ont trompété que notre jeune concitoyenne resterait entre leurs sales pattes jusqu’à la fin des temps. Cela s’appelle de la provocation ou je ne m’y connais pas. Et nous demeurerions impavides, inertes ? La pire des lâchetés, nous a enseigné Socrate ou BHL je ne sais plus, c’est de tourner le dos à son ennemi. L’éloignement de la frontière russe pour justifier notre immobilisme n’est que prétexte de capitulard. Et nos Mirages alors, ils sont faits pour les chiens ? Pour agrémenter le paysage aérien ? Je lance ici un avertissement solennel aux autorités de ce malheureux pays. Si elles persistent et s’enferrent dans l’inaction, l’armée, notre armée bien aimée, ne tolérera pas l’humiliation. On sait à quelles extrémités d’authentiques patriotes peuvent être conduits lorsque l’essentiel est en jeu, lorsque la dignité de la nation tout entière est ainsi bafouée. À bon entendeur.

L’Otan n’est pas une Onu-bis !

Le Président de la République a justifié sa décision de réintégrer les structures militaires de l’OTAN par l’évolution du contexte stratégique depuis 1966.

À l’époque, le général de Gaulle craignait que la doctrine américaine de la « riposte graduée » fît de la France un champ de bataille alors même que ses intérêts directs n’auraient pas été directement engagés. Mais il craignait aussi que nous ne fussions entraînés dans des guerres qui ne seraient pas les nôtres, ainsi la guerre du Vietnam qu’il fustigea à la même époque dans son discours de Phnom-Penh. Cette éventualité n’a rien perdu de son actualité. Certes l’URSS et la bipolarisation ont disparu mais le risque de nouvelles guerres s’est déjà concrétisé, notamment en Irak, et nul ne sait ce qu’il en sera demain, au Proche Orient, en Iran, au Pakistan, dans le Caucase ou en Asie de l’Est.

Le président de la République a évoqué, en reprenant les analyses du livre blanc sur la Défense, l’apparition de « nouvelles menaces » liées à la mondialisation, « facteur d’instabilité et incertitude stratégique ». Ces menaces émanant d’ »acteurs non étatiques » commanderaient « l’effacement de la distinction entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure ». Cette analyse me paraît assez courte parce qu’elle néglige les Etats et l’évolution de la géographie de la puissance. La crise actuelle – crise financière et économique mais aussi enlisement militaire américain en Irak et en Afghanistan – manifeste que les Etats-Unis ne sont plus en mesure de dominer seuls le reste de la planète et peut-être même de le dominer du tout. La montée de pays milliardaires en hommes, comme la Chine et l’Inde, mais aussi le retour de la Russie et plus généralement d’anciennes nations comme l’Iran, le Vietnam, peut-être demain la Corée ou de puissances émergentes comme le Brésil, structurera le paysage stratégique beaucoup plus que le concept flou de « mondialisation ». Celui-ci ne décrit aucune logique claire mais énonce seulement la multiplicité des phénomènes contradictoires qui caractérisent la scène internationale contemporaine.

Or, il me semble, à l’orée de ces temps nouveaux, que le président de la République, par occidentalo-centrisme, place d’emblée la France dans le sillage des Etats-Unis. En soulignant notre appartenance non pas à la famille humaine, mais à la « famille occidentale », il sape en fait – sans peut-être le mesurer – l’émergence potentielle, dans le monde multipolaire de demain, d’un pôle proprement européen. En mettant l’Otan sur le même pied que d’autres organisations internationales, il fait comme si elle pouvait être une Onu bis. Ce serait un contresens géopolitique. Nous devons au contraire valoriser l’Onu dont nous sommes l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.

Que nous demandent en fait les Américains, à nous Européens ? C’est d’être leurs auxiliaires dans la tâche qu’ils s’assignent de refondation de leur leadership. Laissez-moi vous citer M. Brzezinski, ancien conseiller spécial du Président Carter et toujours influent dans les milieux démocrates : « Tout en arguant qu’ils ne sont pas en mesure d’intervenir militairement, les Européens insistent pour prendre part aux décisions… Même si les Etats-Unis demeurent la première puissance mondiale, nous avons besoin d’une alliance forte avec l’Europe pour optimiser notre influence respective… » et il ajoute : « L’Europe peut faire beaucoup plus sans déployer d’efforts surhumains et sans acquérir une autonomie telle qu’elle mette en danger ses liens avec l’Amérique[1. L’Amérique face au monde, Editions Pearson, novembre 2008.]. »

On ne peut être plus clair : l’Otan est un moyen de solliciter davantage la contribution militaire des Européens à des opérations dont chacun sait très bien qu’elles seront d’abord décidées à Washington, tout en empêchant que l’Europe se dote d’une défense autonome. Or, nulle entité ne peut prétendre développer une politique étrangère indépendante sans assurer elle-même le soin de sa défense.

La décision du président de la République de faire réintégrer par la France les Etats-majors de l’Otan obéit donc à une logique américaine : celle d’un partage accru du fardeau mais nullement des décisions, au sein d’une alliance qu’ils dominent absolument.

Cette décision du président de la République ne répond à aucune demande, pas plus celle des Etats-Unis que celle des autres pays européens. Elle n’a donné lieu à aucun véritable débat : à l’Assemblée nationale, le gouvernement a pris sa majorité en otage en utilisant l’article 49-1 de la Constitution. Au Sénat, il n’y a eu ni débat ni vote. S’il y avait eu un véritable débat au Parlement et dans le pays, la réponse n’aurait pas fait de doute.

Le président et le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, prétendent que la France restera indépendante au sein de l’Otan mais ils méconnaissent le poids des entraînements et celui des symboles.

Sept cents officiers dans les états-majors de l’Otan, cela crée un tropisme dans nos armées qu’on déshabitue ainsi de penser national. L’argument selon lequel l’Allemagne ou la Turquie, dans une certaine mesure, ont pu, en 2003, se tenir à l’écart de l’invasion de l’Irak par l’armée américaine ne tient pas ; ce refus de participer est un fusil à un coup. Quand on est intégré, assis en permanence à la même table, on ne peut dire « non ! » tout le temps. Le président de la République laisse à penser que la France, en envoyant des officiers généraux dans les états-majors, et pas seulement des soldats sur le terrain, pourra peser sur les décisions. C’est un sophisme : chacun sait bien que les vraies décisions ne se prennent pas dans les états-majors de l’Otan mais à la Maison Blanche. Nous serons mieux informés, disent-ils. Mais de quoi ? De décisions élaborées en dehors de nous !

Ils méconnaissent aussi et surtout le poids des symboles. Depuis 1966, la France avait maintenu une distance vis-à-vis de l’Otan qui la faisait regarder comme un pays non-aligné, bref indépendant. C’est à cela qu’on va mettre fin. Ils protestent en déclarant qu’il ne s’agit que d’une impression. Mais en politique internationale, l’impression est tout. Vis-à-vis des peuples du Sud et des grands pays émergents, la France donne déjà le sentiment le l’alignement.

Le président de la République a justifié la réintégration complète de la structure militaire de l’Otan par l’argument de la défense européenne. En nous faisant « plus blanc que blanc », nous dissiperions les suspicions qui auraient freiné les avancées de ladite défense européenne. C’est là une vue bien naïve des choses.

Il n’y a pas de défense européenne parce que les Etats-Unis ne le souhaitent pas et parce que les Britanniques s’opposent à la mise sur pied d’une structure d’état-major significative qui permettait la planification et la mise en œuvre d’opérations proprement européennes. L’existence d’un tel état-major constitue le critère essentiel d’une défense européenne.

Celle-ci enfin n’existe pas parce que les autres pays européens ne sont pas prêts à consentir un effort significatif de défense (à peine 1 % de leur PIB). Et là est le risque pour la France aussi, dont l’effort de défense – 1,6 % du PIB – n’a jamais été aussi faible historiquement : en dehors de l’indépendance nationale la justification de l’effort disparaît. A long terme, l’intégration à l’Otan pourrait bien être un facteur de démobilisation.

Certes, il convient de saluer les nouvelles orientations du président Obama, quant aux relations entre les Etats-Unis d’une part, la Russie, la Chine, et même l’Iran d’autre part. Mais il ne faut pas oublier que le président élu entend bien refonder un nouveau « leadership américain » et ouvrir la voie, je le cite, à un « nouveau siècle américain ». Ces déclarations, sans doute obligées, ne correspondent guère à la réalité. Ne confondons pas le moment Obama et l’extrême difficulté des transitions inévitables : les Etats-Unis devront en effet remettre en cause leur mode de vie dispendieux et la forme militaire de leur domination. Et qui peut dire que dans la crise profonde qui frappe l’économie mondiale, la guerre demain ne sera pas, encore une fois, aux yeux de dirigeants aux abois, le moyen de forcer le destin ?

