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Hadopi : halte aux lois karoutchicides

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On l’a échappé belle : suite au rejet de la loi Hadopi à l’Assemblée, on a appris que Roger Karoutchi avait « pensé démissionner ». C’est ce qu’il explique dans le Monde d’hier soir. Dans une interview à Patrick Roger, le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement détaille les trois raisons qui ont failli le pousser à une telle extrémité, dont on imagine mal comment notre démocratie aurait pu se remettre. Il y a tout d’abord la grosse colère du président. Il y a ensuite l’absentéisme des députés UMP : comme qui dirait, les godillots ont voté avec leurs pieds. Et puis enfin Karoutchi n’a toujours pas digéré l’entourloupe que lui ont jouée les députés socialistes : « C’est, a-t-il commenté, le coup de flibuste monté par le groupe socialiste qui a dévoyé le résultat du vote », avant d’ajouter : « Moi, je voudrais un Parlement qui soit celui des envolées lyriques de Jaurès et de Blum ; on nous livre Les Fourberies de Scapin ! » Si Roger Karoutchi le dit, je veux bien croire que l’œuvre de ce Monsieur Molière n’est qu’une mauvaise farce et que le vaudeville avec camouflage des troupes orchestré par Patrick Bloche est passible de la Haute Cour. Mais c’est quand même assez délicieux que Roger Karoutchi reproche aux députés PS d’être tous soudainement, au moment du vote, sortis du placard…

La barbarie à visage urbain

Désolée, je ne sais toujours pas avec certitude si l’agression du bus de nuit parisien était ou non raciste. Et en plus je me demande si cela a tant d’importance. Dans cette affaire, le racisme, réel ou pas, est peut-être un point de détail. Si la victime avait été « issue de la diversité », les images auraient été tout aussi révoltantes.

La pénible scène filmée par une caméra de vidéosurveillance évoque ce qu’on appelle communément la barbarie. Nous voilà contraints de regarder en face la société que nous avons créée. L’épisode pourrait susciter un débat. Ces agresseurs qui paraissent dépourvus de tout surmoi susceptible de leur fixer une limite, le sentiment d’impunité qu’ils semblent éprouver, devraient provoquer un réflexe d’autodéfense collective. Au lieu de quoi, après quelques jours de polémique sur l’origine de la « fuite nauséabonde » (formule employée dans un texte défilant par LCI), la seule question qui vaut est désormais : raciste ou pas raciste ? Et quand je dis question, c’est une façon de parler. En réalité, c’est un concours de certitudes que chacun jette à la tête de l’autre, et l’autre, en l’espèce, est forcément un salaud ou un nigaud – un crypto-lepéniste attaché à la défense d’une fantasmatique race blanche, ou un fieffé angélique prêt à rallier le parti de l’anti-France. Ayant commis le crime de douter, j’ai reçu une double volée de bois vert.

Je vais aggraver mon cas. Je persiste à penser que l’agression du « noctilien » était peut-être raciste et peut-être pas, ou plutôt que dans le cocktail de passions déplaisantes qui animaient les agresseurs le racisme entrait pour une proportion indéterminée – et d’ailleurs indéterminable. L’injure « Français de merde » prononcée par l’un des agresseurs (que je n’avais pas entendue lorsque j’ai écrit mon premier texte) ne suffit pas à prouver le caractère essentiellement raciste de l’agression. J’entends d’ici les hauts cris – que vous faut-il de plus ? En ce domaine, l’expérience devrait pourtant apprendre à chacun à se méfier des évidences. Un juif à kipa peut se faire casser la gueule sans que l’antisémitisme y soit pour quoi que ce soit ou sans qu’il soit le premier mobile. Et quiconque a déjà mis les pieds dans une cité sait que l’injure raciale est pratiquée tous azimuts y compris entre personnes de même origine.

En regardant les images prises dans l’autobus, même avec le son, j’ai eu l’impression que la rage aveugle des petites brutes aurait très bien pu s’abattre sur un Arabe ou sur un Noir et qu’ils auraient pu tout autant le traiter de « sale nègre » ou d’ »Arabe de merde ». Mais en même temps, je ne saurais exclure que la haine du blanc ait réellement joué dans le choix de la victime. La vérité, c’est que personne n’en sait rien. Peut-être le procès des coupables permettra-t-il à chacun de se faire une opinion.

En attendant, chacun joue donc sa partition, les uns pour mettre en avant l’acte raciste, les autres pour planquer sous le tapis toute connotation raciste. Pour les premiers, la France dans son ensemble est désignée comme coupable de racisme envers sa minorité arabo-musulmane. La scène du bus rappelle que les blancs n’ont pas l’exclusivité de la beaufitude raciste – mais se trouve-t-il encore des gens de bonne foi pour en douter ? Quant aux autres, ils ont une fois pour toutes figé les rôles, celui du salaud étant forcément joué par le « céfran » – également dit « Français de souche », bien que sa souche soit aussi peu identifiable que celle de pas mal de ses concitoyens plus basanés. Pour ceux-là, si d’aventure un Français d’origine étrangère se montre coupable de racisme, c’est parce qu’il en a été victime lui-même (on pourrait appliquer ce raisonnement aux pédophiles qui ont généralement été des enfants abusés mais passons). Dans ce registre, le jeune homme agressé dans le bus est exemplaire. Il ne veut pas, a-t-il déclaré au Figaro, être instrumentalisé. En somme, pour lui aussi, le plus grave n’est pas de s’être fait tabasser mais ce qu’on pourrait en penser. Dans La Journée de la jupe, le négociateur envoie sur les roses un prof qui tente de convaincre ses élèves de bien se tenir en invoquant le Coran et qui, après avoir été un peu bousculé par ceux-ci, se montre encore plus compréhensif. « Après tout, si ça vous plait de vous faire taper dessus, libre à vous », dit en substance le flic. C’est ce qu’on a d’abord envie de répondre à cet étudiant visiblement doté d’une belle âme. Si ces agresseurs ont proféré des injures raciales c’est, a-t-il expliqué, parce qu’ils étaient « drogués ou ivres ». S’il lui plait de comprendre et même de tendre la joue gauche, grand bien lui fasse. Seulement, il n’est pas le seul concerné. Quand on le tabasse dans un autobus, c’est aussi moi qu’on agresse. Et le jour où un Tribunal jugera les coupables, c’est en notre nom à tous qu’il rendra sa sentence. Pour être honnête, je n’aimerais pas que les juges se montrent aussi compréhensifs que la victime. Souhaitons en tout cas au jeune homme qui manie si brillamment la grammaire du science-politiquement correct de surmonter le deuxième traumatisme – celui de la diffusion et de l’instrumentalisation – comme il a surmonté le premier.

Reste une énigme qui me paraît diablement plus intéressante que celle du caractère raciste ou non de l’agression du bus. Pourquoi cette question suscite-t-elle passions et invectives au point d’occulter toute autre discussion ? Pourquoi est-il si crucial de faire reconnaître ou de récuser la dimension raciste ? Il faut croire qu’il y a là un enjeu identitaire, et pas seulement pour ceux qui ont fait de cet adjectif leur nom de famille. Qu’on me pardonne cette lapalissade mais une identité, tout le monde en a une, et pas seulement à l’extrême droite. L’obsession du racisme est aussi une obsession de la « race », c’est-à-dire de l’appartenance.

Cette obsession n’est pas seulement étrange, elle est gênante. Au risque de saturer le fil de commentaires sur ma supposée propension à la « haine de soi », j’avouerai que je n’entends jamais sans malaise des responsables juifs « revendiquer » le caractère antisémite d’un acte dès que celui-ci est connu. Et j’ai ressenti le même malaise lorsque BHL s’est rendu au Tribunal de Lyon pour affirmer que le meurtre d’Oullins (dans lequel la victime était arabe) était raciste. À ma connaissance, BHL n’a pas été témoin de ce meurtre. Je ne sais pas par ailleurs si l’antisémitisme a compté pour un tiers ou un quart ou 100% dans les motivations de Fofana et de sa bande de criminels abrutis, mais je sais qu’à force de se focaliser sur cette question, on a accrédité l’idée qu’Ilan Halimi était le mort des juifs.

Pour la loi, le racisme et l’antisémitisme sont des circonstances aggravantes. Mais dans les faits ? En supposant que les agresseurs du bus, « drogués et ivres », n’aient même pas vu que leur victime était blanche, cela rend-il leur comportement plus acceptable ? Le calvaire d’Ilan Halimi eût-il été moins effroyable s’il avait été breton ou noir – ou les deux ?

