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Gouvernement: la laïcité à la française perd une bataille de plus

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Le LR Othman Nasrou a un temps été pressenti pour prendre la tête d’un ministère de la Laïcité au sein du gouvernement Barnier. Islamophobe ! a immédiatement dénoncé la gauche. Finalement, Monsieur Nasrou dirigera un Secrétariat d’État à la Citoyenneté et à la lutte contre les discriminations. Le regard libre d’Elisabeth Lévy


On a failli avoir un ministère de la Laïcité. Pendant trois jours ! Dès que l’idée a fuité, on a eu droit aux grandes orgues. La laïcité, qui a longtemps été le combat de la gauche quand la droite défendait le pouvoir de l’Église, a accompagné, baigné, irrigué l’aventure de la République et singulièrement celle de l’école républicaine.

Jaurès disait que « la laïcité, c’est la fin des réprouvés », une définition admirable. Eh bien, pour une grande partie de la gauche, la laïcité est aujourd’hui une insanité, une insulte, une menace. Pire : une idée de droite ! Un concept raciste destiné à persécuter les musulmans… Elle est contestée et menacée à l’école, à l’hôpital, dans les entreprises, dans toute la vie sociale. Elle est vomie par les islamistes. D’ailleurs, le combat contre la laïcité était la raison sociale du CCIF, dissous pour séparatisme.

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À l’annonce de ce possible ministère de la Laïcité, la gauche insoumise et crypto-insoumise a fait des vocalises sur le thème de l’islamophobie, terme ânonné par tous les idiots utiles des Frères musulmans. Pablo Pillaud-Vivien, rédacteur en chef de la revue Regards, a ainsi dénoncé une « provocation qui va mettre le feu aux poudres. Ce sera un ministère de l’islamophobie. »

Toute la gauche n’est heureusement pas sur cette ligne. Mais, il faut croire que Jérôme Guedj et Bernard Cazeneuve pèsent moins que Jean-Luc Mélenchon et sa bande d’agitateurs communautaristes. Emmanuel Macron et Michel Barnier ont donc reculé. Exit la laïcité ; à la place : un Secrétariat d’Etat à la Citoyenneté et à la lutte contre les discriminations, confié au même Othman Nasrou. C’est une abdication. Comme si nous avions peur d’être nous-mêmes.

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Vous pensez que j’exagère ? Qu’après tout, ce n’est qu’un changement de nom ? Non ! Un ministère de la Laïcité n’aurait sans doute pas changé grand-chose. Mais, reculer même sur le mot, c’est proclamer et entériner qu’on abandonne la chose. Et on l’abandonne précisément pour s’attirer les bonnes grâces de la gauche et surtout pour ne pas froisser nos concitoyens musulmans – ou du moins une bonne partie d’entre eux hostiles à la laïcité et qu’on traite comme des enfants susceptibles. J’ai bien peur de lire en sous-texte du nouvel intitulé de ce ministère que le véritable obstacle à une citoyenneté pleine et entière, ce ne serait pas le séparatisme, mais les discriminations et les injustices. Vous êtes des victimes et la collectivité a une dette envers vous.

Pourtant, la laïcité, c’est le mode d’emploi du vivre-ensemble à la française. Il n’y a rien de raciste ou de désobligeant à demander aux derniers arrivés et à leurs descendants de le respecter. Inutile de mentir, de répéter comme Gabriel Attal que la laïcité n’est que bienveillante. Oui elle est bienveillante, mais contraignante. Elle demande une certaine discrétion religieuse dans l’espace public, d’accepter que les autres puissent se moquer de votre dieu. C’est souvent douloureux. Mais c’est aussi la promesse pour chacun, quelle que soit sa naissance, son origine, son clan, de pouvoir penser librement. Malheureusement, on dirait que ce n’est plus la promesse française.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Chargeons les charges!

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Le matraquage fiscal n’est pas une nouveauté. Ce qui l’est sûrement, c’est la paupérisation de certaines professions que l’on pensait jusqu’ici à l’abri du besoin. Un jeune avocat témoigne.  