Cette décision de réintégration complète de l’Otan accroît le risque que la France se laisse entraîner demain dans des guerres qui, selon l’expression du général de Gaulle, « ne seraient pas les siennes ».

Alors que nous nous apprêtons à fermer une base militaire en Afrique Centrale, traditionnelle zone d’influence française, mais aussi réservoir de richesses qui suscitent toutes les convoitises, nous ouvrons une nouvelle base à Abu Dhabi, dans le Golfe, région où notre autonomie stratégique est nulle.

Sur l’Iran, Paris faisait résonner hier le tambour de guerre, à l’unisson du président Bush. Le ton plein de considération qu’utilise le président Obama à l’égard de ce grand pays chargé d’histoire, met aujourd’hui la diplomatie française en porte à faux.

Avec la Chine, grande puissance du XXIe siècle que le général de Gaulle avait reconnue le premier, en 1964, une brouille – espérons-le passagère et due peut-être à des impairs ou à des susceptibilités excessives – vient obscurcir notre relation. Mais qui peut croire que cette brouille n’illustre pas aussi notre changement de posture vis-à-vis des Etats-Unis ?

Avec la Russie enfin, si le président de la République a su préserver, à l’occasion de la crise géorgienne, les chances d’un partenariat stratégique conforme à l’intérêt de la France, on n’observe pas que les Etats-Unis aient renoncé à faire entrer un jour dans l’Otan l’Ukraine et la Géorgie. Ce jour-là, encore une fois, nous serons pris à contrepied.

L’indépendance nationale ne se définit pas contre les Etats-Unis. On peut être indépendant et d’autant mieux allié des Etats-Unis. Nous aurions préféré que la France se place dans la juste perspective : celle d’un monde multipolaire régi par le droit où entre les Etats-Unis, la Chine, la Russie, une France indépendante donnerait une voix à l’Europe et contribuerait à l’existence – Otan ou pas – d’un « pôle européen ». Contrairement aux intentions proclamées, la décision de réintégrer les organes militaires intégrés de l’Otan rendra cet objectif beaucoup plus difficilement accessible.

Jean-Pierre Chevènement a prononcé ce discours aujourd’hui au Sénat en réponse à Bernard Kouchner au cours d’un débat sur la politique étrangère, débat sans vote conformément à la décision du gouvernement.

No future pour le rock n’roll ?

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Certains oiseaux de mauvais augure, hélas généralement bien informés, prévoient la fin prochaine de la vague rock n’roll à forte coloration punk qui a submergé les USA depuis quinze ans, dans la foulée de Greenday et d’Offspring, et l’Europe depuis six ou sept ans, y compris depuis 2007, ses marches les plus culturellement attardées (la France, donc) où elle avait tout de même fini par crever l’abcès techno…

Cause de ce décès annoncé, le caractère foncièrement joyeux de ce type de musique. Les consommateurs, dont les ados constituent le noyau dur, se sentant un besoin irrépressible de souffrir plus fort que tous les autres crétins d’humains, alors que la Fin du Monde menace. D’où le retour annoncé d’un pseudo-rock dépressif, à l’image de celui qui succéda à la première vague punk et dont les lamentables Cure furent le plus sinistre ornement. Il paraîtrait même que chez nous, leurs clones geignards, trotskisants et xanaxés d’Indochine croient leurs heures de gloire revenues – et je ne vous parle même pas de Noir Désir en embuscade. Si ces faits s’avéraient, alors, définitivement, il ne faudra plus parler de récession, mais de Grande Dépression.

Tous aux abris, donc, sauf que cette mutation a tout pour réjouir. Le rock n’roll va retrouver ses fondamentaux identitaires, minoritaires, catacombaires, et c’est très bien comme ça. Les DJ acnéiques ou les groupes pré-pubères l’oublieront et retourneront à leurs synthés. Hedi Slimane ou Jean-Paul Huchon n’essaieront plus de nous faire croire qu’ils font partie de la famille rock, ce qui était à peu près aussi dégoûtant que de voir Lescure, Guillon ou Muhlmann se faire passer pour des subversifs. On va pouvoir enfin se retrouver entre nous, sans être pris chaque semaine en otage par la presse ou la pub.

Car hélas, ce retour en grâce du rock s’est accompagné d’un retour en masse des conneries écrites sur le rock. Deux de ces lieux communs, où il est à la fois question de rock et de Crise ont ainsi fait un retour en force dans les conversations en ville et dans les articles d’ignorantins ; nos copieurs-colleurs ont ressuscité des contresens vieux de trente ans à propos de deux fleurons du répertoire de la Renaissance britannique de la fin des seventies – sous ce terme, on agrégera, circa 1977, la new wave issue du pub rock et l’explosion punk.

Côté pub rock, ou plutôt postpub rock, c’est le fabuleux Sex and drugs and rock n’roll de Ian Dury and the Blockheads, qui depuis sa création fait l’objet d’un inoxydable malentendu. Son titre, et son refrain (Sex and drugs and rock n’roll are very good indeed) systématiquement vendus par les gazettes comme une sorte de manifeste générationnel et néo-hédoniste, ne sont en fait qu’une impitoyable moquerie de tous ceux qui, dans les milieux lancés, avaient érigé le sexe, la drogue et le rock en nouveaux piliers de la sagesse.

Coté punk, c’est très exactement le même naufrage interprétatif qu’on nous ressasse, de TF1 aux Inrocks à propos du God Save the Queen des Sex Pistols et plus précisément du No future qui le conclut. Là encore, on nous raconte en général n’importe quoi : il ne s’agit pas d’un manifeste, d’un credo nihiliste, ni même d’une sorte de hurlement pré-fukuyamien, mais d’un constat rageur et clairvoyant, sur la catastrophe qui attend les jeunes prolétaires de l’Empire une fois closes les Trente Glorieuses et donc les mines et les usines. Ce No Future n’est donc pas la traduction anarchiste de l’amusant Viva la Muerte[1. La citation intégrale est : « A bas l’intelligence, Vive La mort ! » et répondait aux velléités neutralistes du philosophe de centre-droit Miguel de Unamuno.], lancé au début de la Guerre civile par le général franquiste José Millán-Astray, mais son exact contraire, et pour tout dire, presqu’un mot d’ordre syndical…

Hisser ce No Future en étendard, comme le font certains révoltados crasseux est un bel exercice de crétinerie adolescente. L’ignorance de la langue anglaise – et de tout le reste – aidant, les mêmes finiront par croire que ce God save the queen là est vraiment un hommage à Sa très gracieuse majesté, voire une ode à Lady Di.

C’est donc vraiment une très bonne nouvelle de voir revenir en force une musique dominante inepte et malsaine, accompagnée de paroles idoines. Une musique suicidogène qui enfoncera dans la Crise ceux qui sont assez glands pour rêver s’y noyer. Ça fera de l’air pour les survivants ! Que renaisse le darwinisme rockistique ! Que règne le tri sélectif. On ne jettera plus mes perles à des pourceaux, No more margaritas ante porcos, comme disait saint Matthieu. Plus de squatters pouilleux dans mon jardin secret. Ce qui nous attend : une musique de crétins, adulée par des crétins avec des paroles de crétins commentées par des crétins. C’est bien.

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Vieillard indigne

26

Quelques députés européens ont manifesté préventivement leur angoisse à l’idée que Jean-Marie Le Pen puisse, comme doyen d’âge, présider la séance inaugurale du nouveau parlement européen élu en juin prochain. Dany Cohn-Bendit (64 ans aux cerises) a proposé de confier cette honneur à la plus jeune des députées et lancé dans une de ces envolées lyriques dont il a le secret: « Allons jusqu’au fond du symbolisme: on ne veut pas des croulants! ». Cette sortie devrait lui valoir séance tenante une admonestation publique de la Halde. On notera l’utilisation, par le chef de file des Verts, du parler « djeune » des années yé-yé pour désigner les seniors, et d’un style qui mérite d’être amélioré s’il veut, comme on lui en prête l’intention, postuler à cette honorifique fonction lors d’une prochaine législature. On lui conseillera donc la lecture des discours de doyens de l’Assemblée nationale française prononcés en leur temps par Marcel Cachin, le chanoine Kir ou Marcel Dassault, que le croulant auteur de ces lignes écoutait avec délices, l’oreille collée à la TSF.

Obama joue au bon flic. Pour l’instant…

33

L’idée commence doucement à faire son chemin dans les têtes des obamaniaques de tous les pays : le métis de Chicago n’a pas été élu président du monde, mais installé pour quatre ans par les électeurs des Etats-Unis dans une fonction qu’eux seuls peuvent décider de prolonger pour un nouveau bail.

Toute l’action du nouveau président, à l’intérieur comme à l’extérieur, va donc être orientée vers un seul objectif : créer les meilleures conditions pour sa réélection en 2012. La réponse aux attentes de ses admirateurs à travers le monde, variées et parfois contradictoires, n’est pas son principal souci, et nos obamaniaques de novembre risquent fort de devenir des barackodéçus une fois les beaux jours revenus.