Sur ce sujet, en tout cas, je réclame le droit à la nuance et à l’indétermination – je sais c’est beaucoup demander. Je ne méconnais pas les ravages de la bêtise et des préjugés racistes ni la nécessité de les combattre. Mais je n’aimerais pas vivre dans un monde où chacun, brandissant comme un trophée le racisme dont est victime sa propre « communauté », finirait par être sourd à celui qui s’abat sur les autres. Je crois que des salopards capables de torturer un juif sont tout aussi capables de torturer un Arabe ou un Asiatique.

Bref, il ne faudrait pas que l’obsession du racisme nous fasse oublier que rien de ce qui est inhumain ne nous est étranger.

Malthus II, le retour

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Ce matin en lisant Marianne2, j’ai cru tomber de ma chaise. Il a osé ! Monsieur Cochet recycle les vieilles idées du bon pasteur Malthus qui voyait déjà, à la fin du XVIIIe siècle, le salut dans la restriction démographique. Ainsi, il s’agirait de supprimer les aides aux familles à partir du troisième enfant, tant le bébé est pollueur[1. Puisque d’après lui, un enfant européen aurait « un coût écologique comparable à 620 trajets Paris-New York », les « aides » devraient « (diminuer) sensiblement à partir du troisième » nouveau-né !].

Donc, quand on fait un gosse, on est un affreux pollueur car on fabrique un pollueur de plus. Après avoir prôné la fin des industries et de la voiture, Cochet va jusqu’au bout de sa logique et jette le bébé avec l’eau du bain. Jamais l’expression n’a été aussi à propos. Qu’importe si le Japon et l’Allemagne, qui ont des sociétés beaucoup plus vieillissantes et moins fécondes que la nôtre, détiennent un bilan carbone beaucoup moins flatteur[2. Sans doute, en partie, à cause de la politique anti-nucléaire encouragée par les amis Grünnen de Monsieur Cochet.]. Qu’importe si la Chine figure aujourd’hui au premier rang des pollueurs de la planète alors qu’elle a mis en place une politique de l’enfant unique depuis des décennies.

Changement de stratégie : les écolos ne nous font plus le coup de « La Terre qu’on emprunte à ses enfants ». Il ne faut plus d’enfants. Plus de bébés. Monsieur Cochet propose d’en passer par la suppression des allocs. Il ne propose pas encore des grandes campagnes de stérilisation, ni la politique de l’enfant unique à la sauce chinoise.

Mais si tout cela ne suffisait pas, nul doute que cet ayatollah n’hésiterait pas à franchir le Rubicon. Qui ne voit pourtant que l’argument de préserver la planète pour ses enfants fut, de loin, le meilleur argument pour changer certains comportements ? Pas Monsieur Cochet ! Lui préfère une société de vieux rentiers dans un pays sans industrie ; des vieux sans enfant qui n’auraient même pas de voiture électrique et qui tourneraient en rond sur leurs vélos en attendant que la mort arrive ; une espèce humaine en voie de disparition.

Nous concèderait-il le droit de réintroduire l’Humain dans certaines contrées, l’Italie du Nord ou la Ruhr, comme on le fait aujourd’hui pour l’ours ou le loup ? Certainement pas ! L’être humain, lui, est vraiment nuisible.

Je n’ai pas l’habitude de prononcer des noms d’oiseaux ici mais là, c’en est trop : mon troisième enfant, j’en ai d’autant plus envie. Pour ne pas avoir une société de vieux cons. De vieux cons comme Cochet.

Rien dans les poches, tout dans le slip

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On a enfin compris pourquoi la Réserve fédérale américaine n’avait pas vu venir la crise : son patron, Alan Greenspan, était occupé à mater le slip de ses concitoyens ! Tout s’éclaire. Slip, boxer, shorty, caleçon, string ou kangourou de grand-pa’ : Alan Greenspan n’était pas spécialiste de politique monétaire, comme certains s’étaient laissés prendre à le croire, mais chef du rayon lingerie au Wallmart de la 6e Avenue. The Huffington Post nous apprend, en effet, que l’ancien patron de la Fed tenait pour un indice économique sérieux les ventes de slips masculins aux Etats-Unis ! Selon lui, les hommes achèteraient moins de sous-vêtements par temps de crise, se résignant plus facilement que les femmes à porter leurs anciennes petites culottes plutôt que de claquer leur argent dans de nouvelles. Donc, si les marchés ont le moral dans les chaussettes, c’est que les consommateurs américains ne changent pas assez de slip. L’ancien gourou de la finance mondiale avait le tendanciel tendancieux.

Vers Vatican III ?

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On pensait qu’avec la mort de Jean-Paul II, pape cathodique autant que catholique, le Vatican et le destin de l’Eglise catholique apostolique et romaine ne feraient plus les gros titres que de La Croix ou de Radio Notre-Dame. Eh bien on s’est trompé. Mais depuis l’élection de Benoît XVI, la fascination pour le pape s’est muée en méfiance et souvent en défiance. Ce retournement de l’opinion, catholique mais pas seulement, révèle un énorme malentendu : depuis Jean XXIII et le concile Vatican II – et surtout depuis qu’un prélat polonais a été élu au siège de saint Pierre – beaucoup avaient rangé le pape dans le camp des droits de l’homme et s’étaient persuadés que l’Eglise catholique s’était convertie à la religion du Progrès.

Les dernières controverses au sujet de l’évêque négationniste et surtout autour de la question du sida et des préservatifs montrent que ce malentendu repose, en particulier en France, sur une méconnaissance totale de la mission de l’Eglise. Vu de Rome, le combat à mener se trouve en Amérique du Sud, et notamment au Brésil, premier pays catholique du monde avec 125 millions de fidèles. Or, la proportion d’habitants se définissant comme catholiques y est passée de 89 % en 1980 à 74 % en 2000. Dans le même temps, le nombre de Brésiliens se réclamant de l’Eglise évangélique s’est envolé de 7 % à 15 %. Au-delà du Brésil, la « part de marché » des Eglises protestantes s’élève à environ 20 % au Chili et à presque 30 % au Guatemala. En Argentine, 10 % environ de la population revendique son appartenance au mouvement évangélique. En conséquence, les divisions du Vatican qui pouvaient mobiliser 85 % des 350 millions de latino-américains en 2000, ne représentent plus que 70 % de la population.

Les raisons de l’engouement pour les Eglises évangéliques (qui, bien que protestantes n’ont pas grand-chose à voir avec la sévérité calviniste) sont connues : elles proposent une religion pleine d’émotion reposant sur un fort sentiment d’appartenance à une communauté plutôt que sur un dogme ou un contenu intellectuel sophistiqué. Elles parviennent ainsi à séduire des populations laminées par l’éclatement des sociétés sous les coups des crises politiques, économiques et sociales répétées. Le plus frappant est que leur expansion fulgurante n’est nullement entravée – et peut-être même encouragée – par leur conservatisme en matière sociale et morale. Cela n’a pas échappé aux stratèges de Rome.

En Amérique latine, les Eglises évangéliques ont su séduire à la fois les pauvres et les classes moyennes bien mieux que n’avait su le faire « la théologie de la libération », dont les thuriféraires des années 1960 entendaient capter l’enthousiasme populaire suscité par la figure de Che Guevara et l’idée de la Révolution. Dans les années qui ont suivi Vatican II, Rome a même manifesté une certaine bienveillance à l’égard de ces expérimentations, même si une décennie auparavant le mouvement autrement ambitieux des prêtres-ouvriers avait été supprimé par Pie XII, marquant ainsi les limites de la tolérance du Saint-Siège.

Depuis, l’écroulement des régimes socialistes a fait presque disparaître toute initiative catho-marxiste. Aujourd’hui, pour l’Eglise, le danger ne vient pas de la gauche révolutionnaire mais des Eglises évangéliques.

Le personnage de Mgr Claudio Hummes, cardinal d’origine brésilienne, est symptomatique de cette évolution. Prêtre d’une paroisse de la banlieue ouvrière de São Paulo dans les années 1970, il s’était fait connaître par des prises de position hardies, notamment par son soutien à un jeune militant syndicaliste, Luiz Inacio Lula da Silva, l’autorisant même à prononcer des discours dans son église.

