Le 21 avril 2002, le coup de tonnerre, le tremblement de terre éclatait dans le ciel de la Ve république. M. Jean-Marie Le Pen accédait au second tour de l’élection présidentielle. Elu de justesse par 50,07 % malgré les manifestations d’une jeunesse manipulée, le président Le Pen mit en route une vigoureuse politique anti-immigrationniste en créant un ministère de l’Identité nationale, confié à Carl Lang. Il pratiqua également une politique d’ouverture assez inédite auprès de la société civile (Alain Soral, Fadela Amara) et de la gauche (Bernard Kouchner, Manuel Valls). C’est sans problème qu’il devait battre au second tour de 2007 le leader du NPA, Olivier Besancenot par 82 % des voix.
Chirac en mauvaise posture dans les sondages
La rédaction de Causeur n’a pas mis cinq secondes à réfléchir avant de prendre ses responsabilités. L’essentiel est aujourd’hui en jeu : la liberté d’expression, la démocratie, les droits de l’homme, les oiseaux qui gazouillent au printemps, le ciel bleu, le soleil chaud de l’été sur la peau dorée d’une belle femme, une gorgée d’eau fraiche en haut du Ventoux, le sourire des enfants et les souvenirs des vieillards. En ce 21 avril, Causeur appelle solennellement tous ses lecteurs à voter Jacques Chirac au second tour de l’élection présidentielle. Quelle que soit la mauvaise ou très mauvaise opinion que vous ayez de lui, il reste notre dernier rempart contre les vieux démons qui ne demandent qu’à être réveillés pour peu qu’on les chatouille.
La France pénitente
Les Français sont vilains. L’opinion internationale s’en était déjà aperçue, en 2007, lorsque, à la surprise générale, ils avaient accordé leurs suffrages à un tyran plutôt qu’à la femme politique la plus exceptionnelle de leur temps.
Dans dix ou vingt siècles, tous les historiens s’accorderont sur une chose : il y eut, dans toute l’histoire française, deux femmes vraiment géniales, Jeanne d’Arc et Ségolène Royal (il y a eu aussi, en vérité, Coco Chanel et Roselyne Bachelot, mais pour d’autres raisons). Les deux étaient lorraines. Les deux ne firent pas une carrière époustouflante. Les deux avaient une conception de leur mission assez incompréhensible aux yeux du vulgum pecus.
Un peu d’histoire de France pour les ignorants. C’est en 1428 que Ségolène Royal quitte la maison familiale, une maison humble de paysans lorrains avec tas de fumier devant la porte, se rend à pied chez le sieur Pierre Bergé et demande à iceluy de lui fournir bravitude, estoc et espèces trébuchantes, afin de bouter l’Anglois hors de France. Elle libère le Poitou et la Charente au cri de « La France présidente », suivie par Pierre Bergé qui, en chemin, se lie d’amitié avec Gilles de Rais – ce dernier passera à la postérité sous le pseudonyme de Dominique Besnehard. Mais la Lorraine est vite trahie par l’évêque Besson qui fout le feu à ses robes d’une façon encore plus expéditive que la justice chinoise.
Libérée de son enveloppe charnelle et accédant aux réalités suprasensibles (comme on dit chez Raël), elle intercède alors pour la France et le salut des Français. En attestent les nombreuses pièces de son procès en canonisation entamé dès 1481.
En 1515, elle demande pardon aux Suisses pour la défaite que leur a infligée François Ier à Marignan. En 1610, elle présente au nom d’Henri IV ses excuses à la famille Ravaillac pour avoir aussi cruellement traité l’un des siens. On la retrouve en 1793 demander pardon aux Bourbon au nom du Comité de Salut public pour avoir coupé la tête de Louis XVI, tandis que 1804 la voit s’excuser au nom de Napoléon de la promulgation du Code civil auprès de populations de serfs jusque-là si heureux du droit coutumier – pour les moches, le cuissage seigneurial n’est pas une broutille. 1885 n’est pas sa plus piètre année : elle bat sa coulpe face au virus de la rage si injustement maltraité par Pasteur, tandis qu’elle présente ses excuses aux descendants de Napoléon III pour les écrits assez mauvais de Victor Hugo à l’endroit de leur impérial aïeul.
On la retrouve en 1922 à Gambais demandant à Landru le pardon pour les innombrables torts que lui causa le sexe faible. En 1941, on la croise du côté de Montoire, en train de réclamer l’indulgence du chancelier Hitler pour les mains moites du maréchal Pétain. Et il faut attendre 1946 pour la voir implorer la mansuétude du docteur Petiot : oui, les valises Delsey brûlent mal.
Quoi d’étrange à cela ? C’est elle qui, chaque Semaine Sainte, parcourt les rues de Séville et se flagelle pour réclamer la rémission des péchés et le pardon des fautes humaines. Comédienne et martyre au long des vastes âges, Ségolène Royal a du métier.
Dans les contrées reculées du 7e arrondissement, emplies de fantômes du temps passé et de superstitions d’un autre âge, il se raconte que la Dame Blanche apparaît les soirs de pleine lune aux désespérés de la rue de Solférino. Son cri est terrible, son linceul immaculé. La semaine dernière, Martine Aubry a convoqué l’abbé de La Morandais afin qu’il accomplisse un exorcisme. Il a refusé : « Moi, je fais dans le people, pas dans les fantômes politiques. »
Il n’y a pas plus de trois semaines, j’avais préparé un coq au riesling à Willy, mon mari. Je ne sais pas ce qui s’est passé ; peut-être avais-je un peu plus arrosé mon gosier que le gallinacée, mais la bête brûla dans le four. On sonna à la porte. C’était Ségolène Royal qui débarquait, les bras pleins de victuailles achetées chez le traiteur italien : elle demanda pardon en mon nom à Willy, mit le couvert et fit la vaisselle. Elle aurait pensé à s’approvisionner suffisamment en Grappa invecchiata, je ne lui en aurais pas tenu grief.
Les Français n’ont pas voulu de la France présidente. Maintenant qu’ils l’ont pénitente, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux.
La presse perd ses Facultés
Il paraît que la presse est libre. Et elle y tient beaucoup, à sa liberté. Elle proteste beaucoup, avec raison, contre toute atteinte à sa liberté. Mais pour le manque de liberté de pensée, malheureusement, il n’y a pas grand-chose à faire.
On pouvait croire, au début du mouvement universitaire, que l’information sur la réforme Pécresse et les réactions qu’elle suscite permettrait de sortir des habituels clichés : profs fainéants, mandarins accrochés à leur pouvoir, chercheurs claquemurés dans leurs laboratoires, six mois de vacances, conservatisme et corporatisme, refus de toute évaluation, etc. Il y a eu quelques émissions remarquables sur le service public, un véritable travail de fond de la part des journalistes de Libération. En dehors de cela, dans la majorité des cas, la couverture médiatique du mouvement est accablante. On a le choix : ici, les idées toutes faites ; là, le poujadisme ; presque partout, la plus radicale absence d’informations précises sur le contenu de la réforme et les raisons exactes de son refus par les universitaires. D’où les interpellations incessantes de gens qui ne comprennent pas, demandent qu’on leur explique, récitent une doxa sur l’université. On se demande vraiment à quoi sert la presse. En tous cas, certainement pas, dans ce pays, à donner les éléments essentiels de compréhension. D’où le déluge d’interventions haineuses sur certains sites, notamment celui du Monde.