Barack Obama sait fort bien ce que son élection doit à la crise financière, puis économique, qui a éclaté lors de la campagne pour la présidentielle de 2008. La demande de sécurité du peuple américain n’est plus, aujourd’hui, liée à la crainte d’une attaque terroriste, mais à celle d’une panne durable de l’économie mettant à mal ce rêve américain incarné, justement par Barack Obama.

Signalons, en passant, que l’effacement, dans les consciences de la menace terroriste est à mettre, au moins partiellement, au crédit de l’administration Bush qui a fait en sorte qu’aucun attentat d’envergure ne se produise sur le sol des Etats-Unis depuis 2001.

Cela a été possible, quoiqu’en disent les détracteurs systématiques de l’ancien président, en préservant l’essentiel des libertés publiques garanties par la Constitution, et surtout en mettant en place sur le territoire des Etats-Unis des moyens de défense anti-terroriste type plan Vigipirate, dont le pays était jusque-là dépourvu. Une fois éliminé l’injustifiable Guantanamo, ce dispositif reste en vigueur, et semble raisonnablement efficace.

Une politique extérieure anti-crise est avant tout pragmatique. Il ne s’agit plus de rendre le monde meilleur, plus démocratique et moins brutal, mais de créer les conditions susceptibles de redonner confiance au marché, c’est à dire à vous et moi, consommateurs et producteurs mondialisés.

Et s’il y a bien une chose dont le marché a horreur, c’est l’instabilité politique, une marche erratique des affaires d’un monde où plus personne n’a les moyens ou le courage de mettre de l’ordre.

Le premier souci diplomatique du nouveau président a donc été de garantir aux dirigeants chinois que les Etats-Unis ne se mêleraient pas de leurs histoires internes, genre Tibet ou Sinkiang, pour autant que la Chine continue à financer le déficit commercial américain par des achats massifs de bons du trésor US. Ce fut fait lors du voyage à Pékin d’Hillary Clinton en février 2009.

C’est également à la lumière de cette priorité des priorités, le rétablissement de l’économie des Etats-Unis qu’il faut analyser l’attitude de l’administration Obama dans sa gestion des deux conflits armés hérités de son prédécesseur, l’Irak et l’Afghanistan. Contrairement à une idée largement répandue, l’arrêt de ces opérations et le transfert des sommes et des hommes qu’elles mobilisent vers des activités civiles n’est pas un remède anti-crise radical. C’est même l’inverse: plus que les grands travaux de la première phase du new-deal de Franklin D. Roosevelt, c’est l’économie de guerre qui a produit la formidable prospérité et la puissance des Etats-Unis au lendemain de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, il est un plan de relance silencieux, dont personne ne parle, mais qui fonctionne à plein : c’est le maintien, voire l’augmentation, des budgets militaires qui « tire » des pans entiers de l’économie – aéronautique, systèmes avancés, informatique – sans risquer d’accroître le déficit extérieur. Pour l’essentiel, en effet, ces industries ne sont pas délocalisables. C’est pourquoi Barack Obama se hâte lentement dans son programme de retrait des troupes d’Irak, faisant passer de seiez à dix-neuf mois le calendrier de ce retrait par rapport à ses promesses électorales, et encore, en se réservant de modifier ce calendrier en fonction de la situation sur le terrain. Il reste fidèle, en revanche, à son discours de campagne en augmentant la présence des GI en Afghanistan. Au total, c’est un maintien, sinon un accroissement de l’engagement militaire extérieur américain et du périmètre de l’armée, qui résulte, pour l’instant du changement d’administration à Washington.

Le discours, en revanche, a notablement changé: l’axe du mal n’existe plus dans le langage produit à la Maison Blanche, et l’heure est aux propositions de dialogue tous azimuts: avec les Iraniens dans l’adresse télévisée d’Obama au peuple et aux dirigeants persans à l’occasion de leur nouvel an, avec les Russes à qui on fait miroiter l’abandon de système de défense anti-missiles si Moscou coopère pour empêcher l’accès de Téhéran à l’arme nucléaire, au monde arabo-musulman en général auquel le nouveau président tend la main alors que Bush leur tendait le poing.

C’est donc l’option « good cop » qui semble s’imposer, le bon flic espérant amener par la douceur et la persuasion le mauvais sujet à avouer ses fautes et s’amender, relayant le « bad cop » aux méthodes musclées.

Barack Obama n’est pourtant ni un naïf, ni un idéaliste: il sait fort bien que cette attitude peut produire l’inverse des effets attendus. Soit l’Iran est rationnel, comme le proclament certains analystes américains et européens, et saisira la perche tendue par Washington, soit il reste sous l’emprise d’une idéologie islamiste radicale, et considèrera la nouvelle attitude des Etats-Unis comme une victoire lui permettant de poursuivre son objectif hégémonique régional. La réponse pourrait sortir très rapidement des urnes, lors de l’élection présidentielle du 12 juin 2009. La reconduction de Mahmoud Ahmadinejad marquerait l’échec de cette stratégie. La présence d’Obama en Turquie début avril, à l’occasion du « forum de l’Alliance des civilisations », un bidule mis en place par l’ONU pour faire pièce aux prophéties de feu Samuel Huntington, est également conçue comme un message à l’ensemble du monde arabo-musulman: on peut être de bons musulmans comme Erdogan et ses amis de l’AKP, et entretenir des relations diplomatiques et commerciales avec Israël, avoir des perspectives économiques prometteuses et des bonnes relations avec les Etats-Unis.

Il ne s’agit pas d’un appeasement au sens classique, et dépréciateur, que le terme évoque depuis Munich 1938, mais de l’essai d’une méthode « soft » pour tenter de maintenir le minimum de stabilité sur la planète en attendant que la crise économique s’éloigne. On désigne le bon élève comme modèle à imiter par les cancres et les voyous, une méthode, qui, en matière éducative ne marche pas à tout les coups, mais vaut tout de même la peine d’être tentée.

La règle dans ce genre de situation est de ne pas tenter d’apporter des solutions à des conflits lorsque les chances qu’elles puissent être mises en œuvre ne sont pas optimales. Une situation bloquée, par exemple dans le conflit israélo-arabe, est préférable à la mise en mouvement incontrôlable d’une région, ou d’une sous-région. Tant que le conflit intra-palestinien n’est pas réglé, et il n’est pas près de l’être, il est inutile est même dangereux de se presser d’aboutir aux « deux Etats pour deux peuples ». C’est pourquoi on ne peut constater aucun activisme réel de l’administration Obama dans ce dossier, qui n’est géré que par signaux lancés aux uns et aux autres: de l’argent pour Gaza d’un côté, mais donné à Mahmoud Abbas, les gros yeux à Israël pour quelques immeubles détruits à Jérusalem-est, mais l’assurance donnée au chef d’état-major de Tsahal, Gabi Askenazi, que l’option militaire en cas d’accès de Téhéran à l’arme nucléaire était toujours sur la table…

À la différence de George W. Bush, l’Administration Obama n’est pas peuplée par les partisans d’une conception unique – et messianique – de la politique extérieure des Etats-Unis. Les tyrans peuvent donc dormir tranquille, à l’exception du despote soudanais Omar El Bechir, auquel est dévolu le rôle de bad guy, parce qu’il en faut toujours sur la scène internationale. Mais même celui-là, il n’est pas du tout certain qu’on ira le chercher manu militari pour le transférer à La Haye.

Obama place, ou tente de placer des « progressistes » (lire capitulards) tendance Jimmy Carter à des poste importants du Conseil national de sécurité, comme l’ex-journaliste Samantha Power ou l’ambassadeur Charles « Chas » Freeman, lequel a été contraint de se retirer en raison de ses prises de positions violemment anti-israéliennes. Mais il nomme également Dennis Ross, ancien négociateur de Bill Clinton pour le processus de paix israélo-arabe et proche de la communauté juive américaine, à un poste d’envoyé spécial pour les questions du Golfe et de l’Iran. Il fera son marché dans les propositions des uns ou des autres, en fonction de son analyse de ce qui est bon pour Obama, donc pour l’Amérique.

Le capitalisme a vécu sa nuit du 4 août

53

C’est bien à une nouvelle nuit du 4 août à laquelle on a assisté le 26 mars. Ce n’est pas le jeune duc de Noailles qui a déposé devant la nation titres et privilèges mais les dirigeants de GDF-Suez qui ont abandonné leurs stock-options.

Depuis une semaine, se succédaient les nouvelles de dirigeants de sociétés en quasi faillite ou sauvées par l’Etat obligés d’abandonner leurs immenses privilèges auto-attribués. La réprobation unanime de ces débordements a atteint un tel degré dans l’opinion que même une société largement bénéficiaire comme GDF-Suez a été contrainte une journée après l’annonce de cette attribution de stock-options de faire volte-face et à y renoncer.