Quelque trente ans plus tard, en 2000, on entend de nouveau parler du prélat, promu depuis archevêque de São Paulo par Jean-Paul II. Mais les temps ont changé. Valeriano Paitoni va en faire l’amère expérience. Curé d’Imirim, une paroisse pauvre du nord de Sao Paulo, il a fondé, avec l’aide financière de ses ouailles, trois centres d’hébergement qui accueillent alors 33 séropositifs et malades du sida, dont 22 enfants. Indigné par les tests de dépistage secrètement exigés, selon lui, des candidats au sacerdoce par certains séminaires brésiliens, il a, pour couronner le tout, pris l’habitude de distribuer des préservatifs à ses paroissiens les plus démunis. Mgr Hummes, son supérieur hiérarchique, condamne aussitôt, avec l’aval de l’archevêque de Rio et « en communion avec le Pape et l’Eglise » les idées défendues par le père Valeriano. L’année suivante, Mgr Hummes critique un ministre brésilien qui avait renforcé le plan national d’éducation à la contraception. Fin 2006, Benoît XVI le rappelle à Rome et le nomme préfet de la Congrégation pour le Clergé, chargée notamment de la formation du clergé et de celle des fidèles (catéchisme).

Dans ces conditions et contrairement à ce que j’ai écrit, les choix de Benoît XVI sont peut-être dictés par la tactique politique autant que par la rigueur théologique. Il sait que l’avenir de sa multinationale ne se joue ni sur les rives du Tibre ni sur celles de la Seine mais en Amérique du sud, en Afrique et en Asie face aux nouvelles Eglises. Cette évolution semble avoir été bien comprise à la fois par les chefs de l’Église catholique et par certains croyants, comme on peut le constater par l’essor des charismatiques, sorte de « pentecôtisme catholique » agrémenté d’un fervent culte marial.

Rome peut regagner du terrain en s’appuyant sur ces mouvements mais continue à leur vouer une certaine méfiance. Sa stratégie s’appuie d’une part sur une défense de la morale sexuelle traditionnelle (contre le divorce, la contraception, l’avortement et l’éducation sexuelle à l’école), d’autre part sur celle des privilèges du catholicisme face à la concurrence évangélique. Les prises de position de Benoît XVI sur la contraception et l’avortement ne visent pas à lui gagner la sympathie, de toute façon temporaire, d’intellectuels mécréants, de faiseurs d’opinion parisiens ni même celle des évêques de France. Il a entendu le message venu d’ailleurs : ce que veulent les chrétiens d’Amérique latine, les participants des JMJ et les charismatiques, ce n’est pas une Réforme bis. C’est une Contre Réforme.

Le centrisme et la peinture en deuil

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René Monory est mort, à l’âge de 86 ans, ce samedi 11 avril. Ce génial touche-à-tout de la vie politique française ne s’est pas contenté d’avoir été garagiste et ministre de l’Education nationale, gourou de Raffarin et président du Sénat, maire de Loudun, ville par laquelle il fut littéralement possédé et créateur du Futuroscope, faux parc de loisirs sur les nouvelles technologie mais vraie ambassade pour les extra-terrestres. René Monory, en effet, a aussi consacré sa vie à la peinture et a été le chef de file secret du courant de la Figuration Narrative. Les amateurs seuls savaient que derrière la bonhomie de ce centriste old school se cachait un artiste dont les toiles bleues et glacées représentent toute l’inhumanité de notre monde à travers des scènes de meurtres, de fusillade ou de femmes nues fumant dans des décors urbains déserts. Il serait heureux, en cette triste occasion, que le Sénat organise une rétrospective René Monory pour honorer le violon d’Ingres d’un de ses plus illustres représentants.

Pétain chez les maos

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Avoir vingt ans en 1973. La lose. La Révolution, la Grande, la Seule, la Vraie, est passée depuis six ans déjà. De Gaulle repose à Colombey. On ne court plus les rues en criant des slogans impossibles, ils ont tous été dits et proférés. A peine ose-t-on battre le pavé parisien pour scander de timides « Pompidou, des sous ! »

C’est le drame de Jean-Marie Laclavetine, qui publie Nous voilà chez Gallimard, maison où il sévit tantôt comme éditeur, tantôt comme écrivain. Il serait né trois ans plus tôt qu’il aurait été en âge de la faire, cette Révolution. Et, quarante ans après, il nous aurait barbés à sortir un fort volume relatant ses souvenirs et ses exploits, à l’instar de tous les anciens soixante-huitards qui, dans un ultime sursaut, se sont mis en tête l’an passé de porter un coup fatal à l’édition française en publiant leurs Mémoires.

Ne sont-elles pas drôles, ces années 1970 ? On est sexuellement libéré, donc on baise. On fait tourner pétards, sticks et buvards. On se larzacquise, on se maoïse, on s’occidentaliste athlétiquement. On se donne l’impression d’être ensemble, mais on ne forme plus déjà qu’une communauté désœuvrée : le nous, celui de la révolution et du romantisme politique, s’est déjà délité.

En publiant Nous voilà, Jean-Marie Laclavetine sait faire plaisir aux lecteurs pressés et aux critiques qui se gardent bien de fréquenter la littérature en dehors de la lecture assidue des quatrièmes de couverture : tout est dans le titre. Deux mots, Nous voilà, que les nostalgiques de la francisque trouveront agréables à leurs oreilles, puisqu’ils leur rappelleront le refrain de Maréchal, nous voilà, chanson écrite en 1941 sur la musique de La Fleur au guidon qui faisait partie en 1937 du répertoire de Fredo Gardoni, inoubliable chanteur de la caravane du Tour de France. Ils n’auront pas tort, car Laclavetine nous raconte une histoire – peut-être n’est-elle qu’un prétexte –, celle de la promenade posthume du maréchal Pétain, dont il fait naviguer clandestinement le cercueil trente ans durant.

Le 20 février 1973 tombe, en effet, l’incroyable nouvelle : le cercueil du maréchal Pétain a disparu de sa sépulture. La police enquête et suit la trace des auteurs de cet enlèvement, avant de retrouver le cercueil baladeur dans un garage de la banlieue parisienne. On est bien peu de choses. La bière rejoint aussitôt son caveau de l’île d’Yeu. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Rebondissement et sens du rocambolesque : Pétain se prend à fréquenter post mortem l’intelligentsia trotskyste et maoïste parisienne. La France moisie et l’anti-France enfin réunie inconsciemment autour d’une bière : c’est Philippe Sollers qui devrait être content.

Qu’on y prenne garde : Nous voilà n’est pas Nous voici. La langue française a quelques subtilités : dans Nous voilà, le nous est déjà loin. Il est parti se promener au large du moi, de l’égo et du je. Lorsque le sentiment collectif – qu’il soit procuré par le parti, la nation ou l’humanité – s’absente, toute grande entreprise est impossible : la révolution, nationale ou prolétarienne, prend des airs d’opérette.

Jean-Marie Laclavetine aurait pu – il ne l’a pas fait ou si peu – écrire un roman à clef. Et l’on aurait poliment gloussé en contemplant la carrière des ex-leaders de 1968, libertaires autrefois, libéraux aujourd’hui. On aurait plaisanté sur Henri Weber, passé de la LCR à un mariage très show-bizz au Cirque d’Hiver[1. On se souviendra que l’inénarrable Gérard Miller (starlette du petit écran) disait que ceux qui n’étaient pas invités à cette fête n’existaient pas socialement.]. On aurait décelé chez l’un ou l’autre personnage une inclination particulière à trahir ses idéaux et à ne maintenir avec constance que son infidélité. Mais Nous voilà échappe à ces contingences-là, pour aller à l’essentiel : la fin du politique, c’est-à-dire l’histoire d’une communauté qui, en trente ans, est devenue, à droite comme à gauche, non seulement désœuvrée mais aussi inavouable.

Une épopée contemporaine ? Oui. Le roman de Laclavetine a tout de l’épopée classique, long poème qui embrasse tout un peuple pour célébrer ses exploits historiques ou mythiques, comme on le dit chez Mme de Romilly. Sauf que les exploits historiques depuis 1970, faut les chercher. Toute épopée est désormais navrante. Tolstoï est inaccessible. Les personnages réels empruntent plus au général Boum, celui de la Grande Duchesse de Geroldstein, qu’au maréchal Koutouzov, le héros de Guerre et Paix. Il ne reste plus rien d’autre qu’un ennui si profond qu’il ne tue plus personne. Lorsque les grands chemins de l’histoire sont désertés, restent les petits chemins et la littérature : « J’ai peur de la rencontre avec le passé qui revient : le petit chemin des années perdues, envahi, d’herbes et de poussière, enfoui sous les ronces, où était-ce déjà, vers quoi menait-il, ce caminito, il y avait des chants, on riait, je crois me souvenir qu’on s’aimait, que s’est-il passé ? »

Nous voilà

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Benoît XVI est incorrigible

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Les prises de position de l’Eglise catholique ont défrayé la chronique au cours des dernières semaines. Au lieu de se refaire une santé médiatique et de partir en quête de buzz plus favorables, le pape Benoît XVI s’apprêterait, selon des sources bien informées, à récidiver dès ce soir en se livrant à de nouvelles déclarations fracassantes. Bon nombre de rédactions sont sur le qui-vive, et les papiers sont déjà sur le marbre. Cette fois, c’est la bonne : si le pape Ratzinger persiste, il est viré ! Osera-t-il donc contredire la Faculté en affirmant que le Christ est ressuscité ? Contactée, l’ambassade d’Italie en France se refuse à tout commentaire, indiquant seulement que Silvio Berlusconi accorde toute sa confiance au Signor Pilato, qui n’a jamais failli dans l’exercice de ses missions.