Il est temps de dresser le florilège des bêtises assénées sur nos radios et dans nos journaux.
Il paraît que, de toutes façons, on ne peut pas réformer l’Université, dès qu’on tente quelque chose, ils sont dans la rue. Cette ritournelle, entendue maintes fois, serait à conserver en bocal, pour l’édification des générations futures, avec l’étiquette : « Monstrueuse contre-vérité, début XXIe siècle ». Depuis plus d’un quart de siècle, l’Université subit des réformes sans discontinuer, et sur tous les plans. A peine l’une est-elle digérée qu’une autre arrive, selon les caprices des ministres ou des directeurs de cabinet. L’universitaire passe son temps dans de la paperasse à réforme et de la réunion à réforme. Depuis plus d’un quart de siècle, il a tout avalé, tout accepté, sans un murmure, sans la moindre petite grève. Il a pris maints coups de pied au cul, et il a dit merci. Son métier s’est complètement dévalorisé, ses charges de travail n’ont cessé d’augmenter, ses conditions et ses lieux de travail sont à sangloter, il a avalé sans sourciller la démocratisation du supérieur, c’est-à-dire le quintuplement des effectifs en quelques lustres, tout cela en multipliant vaille que vaille les publications de haut niveau. Et voilà que pour une fois, pour une seule fois que l’universitaire élève la voix, on lui dit qu’il exagère et qu’on ne peut décidément pas réformer l’Université.
Entendre ça donne envie de distribuer des coups de pelle. Car cette grève, la première qui soit aussi longue et aussi généralisée depuis qu’il y a une université en France, ne vise pas seulement la réforme qui vient de faire déborder le vase d’exaspération. Elle est l’expression d’un écœurement face au mépris et à l’absence de reconnaissance du travail accompli, tels qu’ils s’expriment généreusement dans nos journaux.
Cette grève est d’abord une grève des universitaires, toutes tendances politiques et syndicales confondues, à laquelle se sont ralliés les étudiants et les personnels de l’Université, des parents d’élèves et des enseignants du secondaire. Cette unanimité, la durée inédite du mouvement (trois mois pour l’instant), le fait que s’y soient joints des présidents d’université généralement peu enclins à contester, quarante sociétés savantes, des grandes écoles, dont l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, les formes inédites qu’il adopte, avec les démissions de responsabilités administratives un peu partout, la « ronde des obstinés », tout cela devrait au moins donner à penser que le problème dépasse le supposé « immobilisme » de l’institution universitaire. Eh bien non.
Inversement, on a eu droit à tout. Dans Le Monde, ce fut tout bonnement, de la part des deux journalistes de service, Cédelle et Rollot, à un relais de la communication ministérielle. Le Monde est devenu une sorte d’organe officiel, une Pravda expliquant au bon peuple que les ministres ne cessent de faire des gestes de bonne volonté, que la durée du mouvement s’explique par des « crispations » et des « rumeurs », et que tout cela est très mauvais pour la réputation de nos universités. Dans Le Figaro, pas de surprise : lorsque le respectable organe s’intéresse un peu à ce mouvement, c’est pour titrer en gras sur le fait que les grévistes sont payés. Ailleurs, à la télévision, à la radio, on oscille entre poujadisme classique et énormités burlesques. On peut entendre un journaliste du service public asséner qu’un chercheur devient moins bon après quarante ans, parce que c’est génétique, et qu’il faut donc lui faire enseigner plus à partir de cet âge canonique. On croit à une plaisanterie, ce n’en est pas une.
On peut entendre Franz-Olivier Giesbert, pérorant dans Le Point du haut de ses certitudes : « Consternant mouvement contre le décret de Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur, changeant le statut des enseignants-chercheurs. Pensez ! Ils risqueraient d’être soumis à une véritable évaluation et, pis encore, à une concurrence entre les universités. D’où l’appel à la grève illimitée d’enseignants ou de chercheurs qui, derrière leur logomachie pseudo-révolutionnaire, ont souvent, chevillée au corps, l’idéologie du père Peinard. La France est l’un des pays d’Europe qui dépense le plus pour son système éducatif, avec les résultats que l’on sait. Il faut que ce fiasco continue, et tant pis pour nos enfants, qui, inconscients des enjeux, se feront de toute façon embringuer par des universitaires, réactionnaires au sens propre du mot. »
Si Giesbert, comme ses confrères, s’était un peu renseigné, il aurait compris que la réforme Darcos des concours d’enseignement consiste, non pas à améliorer la formation des professeurs, comme on l’a malheureusement entendu régulièrement, mais avant tout à supprimer l’année de stage, c’est-à-dire ce qui jusqu’ici permettait réellement au jeune professeur d’apprendre son métier. Pourquoi cette suppression ? Pour faire des économies. Si Giesbert, au lieu de réciter un credo idéologique, s’était penché un peu plus sur la réalité pragmatique, il aurait éventuellement compris ce qu’ont assez vite compris professeurs au collège de France, professeurs des Hautes Etudes, doctorants, étudiants et bien d’autres, tous des révolutionnaires comme on sait, à savoir que la réforme Pécresse consiste pour l’essentiel à donner tous pouvoirs aux présidents, c’est-à-dire à aggraver le localisme qui mine la qualité de l’université française et le niveau de son recrutement. Il aurait compris qu’un universitaire exerce trois métiers, enseignant, chercheur et administrateur, ce qui fait beaucoup de travail pour la plupart d’entre eux et pour un salaire bien inférieur à celui de M. Giesbert.
Il aurait compris que l’évaluation existe déjà, à tous les niveaux de la carrière d’un universitaire. Il aurait compris que ce que le ministère appelle évaluation n’est qu’une usine à gaz totalement irréaliste, destinée à récompenser les plus serviles, qui n’aboutirait, au prix d’une déperdition d’énergie monstrueuse, qu’à susciter une multiplication d’articles creux au lieu de favoriser la recherche fondamentale. Il aurait compris que la modulation des services n’est qu’une grosse astuce pour charger une bourrique universitaire qui croule déjà sous les tâches diverses, et finalement économiser sur les recrutements ou les heures supplémentaires, car tel est le véritable objectif. Il aurait compris qu’il s’agit, par pure idéologie, de transformer les universités en entreprises. Il aurait compris que ce qu’on appelle « réforme » n’est en l’occurrence qu’une régression, une destruction du service public, de la part de politiques qui se moquent bien de l’Université et n’y connaissent rien.