Pourquoi ? Parce que ses dirigeants qui n’ont pourtant pas à craindre d’être accusés de mauvaise gestion ou de prévarication ont compris les premiers (il aurait pourtant mieux valu qu’ils le comprennent une journée plus tôt !…) que le capitalisme serait désormais moral ou ne serait plus. Enfin !…

Car cela fait plus de trente ans que c’est engagé le grand mouvement de conversion de l’Occident, et à sa suite de tous les pays émergents, au capitalisme dérégulé et mondialisé. La dérégulation ne pouvait s’accompagner que de l’abandon de toute règle y compris morale. On a alors vu les docteurs de la foi (en saint Milton Friedman) se répandre dans tous les colloques, dans tous les think tanks, dans toutes les revues, en prêches et incantations : il ne fallait plus fixer de règles mais laisser jouer le marché, aussi inhumain fût-il, au nom de l’efficacité. On a vu ce qu’il en était de l’efficacité après la ruine du système d’épargne américain en 1987 et on sait ce qu’il en est aujourd’hui. Cela n’empêcha pas le philosophe André Comte-Sponville de parcourir toutes les tribunes avec sa conférence bien rodée pour nous dire que le capitalisme n’avait pas à être moral et qu’il échappait à la morale.

Eh bien non ! Le capitalisme peut et doit être moral. Le 26 septembre est bien un nouveau 4 août : plus rien ne sera désormais comme avant. Car des dirigeants d’une grande entreprise – les aristocrates des temps modernes – ont découvert le poids de la morale et leur décision d’abandonner leurs privilèges en entrainera d’autres. Alors bien sûr il y aura encore des scandales, car là où il y a morale il y a scandales potentiels, mais le 26 septembre ouvre une nouvelle ère pour le capitalisme. Une ère de rédemption dans la vertu.

La messe est dite

11

Tout fout le camp. Vendredi n’est plus seulement le jour du poisson. C’est depuis quelques mois déjà le jour de parution de l’hebdomadaire du même nom (éponyme pour les auditeurs de France culture) : l’actualité y est puisée et sélectionnée dans la netosphère. Et si cette semaine, dans la foulée des scoops de Nicolas Cori sur Libération, les patrons et leurs parachutes dorés se font une belle place au soleil du buzz, c’est notre François Miclo à nous qui se taille, lui, la part du lion : selon la Netscouade (qui suit, entre autres, sur le net l’actualité politique française avec un radar de sa composition), il est le premier de la classe avec son article sur les déclarations de Benoît XVI, catholiquement orthodoxe mais cathodiquement un rien hétérodoxe.

Riez, c’est un ordre !

88

Jamais anarchistes n’auront été si fastueusement couronnés. Si les Guignols et tous leurs émules avaient un peu de bon sens – en plus d’être dépositaires officiels de l’esprit satirique national – ils auraient fui à toute allure les festivités organisées pour leurs vingt ans. « Les Guignols, c’est la grand-messe » : cette phrase n’a pas été prononcée par un ronchon conformiste, réactionnaire et inaccessible à cet humour si corrosif que l’on n’appelle plus que « l’humour Canal » mais par la présentatrice du JT de la chaîne. Grand-messe ? La métaphore qui fleure l’Inquisition, les Croisades et Benoît XVI aurait dû faire bondir les intéressés. Rien du tout. Tous se sont, au contraire, montrés fort satisfaits des marques de déférence qui leur ont été dispensées à foison. « Meilleurs éditorialistes de France » par-ci, « seuls opposants à Sarkozy » par-là, puis encore « héritiers de Molière et La Fontaine » et aussi « indispensables garde-fous de la démocratie » ou « symboles de la liberté d’expression à la française » : dans ce registre de bondieuserie cool et moderne, aucun lieu commun n’aura été épargné aux malheureuses marionnettes et surtout aux malheureux Français. L’esprit de sérieux (l’une des pires menaces qui pèsent sur l’humanité) n’est jamais aussi lourd et désolant que lorsqu’il s’abat sur l’humour lui-même.

On me conseillera comme toujours d’éteindre ma télé. Libre à chacun de se priver du spectacle du monde, cela n’est pas ma pente. En vérité, le sacre des Guignols et des humoristes dérangeants rangés sous la bannière de Stéphane Guillon, est un événement considérable. Les bouffons sont devenus rois. Mais ils continuent à se prétendre bouffons. Et nous marchons, ou, pire encore, nous faisons semblant – situation parfaitement orwellienne d’imposture partagée où le conformisme passe pour subversif et l’idéologie dominante pour l’esprit de résistance.

L’affaire Guillon avait préparé les esprits au putsch des amuseurs. Putsch soft, au demeurant improvisé à partir d’un incident. Un ancien ministre mal réveillé se prend en pleine figure les blagues au vitriol d’un type payé pour jouer le garnement et qui le fait très bien. Comme les blagues reposent sur ses frasques réelles, et qu’il a oublié que la règle numéro un de ce jeu de cons est de faire bonne figure et d’affirmer qu’on trouve ça hilarant, il fait savoir qu’il n’est pas content. Accessoirement, il a aussi oublié que quand on se fait pincer la main dans le pot de confiture, il faut assumer. Bref, il grogne, pas très fort d’ailleurs. « C’est méchant et pas drôle. » Immédiatement la machine à réécrire l’histoire se met en marche. Sur internet, la chronique de Guillon « fait » des centaines de milliers de connections. La rumeur enfle : DSK veut sa peau. Le président de la République qui essayait sans doute de faire savoir subtilement à Guillon tout le bien qu’il lui veut, y va de sa petite phrase. Là, c’est la légion d’Honneur. Sarko demande sa tête ! Il vient de gagner ses galons de martyr pour le jour où ses employeurs voudraient se séparer de lui. Au moins dans son triste exil, retrouvera-t-il d’autres résistants tombés au combat contre le tyran comme PPDA et Alain Genestar – ça va être fun dans le camp de travail. En sera-t-il réduit, comme ce pauvre PPDA à officier sur Arte ? On n’ose imaginer une telle issue.

C’est l’émeute. Guillon est invité sur tous les plateaux à exposer avec solennité la haute conception qu’il a de sa mission d’intérêt général. « Le seul critère, c’est que ça fasse rire. » Quelle fulgurance ! Quelle hauteur de vue ! Quel courage ! La presse serre les rangs, consacre dossiers et analyses au Jean Moulin des ondes et des écrans. Pas un jour ne se passe sans que l’un des confrères du héros en remette une louche en signe de solidarité. Le pouvoir n’a qu’à bien se tenir. Nous ne sortirons que par la force des baïonnettes. De plus, Guillon est un fusil à deux coups. Son admirable courage rejaillit sur son employeur Jean-Paul Cluzel dont le départ était programmé par l’Elysée depuis belle lurette. Il sera désormais admis de tous que le président a décidé de le débarquer à cause de Guillon. (La plupart des confrères, probablement choqués sans oser l’avouer, ont assez vite renoncé à le défendre sur le coup du calendrier d’Act up pour lequel il a posé torse nu et le visage masqué. Il est vrai que lui-même a confessé une faute de goût ; sans doute a-t-il jugé qu’il serait assez hasardeux d’accuser Sarkozy d’homophobie.) Daniel Schneidermann dont l’obsession sarkozyste peut tempérer la justesse d’analyse tombe dans le panneau tête baissée : « Si le pouvoir cherche à déstabiliser Cluzel pour se débarrasser des impertinents de France Inter, écrit-il, il trouvera mille discours d’accompagnements. » Hier, Jean-Marie Colombani se rengorgeait parce que, disait-il, « Le Monde fait peur ». Désormais ce sont les Guignols qui font peur. Tremblez, puissants !

Dans cette hilarante ambiance d’union sacrée autour d’un pauvre comique sans défense, le sacre des Guignols ne pouvait mieux tomber. Là, pas d’improvisation. Les festivités, organisées par les idoles que l’on célébrait, furent aussi fastueuses que celles que donnaient autrefois les souverains pour une naissance ou un mariage princier. Hélas, le bon peuple n’est plus invité à se réjouir et à faire bombance et libations jusqu’à rouler sous la table, mais à se masser devant ses écrans et à se goberger de spots publicitaires. Nos nouveaux rois ne peuvent pas lever l’impôt, il faut bien qu’ils vivent. D’ailleurs, leur pouvoir est le plus démocratique qui soit puisqu’il repose sur l’audimat. Un incomparable sujet d’émerveillement pour les commentateurs que ces audiences dopées et ventes qui s’envolent. L’impertinence paye. Pas trop mal d’ailleurs.