Balle pour tous

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Le 9 février dernier, le maire de Béziers, Raymond Couderc, recevait une enveloppe kraft contenant une lettre d’insultes et une balle de calibre 38. Deux semaines plus tard, Jacques Blanc, Michèle Alliot-Marie, Rachida Dati, Alain Juppé, Christine Albanel, Frédéric Lefebvre, Christian Vanneste et Nicolas Sarkozy recevaient le même pli pas très discret. Jeudi, Christian Vanneste réceptionnait un nouveau courrier et l’Elysée annonçait l’arrivée d’un petit colis contenant deux autres balles… Bref, tout le gratin de l’UMP avait reçu sa lettre de menace. Tous, sauf un : Jean-François Copé !… Or, ce vendredi, c’est Pâques avant l’heure : la ville de Meaux dont il est le maire vient d’annoncer qu’une lettre d’insultes accompagnée d’une balle vient d’être réceptionnée ce matin ! Félicitations à l’heureux élu.

Cachez-nous donc ce bus que nous ne saurions voir

Surtout, regardons ailleurs. La vidéo d’une agression sauvage survenue dans un bus en plein Paris est diffusée sur internet. Scandale. Mais pas à cause de la brutalité et de la gratuité de ce tabassage, ni en raison de l’acharnement des agresseurs et de la terreur des passagers. Ce qui soulève le cœur des belles âmes, ce n’est pas ce qu’on voit, c’est qu’on le voie. Le premier coupable, c’est donc le flic ou l’employé de la RATP qui a pris la lourde responsabilité de faire fuiter ces images à l’extérieur[1. Mutatis mutandis, ça me rappelle la fureur de l’Autorité palestinienne contre les journalistes italiens qui avaient « sorti » les images du lynchage de deux soldats israéliens et les excuses penaudes de la presse italienne de Jérusalem.]. Et le second le site internet qui, rompant avec l’omerta assez largement respectée par les médias, a décidé de porter ces images à la connaissance du public. D’ailleurs, coup de chance : il s’agit de François Desouche, site identitaire ou d’extrême droite, chacun choisira son lexique.

Imaginons une vidéo montrant une lapidation au Pakistan, une exécution sommaire dans une improbable capitale africaine ou le tabassage raciste de prévenus dans un commissariat parisien. Ou encore des brutalités policières contre de pacifiques manifestants altermondialistes. « Les images qui suivent peuvent heurter la sensibilité », murmurerait une présentatrice de JT avec une nuance de gravité dans l’œil. On encenserait ceux qui ont réalisé ces images au péril de leur vie ou de leur carrière pour alerter nos consciences. On rappellerait peut-être la grandeur du plus vieux, pardon du plus beau, métier du monde. On chanterait les vertus d’internet qui nous montre ce qu’on veut nous cacher.

Bien entendu, rien de tel ne s’est passé dans le cas de la « vidéo de surveillance » de la RATP. Sa diffusion par François Desouche suscite d’abord dans les médias respectables un certain malaise ou une fin de non-recevoir. On ne mange pas de ce pain-là. Des journalistes capables d’être les gogos de n’importe quel bobard, se découvrant soudain fort pointilleux sur la qualité de leurs sources documentaires et de leurs sources tout court, examinent le film sous toutes ses coutures. Des déontologues sourcilleux qui recopient sans états d’âme les PV d’instruction ou d’interrogatoire que leur refilent aimablement juges et policiers, froncent les narines. « Qui a intérêt à faire sortir cette histoire ? », se demande-t-on avec des airs entendus. Soucieuse, sans doute, de se montrer médias-friendly, la Préfecture de police saisit l’IGS « pour connaître l’origine de la fuite qui avait permis à cette vidéo, filmée par la caméra de surveillance d’un bus, de sortir sur Internet ». Durant quelques heures, on place même en garde à vue un policier, membre du Service régional de la police des transports. L’intéressé ayant été mis hors de cause, « les investigations se poursuivent donc pour trouver le responsable », promet la PP dans un communiqué. On est soulagé de savoir que tous les moyens sont mobilisés pour retrouver cet odieux délinquant.

L’authenticité du document paraissant indiscutable, les vigilants, retrouvant leurs vieux réflexes, orientent les soupçons sur le messager, le désormais fameux site François Desouche que l’on ne doit citer qu’en se bouchant le nez. Qu’une information ait transité par ce dernier repaire de la bête immonde devrait suffire à la rendre impropre à la consommation – pas cachère si j’ose dire. Les vertueux s’alarment : n’y a-t-il pas là une manipulation politique venu de là où on pense ? Méfiance.

Autant avouer mon crime, il m’arrive de consulter ce site. On y trouve, en plus d’une indigeste propagande, des informations censurées – ou ignorées – ailleurs. Celles-ci sont à l’évidence sélectionnées dans l’unique perspective de démontrer les dangers de l’immigration. Il est vrai que l’apologie de la France multiculturelle est infiniment plus sympathique que la nostalgie d’une France blanche, largement fantasmée au demeurant, qui rassemble les contributeurs de Desouche. Il est clair que nombre d’entre eux flirtent et plus si affinités avec le racisme. On peut ne pas aimer – certains diront qu’on doit. Faut-il aller plus loin encore et se rendre sourd et aveugle à tout ce qui vient d’un si détestable environnement ? Il est assez plaisant de voir les plus pompeux adorateurs du culte de l’Information se comporter comme des propagandistes de bas étage. Le réel nous déplaît, changeons-le. Une vieille rengaine.

Au-delà des modalités de sa diffusion, décrétées douteuses et fermez le ban, il faut croire qu’il y a quelque chose dans cette vidéo qu’on ne veut pas voir. Ces images durant lesquelles on voit trois ou quatre jeunes gens s’acharner sur un autre et le rouer de coup alors qu’il est pratiquement à terre ont de quoi heurter certaines sensibilités – et même toutes les sensibilités. Il n’est pas sûr, cependant, que la retenue des médias dans cette affaire s’explique par le louable souci de ménager la nôtre.

Il faut en effet le proclamer haut et fort, ce film donne une image négative de la réalité. La Halde et tous ses disciples qui somment publicitaires, cinéastes et gens de télévision de s’employer à donner une image positive de tel ou tel groupe injustement traité par l’histoire et la société, devraient d’ailleurs émettre sous peu une protestation bien sentie. Enfin, plutôt que d’image négative, peut-être serait-il plus indiqué de parler d’image non-conforme – un manifestant molesté par la police, c’est aussi une image négative mais elle ne gêne personne.

Ce qui déplaît, dans la scène de l’agression dans l’autobus de nuit, c’est son casting : les agresseurs étaient « issus de l’immigration » et la victime blanche. Bien entendu, ces faits établis ne suffisent aucunement à conclure à l’agression raciste mais ils ne permettent pas non plus de décréter qu’elle n’avait rien de raciste. Imaginons que les agresseurs aient été blancs et la victime noire ou arabe. On aurait sans doute, pour sa plus grande joie d’ailleurs, évoqué le spectre de Le Pen et dénoncé une ratonnade. On aurait peut-être eu raison de le faire – et peut-être pas.

On me dira que le combat contre le racisme vaut bien quelques petits arrangements avec la vérité. Admettons. Aussi bien intentionnée soit-elle, cette tactique de l’aveuglement appliquée avec constance et avec le succès que l’on sait par la gauche dans la lutte contre le Front national, n’a strictement aucune chance de faire reculer le racisme. C’est même tout le contraire. C’est en planquant sous le tapis la délinquance ou le racisme quand les coupables sont des Français noirs ou arabes – au motif inavoué qu’eux-mêmes victimes de racisme –, qu’on jette la suspicion sur tous. Trois petites frappes qui s’acharnent sur un homme à terre ne représentent rien ni personne d’autre que trois petites frappes. Au lieu de détourner les yeux ou de leur tenir le langage de l’angélisme, il serait temps de leur parler le seul qu’ils comprennent, celui de la force. Sans distinction de race ou de religion.