Il aurait compris que la réforme Pécresse est le meilleur moyen de tarir la vie intellectuelle et la recherche en France, que la réforme Darcos est le meilleur moyen de créer des générations de professeurs dépourvus de connaissances ni pédagogie, puisque c’est ce qui est touché en premier lieu, mais parfaitement au fait de la bureaucratie scolaire. Informer de la réalité concrète des choses est sans doute trop demander aux journalistes. On finit par se dire, au vu de ce qu’ils ont fait de ce mouvement, que l’information n’est pas leur préoccupation première. Il s’agit surtout pour eux de publier ce qu’ils pensent devoir servir à leur lectorat, à leurs actionnaires ou les deux, et de reproduire, ce faisant, de vieux stéréotypes. La réalité est ailleurs.
Ségolène s’excuse de demander pardon
Ainsi donc Ségolène Royal a-t-elle jugé indispensable de s’excuser au nom de la France auprès de José Luis Zapatero, suite aux propos désobligeants qu’aurait tenu Nicolas Sarkozy à son encontre. Il n’a échappé à personne que cet exercice fait écho à l’époustouflant discours de Dakar, qui avait vu la native des lieux s’ériger en arbitre des élégances postcoloniales et des repentances connexes. On l’a donc compris, la nouvelle posture de Ségo est de se constituer en shadow cabinet à elle toute seule. Privée à Reims par les militants du droit de parler au nom de tous les socialistes, elle contourne l’obstacle en s’investissant du devoir de parler au nom de la France toute entière. Reste que, pour l’instant, elle fait un usage extrêmement restreint, pour ne pas dire hyper-spécialisé, de ses nouvelles prérogatives régaliennes, les limitant aux seules excuses tous azimuts. On se perd donc en conjectures pour savoir quels seront les prochains récipiendaires. A quels peuples, personnes, ethnies ou corps constitués Ségo ira-t-elle demander pardon pour les maltraitances verbales sarkoziennes ? La liste des victimes étant longuette, il n’y a que l’embarras du choix. Cécilia ? Chirac ? Les Tchèques ? Les racailles courneuviennes ? A moins qu’au nom de la France, la présidente de Poitou-Charentes décide de faire amende honorable, au nom du pays tout entier, pour les mille et une méchancetés proférées par Nicolas Sarkozy sur la personne de Ségolène Royal.
Je veux revoir ma Moldavie
J’apprends depuis ma retraite au Mont-Noir dans la villa Yourcenar, où je me trouve en résidence d’écrivain pour un mois, qu’un pays cher à mon cœur d’adolescent connaît des troubles après l’élection parfaitement régulière d’une chambre des députés à majorité communiste. Pas besoin d’être grand clerc pour savoir qu’il s’agit là, après l’Ukraine et la Géorgie, des habituelles tentatives de déstabilisation menées par un président américain qui, quoique noir, n’en continue pas néanmoins à encourager en sous main ces pseudo-révolutions orange (la couleur du Modem chère à André Epaulard) dans toutes les anciennes républiques socialistes soviétiques qui s’obstinent à vouloir garder leurs systèmes de protection et de solidarité sous la houlette d’apparatchiks bonhommes. Je citerai le président de Biélorussie, l’avisé Alexandre Loukachenko, qui ne voit pas l’intérêt, comme on le comprend, que les jolies filles blondes de son pays finissent dans l’industrie pornographique du grand marché unique, avec sa concurrence libre et non faussée.
Il y aurait eu un mort parmi les manifestants antigouvernementaux moldaves. Un mort dont on a beaucoup plus parlé que celui des manifestations londoniennes du G20, mais passons, on sait qu’un manifestant tué par une police démocratique est toujours un émeutier tandis qu’un manifestant tué par une police communiste est toujours une victime de la liberté (du marché ou d’expression, peu importe, la liberté, on vous dit…)
Pour plus de renseignements, sur cette affaire moldave, il faudra attendre le prochain SAS dont nous avons déjà dit ici qu’il s’agissait de la seule source d’informations fiables sur la géopolitique de notre temps.
Mais revenons à la Moldavie.
J’ai été très heureux en Moldavie. La capitale s’appelait encore Kichinev et non Chisnau. J’y ai passé quelques temps entre 1979 et 1982, pour perfectionner mon russe, histoire d’entamer une collaboration fructueuse quand les sept millions d’homme en tenue kaki du Pacte de Varsovie se décideraient à franchir le Rhin pour venir, enfin, nous libérer de la tyrannie des dernières années du libéralisme avancé à la sauce Giscard.
J’avais quinze ans et je ne voulais pas pourrir. Je me souviens particulièrement de l’été 1980.
Il fait beau.
Il y a des portraits de Brejnev à l’entrée du quartier réservé aux maisons Mitteleuropa.
Le secrétaire général a commencé sa carrière en Moldavie.
L’église catholique est fermée, ma mère (tendance Témoignage Chrétien) m’avait demandé de vérifier.
Mes amis s’appellent Auguste Naouki et Violetta Moldovan. La Moldavie ressemble aux coteaux du beaujolais, le vin moldave, lui assez peu au Morgon. Auguste lit Eminescu et Essenine. Il me parle de la Pologne qui bouge, des Américains qui boycottent les JO de Moscou, les salauds.
Les livres ne coûtent presque rien. Violetta parle le russe, le moldave, le roumain, le français. Elle a dix-sept ans, elle est brune et a un gilet orange comme jamais je ne verrai plus de gilet orange. Je comprends les articles de Ogoniok et de la Komsomolskaïa Pravda.
Auguste joue aux échecs. Je ne le battrai qu’une fois. Je crois qu’il m’a laissé gagner. Gentillesse soviétique, courtoisie latine.
Violetta a dix-sept ans. La maison de son père ressemble à un chalet balnéaire de la côte normande, dans une avenue blondinienne, calme et profonde comme un cimetière. Les Pobiéda roulent en silence.
Auguste et Violetta ont le droit d’aller avec moi au Beriozka de l’Intourist. On achète des Marlboro et du chocolat. Moi, je m’obstine à m’arracher les lèvres sur le carton des papirosses et à tousser : je fumerai communiste, quoiqu’il m’en coûte.
On a du mal à écraser les carrés de sucre dans les verres de thé.
Un soir, je suis très saoul. L’odeur de pinède du jardin de Violetta m’empêche de vomir.
On entend l’hymne soviétique qui vient d’une télé à l’intérieur: il est minuit.
Je pleure comme un veau quand Violetta m’embrasse une dernière fois sur le tarmac de l’aéroport. « Mé jiviom v raznire planétare », dit-elle. Nous vivons sur des planètes différentes, oui…
Gilet orange. Portrait de Lénine. Une édition bilingue d’Eminescu donnée par Auguste.
L’Atlantide, seigneur, c’était l’Atlantide.
Qui n’a pas vécu en Moldavie avant 1989 n’a pas connu la douceur de vivre.