Pendant que nous étions plantés devant nos télés, les célébrités ont bien dû avoir droit à quelques soirées à la mode d’avant, avec du vrai champagne et du pipole en veux-tu en voilà. Mais ne soyons pas chien, pour vous et moi, ils n’ont pas lésiné. Le gratin de l’humour et de la politique a défilé sur le plateau de Canal pour rendre hommage à ses maîtres. Les plus grandes gloires du journalisme bankable, ceux et celles qui ont une chance de passer à la fois dans Gala et dans Match, ont été invitées à dire leur petit compliment. Idée géniale et tellement innovante, la rencontre entre la caricature et l’original a été déclinée sous diverses formes, le personnage réel étant de toute façons invité à dire tout le bien qu’il pense de sa marionnette – on aurait aimé un Jean-Louis Debré un peu moins copain et un peu plus président du Conseil constitutionnel. Certes, les Guignols ont raté un gros coup, Chirac ayant décliné la proposition. Aucun humour, celui-là, et même pas la reconnaissance du ventre, puisqu’il a été décrété que l’ancien président devait son siège et sa popularité à sa marionnette (ce qui est peut-être vrai d’ailleurs).

À entendre les responsables politiques rivaliser dans la flagornerie à l’endroit de ceux qui se paient leur tête, on comprend qui a le pouvoir. « Les Guignols sont toujours aussi mordants », affirme Le Parisien. Tellement mordants que la plupart des personnalités interrogées se débrouillent pour ne pas en dire de mal. « Ma marionnette me fait beaucoup rire » (Xavier Bertrand, type cool) ; « Je suis un fan inconditionnel… Mais je préfère la marionnette des autres à la mienne » (Jack Lang, comique involontaire) ; « C’est une forme de reconnaissance » (Yves Jégo, ministre méconnu). Pas très enthousiaste, Bayrou s’arrache cependant quelques mots aimables : « Au-delà du désagrément, il peut être utile de se faire cibler par les humoristes. » Même Le Pen juge que les Guignols sont parfois « drôles et impertinents et parfois convenus ». Faire rire Le Pen, c’est grave, non ? Heureusement, Philippe de Villiers est ouvertement hostile : non seulement il ne se reconnaît pas dans sa marionnette « catholique intégriste » et « xénophobe », mais il en a marre que les gens croient l’avoir vu à la télé alors qu’il n’y passe presque jamais, beaucoup moins en tout cas que son double de latex. On vous l’avait bien dit : il est coincé, celui-là.

C’est François Hollande qui crache le morceau. S’il ne s’aime pas trop en benêt (encore qu’il préfère « passer pour un couillon » que pour un « salopard cynique ») il n’a « aucun doute sur le fond culturel des Guignols basé sur des valeurs progressistes ». Nous voilà soulagés et affranchis du même coup. Ce qu’on aime dans les Guignols, c’est qu’ils pensent comme tout le monde. Sous couvert d’impertinence, nos amuseurs ne font que répéter ce qui se dit partout à longueur d’antenne et de colonnes. Sarkozy est méchant, le Pape est méchant, Bush est méchant, Le Pen est méchant, les patrons sont méchants, nos redoutables trublions récitent chaque jour le catéchisme de la gauche convenable.

Peut-être que les sans-papiers, les malades du sida et les ouvriers licenciés aimeraient bien, eux aussi, qu’on se foute de leur gueule.

Lance Armstrong, le yankee-étalon

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La lecture de la presse sportive est parfois une épreuve. Depuis l’annonce, pour le moins incroyable, de son retour à la compétition il y a quelques mois, Lance Armstrong s’en prend plein la poire. Pas exactement une surprise. La France de la petite reine n’a jamais pu blairer le champion texan au visage angulaire. Pensez donc, un Yankee qui gagne le Tour de France sept fois de suite en laissant à chaque fois sur place les coureurs bien de chez nous, ce n’est pas supportable. Qu’un Espagnol ou un Belge fasse le fier-à-bras sur les Champs-Élysées avec le maillot jaune, passe encore. C’est la famille. Mais un Américain taiseux, arrogant, capable de semer tout le monde avec le coude à la portière, faut pas pousser Mémé dans les orties !

Au grand dam du journal L’Equipe, la bible des sportifs du dimanche, le « tricheur » est de retour. Armstrong n’a jamais été convaincu de dopage de toute sa carrière, mais peu importe. Caressant l’opinion populaire dans le sens du poil, le quotidien a décrété une bonne fois pour toutes que le sextuple vainqueur du Tour était dopé jusqu’aux yeux. À le lire, on a l’impression que le cycliste made in USA pisse de l’acide chlorhydrique et freine dans l’ascension des cols pour ne pas que ça se voie trop. Armstrong a toujours été chargé, pas possible autrement. Bernard Hinault a gagné le tour cinq fois à l’eau claire, mais pas l’autre con avec son cancer des bollocks.

Pas l’ombre d’une preuve solide derrière ces affirmations répétées depuis des années, mais le message est passé dans toutes les strates de la société française. Un journaliste de presse généraliste n’écrit plus un papier sur Armstrong sans évoquer « l’homme sulfureux », les « doutes qui pèsent sur son palmarès », etc. Tout cela n’est basé sur rien de tangible, mais la déontologie s’arrête là où commence l’esprit cocardier teinté d’un antiaméricanisme aussi crétin qu’hors sujet.

Pas de bol pour lui, Armstrong vient de se péter le bras lors d’une petite course de préparation en Espagne. Il risque de rater le Tour d’Italie. Mais il devrait être présent en juillet sur les routes noires de monde du Tour de France. Des milliers de supporters de Chavanel ou de Contador borderont le tracé, tous plus hostiles les uns que les autres au « dopé ». À force de bourrer le mou aux foules, on risque le dérapage, la boulette, l’attentat stupide perpétré par un débile imbibé au Ricard. Et si, par la faute de L’Equipe, le méchant « tricheur » terminait le tour au fond d’un fossé ?

Ubu roi d’Israël ?

13

C’est fait : les travaillistes israéliens entreront donc dans la coalition de Netanyahou en échange, principalement, du maintien de leur chef, Ehoud Barak, au ministère de la Défense. Déjà, pendant et après le vote des militants sur ce ralliement, l’événement ressemblait un peu trop à une pièce de théâtre mal ficelée. Avant le scrutin, la moitié des députés de cette formation déplumée par la Bérézina des législatives avait fait son choix : pour la vielle garde sociale-démocrate, gouverner avec Netanyahou relevait du suicide politique et les bancs de l’opposition étaient le seul endroit souhaitable pour se refaire une santé politique. Après leur défaite, les réactions des opposants à l’entrée au gouvernement mardi avaient l’air d’être jouées. Chacun a fait comme s’il interprétait un rôle en faisant le service minimum et sans beaucoup de conviction. C’était bizarre. Et puis, le hasard a fait que deux jours plus tard les journaux ont parlé d’un raid de l’aviation israélienne au Soudan visant un convoi de trafiquants d’armes en route vers les dépôts du Hamas à Gaza. Il est maintenant évident que le débat politique israélien est totalement faussé. Des combinaisons secrètes se nouent sous les yeux du public, mais les acteurs ne peuvent bien évidemment pas en parler, dans un pays où le secret défense a encore cours. Vis-à-vis des électeurs, on joue la comédie pour essayer de légitimer un casting gouvernemental destiné à faire face à ce que les Monthy Python auraient raisonnablement qualifié de « something completely different ». Cette union nationale bizarroïde ne peut signifier qu’une seule chose : ça va chauffer. Si vous aviez prévu de passer vos vacances de Pâques à Téhéran, un bon conseil : annulez !

Enlèveront-ils nos filles et nos compagnes ?

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Mon cœur saigne. À trois ans, la chère Elise a été enlevée à son père français par une étrangère qui se prétend sa mère assistée de deux armoires à glace armées de matraques électrique. Et la France ne fait rien. L’ambassadeur moscoutaire n’a pas même été convoqué au Quai d’Orsay, le président se cloître dans un mutisme impardonnable, les juges et la police expédient les affaires courantes. Honte. Dégradation nationale. Hélas Victor Hugo n’est plus, pas une voix pour mettre Les Misérables au ban de l’humanité. Voltaire et Camus se sont tus, plus personne à qui parler. Et nous sommes seuls avec ces incapables aux commandes.

À quoi servent donc nos forces armées, nos cuirassés, notre force de frappe si ce n’est à se porter au secours de la nation en danger ? Le premier devoir de l’Etat consiste à protéger ses ressortissants contre l’ennemi toujours aux aguets. Que notre armée combatte pour préserver les femmes afghanes de la répugnante burka, cent fois d’accord. Verser notre sang pour sauvegarder l’unité ivoirienne sans laquelle la vie ne vaut pas vraiment la peine d’être vécue, c’est la moindre des choses. Sur tous les champs de bataille, nos soldats soutiennent vaillamment la cause des imprescriptibles droits de l’homme et il ne faut jamais manquer de leur rendre l’hommage qui leur est dû, surtout le 14 juillet sur les Champs-Elysées.