Hadopi : halte aux lois karoutchicides

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On l’a échappé belle : suite au rejet de la loi Hadopi à l’Assemblée, on a appris que Roger Karoutchi avait « pensé démissionner ». C’est ce qu’il explique dans le Monde d’hier soir. Dans une interview à Patrick Roger, le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement détaille les trois raisons qui ont failli le pousser à une telle extrémité, dont on imagine mal comment notre démocratie aurait pu se remettre. Il y a tout d’abord la grosse colère du président. Il y a ensuite l’absentéisme des députés UMP : comme qui dirait, les godillots ont voté avec leurs pieds. Et puis enfin Karoutchi n’a toujours pas digéré l’entourloupe que lui ont jouée les députés socialistes : « C’est, a-t-il commenté, le coup de flibuste monté par le groupe socialiste qui a dévoyé le résultat du vote », avant d’ajouter : « Moi, je voudrais un Parlement qui soit celui des envolées lyriques de Jaurès et de Blum ; on nous livre Les Fourberies de Scapin ! » Si Roger Karoutchi le dit, je veux bien croire que l’œuvre de ce Monsieur Molière n’est qu’une mauvaise farce et que le vaudeville avec camouflage des troupes orchestré par Patrick Bloche est passible de la Haute Cour. Mais c’est quand même assez délicieux que Roger Karoutchi reproche aux députés PS d’être tous soudainement, au moment du vote, sortis du placard…

La barbarie à visage urbain

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Désolée, je ne sais toujours pas avec certitude si l’agression du bus de nuit parisien était ou non raciste. Et en plus je me demande si cela a tant d’importance. Dans cette affaire, le racisme, réel ou pas, est peut-être un point de détail. Si la victime avait été « issue de la diversité », les images auraient été tout aussi révoltantes.

La pénible scène filmée par une caméra de vidéosurveillance évoque ce qu’on appelle communément la barbarie. Nous voilà contraints de regarder en face la société que nous avons créée. L’épisode pourrait susciter un débat. Ces agresseurs qui paraissent dépourvus de tout surmoi susceptible de leur fixer une limite, le sentiment d’impunité qu’ils semblent éprouver, devraient provoquer un réflexe d’autodéfense collective. Au lieu de quoi, après quelques jours de polémique sur l’origine de la « fuite nauséabonde » (formule employée dans un texte défilant par LCI), la seule question qui vaut est désormais : raciste ou pas raciste ? Et quand je dis question, c’est une façon de parler. En réalité, c’est un concours de certitudes que chacun jette à la tête de l’autre, et l’autre, en l’espèce, est forcément un salaud ou un nigaud – un crypto-lepéniste attaché à la défense d’une fantasmatique race blanche, ou un fieffé angélique prêt à rallier le parti de l’anti-France. Ayant commis le crime de douter, j’ai reçu une double volée de bois vert.

Je vais aggraver mon cas. Je persiste à penser que l’agression du « noctilien » était peut-être raciste et peut-être pas, ou plutôt que dans le cocktail de passions déplaisantes qui animaient les agresseurs le racisme entrait pour une proportion indéterminée – et d’ailleurs indéterminable. L’injure « Français de merde » prononcée par l’un des agresseurs (que je n’avais pas entendue lorsque j’ai écrit mon premier texte) ne suffit pas à prouver le caractère essentiellement raciste de l’agression. J’entends d’ici les hauts cris – que vous faut-il de plus ? En ce domaine, l’expérience devrait pourtant apprendre à chacun à se méfier des évidences. Un juif à kipa peut se faire casser la gueule sans que l’antisémitisme y soit pour quoi que ce soit ou sans qu’il soit le premier mobile. Et quiconque a déjà mis les pieds dans une cité sait que l’injure raciale est pratiquée tous azimuts y compris entre personnes de même origine.

En regardant les images prises dans l’autobus, même avec le son, j’ai eu l’impression que la rage aveugle des petites brutes aurait très bien pu s’abattre sur un Arabe ou sur un Noir et qu’ils auraient pu tout autant le traiter de « sale nègre » ou d’ »Arabe de merde ». Mais en même temps, je ne saurais exclure que la haine du blanc ait réellement joué dans le choix de la victime. La vérité, c’est que personne n’en sait rien. Peut-être le procès des coupables permettra-t-il à chacun de se faire une opinion.

En attendant, chacun joue donc sa partition, les uns pour mettre en avant l’acte raciste, les autres pour planquer sous le tapis toute connotation raciste. Pour les premiers, la France dans son ensemble est désignée comme coupable de racisme envers sa minorité arabo-musulmane. La scène du bus rappelle que les blancs n’ont pas l’exclusivité de la beaufitude raciste – mais se trouve-t-il encore des gens de bonne foi pour en douter ? Quant aux autres, ils ont une fois pour toutes figé les rôles, celui du salaud étant forcément joué par le « céfran » – également dit « Français de souche », bien que sa souche soit aussi peu identifiable que celle de pas mal de ses concitoyens plus basanés. Pour ceux-là, si d’aventure un Français d’origine étrangère se montre coupable de racisme, c’est parce qu’il en a été victime lui-même (on pourrait appliquer ce raisonnement aux pédophiles qui ont généralement été des enfants abusés mais passons). Dans ce registre, le jeune homme agressé dans le bus est exemplaire. Il ne veut pas, a-t-il déclaré au Figaro, être instrumentalisé. En somme, pour lui aussi, le plus grave n’est pas de s’être fait tabasser mais ce qu’on pourrait en penser. Dans La Journée de la jupe, le négociateur envoie sur les roses un prof qui tente de convaincre ses élèves de bien se tenir en invoquant le Coran et qui, après avoir été un peu bousculé par ceux-ci, se montre encore plus compréhensif. « Après tout, si ça vous plait de vous faire taper dessus, libre à vous », dit en substance le flic. C’est ce qu’on a d’abord envie de répondre à cet étudiant visiblement doté d’une belle âme. Si ces agresseurs ont proféré des injures raciales c’est, a-t-il expliqué, parce qu’ils étaient « drogués ou ivres ». S’il lui plait de comprendre et même de tendre la joue gauche, grand bien lui fasse. Seulement, il n’est pas le seul concerné. Quand on le tabasse dans un autobus, c’est aussi moi qu’on agresse. Et le jour où un Tribunal jugera les coupables, c’est en notre nom à tous qu’il rendra sa sentence. Pour être honnête, je n’aimerais pas que les juges se montrent aussi compréhensifs que la victime. Souhaitons en tout cas au jeune homme qui manie si brillamment la grammaire du science-politiquement correct de surmonter le deuxième traumatisme – celui de la diffusion et de l’instrumentalisation – comme il a surmonté le premier.

Reste une énigme qui me paraît diablement plus intéressante que celle du caractère raciste ou non de l’agression du bus. Pourquoi cette question suscite-t-elle passions et invectives au point d’occulter toute autre discussion ? Pourquoi est-il si crucial de faire reconnaître ou de récuser la dimension raciste ? Il faut croire qu’il y a là un enjeu identitaire, et pas seulement pour ceux qui ont fait de cet adjectif leur nom de famille. Qu’on me pardonne cette lapalissade mais une identité, tout le monde en a une, et pas seulement à l’extrême droite. L’obsession du racisme est aussi une obsession de la « race », c’est-à-dire de l’appartenance.

Cette obsession n’est pas seulement étrange, elle est gênante. Au risque de saturer le fil de commentaires sur ma supposée propension à la « haine de soi », j’avouerai que je n’entends jamais sans malaise des responsables juifs « revendiquer » le caractère antisémite d’un acte dès que celui-ci est connu. Et j’ai ressenti le même malaise lorsque BHL s’est rendu au Tribunal de Lyon pour affirmer que le meurtre d’Oullins (dans lequel la victime était arabe) était raciste. À ma connaissance, BHL n’a pas été témoin de ce meurtre. Je ne sais pas par ailleurs si l’antisémitisme a compté pour un tiers ou un quart ou 100% dans les motivations de Fofana et de sa bande de criminels abrutis, mais je sais qu’à force de se focaliser sur cette question, on a accrédité l’idée qu’Ilan Halimi était le mort des juifs.

Pour la loi, le racisme et l’antisémitisme sont des circonstances aggravantes. Mais dans les faits ? En supposant que les agresseurs du bus, « drogués et ivres », n’aient même pas vu que leur victime était blanche, cela rend-il leur comportement plus acceptable ? Le calvaire d’Ilan Halimi eût-il été moins effroyable s’il avait été breton ou noir – ou les deux ?