La cagoule, c’est pas cool
Jeudi 16 avril, Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, a proposé un décret interdisant le port de la cagoule pendant les manifestations. On ne peut que se féliciter de cette mesure qui empêchera désormais les voyous de se livrer aux pires exactions sous l’œil complaisant des caméras. Beaucoup de téléspectateurs ont, en effet, encore dans les yeux le spectacle traumatisant de cette bande armée et masquée attaquant un petit matin de novembre une ferme de Tarnac (Corrèze), défonçant les portes, volant des livres et des documents avant de procéder à de nombreux enlèvements, dont celui de Julien Coupat qui, près de six mois après, est toujours entre les mains de ses ravisseurs.
Borloo : « Béatrice, fais tes valises ! »
Les choses se précisent. Nicolas Sarkozy entend remanier le gouvernement le plus vite possible, histoire de déconnecter cette décision des européennes : pronostiquant une déculottée assez sévère pour l’UMP, l’Elysée compte faire des élections de juin un « non événement ». En attendant, les ministres se préparent à toute éventualité. Qui succèdera à qui ? Ces dernières semaines, Rachida Dati et Jean-Louis Borloo sont devenus inséparables. Au début du mois, ils déjeunaient ensemble. Mardi, Rachida Dati s’est rendue au ministère de l’Ecologie pour y prendre un petit-déjeuner qui a trainé en longueur (dans le vocabulaire environnemental, c’est sans doute cela qu’on appelle un petit-déj’ durable). De quoi ont-ils pu bien parler ? Du droit de l’environnement ou des dossiers chauds de la place Vendôme, dont Jean-Louis Borloo pourrait bien être le futur locataire… Ses proches restent néanmoins prudents sur cette éventualité. Il faut dire que leur patron et Rachida Dati n’ont pas encore pris l’apéro ensemble.
Mon curé chez les promoteurs
Ça faisait longtemps. Peut-être trois jours au moins que l’Eglise catholique n’avait pas été au centre d’un scandale mondial dont elle est désormais coutumière. On s’habitue à tout. Qu’on se rassure : aucun journal n’a révélé que Benoît XVI battait sa femme – pas l’actuelle, mais son ex, dont il a divorcé et dont il a eu vingt-cinq enfants, tous placés comme il se doit chez les Enfants de Marie. Ça, on ne l’apprendra que la semaine prochaine en feuilletant nonchalamment son journal : plaise à Dieu de nous prêter vie jusque-là ! Non, cette semaine, la presse a montré qu’elle pouvait servir à autre chose qu’à emballer le poisson en consacrant ses gros titres à un truc qui déchire vraiment sa race. Et ce sont nos estimables confrères du Parisien qui se sont coltinés la tâche en titrant jeudi : « Les richesses cachées de l’Eglise ».
Certes, le hasard ou la Providence a voulu que ce titre occupant cinq colonnes à la une soit placé juste au-dessus d’une photo légendée : « La colère des pêcheurs ». Hormis l’orthographe, on aura bien compris que même les pécheurs se mettent en colère quand on apprend que les caves vaticanes recèlent le trésor des Templiers, les valises de la Loge P2 et les avoirs résiduels de la banque Ambrosiano. Car Le Parisien nous promet des scoops comme un évêque en bénirait : « Notre journal révèle l’étendue du patrimoine immobilier de l’Eglise de France, entre hôtels particuliers et siège d’un grand groupe. Le Vatican, lui, loue des appartements parisiens haut de gamme à plusieurs personnalités. » Je vous le dis : Satan est dans la place.
Si encore il diavolo était dans la place, ça ne ferait pas grand bruit. Mais, nous dit-on, le diocèse de Paris possède des immeubles dans la capitale. Pire : le Vatican détient dix beaux immeubles dans la Ville lumière ! Bon, je sais, comme révélation, c’est un peu nul. Je m’attendais à autre chose. On nous aurait dit que l’archevêque de Paris coupait l’eau bénite avec de l’eau du robinet, qu’il allait dealer en loucedé de l’encens place des Innocents ou qu’il revendait au marché noir les boutons laissés à la quête par des paroissiens du dimanche, on aurait pu au moins rigoler.
Mais Le Parisien n’est pas d’humeur à la rigolade. Empreint de gravitude, il nous fait même le coup, en encadré, du « pactole des Petites Sœurs des pauvres » et des « propriétés secrètes de l’Eglise ». Confondant allègrement estimation du patrimoine et compte d’exploitation, mon estimé confrère (j’ai oublié son nom, mais je ne voulais pas l’appeler de toute façon) considère que trop c’est trop, et que l’Eglise exagère.
Oui, bien chers frères, bien chères sœurs, je vous le dis : l’Eglise exagère. Elle possède à Paris des biens d’une valeur folle. Si folle qu’ils en deviennent invendables et n’ont plus guère de place sur le marché. Enfin, cela valait avant la crise : l’Eglise se refusant à placer ses avoirs en bourse a préféré, en bon père de famille, investir dans les valeurs sûres… Rien chez Bernard Madoff : la honte !
Mon prénom étant François, je voue un culte très particulier à mon homonyme d’Assise : lui c’est lui, moi c’est moi. Les Fioretti racontent que le père du saint rital se plaint de son rejeton et de sa générosité : alors qu’il n’est encore qu’un bobo convenable d’Assise, saint François distribue la fortune paternelle aux pauvres. Le père n’en peut plus et les deux parties se retrouvent un jour au tribunal : au lieu de plaider sa cause, François d’Assise se dévêt de ses frusques devant la cour, pour ressortir à poil. Les chemins de la sainteté sont souvent gore.
Seulement, que veut Le Parisien : que l’Eglise se prive de tous les moyens de sa subsistance, qu’elle arrête la quête, qu’elle renonce au denier du culte et que Mgr Vingt-Trois exhibe ses génitoires en public ? On se cacherait les yeux devant tant de mystères qui doivent rester secrets. En attendant, continuons le combat : pourquoi hosties et sacrements ne sont-ils pas gratuitement téléchargeables sur Internet ?
L’Eglise de France a aujourd’hui trois sources de revenus : la quête, le denier du culte et les loyers de son patrimoine immobilier. Pour le diocèse parisien, ces derniers représentent un peu moins de 17 % de ses ressources sur un budget avoisinant les 52 millions d’euros. Ce n’est un secret que pour ceux qui sont privés de connexion Internet : les comptes du diocèse de Paris sont disponibles en ligne…
En revanche, ce qui ne sera jamais rendu public, c’est le prix des loyers consentis à mes très honorables confrères de la presse par la Ville de Paris. Sous saint Jacques Chirac, saint Jean Tiberi ou saint Bertrand Delanoë, ce que l’on veut du côté de l’Hôtel de Ville ce sont des journalistes bien logés, et moins habités.
Certes, l’Eglise catholique achète, en leur louant des appartements, le silence de certains. Et Le Parisien nous apprend que même Bernard Kouchner est locataire du Vatican ! Le salaud ! La crapule finie. Que ce vendu au catholicisme paie enfin sa dette ! Hier, il déclarait que les propos du pape sur la capote étaient criminels, on lui souhaite maintenant une augmentation des charges assassine. Et l’on verra si Nanard-les-bons-tuyaux descend lui-même ses poubelles.