Mais pardon, charité bien ordonnée commence par soi-même. Là, il s’agit d’une Française comme vous et moi arrachée à l’affection des siens au cœur du territoire national. Qu’est-ce qu’ils ont dans les veines ces princes qui nous gouvernent ? Mais ce pourrait votre fille adorée, la mienne. C’est de la nation qu’il s’agit. De l’intégrité nationale et par-dessus tout de l’honneur du pays. Et avec l’honneur, on ne transige pas. Dieu soit loué, la presse ne s’est pas laissé intimider. Les radios et les télés, qu’elles reçoivent ici le témoignage de la gratitude populaire, se sont montrées dignes de leur mission et à la hauteur des circonstances. Si tant est que les Russes y eussent mis les formes, qu’ils sussent encore correctement se conduire, il y aurait eu place pour une offensive diplomatique bien sentie et, nos nouveaux alliés de l’Otan aidant, nous aurions amené les barbares à résipiscence en un tournemain, c’est moi qui vous le dit. Mais nous avons affaire à une engeance qui n’entend que le langage du canon, on l’a bien vu en Géorgie. De prime abord, ils ont trompété que notre jeune concitoyenne resterait entre leurs sales pattes jusqu’à la fin des temps. Cela s’appelle de la provocation ou je ne m’y connais pas. Et nous demeurerions impavides, inertes ? La pire des lâchetés, nous a enseigné Socrate ou BHL je ne sais plus, c’est de tourner le dos à son ennemi. L’éloignement de la frontière russe pour justifier notre immobilisme n’est que prétexte de capitulard. Et nos Mirages alors, ils sont faits pour les chiens ? Pour agrémenter le paysage aérien ? Je lance ici un avertissement solennel aux autorités de ce malheureux pays. Si elles persistent et s’enferrent dans l’inaction, l’armée, notre armée bien aimée, ne tolérera pas l’humiliation. On sait à quelles extrémités d’authentiques patriotes peuvent être conduits lorsque l’essentiel est en jeu, lorsque la dignité de la nation tout entière est ainsi bafouée. À bon entendeur.

L’Otan n’est pas une Onu-bis !

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Le Président de la République a justifié sa décision de réintégrer les structures militaires de l’OTAN par l’évolution du contexte stratégique depuis 1966.

À l’époque, le général de Gaulle craignait que la doctrine américaine de la « riposte graduée » fît de la France un champ de bataille alors même que ses intérêts directs n’auraient pas été directement engagés. Mais il craignait aussi que nous ne fussions entraînés dans des guerres qui ne seraient pas les nôtres, ainsi la guerre du Vietnam qu’il fustigea à la même époque dans son discours de Phnom-Penh. Cette éventualité n’a rien perdu de son actualité. Certes l’URSS et la bipolarisation ont disparu mais le risque de nouvelles guerres s’est déjà concrétisé, notamment en Irak, et nul ne sait ce qu’il en sera demain, au Proche Orient, en Iran, au Pakistan, dans le Caucase ou en Asie de l’Est.

Le président de la République a évoqué, en reprenant les analyses du livre blanc sur la Défense, l’apparition de « nouvelles menaces » liées à la mondialisation, « facteur d’instabilité et incertitude stratégique ». Ces menaces émanant d’ »acteurs non étatiques » commanderaient « l’effacement de la distinction entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure ». Cette analyse me paraît assez courte parce qu’elle néglige les Etats et l’évolution de la géographie de la puissance. La crise actuelle – crise financière et économique mais aussi enlisement militaire américain en Irak et en Afghanistan – manifeste que les Etats-Unis ne sont plus en mesure de dominer seuls le reste de la planète et peut-être même de le dominer du tout. La montée de pays milliardaires en hommes, comme la Chine et l’Inde, mais aussi le retour de la Russie et plus généralement d’anciennes nations comme l’Iran, le Vietnam, peut-être demain la Corée ou de puissances émergentes comme le Brésil, structurera le paysage stratégique beaucoup plus que le concept flou de « mondialisation ». Celui-ci ne décrit aucune logique claire mais énonce seulement la multiplicité des phénomènes contradictoires qui caractérisent la scène internationale contemporaine.

Or, il me semble, à l’orée de ces temps nouveaux, que le président de la République, par occidentalo-centrisme, place d’emblée la France dans le sillage des Etats-Unis. En soulignant notre appartenance non pas à la famille humaine, mais à la « famille occidentale », il sape en fait – sans peut-être le mesurer – l’émergence potentielle, dans le monde multipolaire de demain, d’un pôle proprement européen. En mettant l’Otan sur le même pied que d’autres organisations internationales, il fait comme si elle pouvait être une Onu bis. Ce serait un contresens géopolitique. Nous devons au contraire valoriser l’Onu dont nous sommes l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.

Que nous demandent en fait les Américains, à nous Européens ? C’est d’être leurs auxiliaires dans la tâche qu’ils s’assignent de refondation de leur leadership. Laissez-moi vous citer M. Brzezinski, ancien conseiller spécial du Président Carter et toujours influent dans les milieux démocrates : « Tout en arguant qu’ils ne sont pas en mesure d’intervenir militairement, les Européens insistent pour prendre part aux décisions… Même si les Etats-Unis demeurent la première puissance mondiale, nous avons besoin d’une alliance forte avec l’Europe pour optimiser notre influence respective… » et il ajoute : « L’Europe peut faire beaucoup plus sans déployer d’efforts surhumains et sans acquérir une autonomie telle qu’elle mette en danger ses liens avec l’Amérique[1. L’Amérique face au monde, Editions Pearson, novembre 2008.]. »

On ne peut être plus clair : l’Otan est un moyen de solliciter davantage la contribution militaire des Européens à des opérations dont chacun sait très bien qu’elles seront d’abord décidées à Washington, tout en empêchant que l’Europe se dote d’une défense autonome. Or, nulle entité ne peut prétendre développer une politique étrangère indépendante sans assurer elle-même le soin de sa défense.

La décision du président de la République de faire réintégrer par la France les Etats-majors de l’Otan obéit donc à une logique américaine : celle d’un partage accru du fardeau mais nullement des décisions, au sein d’une alliance qu’ils dominent absolument.

Cette décision du président de la République ne répond à aucune demande, pas plus celle des Etats-Unis que celle des autres pays européens. Elle n’a donné lieu à aucun véritable débat : à l’Assemblée nationale, le gouvernement a pris sa majorité en otage en utilisant l’article 49-1 de la Constitution. Au Sénat, il n’y a eu ni débat ni vote. S’il y avait eu un véritable débat au Parlement et dans le pays, la réponse n’aurait pas fait de doute.

Le président et le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, prétendent que la France restera indépendante au sein de l’Otan mais ils méconnaissent le poids des entraînements et celui des symboles.

Sept cents officiers dans les états-majors de l’Otan, cela crée un tropisme dans nos armées qu’on déshabitue ainsi de penser national. L’argument selon lequel l’Allemagne ou la Turquie, dans une certaine mesure, ont pu, en 2003, se tenir à l’écart de l’invasion de l’Irak par l’armée américaine ne tient pas ; ce refus de participer est un fusil à un coup. Quand on est intégré, assis en permanence à la même table, on ne peut dire « non ! » tout le temps. Le président de la République laisse à penser que la France, en envoyant des officiers généraux dans les états-majors, et pas seulement des soldats sur le terrain, pourra peser sur les décisions. C’est un sophisme : chacun sait bien que les vraies décisions ne se prennent pas dans les états-majors de l’Otan mais à la Maison Blanche. Nous serons mieux informés, disent-ils. Mais de quoi ? De décisions élaborées en dehors de nous !

Ils méconnaissent aussi et surtout le poids des symboles. Depuis 1966, la France avait maintenu une distance vis-à-vis de l’Otan qui la faisait regarder comme un pays non-aligné, bref indépendant. C’est à cela qu’on va mettre fin. Ils protestent en déclarant qu’il ne s’agit que d’une impression. Mais en politique internationale, l’impression est tout. Vis-à-vis des peuples du Sud et des grands pays émergents, la France donne déjà le sentiment le l’alignement.

Le président de la République a justifié la réintégration complète de la structure militaire de l’Otan par l’argument de la défense européenne. En nous faisant « plus blanc que blanc », nous dissiperions les suspicions qui auraient freiné les avancées de ladite défense européenne. C’est là une vue bien naïve des choses.

Il n’y a pas de défense européenne parce que les Etats-Unis ne le souhaitent pas et parce que les Britanniques s’opposent à la mise sur pied d’une structure d’état-major significative qui permettait la planification et la mise en œuvre d’opérations proprement européennes. L’existence d’un tel état-major constitue le critère essentiel d’une défense européenne.

Celle-ci enfin n’existe pas parce que les autres pays européens ne sont pas prêts à consentir un effort significatif de défense (à peine 1 % de leur PIB). Et là est le risque pour la France aussi, dont l’effort de défense – 1,6 % du PIB – n’a jamais été aussi faible historiquement : en dehors de l’indépendance nationale la justification de l’effort disparaît. A long terme, l’intégration à l’Otan pourrait bien être un facteur de démobilisation.