Sur ce sujet, en tout cas, je réclame le droit à la nuance et à l’indétermination – je sais c’est beaucoup demander. Je ne méconnais pas les ravages de la bêtise et des préjugés racistes ni la nécessité de les combattre. Mais je n’aimerais pas vivre dans un monde où chacun, brandissant comme un trophée le racisme dont est victime sa propre « communauté », finirait par être sourd à celui qui s’abat sur les autres. Je crois que des salopards capables de torturer un juif sont tout aussi capables de torturer un Arabe ou un Asiatique.

Bref, il ne faudrait pas que l’obsession du racisme nous fasse oublier que rien de ce qui est inhumain ne nous est étranger.

Malthus II, le retour

83

Ce matin en lisant Marianne2, j’ai cru tomber de ma chaise. Il a osé ! Monsieur Cochet recycle les vieilles idées du bon pasteur Malthus qui voyait déjà, à la fin du XVIIIe siècle, le salut dans la restriction démographique. Ainsi, il s’agirait de supprimer les aides aux familles à partir du troisième enfant, tant le bébé est pollueur[1. Puisque d’après lui, un enfant européen aurait « un coût écologique comparable à 620 trajets Paris-New York », les « aides » devraient « (diminuer) sensiblement à partir du troisième » nouveau-né !].

Donc, quand on fait un gosse, on est un affreux pollueur car on fabrique un pollueur de plus. Après avoir prôné la fin des industries et de la voiture, Cochet va jusqu’au bout de sa logique et jette le bébé avec l’eau du bain. Jamais l’expression n’a été aussi à propos. Qu’importe si le Japon et l’Allemagne, qui ont des sociétés beaucoup plus vieillissantes et moins fécondes que la nôtre, détiennent un bilan carbone beaucoup moins flatteur[2. Sans doute, en partie, à cause de la politique anti-nucléaire encouragée par les amis Grünnen de Monsieur Cochet.]. Qu’importe si la Chine figure aujourd’hui au premier rang des pollueurs de la planète alors qu’elle a mis en place une politique de l’enfant unique depuis des décennies.

Changement de stratégie : les écolos ne nous font plus le coup de « La Terre qu’on emprunte à ses enfants ». Il ne faut plus d’enfants. Plus de bébés. Monsieur Cochet propose d’en passer par la suppression des allocs. Il ne propose pas encore des grandes campagnes de stérilisation, ni la politique de l’enfant unique à la sauce chinoise.

Mais si tout cela ne suffisait pas, nul doute que cet ayatollah n’hésiterait pas à franchir le Rubicon. Qui ne voit pourtant que l’argument de préserver la planète pour ses enfants fut, de loin, le meilleur argument pour changer certains comportements ? Pas Monsieur Cochet ! Lui préfère une société de vieux rentiers dans un pays sans industrie ; des vieux sans enfant qui n’auraient même pas de voiture électrique et qui tourneraient en rond sur leurs vélos en attendant que la mort arrive ; une espèce humaine en voie de disparition.

Nous concèderait-il le droit de réintroduire l’Humain dans certaines contrées, l’Italie du Nord ou la Ruhr, comme on le fait aujourd’hui pour l’ours ou le loup ? Certainement pas ! L’être humain, lui, est vraiment nuisible.

Je n’ai pas l’habitude de prononcer des noms d’oiseaux ici mais là, c’en est trop : mon troisième enfant, j’en ai d’autant plus envie. Pour ne pas avoir une société de vieux cons. De vieux cons comme Cochet.

Rien dans les poches, tout dans le slip

8

On a enfin compris pourquoi la Réserve fédérale américaine n’avait pas vu venir la crise : son patron, Alan Greenspan, était occupé à mater le slip de ses concitoyens ! Tout s’éclaire. Slip, boxer, shorty, caleçon, string ou kangourou de grand-pa’ : Alan Greenspan n’était pas spécialiste de politique monétaire, comme certains s’étaient laissés prendre à le croire, mais chef du rayon lingerie au Wallmart de la 6e Avenue. The Huffington Post nous apprend, en effet, que l’ancien patron de la Fed tenait pour un indice économique sérieux les ventes de slips masculins aux Etats-Unis ! Selon lui, les hommes achèteraient moins de sous-vêtements par temps de crise, se résignant plus facilement que les femmes à porter leurs anciennes petites culottes plutôt que de claquer leur argent dans de nouvelles. Donc, si les marchés ont le moral dans les chaussettes, c’est que les consommateurs américains ne changent pas assez de slip. L’ancien gourou de la finance mondiale avait le tendanciel tendancieux.

Vers Vatican III ?

35

On pensait qu’avec la mort de Jean-Paul II, pape cathodique autant que catholique, le Vatican et le destin de l’Eglise catholique apostolique et romaine ne feraient plus les gros titres que de La Croix ou de Radio Notre-Dame. Eh bien on s’est trompé. Mais depuis l’élection de Benoît XVI, la fascination pour le pape s’est muée en méfiance et souvent en défiance. Ce retournement de l’opinion, catholique mais pas seulement, révèle un énorme malentendu : depuis Jean XXIII et le concile Vatican II – et surtout depuis qu’un prélat polonais a été élu au siège de saint Pierre – beaucoup avaient rangé le pape dans le camp des droits de l’homme et s’étaient persuadés que l’Eglise catholique s’était convertie à la religion du Progrès.

Les dernières controverses au sujet de l’évêque négationniste et surtout autour de la question du sida et des préservatifs montrent que ce malentendu repose, en particulier en France, sur une méconnaissance totale de la mission de l’Eglise. Vu de Rome, le combat à mener se trouve en Amérique du Sud, et notamment au Brésil, premier pays catholique du monde avec 125 millions de fidèles. Or, la proportion d’habitants se définissant comme catholiques y est passée de 89 % en 1980 à 74 % en 2000. Dans le même temps, le nombre de Brésiliens se réclamant de l’Eglise évangélique s’est envolé de 7 % à 15 %. Au-delà du Brésil, la « part de marché » des Eglises protestantes s’élève à environ 20 % au Chili et à presque 30 % au Guatemala. En Argentine, 10 % environ de la population revendique son appartenance au mouvement évangélique. En conséquence, les divisions du Vatican qui pouvaient mobiliser 85 % des 350 millions de latino-américains en 2000, ne représentent plus que 70 % de la population.

Les raisons de l’engouement pour les Eglises évangéliques (qui, bien que protestantes n’ont pas grand-chose à voir avec la sévérité calviniste) sont connues : elles proposent une religion pleine d’émotion reposant sur un fort sentiment d’appartenance à une communauté plutôt que sur un dogme ou un contenu intellectuel sophistiqué. Elles parviennent ainsi à séduire des populations laminées par l’éclatement des sociétés sous les coups des crises politiques, économiques et sociales répétées. Le plus frappant est que leur expansion fulgurante n’est nullement entravée – et peut-être même encouragée – par leur conservatisme en matière sociale et morale. Cela n’a pas échappé aux stratèges de Rome.

En Amérique latine, les Eglises évangéliques ont su séduire à la fois les pauvres et les classes moyennes bien mieux que n’avait su le faire « la théologie de la libération », dont les thuriféraires des années 1960 entendaient capter l’enthousiasme populaire suscité par la figure de Che Guevara et l’idée de la Révolution. Dans les années qui ont suivi Vatican II, Rome a même manifesté une certaine bienveillance à l’égard de ces expérimentations, même si une décennie auparavant le mouvement autrement ambitieux des prêtres-ouvriers avait été supprimé par Pie XII, marquant ainsi les limites de la tolérance du Saint-Siège.

Depuis, l’écroulement des régimes socialistes a fait presque disparaître toute initiative catho-marxiste. Aujourd’hui, pour l’Eglise, le danger ne vient pas de la gauche révolutionnaire mais des Eglises évangéliques.

Le personnage de Mgr Claudio Hummes, cardinal d’origine brésilienne, est symptomatique de cette évolution. Prêtre d’une paroisse de la banlieue ouvrière de São Paulo dans les années 1970, il s’était fait connaître par des prises de position hardies, notamment par son soutien à un jeune militant syndicaliste, Luiz Inacio Lula da Silva, l’autorisant même à prononcer des discours dans son église.