Sept ans déjà
Le 21 avril 2002, le coup de tonnerre, le tremblement de terre éclatait dans le ciel de la Ve république. M. Jean-Marie Le Pen accédait au second tour de l’élection présidentielle. Elu de justesse par 50,07 % malgré les manifestations d’une jeunesse manipulée, le président Le Pen mit en route une vigoureuse politique anti-immigrationniste en créant un ministère de l’Identité nationale, confié à Carl Lang. Il pratiqua également une politique d’ouverture assez inédite auprès de la société civile (Alain Soral, Fadela Amara) et de la gauche (Bernard Kouchner, Manuel Valls). C’est sans problème qu’il devait battre au second tour de 2007 le leader du NPA, Olivier Besancenot par 82 % des voix.
Chirac en mauvaise posture dans les sondages
La rédaction de Causeur n’a pas mis cinq secondes à réfléchir avant de prendre ses responsabilités. L’essentiel est aujourd’hui en jeu : la liberté d’expression, la démocratie, les droits de l’homme, les oiseaux qui gazouillent au printemps, le ciel bleu, le soleil chaud de l’été sur la peau dorée d’une belle femme, une gorgée d’eau fraiche en haut du Ventoux, le sourire des enfants et les souvenirs des vieillards. En ce 21 avril, Causeur appelle solennellement tous ses lecteurs à voter Jacques Chirac au second tour de l’élection présidentielle. Quelle que soit la mauvaise ou très mauvaise opinion que vous ayez de lui, il reste notre dernier rempart contre les vieux démons qui ne demandent qu’à être réveillés pour peu qu’on les chatouille.
La France pénitente
Les Français sont vilains. L’opinion internationale s’en était déjà aperçue, en 2007, lorsque, à la surprise générale, ils avaient accordé leurs suffrages à un tyran plutôt qu’à la femme politique la plus exceptionnelle de leur temps.
Dans dix ou vingt siècles, tous les historiens s’accorderont sur une chose : il y eut, dans toute l’histoire française, deux femmes vraiment géniales, Jeanne d’Arc et Ségolène Royal (il y a eu aussi, en vérité, Coco Chanel et Roselyne Bachelot, mais pour d’autres raisons). Les deux étaient lorraines. Les deux ne firent pas une carrière époustouflante. Les deux avaient une conception de leur mission assez incompréhensible aux yeux du vulgum pecus.
Un peu d’histoire de France pour les ignorants. C’est en 1428 que Ségolène Royal quitte la maison familiale, une maison humble de paysans lorrains avec tas de fumier devant la porte, se rend à pied chez le sieur Pierre Bergé et demande à iceluy de lui fournir bravitude, estoc et espèces trébuchantes, afin de bouter l’Anglois hors de France. Elle libère le Poitou et la Charente au cri de « La France présidente », suivie par Pierre Bergé qui, en chemin, se lie d’amitié avec Gilles de Rais – ce dernier passera à la postérité sous le pseudonyme de Dominique Besnehard. Mais la Lorraine est vite trahie par l’évêque Besson qui fout le feu à ses robes d’une façon encore plus expéditive que la justice chinoise.
Libérée de son enveloppe charnelle et accédant aux réalités suprasensibles (comme on dit chez Raël), elle intercède alors pour la France et le salut des Français. En attestent les nombreuses pièces de son procès en canonisation entamé dès 1481.
En 1515, elle demande pardon aux Suisses pour la défaite que leur a infligée François Ier à Marignan. En 1610, elle présente au nom d’Henri IV ses excuses à la famille Ravaillac pour avoir aussi cruellement traité l’un des siens. On la retrouve en 1793 demander pardon aux Bourbon au nom du Comité de Salut public pour avoir coupé la tête de Louis XVI, tandis que 1804 la voit s’excuser au nom de Napoléon de la promulgation du Code civil auprès de populations de serfs jusque-là si heureux du droit coutumier – pour les moches, le cuissage seigneurial n’est pas une broutille. 1885 n’est pas sa plus piètre année : elle bat sa coulpe face au virus de la rage si injustement maltraité par Pasteur, tandis qu’elle présente ses excuses aux descendants de Napoléon III pour les écrits assez mauvais de Victor Hugo à l’endroit de leur impérial aïeul.
On la retrouve en 1922 à Gambais demandant à Landru le pardon pour les innombrables torts que lui causa le sexe faible. En 1941, on la croise du côté de Montoire, en train de réclamer l’indulgence du chancelier Hitler pour les mains moites du maréchal Pétain. Et il faut attendre 1946 pour la voir implorer la mansuétude du docteur Petiot : oui, les valises Delsey brûlent mal.
Quoi d’étrange à cela ? C’est elle qui, chaque Semaine Sainte, parcourt les rues de Séville et se flagelle pour réclamer la rémission des péchés et le pardon des fautes humaines. Comédienne et martyre au long des vastes âges, Ségolène Royal a du métier.
Dans les contrées reculées du 7e arrondissement, emplies de fantômes du temps passé et de superstitions d’un autre âge, il se raconte que la Dame Blanche apparaît les soirs de pleine lune aux désespérés de la rue de Solférino. Son cri est terrible, son linceul immaculé. La semaine dernière, Martine Aubry a convoqué l’abbé de La Morandais afin qu’il accomplisse un exorcisme. Il a refusé : « Moi, je fais dans le people, pas dans les fantômes politiques. »
Il n’y a pas plus de trois semaines, j’avais préparé un coq au riesling à Willy, mon mari. Je ne sais pas ce qui s’est passé ; peut-être avais-je un peu plus arrosé mon gosier que le gallinacée, mais la bête brûla dans le four. On sonna à la porte. C’était Ségolène Royal qui débarquait, les bras pleins de victuailles achetées chez le traiteur italien : elle demanda pardon en mon nom à Willy, mit le couvert et fit la vaisselle. Elle aurait pensé à s’approvisionner suffisamment en Grappa invecchiata, je ne lui en aurais pas tenu grief.
Les Français n’ont pas voulu de la France présidente. Maintenant qu’ils l’ont pénitente, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux.
La presse perd ses Facultés
Il paraît que la presse est libre. Et elle y tient beaucoup, à sa liberté. Elle proteste beaucoup, avec raison, contre toute atteinte à sa liberté. Mais pour le manque de liberté de pensée, malheureusement, il n’y a pas grand-chose à faire.
On pouvait croire, au début du mouvement universitaire, que l’information sur la réforme Pécresse et les réactions qu’elle suscite permettrait de sortir des habituels clichés : profs fainéants, mandarins accrochés à leur pouvoir, chercheurs claquemurés dans leurs laboratoires, six mois de vacances, conservatisme et corporatisme, refus de toute évaluation, etc. Il y a eu quelques émissions remarquables sur le service public, un véritable travail de fond de la part des journalistes de Libération. En dehors de cela, dans la majorité des cas, la couverture médiatique du mouvement est accablante. On a le choix : ici, les idées toutes faites ; là, le poujadisme ; presque partout, la plus radicale absence d’informations précises sur le contenu de la réforme et les raisons exactes de son refus par les universitaires. D’où les interpellations incessantes de gens qui ne comprennent pas, demandent qu’on leur explique, récitent une doxa sur l’université. On se demande vraiment à quoi sert la presse. En tous cas, certainement pas, dans ce pays, à donner les éléments essentiels de compréhension. D’où le déluge d’interventions haineuses sur certains sites, notamment celui du Monde.