Certes, il convient de saluer les nouvelles orientations du président Obama, quant aux relations entre les Etats-Unis d’une part, la Russie, la Chine, et même l’Iran d’autre part. Mais il ne faut pas oublier que le président élu entend bien refonder un nouveau « leadership américain » et ouvrir la voie, je le cite, à un « nouveau siècle américain ». Ces déclarations, sans doute obligées, ne correspondent guère à la réalité. Ne confondons pas le moment Obama et l’extrême difficulté des transitions inévitables : les Etats-Unis devront en effet remettre en cause leur mode de vie dispendieux et la forme militaire de leur domination. Et qui peut dire que dans la crise profonde qui frappe l’économie mondiale, la guerre demain ne sera pas, encore une fois, aux yeux de dirigeants aux abois, le moyen de forcer le destin ?

Cette décision de réintégration complète de l’Otan accroît le risque que la France se laisse entraîner demain dans des guerres qui, selon l’expression du général de Gaulle, « ne seraient pas les siennes ».

Alors que nous nous apprêtons à fermer une base militaire en Afrique Centrale, traditionnelle zone d’influence française, mais aussi réservoir de richesses qui suscitent toutes les convoitises, nous ouvrons une nouvelle base à Abu Dhabi, dans le Golfe, région où notre autonomie stratégique est nulle.

Sur l’Iran, Paris faisait résonner hier le tambour de guerre, à l’unisson du président Bush. Le ton plein de considération qu’utilise le président Obama à l’égard de ce grand pays chargé d’histoire, met aujourd’hui la diplomatie française en porte à faux.

Avec la Chine, grande puissance du XXIe siècle que le général de Gaulle avait reconnue le premier, en 1964, une brouille – espérons-le passagère et due peut-être à des impairs ou à des susceptibilités excessives – vient obscurcir notre relation. Mais qui peut croire que cette brouille n’illustre pas aussi notre changement de posture vis-à-vis des Etats-Unis ?

Avec la Russie enfin, si le président de la République a su préserver, à l’occasion de la crise géorgienne, les chances d’un partenariat stratégique conforme à l’intérêt de la France, on n’observe pas que les Etats-Unis aient renoncé à faire entrer un jour dans l’Otan l’Ukraine et la Géorgie. Ce jour-là, encore une fois, nous serons pris à contrepied.

L’indépendance nationale ne se définit pas contre les Etats-Unis. On peut être indépendant et d’autant mieux allié des Etats-Unis. Nous aurions préféré que la France se place dans la juste perspective : celle d’un monde multipolaire régi par le droit où entre les Etats-Unis, la Chine, la Russie, une France indépendante donnerait une voix à l’Europe et contribuerait à l’existence – Otan ou pas – d’un « pôle européen ». Contrairement aux intentions proclamées, la décision de réintégrer les organes militaires intégrés de l’Otan rendra cet objectif beaucoup plus difficilement accessible.

Jean-Pierre Chevènement a prononcé ce discours aujourd’hui au Sénat en réponse à Bernard Kouchner au cours d’un débat sur la politique étrangère, débat sans vote conformément à la décision du gouvernement.

No future pour le rock n’roll ?

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Certains oiseaux de mauvais augure, hélas généralement bien informés, prévoient la fin prochaine de la vague rock n’roll à forte coloration punk qui a submergé les USA depuis quinze ans, dans la foulée de Greenday et d’Offspring, et l’Europe depuis six ou sept ans, y compris depuis 2007, ses marches les plus culturellement attardées (la France, donc) où elle avait tout de même fini par crever l’abcès techno…

Cause de ce décès annoncé, le caractère foncièrement joyeux de ce type de musique. Les consommateurs, dont les ados constituent le noyau dur, se sentant un besoin irrépressible de souffrir plus fort que tous les autres crétins d’humains, alors que la Fin du Monde menace. D’où le retour annoncé d’un pseudo-rock dépressif, à l’image de celui qui succéda à la première vague punk et dont les lamentables Cure furent le plus sinistre ornement. Il paraîtrait même que chez nous, leurs clones geignards, trotskisants et xanaxés d’Indochine croient leurs heures de gloire revenues – et je ne vous parle même pas de Noir Désir en embuscade. Si ces faits s’avéraient, alors, définitivement, il ne faudra plus parler de récession, mais de Grande Dépression.

Tous aux abris, donc, sauf que cette mutation a tout pour réjouir. Le rock n’roll va retrouver ses fondamentaux identitaires, minoritaires, catacombaires, et c’est très bien comme ça. Les DJ acnéiques ou les groupes pré-pubères l’oublieront et retourneront à leurs synthés. Hedi Slimane ou Jean-Paul Huchon n’essaieront plus de nous faire croire qu’ils font partie de la famille rock, ce qui était à peu près aussi dégoûtant que de voir Lescure, Guillon ou Muhlmann se faire passer pour des subversifs. On va pouvoir enfin se retrouver entre nous, sans être pris chaque semaine en otage par la presse ou la pub.

Car hélas, ce retour en grâce du rock s’est accompagné d’un retour en masse des conneries écrites sur le rock. Deux de ces lieux communs, où il est à la fois question de rock et de Crise ont ainsi fait un retour en force dans les conversations en ville et dans les articles d’ignorantins ; nos copieurs-colleurs ont ressuscité des contresens vieux de trente ans à propos de deux fleurons du répertoire de la Renaissance britannique de la fin des seventies – sous ce terme, on agrégera, circa 1977, la new wave issue du pub rock et l’explosion punk.

Côté pub rock, ou plutôt postpub rock, c’est le fabuleux Sex and drugs and rock n’roll de Ian Dury and the Blockheads, qui depuis sa création fait l’objet d’un inoxydable malentendu. Son titre, et son refrain (Sex and drugs and rock n’roll are very good indeed) systématiquement vendus par les gazettes comme une sorte de manifeste générationnel et néo-hédoniste, ne sont en fait qu’une impitoyable moquerie de tous ceux qui, dans les milieux lancés, avaient érigé le sexe, la drogue et le rock en nouveaux piliers de la sagesse.

Coté punk, c’est très exactement le même naufrage interprétatif qu’on nous ressasse, de TF1 aux Inrocks à propos du God Save the Queen des Sex Pistols et plus précisément du No future qui le conclut. Là encore, on nous raconte en général n’importe quoi : il ne s’agit pas d’un manifeste, d’un credo nihiliste, ni même d’une sorte de hurlement pré-fukuyamien, mais d’un constat rageur et clairvoyant, sur la catastrophe qui attend les jeunes prolétaires de l’Empire une fois closes les Trente Glorieuses et donc les mines et les usines. Ce No Future n’est donc pas la traduction anarchiste de l’amusant Viva la Muerte[1. La citation intégrale est : « A bas l’intelligence, Vive La mort ! » et répondait aux velléités neutralistes du philosophe de centre-droit Miguel de Unamuno.], lancé au début de la Guerre civile par le général franquiste José Millán-Astray, mais son exact contraire, et pour tout dire, presqu’un mot d’ordre syndical…

Hisser ce No Future en étendard, comme le font certains révoltados crasseux est un bel exercice de crétinerie adolescente. L’ignorance de la langue anglaise – et de tout le reste – aidant, les mêmes finiront par croire que ce God save the queen là est vraiment un hommage à Sa très gracieuse majesté, voire une ode à Lady Di.

C’est donc vraiment une très bonne nouvelle de voir revenir en force une musique dominante inepte et malsaine, accompagnée de paroles idoines. Une musique suicidogène qui enfoncera dans la Crise ceux qui sont assez glands pour rêver s’y noyer. Ça fera de l’air pour les survivants ! Que renaisse le darwinisme rockistique ! Que règne le tri sélectif. On ne jettera plus mes perles à des pourceaux, No more margaritas ante porcos, comme disait saint Matthieu. Plus de squatters pouilleux dans mon jardin secret. Ce qui nous attend : une musique de crétins, adulée par des crétins avec des paroles de crétins commentées par des crétins. C’est bien.

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Vieillard indigne

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Quelques députés européens ont manifesté préventivement leur angoisse à l’idée que Jean-Marie Le Pen puisse, comme doyen d’âge, présider la séance inaugurale du nouveau parlement européen élu en juin prochain. Dany Cohn-Bendit (64 ans aux cerises) a proposé de confier cette honneur à la plus jeune des députées et lancé dans une de ces envolées lyriques dont il a le secret: « Allons jusqu’au fond du symbolisme: on ne veut pas des croulants! ». Cette sortie devrait lui valoir séance tenante une admonestation publique de la Halde. On notera l’utilisation, par le chef de file des Verts, du parler « djeune » des années yé-yé pour désigner les seniors, et d’un style qui mérite d’être amélioré s’il veut, comme on lui en prête l’intention, postuler à cette honorifique fonction lors d’une prochaine législature. On lui conseillera donc la lecture des discours de doyens de l’Assemblée nationale française prononcés en leur temps par Marcel Cachin, le chanoine Kir ou Marcel Dassault, que le croulant auteur de ces lignes écoutait avec délices, l’oreille collée à la TSF.