Quelque trente ans plus tard, en 2000, on entend de nouveau parler du prélat, promu depuis archevêque de São Paulo par Jean-Paul II. Mais les temps ont changé. Valeriano Paitoni va en faire l’amère expérience. Curé d’Imirim, une paroisse pauvre du nord de Sao Paulo, il a fondé, avec l’aide financière de ses ouailles, trois centres d’hébergement qui accueillent alors 33 séropositifs et malades du sida, dont 22 enfants. Indigné par les tests de dépistage secrètement exigés, selon lui, des candidats au sacerdoce par certains séminaires brésiliens, il a, pour couronner le tout, pris l’habitude de distribuer des préservatifs à ses paroissiens les plus démunis. Mgr Hummes, son supérieur hiérarchique, condamne aussitôt, avec l’aval de l’archevêque de Rio et « en communion avec le Pape et l’Eglise » les idées défendues par le père Valeriano. L’année suivante, Mgr Hummes critique un ministre brésilien qui avait renforcé le plan national d’éducation à la contraception. Fin 2006, Benoît XVI le rappelle à Rome et le nomme préfet de la Congrégation pour le Clergé, chargée notamment de la formation du clergé et de celle des fidèles (catéchisme).

Dans ces conditions et contrairement à ce que j’ai écrit, les choix de Benoît XVI sont peut-être dictés par la tactique politique autant que par la rigueur théologique. Il sait que l’avenir de sa multinationale ne se joue ni sur les rives du Tibre ni sur celles de la Seine mais en Amérique du sud, en Afrique et en Asie face aux nouvelles Eglises. Cette évolution semble avoir été bien comprise à la fois par les chefs de l’Église catholique et par certains croyants, comme on peut le constater par l’essor des charismatiques, sorte de « pentecôtisme catholique » agrémenté d’un fervent culte marial.

Rome peut regagner du terrain en s’appuyant sur ces mouvements mais continue à leur vouer une certaine méfiance. Sa stratégie s’appuie d’une part sur une défense de la morale sexuelle traditionnelle (contre le divorce, la contraception, l’avortement et l’éducation sexuelle à l’école), d’autre part sur celle des privilèges du catholicisme face à la concurrence évangélique. Les prises de position de Benoît XVI sur la contraception et l’avortement ne visent pas à lui gagner la sympathie, de toute façon temporaire, d’intellectuels mécréants, de faiseurs d’opinion parisiens ni même celle des évêques de France. Il a entendu le message venu d’ailleurs : ce que veulent les chrétiens d’Amérique latine, les participants des JMJ et les charismatiques, ce n’est pas une Réforme bis. C’est une Contre Réforme.

Le centrisme et la peinture en deuil

11

René Monory est mort, à l’âge de 86 ans, ce samedi 11 avril. Ce génial touche-à-tout de la vie politique française ne s’est pas contenté d’avoir été garagiste et ministre de l’Education nationale, gourou de Raffarin et président du Sénat, maire de Loudun, ville par laquelle il fut littéralement possédé et créateur du Futuroscope, faux parc de loisirs sur les nouvelles technologie mais vraie ambassade pour les extra-terrestres. René Monory, en effet, a aussi consacré sa vie à la peinture et a été le chef de file secret du courant de la Figuration Narrative. Les amateurs seuls savaient que derrière la bonhomie de ce centriste old school se cachait un artiste dont les toiles bleues et glacées représentent toute l’inhumanité de notre monde à travers des scènes de meurtres, de fusillade ou de femmes nues fumant dans des décors urbains déserts. Il serait heureux, en cette triste occasion, que le Sénat organise une rétrospective René Monory pour honorer le violon d’Ingres d’un de ses plus illustres représentants.

Pétain chez les maos

25

Avoir vingt ans en 1973. La lose. La Révolution, la Grande, la Seule, la Vraie, est passée depuis six ans déjà. De Gaulle repose à Colombey. On ne court plus les rues en criant des slogans impossibles, ils ont tous été dits et proférés. A peine ose-t-on battre le pavé parisien pour scander de timides « Pompidou, des sous ! »

C’est le drame de Jean-Marie Laclavetine, qui publie Nous voilà chez Gallimard, maison où il sévit tantôt comme éditeur, tantôt comme écrivain. Il serait né trois ans plus tôt qu’il aurait été en âge de la faire, cette Révolution. Et, quarante ans après, il nous aurait barbés à sortir un fort volume relatant ses souvenirs et ses exploits, à l’instar de tous les anciens soixante-huitards qui, dans un ultime sursaut, se sont mis en tête l’an passé de porter un coup fatal à l’édition française en publiant leurs Mémoires.

Ne sont-elles pas drôles, ces années 1970 ? On est sexuellement libéré, donc on baise. On fait tourner pétards, sticks et buvards. On se larzacquise, on se maoïse, on s’occidentaliste athlétiquement. On se donne l’impression d’être ensemble, mais on ne forme plus déjà qu’une communauté désœuvrée : le nous, celui de la révolution et du romantisme politique, s’est déjà délité.

En publiant Nous voilà, Jean-Marie Laclavetine sait faire plaisir aux lecteurs pressés et aux critiques qui se gardent bien de fréquenter la littérature en dehors de la lecture assidue des quatrièmes de couverture : tout est dans le titre. Deux mots, Nous voilà, que les nostalgiques de la francisque trouveront agréables à leurs oreilles, puisqu’ils leur rappelleront le refrain de Maréchal, nous voilà, chanson écrite en 1941 sur la musique de La Fleur au guidon qui faisait partie en 1937 du répertoire de Fredo Gardoni, inoubliable chanteur de la caravane du Tour de France. Ils n’auront pas tort, car Laclavetine nous raconte une histoire – peut-être n’est-elle qu’un prétexte –, celle de la promenade posthume du maréchal Pétain, dont il fait naviguer clandestinement le cercueil trente ans durant.

Le 20 février 1973 tombe, en effet, l’incroyable nouvelle : le cercueil du maréchal Pétain a disparu de sa sépulture. La police enquête et suit la trace des auteurs de cet enlèvement, avant de retrouver le cercueil baladeur dans un garage de la banlieue parisienne. On est bien peu de choses. La bière rejoint aussitôt son caveau de l’île d’Yeu. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Rebondissement et sens du rocambolesque : Pétain se prend à fréquenter post mortem l’intelligentsia trotskyste et maoïste parisienne. La France moisie et l’anti-France enfin réunie inconsciemment autour d’une bière : c’est Philippe Sollers qui devrait être content.

Qu’on y prenne garde : Nous voilà n’est pas Nous voici. La langue française a quelques subtilités : dans Nous voilà, le nous est déjà loin. Il est parti se promener au large du moi, de l’égo et du je. Lorsque le sentiment collectif – qu’il soit procuré par le parti, la nation ou l’humanité – s’absente, toute grande entreprise est impossible : la révolution, nationale ou prolétarienne, prend des airs d’opérette.

Jean-Marie Laclavetine aurait pu – il ne l’a pas fait ou si peu – écrire un roman à clef. Et l’on aurait poliment gloussé en contemplant la carrière des ex-leaders de 1968, libertaires autrefois, libéraux aujourd’hui. On aurait plaisanté sur Henri Weber, passé de la LCR à un mariage très show-bizz au Cirque d’Hiver[1. On se souviendra que l’inénarrable Gérard Miller (starlette du petit écran) disait que ceux qui n’étaient pas invités à cette fête n’existaient pas socialement.]. On aurait décelé chez l’un ou l’autre personnage une inclination particulière à trahir ses idéaux et à ne maintenir avec constance que son infidélité. Mais Nous voilà échappe à ces contingences-là, pour aller à l’essentiel : la fin du politique, c’est-à-dire l’histoire d’une communauté qui, en trente ans, est devenue, à droite comme à gauche, non seulement désœuvrée mais aussi inavouable.

Une épopée contemporaine ? Oui. Le roman de Laclavetine a tout de l’épopée classique, long poème qui embrasse tout un peuple pour célébrer ses exploits historiques ou mythiques, comme on le dit chez Mme de Romilly. Sauf que les exploits historiques depuis 1970, faut les chercher. Toute épopée est désormais navrante. Tolstoï est inaccessible. Les personnages réels empruntent plus au général Boum, celui de la Grande Duchesse de Geroldstein, qu’au maréchal Koutouzov, le héros de Guerre et Paix. Il ne reste plus rien d’autre qu’un ennui si profond qu’il ne tue plus personne. Lorsque les grands chemins de l’histoire sont désertés, restent les petits chemins et la littérature : « J’ai peur de la rencontre avec le passé qui revient : le petit chemin des années perdues, envahi, d’herbes et de poussière, enfoui sous les ronces, où était-ce déjà, vers quoi menait-il, ce caminito, il y avait des chants, on riait, je crois me souvenir qu’on s’aimait, que s’est-il passé ? »

Nous voilà

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Benoît XVI est incorrigible

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Les prises de position de l’Eglise catholique ont défrayé la chronique au cours des dernières semaines. Au lieu de se refaire une santé médiatique et de partir en quête de buzz plus favorables, le pape Benoît XVI s’apprêterait, selon des sources bien informées, à récidiver dès ce soir en se livrant à de nouvelles déclarations fracassantes. Bon nombre de rédactions sont sur le qui-vive, et les papiers sont déjà sur le marbre. Cette fois, c’est la bonne : si le pape Ratzinger persiste, il est viré ! Osera-t-il donc contredire la Faculté en affirmant que le Christ est ressuscité ? Contactée, l’ambassade d’Italie en France se refuse à tout commentaire, indiquant seulement que Silvio Berlusconi accorde toute sa confiance au Signor Pilato, qui n’a jamais failli dans l’exercice de ses missions.