Il est temps de dresser le florilège des bêtises assénées sur nos radios et dans nos journaux.
Il paraît que, de toutes façons, on ne peut pas réformer l’Université, dès qu’on tente quelque chose, ils sont dans la rue. Cette ritournelle, entendue maintes fois, serait à conserver en bocal, pour l’édification des générations futures, avec l’étiquette : « Monstrueuse contre-vérité, début XXIe siècle ». Depuis plus d’un quart de siècle, l’Université subit des réformes sans discontinuer, et sur tous les plans. A peine l’une est-elle digérée qu’une autre arrive, selon les caprices des ministres ou des directeurs de cabinet. L’universitaire passe son temps dans de la paperasse à réforme et de la réunion à réforme. Depuis plus d’un quart de siècle, il a tout avalé, tout accepté, sans un murmure, sans la moindre petite grève. Il a pris maints coups de pied au cul, et il a dit merci. Son métier s’est complètement dévalorisé, ses charges de travail n’ont cessé d’augmenter, ses conditions et ses lieux de travail sont à sangloter, il a avalé sans sourciller la démocratisation du supérieur, c’est-à-dire le quintuplement des effectifs en quelques lustres, tout cela en multipliant vaille que vaille les publications de haut niveau. Et voilà que pour une fois, pour une seule fois que l’universitaire élève la voix, on lui dit qu’il exagère et qu’on ne peut décidément pas réformer l’Université.
Entendre ça donne envie de distribuer des coups de pelle. Car cette grève, la première qui soit aussi longue et aussi généralisée depuis qu’il y a une université en France, ne vise pas seulement la réforme qui vient de faire déborder le vase d’exaspération. Elle est l’expression d’un écœurement face au mépris et à l’absence de reconnaissance du travail accompli, tels qu’ils s’expriment généreusement dans nos journaux.
Cette grève est d’abord une grève des universitaires, toutes tendances politiques et syndicales confondues, à laquelle se sont ralliés les étudiants et les personnels de l’Université, des parents d’élèves et des enseignants du secondaire. Cette unanimité, la durée inédite du mouvement (trois mois pour l’instant), le fait que s’y soient joints des présidents d’université généralement peu enclins à contester, quarante sociétés savantes, des grandes écoles, dont l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, les formes inédites qu’il adopte, avec les démissions de responsabilités administratives un peu partout, la « ronde des obstinés », tout cela devrait au moins donner à penser que le problème dépasse le supposé « immobilisme » de l’institution universitaire. Eh bien non.
Inversement, on a eu droit à tout. Dans Le Monde, ce fut tout bonnement, de la part des deux journalistes de service, Cédelle et Rollot, à un relais de la communication ministérielle. Le Monde est devenu une sorte d’organe officiel, une Pravda expliquant au bon peuple que les ministres ne cessent de faire des gestes de bonne volonté, que la durée du mouvement s’explique par des « crispations » et des « rumeurs », et que tout cela est très mauvais pour la réputation de nos universités. Dans Le Figaro, pas de surprise : lorsque le respectable organe s’intéresse un peu à ce mouvement, c’est pour titrer en gras sur le fait que les grévistes sont payés. Ailleurs, à la télévision, à la radio, on oscille entre poujadisme classique et énormités burlesques. On peut entendre un journaliste du service public asséner qu’un chercheur devient moins bon après quarante ans, parce que c’est génétique, et qu’il faut donc lui faire enseigner plus à partir de cet âge canonique. On croit à une plaisanterie, ce n’en est pas une.
On peut entendre Franz-Olivier Giesbert, pérorant dans Le Point du haut de ses certitudes : « Consternant mouvement contre le décret de Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur, changeant le statut des enseignants-chercheurs. Pensez ! Ils risqueraient d’être soumis à une véritable évaluation et, pis encore, à une concurrence entre les universités. D’où l’appel à la grève illimitée d’enseignants ou de chercheurs qui, derrière leur logomachie pseudo-révolutionnaire, ont souvent, chevillée au corps, l’idéologie du père Peinard. La France est l’un des pays d’Europe qui dépense le plus pour son système éducatif, avec les résultats que l’on sait. Il faut que ce fiasco continue, et tant pis pour nos enfants, qui, inconscients des enjeux, se feront de toute façon embringuer par des universitaires, réactionnaires au sens propre du mot. »
Si Giesbert, comme ses confrères, s’était un peu renseigné, il aurait compris que la réforme Darcos des concours d’enseignement consiste, non pas à améliorer la formation des professeurs, comme on l’a malheureusement entendu régulièrement, mais avant tout à supprimer l’année de stage, c’est-à-dire ce qui jusqu’ici permettait réellement au jeune professeur d’apprendre son métier. Pourquoi cette suppression ? Pour faire des économies. Si Giesbert, au lieu de réciter un credo idéologique, s’était penché un peu plus sur la réalité pragmatique, il aurait éventuellement compris ce qu’ont assez vite compris professeurs au collège de France, professeurs des Hautes Etudes, doctorants, étudiants et bien d’autres, tous des révolutionnaires comme on sait, à savoir que la réforme Pécresse consiste pour l’essentiel à donner tous pouvoirs aux présidents, c’est-à-dire à aggraver le localisme qui mine la qualité de l’université française et le niveau de son recrutement. Il aurait compris qu’un universitaire exerce trois métiers, enseignant, chercheur et administrateur, ce qui fait beaucoup de travail pour la plupart d’entre eux et pour un salaire bien inférieur à celui de M. Giesbert.
Il aurait compris que l’évaluation existe déjà, à tous les niveaux de la carrière d’un universitaire. Il aurait compris que ce que le ministère appelle évaluation n’est qu’une usine à gaz totalement irréaliste, destinée à récompenser les plus serviles, qui n’aboutirait, au prix d’une déperdition d’énergie monstrueuse, qu’à susciter une multiplication d’articles creux au lieu de favoriser la recherche fondamentale. Il aurait compris que la modulation des services n’est qu’une grosse astuce pour charger une bourrique universitaire qui croule déjà sous les tâches diverses, et finalement économiser sur les recrutements ou les heures supplémentaires, car tel est le véritable objectif. Il aurait compris qu’il s’agit, par pure idéologie, de transformer les universités en entreprises. Il aurait compris que ce qu’on appelle « réforme » n’est en l’occurrence qu’une régression, une destruction du service public, de la part de politiques qui se moquent bien de l’Université et n’y connaissent rien.