Obama joue au bon flic. Pour l’instant…

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L’idée commence doucement à faire son chemin dans les têtes des obamaniaques de tous les pays : le métis de Chicago n’a pas été élu président du monde, mais installé pour quatre ans par les électeurs des Etats-Unis dans une fonction qu’eux seuls peuvent décider de prolonger pour un nouveau bail.

Toute l’action du nouveau président, à l’intérieur comme à l’extérieur, va donc être orientée vers un seul objectif : créer les meilleures conditions pour sa réélection en 2012. La réponse aux attentes de ses admirateurs à travers le monde, variées et parfois contradictoires, n’est pas son principal souci, et nos obamaniaques de novembre risquent fort de devenir des barackodéçus une fois les beaux jours revenus.

Barack Obama sait fort bien ce que son élection doit à la crise financière, puis économique, qui a éclaté lors de la campagne pour la présidentielle de 2008. La demande de sécurité du peuple américain n’est plus, aujourd’hui, liée à la crainte d’une attaque terroriste, mais à celle d’une panne durable de l’économie mettant à mal ce rêve américain incarné, justement par Barack Obama.

Signalons, en passant, que l’effacement, dans les consciences de la menace terroriste est à mettre, au moins partiellement, au crédit de l’administration Bush qui a fait en sorte qu’aucun attentat d’envergure ne se produise sur le sol des Etats-Unis depuis 2001.

Cela a été possible, quoiqu’en disent les détracteurs systématiques de l’ancien président, en préservant l’essentiel des libertés publiques garanties par la Constitution, et surtout en mettant en place sur le territoire des Etats-Unis des moyens de défense anti-terroriste type plan Vigipirate, dont le pays était jusque-là dépourvu. Une fois éliminé l’injustifiable Guantanamo, ce dispositif reste en vigueur, et semble raisonnablement efficace.

Une politique extérieure anti-crise est avant tout pragmatique. Il ne s’agit plus de rendre le monde meilleur, plus démocratique et moins brutal, mais de créer les conditions susceptibles de redonner confiance au marché, c’est à dire à vous et moi, consommateurs et producteurs mondialisés.

Et s’il y a bien une chose dont le marché a horreur, c’est l’instabilité politique, une marche erratique des affaires d’un monde où plus personne n’a les moyens ou le courage de mettre de l’ordre.

Le premier souci diplomatique du nouveau président a donc été de garantir aux dirigeants chinois que les Etats-Unis ne se mêleraient pas de leurs histoires internes, genre Tibet ou Sinkiang, pour autant que la Chine continue à financer le déficit commercial américain par des achats massifs de bons du trésor US. Ce fut fait lors du voyage à Pékin d’Hillary Clinton en février 2009.

C’est également à la lumière de cette priorité des priorités, le rétablissement de l’économie des Etats-Unis qu’il faut analyser l’attitude de l’administration Obama dans sa gestion des deux conflits armés hérités de son prédécesseur, l’Irak et l’Afghanistan. Contrairement à une idée largement répandue, l’arrêt de ces opérations et le transfert des sommes et des hommes qu’elles mobilisent vers des activités civiles n’est pas un remède anti-crise radical. C’est même l’inverse: plus que les grands travaux de la première phase du new-deal de Franklin D. Roosevelt, c’est l’économie de guerre qui a produit la formidable prospérité et la puissance des Etats-Unis au lendemain de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, il est un plan de relance silencieux, dont personne ne parle, mais qui fonctionne à plein : c’est le maintien, voire l’augmentation, des budgets militaires qui « tire » des pans entiers de l’économie – aéronautique, systèmes avancés, informatique – sans risquer d’accroître le déficit extérieur. Pour l’essentiel, en effet, ces industries ne sont pas délocalisables. C’est pourquoi Barack Obama se hâte lentement dans son programme de retrait des troupes d’Irak, faisant passer de seiez à dix-neuf mois le calendrier de ce retrait par rapport à ses promesses électorales, et encore, en se réservant de modifier ce calendrier en fonction de la situation sur le terrain. Il reste fidèle, en revanche, à son discours de campagne en augmentant la présence des GI en Afghanistan. Au total, c’est un maintien, sinon un accroissement de l’engagement militaire extérieur américain et du périmètre de l’armée, qui résulte, pour l’instant du changement d’administration à Washington.

Le discours, en revanche, a notablement changé: l’axe du mal n’existe plus dans le langage produit à la Maison Blanche, et l’heure est aux propositions de dialogue tous azimuts: avec les Iraniens dans l’adresse télévisée d’Obama au peuple et aux dirigeants persans à l’occasion de leur nouvel an, avec les Russes à qui on fait miroiter l’abandon de système de défense anti-missiles si Moscou coopère pour empêcher l’accès de Téhéran à l’arme nucléaire, au monde arabo-musulman en général auquel le nouveau président tend la main alors que Bush leur tendait le poing.

C’est donc l’option « good cop » qui semble s’imposer, le bon flic espérant amener par la douceur et la persuasion le mauvais sujet à avouer ses fautes et s’amender, relayant le « bad cop » aux méthodes musclées.

Barack Obama n’est pourtant ni un naïf, ni un idéaliste: il sait fort bien que cette attitude peut produire l’inverse des effets attendus. Soit l’Iran est rationnel, comme le proclament certains analystes américains et européens, et saisira la perche tendue par Washington, soit il reste sous l’emprise d’une idéologie islamiste radicale, et considèrera la nouvelle attitude des Etats-Unis comme une victoire lui permettant de poursuivre son objectif hégémonique régional. La réponse pourrait sortir très rapidement des urnes, lors de l’élection présidentielle du 12 juin 2009. La reconduction de Mahmoud Ahmadinejad marquerait l’échec de cette stratégie. La présence d’Obama en Turquie début avril, à l’occasion du « forum de l’Alliance des civilisations », un bidule mis en place par l’ONU pour faire pièce aux prophéties de feu Samuel Huntington, est également conçue comme un message à l’ensemble du monde arabo-musulman: on peut être de bons musulmans comme Erdogan et ses amis de l’AKP, et entretenir des relations diplomatiques et commerciales avec Israël, avoir des perspectives économiques prometteuses et des bonnes relations avec les Etats-Unis.

Il ne s’agit pas d’un appeasement au sens classique, et dépréciateur, que le terme évoque depuis Munich 1938, mais de l’essai d’une méthode « soft » pour tenter de maintenir le minimum de stabilité sur la planète en attendant que la crise économique s’éloigne. On désigne le bon élève comme modèle à imiter par les cancres et les voyous, une méthode, qui, en matière éducative ne marche pas à tout les coups, mais vaut tout de même la peine d’être tentée.

La règle dans ce genre de situation est de ne pas tenter d’apporter des solutions à des conflits lorsque les chances qu’elles puissent être mises en œuvre ne sont pas optimales. Une situation bloquée, par exemple dans le conflit israélo-arabe, est préférable à la mise en mouvement incontrôlable d’une région, ou d’une sous-région. Tant que le conflit intra-palestinien n’est pas réglé, et il n’est pas près de l’être, il est inutile est même dangereux de se presser d’aboutir aux « deux Etats pour deux peuples ». C’est pourquoi on ne peut constater aucun activisme réel de l’administration Obama dans ce dossier, qui n’est géré que par signaux lancés aux uns et aux autres: de l’argent pour Gaza d’un côté, mais donné à Mahmoud Abbas, les gros yeux à Israël pour quelques immeubles détruits à Jérusalem-est, mais l’assurance donnée au chef d’état-major de Tsahal, Gabi Askenazi, que l’option militaire en cas d’accès de Téhéran à l’arme nucléaire était toujours sur la table…

À la différence de George W. Bush, l’Administration Obama n’est pas peuplée par les partisans d’une conception unique – et messianique – de la politique extérieure des Etats-Unis. Les tyrans peuvent donc dormir tranquille, à l’exception du despote soudanais Omar El Bechir, auquel est dévolu le rôle de bad guy, parce qu’il en faut toujours sur la scène internationale. Mais même celui-là, il n’est pas du tout certain qu’on ira le chercher manu militari pour le transférer à La Haye.

Obama place, ou tente de placer des « progressistes » (lire capitulards) tendance Jimmy Carter à des poste importants du Conseil national de sécurité, comme l’ex-journaliste Samantha Power ou l’ambassadeur Charles « Chas » Freeman, lequel a été contraint de se retirer en raison de ses prises de positions violemment anti-israéliennes. Mais il nomme également Dennis Ross, ancien négociateur de Bill Clinton pour le processus de paix israélo-arabe et proche de la communauté juive américaine, à un poste d’envoyé spécial pour les questions du Golfe et de l’Iran. Il fera son marché dans les propositions des uns ou des autres, en fonction de son analyse de ce qui est bon pour Obama, donc pour l’Amérique.