Balle pour tous

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Le 9 février dernier, le maire de Béziers, Raymond Couderc, recevait une enveloppe kraft contenant une lettre d’insultes et une balle de calibre 38. Deux semaines plus tard, Jacques Blanc, Michèle Alliot-Marie, Rachida Dati, Alain Juppé, Christine Albanel, Frédéric Lefebvre, Christian Vanneste et Nicolas Sarkozy recevaient le même pli pas très discret. Jeudi, Christian Vanneste réceptionnait un nouveau courrier et l’Elysée annonçait l’arrivée d’un petit colis contenant deux autres balles… Bref, tout le gratin de l’UMP avait reçu sa lettre de menace. Tous, sauf un : Jean-François Copé !… Or, ce vendredi, c’est Pâques avant l’heure : la ville de Meaux dont il est le maire vient d’annoncer qu’une lettre d’insultes accompagnée d’une balle vient d’être réceptionnée ce matin ! Félicitations à l’heureux élu.

Cachez-nous donc ce bus que nous ne saurions voir

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Surtout, regardons ailleurs. La vidéo d’une agression sauvage survenue dans un bus en plein Paris est diffusée sur internet. Scandale. Mais pas à cause de la brutalité et de la gratuité de ce tabassage, ni en raison de l’acharnement des agresseurs et de la terreur des passagers. Ce qui soulève le cœur des belles âmes, ce n’est pas ce qu’on voit, c’est qu’on le voie. Le premier coupable, c’est donc le flic ou l’employé de la RATP qui a pris la lourde responsabilité de faire fuiter ces images à l’extérieur[1. Mutatis mutandis, ça me rappelle la fureur de l’Autorité palestinienne contre les journalistes italiens qui avaient « sorti » les images du lynchage de deux soldats israéliens et les excuses penaudes de la presse italienne de Jérusalem.]. Et le second le site internet qui, rompant avec l’omerta assez largement respectée par les médias, a décidé de porter ces images à la connaissance du public. D’ailleurs, coup de chance : il s’agit de François Desouche, site identitaire ou d’extrême droite, chacun choisira son lexique.

Imaginons une vidéo montrant une lapidation au Pakistan, une exécution sommaire dans une improbable capitale africaine ou le tabassage raciste de prévenus dans un commissariat parisien. Ou encore des brutalités policières contre de pacifiques manifestants altermondialistes. « Les images qui suivent peuvent heurter la sensibilité », murmurerait une présentatrice de JT avec une nuance de gravité dans l’œil. On encenserait ceux qui ont réalisé ces images au péril de leur vie ou de leur carrière pour alerter nos consciences. On rappellerait peut-être la grandeur du plus vieux, pardon du plus beau, métier du monde. On chanterait les vertus d’internet qui nous montre ce qu’on veut nous cacher.

Bien entendu, rien de tel ne s’est passé dans le cas de la « vidéo de surveillance » de la RATP. Sa diffusion par François Desouche suscite d’abord dans les médias respectables un certain malaise ou une fin de non-recevoir. On ne mange pas de ce pain-là. Des journalistes capables d’être les gogos de n’importe quel bobard, se découvrant soudain fort pointilleux sur la qualité de leurs sources documentaires et de leurs sources tout court, examinent le film sous toutes ses coutures. Des déontologues sourcilleux qui recopient sans états d’âme les PV d’instruction ou d’interrogatoire que leur refilent aimablement juges et policiers, froncent les narines. « Qui a intérêt à faire sortir cette histoire ? », se demande-t-on avec des airs entendus. Soucieuse, sans doute, de se montrer médias-friendly, la Préfecture de police saisit l’IGS « pour connaître l’origine de la fuite qui avait permis à cette vidéo, filmée par la caméra de surveillance d’un bus, de sortir sur Internet ». Durant quelques heures, on place même en garde à vue un policier, membre du Service régional de la police des transports. L’intéressé ayant été mis hors de cause, « les investigations se poursuivent donc pour trouver le responsable », promet la PP dans un communiqué. On est soulagé de savoir que tous les moyens sont mobilisés pour retrouver cet odieux délinquant.

L’authenticité du document paraissant indiscutable, les vigilants, retrouvant leurs vieux réflexes, orientent les soupçons sur le messager, le désormais fameux site François Desouche que l’on ne doit citer qu’en se bouchant le nez. Qu’une information ait transité par ce dernier repaire de la bête immonde devrait suffire à la rendre impropre à la consommation – pas cachère si j’ose dire. Les vertueux s’alarment : n’y a-t-il pas là une manipulation politique venu de là où on pense ? Méfiance.

Autant avouer mon crime, il m’arrive de consulter ce site. On y trouve, en plus d’une indigeste propagande, des informations censurées – ou ignorées – ailleurs. Celles-ci sont à l’évidence sélectionnées dans l’unique perspective de démontrer les dangers de l’immigration. Il est vrai que l’apologie de la France multiculturelle est infiniment plus sympathique que la nostalgie d’une France blanche, largement fantasmée au demeurant, qui rassemble les contributeurs de Desouche. Il est clair que nombre d’entre eux flirtent et plus si affinités avec le racisme. On peut ne pas aimer – certains diront qu’on doit. Faut-il aller plus loin encore et se rendre sourd et aveugle à tout ce qui vient d’un si détestable environnement ? Il est assez plaisant de voir les plus pompeux adorateurs du culte de l’Information se comporter comme des propagandistes de bas étage. Le réel nous déplaît, changeons-le. Une vieille rengaine.

Au-delà des modalités de sa diffusion, décrétées douteuses et fermez le ban, il faut croire qu’il y a quelque chose dans cette vidéo qu’on ne veut pas voir. Ces images durant lesquelles on voit trois ou quatre jeunes gens s’acharner sur un autre et le rouer de coup alors qu’il est pratiquement à terre ont de quoi heurter certaines sensibilités – et même toutes les sensibilités. Il n’est pas sûr, cependant, que la retenue des médias dans cette affaire s’explique par le louable souci de ménager la nôtre.

Il faut en effet le proclamer haut et fort, ce film donne une image négative de la réalité. La Halde et tous ses disciples qui somment publicitaires, cinéastes et gens de télévision de s’employer à donner une image positive de tel ou tel groupe injustement traité par l’histoire et la société, devraient d’ailleurs émettre sous peu une protestation bien sentie. Enfin, plutôt que d’image négative, peut-être serait-il plus indiqué de parler d’image non-conforme – un manifestant molesté par la police, c’est aussi une image négative mais elle ne gêne personne.

Ce qui déplaît, dans la scène de l’agression dans l’autobus de nuit, c’est son casting : les agresseurs étaient « issus de l’immigration » et la victime blanche. Bien entendu, ces faits établis ne suffisent aucunement à conclure à l’agression raciste mais ils ne permettent pas non plus de décréter qu’elle n’avait rien de raciste. Imaginons que les agresseurs aient été blancs et la victime noire ou arabe. On aurait sans doute, pour sa plus grande joie d’ailleurs, évoqué le spectre de Le Pen et dénoncé une ratonnade. On aurait peut-être eu raison de le faire – et peut-être pas.

On me dira que le combat contre le racisme vaut bien quelques petits arrangements avec la vérité. Admettons. Aussi bien intentionnée soit-elle, cette tactique de l’aveuglement appliquée avec constance et avec le succès que l’on sait par la gauche dans la lutte contre le Front national, n’a strictement aucune chance de faire reculer le racisme. C’est même tout le contraire. C’est en planquant sous le tapis la délinquance ou le racisme quand les coupables sont des Français noirs ou arabes – au motif inavoué qu’eux-mêmes victimes de racisme –, qu’on jette la suspicion sur tous. Trois petites frappes qui s’acharnent sur un homme à terre ne représentent rien ni personne d’autre que trois petites frappes. Au lieu de détourner les yeux ou de leur tenir le langage de l’angélisme, il serait temps de leur parler le seul qu’ils comprennent, celui de la force. Sans distinction de race ou de religion.