Il aurait compris que la réforme Pécresse est le meilleur moyen de tarir la vie intellectuelle et la recherche en France, que la réforme Darcos est le meilleur moyen de créer des générations de professeurs dépourvus de connaissances ni pédagogie, puisque c’est ce qui est touché en premier lieu, mais parfaitement au fait de la bureaucratie scolaire. Informer de la réalité concrète des choses est sans doute trop demander aux journalistes. On finit par se dire, au vu de ce qu’ils ont fait de ce mouvement, que l’information n’est pas leur préoccupation première. Il s’agit surtout pour eux de publier ce qu’ils pensent devoir servir à leur lectorat, à leurs actionnaires ou les deux, et de reproduire, ce faisant, de vieux stéréotypes. La réalité est ailleurs.
Ségolène s’excuse de demander pardon
Ainsi donc Ségolène Royal a-t-elle jugé indispensable de s’excuser au nom de la France auprès de José Luis Zapatero, suite aux propos désobligeants qu’aurait tenu Nicolas Sarkozy à son encontre. Il n’a échappé à personne que cet exercice fait écho à l’époustouflant discours de Dakar, qui avait vu la native des lieux s’ériger en arbitre des élégances postcoloniales et des repentances connexes. On l’a donc compris, la nouvelle posture de Ségo est de se constituer en shadow cabinet à elle toute seule. Privée à Reims par les militants du droit de parler au nom de tous les socialistes, elle contourne l’obstacle en s’investissant du devoir de parler au nom de la France toute entière. Reste que, pour l’instant, elle fait un usage extrêmement restreint, pour ne pas dire hyper-spécialisé, de ses nouvelles prérogatives régaliennes, les limitant aux seules excuses tous azimuts. On se perd donc en conjectures pour savoir quels seront les prochains récipiendaires. A quels peuples, personnes, ethnies ou corps constitués Ségo ira-t-elle demander pardon pour les maltraitances verbales sarkoziennes ? La liste des victimes étant longuette, il n’y a que l’embarras du choix. Cécilia ? Chirac ? Les Tchèques ? Les racailles courneuviennes ? A moins qu’au nom de la France, la présidente de Poitou-Charentes décide de faire amende honorable, au nom du pays tout entier, pour les mille et une méchancetés proférées par Nicolas Sarkozy sur la personne de Ségolène Royal.
Je veux revoir ma Moldavie
J’apprends depuis ma retraite au Mont-Noir dans la villa Yourcenar, où je me trouve en résidence d’écrivain pour un mois, qu’un pays cher à mon cœur d’adolescent connaît des troubles après l’élection parfaitement régulière d’une chambre des députés à majorité communiste. Pas besoin d’être grand clerc pour savoir qu’il s’agit là, après l’Ukraine et la Géorgie, des habituelles tentatives de déstabilisation menées par un président américain qui, quoique noir, n’en continue pas néanmoins à encourager en sous main ces pseudo-révolutions orange (la couleur du Modem chère à André Epaulard) dans toutes les anciennes républiques socialistes soviétiques qui s’obstinent à vouloir garder leurs systèmes de protection et de solidarité sous la houlette d’apparatchiks bonhommes. Je citerai le président de Biélorussie, l’avisé Alexandre Loukachenko, qui ne voit pas l’intérêt, comme on le comprend, que les jolies filles blondes de son pays finissent dans l’industrie pornographique du grand marché unique, avec sa concurrence libre et non faussée.
Il y aurait eu un mort parmi les manifestants antigouvernementaux moldaves. Un mort dont on a beaucoup plus parlé que celui des manifestations londoniennes du G20, mais passons, on sait qu’un manifestant tué par une police démocratique est toujours un émeutier tandis qu’un manifestant tué par une police communiste est toujours une victime de la liberté (du marché ou d’expression, peu importe, la liberté, on vous dit…)
Pour plus de renseignements, sur cette affaire moldave, il faudra attendre le prochain SAS dont nous avons déjà dit ici qu’il s’agissait de la seule source d’informations fiables sur la géopolitique de notre temps.
Mais revenons à la Moldavie.
J’ai été très heureux en Moldavie. La capitale s’appelait encore Kichinev et non Chisnau. J’y ai passé quelques temps entre 1979 et 1982, pour perfectionner mon russe, histoire d’entamer une collaboration fructueuse quand les sept millions d’homme en tenue kaki du Pacte de Varsovie se décideraient à franchir le Rhin pour venir, enfin, nous libérer de la tyrannie des dernières années du libéralisme avancé à la sauce Giscard.
J’avais quinze ans et je ne voulais pas pourrir. Je me souviens particulièrement de l’été 1980.
Il fait beau.
Il y a des portraits de Brejnev à l’entrée du quartier réservé aux maisons Mitteleuropa.
Le secrétaire général a commencé sa carrière en Moldavie.
L’église catholique est fermée, ma mère (tendance Témoignage Chrétien) m’avait demandé de vérifier.
Mes amis s’appellent Auguste Naouki et Violetta Moldovan. La Moldavie ressemble aux coteaux du beaujolais, le vin moldave, lui assez peu au Morgon. Auguste lit Eminescu et Essenine. Il me parle de la Pologne qui bouge, des Américains qui boycottent les JO de Moscou, les salauds.
Les livres ne coûtent presque rien. Violetta parle le russe, le moldave, le roumain, le français. Elle a dix-sept ans, elle est brune et a un gilet orange comme jamais je ne verrai plus de gilet orange. Je comprends les articles de Ogoniok et de la Komsomolskaïa Pravda.
Auguste joue aux échecs. Je ne le battrai qu’une fois. Je crois qu’il m’a laissé gagner. Gentillesse soviétique, courtoisie latine.
Violetta a dix-sept ans. La maison de son père ressemble à un chalet balnéaire de la côte normande, dans une avenue blondinienne, calme et profonde comme un cimetière. Les Pobiéda roulent en silence.
Auguste et Violetta ont le droit d’aller avec moi au Beriozka de l’Intourist. On achète des Marlboro et du chocolat. Moi, je m’obstine à m’arracher les lèvres sur le carton des papirosses et à tousser : je fumerai communiste, quoiqu’il m’en coûte.
On a du mal à écraser les carrés de sucre dans les verres de thé.
Un soir, je suis très saoul. L’odeur de pinède du jardin de Violetta m’empêche de vomir.
On entend l’hymne soviétique qui vient d’une télé à l’intérieur: il est minuit.
Je pleure comme un veau quand Violetta m’embrasse une dernière fois sur le tarmac de l’aéroport. « Mé jiviom v raznire planétare », dit-elle. Nous vivons sur des planètes différentes, oui…
Gilet orange. Portrait de Lénine. Une édition bilingue d’Eminescu donnée par Auguste.
L’Atlantide, seigneur, c’était l’Atlantide.
Qui n’a pas vécu en Moldavie avant 1989 n’a pas connu la douceur de vivre.