Le « citoyen du monde » Arthur Young observait des choses bien curieuses, à l’occasion de ses fameux Voyages en France : çà et là en effet, de vastes étendues de terre, pourtant fertiles, demeuraient en jachères — et ainsi la population crevait de faim aux abords de ses propres champs. À qui la faute ? Au système oppressif d’impôts, de taxes, de charges et de corvées, en partie hérité du système féodal, en partie récupéré par l’État central (lire Un conte de deux villes, de Dickens). Le paysan matraqué de toutes parts se trouvait pareillement miséreux, qu’il exploitât sa terre ou qu’il ne l’exploitât point ; alors, il s’épargnait une peine inutile : il avait faim, mais au moins il était libre. C’était en 1788.

Aberrations françaises

Le témoignage de Young est fort intéressant ; d’ailleurs cet exercice, de visiter un pays étranger et d’en noter sans passion les succès et les défauts, n’a rien perdu de sa valeur : je rêve de lire le récit de voyage d’un globe-trotter d’outre-Manche, un peu niais, doté cependant d’un bon sens de l’observation, qui noterait ingénument les défaillances de notre État quant à la condition du travail. La France, évidemment, a bien changé depuis 1788 : elle s’est tertiarisée. Je gage pourtant que nombre d’aberrations lui sauteraient aux yeux, et notamment, d’une part, la faiblesse de la différence entre le montant des bas salaires et celui des prestations de toutes sortes accordées aux non travailleurs, d’autre part, la paupérisation des professions libérales.

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Un exemple (personnel) : la rétrocession d’honoraires minimale mensuelle accordée aux jeunes avocats, à Tours, est fixée à 2 000 euros brut ; comptez 40% de charges (impôts, CNBF, Ordre, URSSAF…), soit 1 200 euros net. L’INSEE fixe à 1 158 euros par mois le seuil de pauvreté en France : donc, à 42 euros près, le jeune avocat touche le seuil de pauvreté.

L’on me rétorquera que cette rétrocession n’équivaut pas à un travail à plein temps, mais est facturée par le collaborateur : libre à lui de développer sa clientèle personnelle. Mais l’irrespect des conditions du contrat de collaboration (notamment en ce qui concerne le temps libre disponible) est coutumier dans la profession ; puis, le surplus sera dévoré par la multiplication des frais qui s’ajoutent aux charges fixes : la voiture, le logiciel, la formation obligatoire ou le compte professionnel, et je ne parle pas de l’Ordre et des assurances, qui réclament chaque année la modique somme de 1 200 euros (!). À la fin, il ne reste rien : rien pour réunir du capital, obtenir un prêt, et même constituer un apport : les héritiers prendront l’argent de famille et les autres, contre mauvaise fortune bon cœur, feront tourner la machine à consommation.

De l’égalité républicaine à l’égalitarisme socialiste

Loin de moi l’idée de vouloir ici prôner une idéologie ultra-libérale : je comprends l’intérêt de cotiser pour la retraite, les accidents de la vie, et même les compatriotes en difficulté. Seulement, chacun devrait pouvoir mettre de côté à proportion de sa situation particulière ; puis j’ai constaté, comme beaucoup, les défaillances du système — les retraites, par quel scandale ? finissent constamment hors de proportion avec les cotisations, que ce soit dans un sens très favorable pour les statuts privilégiés, ou scandaleux pour les populations ouvrières.

L’économie française devient communiste. D’ailleurs, la Sécurité sociale, comme la CAF, excroissances de l’État social obèse — de Providence devenu Papa (remarque à étendre hors du champ de l’économie…) — sont nées des ordonnances du PCF ; certes, on n’a pas encore osé instaurer les kolkhozes, il n’empêche : presque la moitié des revenus du travail passe dans les caisses de l’État, avant d’être redistribuée : ce n’est plus l’égalité républicaine, c’est l’égalitarisme socialiste. Pour mémoire, l’argent est une propriété privée : si le Conseil Constitutionnel était plus sagement présidé, il rappellerait la législation française à l’ordre, sur le fondement de l’article 17 de notre grande Déclaration.