La cagoule, c’est pas cool
Jeudi 16 avril, Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, a proposé un décret interdisant le port de la cagoule pendant les manifestations. On ne peut que se féliciter de cette mesure qui empêchera désormais les voyous de se livrer aux pires exactions sous l’œil complaisant des caméras. Beaucoup de téléspectateurs ont, en effet, encore dans les yeux le spectacle traumatisant de cette bande armée et masquée attaquant un petit matin de novembre une ferme de Tarnac (Corrèze), défonçant les portes, volant des livres et des documents avant de procéder à de nombreux enlèvements, dont celui de Julien Coupat qui, près de six mois après, est toujours entre les mains de ses ravisseurs.
Borloo : « Béatrice, fais tes valises ! »
Les choses se précisent. Nicolas Sarkozy entend remanier le gouvernement le plus vite possible, histoire de déconnecter cette décision des européennes : pronostiquant une déculottée assez sévère pour l’UMP, l’Elysée compte faire des élections de juin un « non événement ». En attendant, les ministres se préparent à toute éventualité. Qui succèdera à qui ? Ces dernières semaines, Rachida Dati et Jean-Louis Borloo sont devenus inséparables. Au début du mois, ils déjeunaient ensemble. Mardi, Rachida Dati s’est rendue au ministère de l’Ecologie pour y prendre un petit-déjeuner qui a trainé en longueur (dans le vocabulaire environnemental, c’est sans doute cela qu’on appelle un petit-déj’ durable). De quoi ont-ils pu bien parler ? Du droit de l’environnement ou des dossiers chauds de la place Vendôme, dont Jean-Louis Borloo pourrait bien être le futur locataire… Ses proches restent néanmoins prudents sur cette éventualité. Il faut dire que leur patron et Rachida Dati n’ont pas encore pris l’apéro ensemble.
Mon curé chez les promoteurs
Ça faisait longtemps. Peut-être trois jours au moins que l’Eglise catholique n’avait pas été au centre d’un scandale mondial dont elle est désormais coutumière. On s’habitue à tout. Qu’on se rassure : aucun journal n’a révélé que Benoît XVI battait sa femme – pas l’actuelle, mais son ex, dont il a divorcé et dont il a eu vingt-cinq enfants, tous placés comme il se doit chez les Enfants de Marie. Ça, on ne l’apprendra que la semaine prochaine en feuilletant nonchalamment son journal : plaise à Dieu de nous prêter vie jusque-là ! Non, cette semaine, la presse a montré qu’elle pouvait servir à autre chose qu’à emballer le poisson en consacrant ses gros titres à un truc qui déchire vraiment sa race. Et ce sont nos estimables confrères du Parisien qui se sont coltinés la tâche en titrant jeudi : « Les richesses cachées de l’Eglise ».
Certes, le hasard ou la Providence a voulu que ce titre occupant cinq colonnes à la une soit placé juste au-dessus d’une photo légendée : « La colère des pêcheurs ». Hormis l’orthographe, on aura bien compris que même les pécheurs se mettent en colère quand on apprend que les caves vaticanes recèlent le trésor des Templiers, les valises de la Loge P2 et les avoirs résiduels de la banque Ambrosiano. Car Le Parisien nous promet des scoops comme un évêque en bénirait : « Notre journal révèle l’étendue du patrimoine immobilier de l’Eglise de France, entre hôtels particuliers et siège d’un grand groupe. Le Vatican, lui, loue des appartements parisiens haut de gamme à plusieurs personnalités. » Je vous le dis : Satan est dans la place.
Si encore il diavolo était dans la place, ça ne ferait pas grand bruit. Mais, nous dit-on, le diocèse de Paris possède des immeubles dans la capitale. Pire : le Vatican détient dix beaux immeubles dans la Ville lumière ! Bon, je sais, comme révélation, c’est un peu nul. Je m’attendais à autre chose. On nous aurait dit que l’archevêque de Paris coupait l’eau bénite avec de l’eau du robinet, qu’il allait dealer en loucedé de l’encens place des Innocents ou qu’il revendait au marché noir les boutons laissés à la quête par des paroissiens du dimanche, on aurait pu au moins rigoler.
Mais Le Parisien n’est pas d’humeur à la rigolade. Empreint de gravitude, il nous fait même le coup, en encadré, du « pactole des Petites Sœurs des pauvres » et des « propriétés secrètes de l’Eglise ». Confondant allègrement estimation du patrimoine et compte d’exploitation, mon estimé confrère (j’ai oublié son nom, mais je ne voulais pas l’appeler de toute façon) considère que trop c’est trop, et que l’Eglise exagère.
Oui, bien chers frères, bien chères sœurs, je vous le dis : l’Eglise exagère. Elle possède à Paris des biens d’une valeur folle. Si folle qu’ils en deviennent invendables et n’ont plus guère de place sur le marché. Enfin, cela valait avant la crise : l’Eglise se refusant à placer ses avoirs en bourse a préféré, en bon père de famille, investir dans les valeurs sûres… Rien chez Bernard Madoff : la honte !
Mon prénom étant François, je voue un culte très particulier à mon homonyme d’Assise : lui c’est lui, moi c’est moi. Les Fioretti racontent que le père du saint rital se plaint de son rejeton et de sa générosité : alors qu’il n’est encore qu’un bobo convenable d’Assise, saint François distribue la fortune paternelle aux pauvres. Le père n’en peut plus et les deux parties se retrouvent un jour au tribunal : au lieu de plaider sa cause, François d’Assise se dévêt de ses frusques devant la cour, pour ressortir à poil. Les chemins de la sainteté sont souvent gore.
Seulement, que veut Le Parisien : que l’Eglise se prive de tous les moyens de sa subsistance, qu’elle arrête la quête, qu’elle renonce au denier du culte et que Mgr Vingt-Trois exhibe ses génitoires en public ? On se cacherait les yeux devant tant de mystères qui doivent rester secrets. En attendant, continuons le combat : pourquoi hosties et sacrements ne sont-ils pas gratuitement téléchargeables sur Internet ?
L’Eglise de France a aujourd’hui trois sources de revenus : la quête, le denier du culte et les loyers de son patrimoine immobilier. Pour le diocèse parisien, ces derniers représentent un peu moins de 17 % de ses ressources sur un budget avoisinant les 52 millions d’euros. Ce n’est un secret que pour ceux qui sont privés de connexion Internet : les comptes du diocèse de Paris sont disponibles en ligne…
En revanche, ce qui ne sera jamais rendu public, c’est le prix des loyers consentis à mes très honorables confrères de la presse par la Ville de Paris. Sous saint Jacques Chirac, saint Jean Tiberi ou saint Bertrand Delanoë, ce que l’on veut du côté de l’Hôtel de Ville ce sont des journalistes bien logés, et moins habités.
Certes, l’Eglise catholique achète, en leur louant des appartements, le silence de certains. Et Le Parisien nous apprend que même Bernard Kouchner est locataire du Vatican ! Le salaud ! La crapule finie. Que ce vendu au catholicisme paie enfin sa dette ! Hier, il déclarait que les propos du pape sur la capote étaient criminels, on lui souhaite maintenant une augmentation des charges assassine. Et l’on verra si Nanard-les-bons-tuyaux descend lui-même ses poubelles.