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Si encore nos charges rendaient notre nation riche ; mais les économies socialistes, trop administratives, trop centralisées, à la fois trop oppressives et trop dépensières, s’avèrent rarement efficaces. L’État est le plus mauvais des gestionnaires : donnez-lui votre argent, il le fait disparaître ; confiez-lui une entreprise, il la ruine : tout ce qui passe entre ses mains s’évapore, la gabegie est énorme ! Et de fait, que paient nos charges ? — les services publics défaillants, les aides, les prestations sociales (j’ai voulu les lister mais j’ai renoncé, il y en a trop !) et le remboursement de la dette…

Il est urgent de laisser respirer les travailleurs ; de ne plus leur voler le produit du labeur ; de valoriser le travail et de dévaloriser la paresse ; de ne remettre à l’État que le régalien, ainsi que les secteurs strictement stratégiques ; de mener une politique protectionniste, de modérer les dépenses publiques, de baisser les impôts et les taxes, de réduire les charges afin de permettre plus largement à chacun de se constituer sa propre rente : en deux mots, de nous laisser libres et responsables.

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Kamala Harris, une modérée?

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Élections américaines: êtes-vous certain que Kamala Harris soit aussi modérée qu’on le dit ? L’avocat franco-américain Randy Yaloz, président de « Republicans Overseas Action », détaille ici le parcours très (trop, à son goût) progressiste de la candidate démocrate…


Depuis l’investiture de Kamala Harris comme candidate officielle du Parti démocrate, nombre d’observateurs, de part et d’autre de l’Atlantique, la dépeignent comme une candidate « modérée » ou « centriste ». Pourtant, le bilan de son parcours politique en Californie et de son mandat de vice-présidente montre une tout autre réalité, celle d’une progressiste radicale.

Immigrationnisme

Commençons par son bilan en matière d’immigration. Quand elle fut procureure du district de San Francisco de 2004 à 2010, elle a soutenu une politique visant à protéger les délinquants étrangers âgés de moins de 18 ans des autorités fédérales en charge de l’immigration. Ainsi, des immigrés dangereux ont pu entrer sur le territoire américain en prétextant qu’ils étaient mineurs. Fait significatif, le très progressiste et immigrationiste centre de réflexion America’s Voice a loué sa politique migratoire. « En tant que procureur général de Californie de 2011 jusqu’à sa démission à la suite de sa victoire au Sénat des États-Unis en novembre 2016, Mme Harris a défendu avec vigueur les communautés d’immigrants dans son État et dans l’ensemble du pays », est-il notamment écrit dans une publication datant du mois de juillet.

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En tant que vice-présidente, Kamala Harris est responsable du bilan de l’administration Biden. Huit millions de migrants ont traversé la frontière sud depuis 2021. Au-delà de ses résultats désastreux en termes de protection de la frontière américaine, elle compte également parmi les personnalités politiques qui ont soutenu le mouvement des émeutiers qui a suivi la mort de George Floyd en 2020. Dans un tweet publié en juin 2020, elle encourageait les Américains à participer à un fonds visant à aider les manifestants violents.

Pire encore, elle a donné l’impression de soutenir le mouvement « Defund the police ». Dans une émission radio « Ebro in the morning », toujours en 2020, elle a déclaré que « tout ce mouvement consiste à dire, à juste titre, que nous devons examiner ces budgets et déterminer s’ils reflètent les bonnes priorités ». Kamala Harris serait-elle une candidate anti-police ?

Une radicale, dès sa jeunesse

À l’occasion d’un meeting en Pennsylvanie au mois d’août, Donald Trump, commentant la proposition de son adversaire de vouloir bloquer les prix, affirmait que Kamala Harris était devenue « complètement communiste ». Mais on peut se demander si sa radicalité est aussi récente.

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Dès son enfance, elle a baigné dans les idéologies de gauche et d’extrême-gauche. Retournons plusieurs décennies en arrière. Kamala Harris est née en 1964 à Oakland en Californie d’une mère biologiste indienne, Shyamala Gopalan et d’un père Jamaïcain, Donald J. Harris. Le parcours de ce dernier permet d’éclairer certaines prises de position de sa fille. Car il n’est autre qu’un célèbre professeur d’économie émérite de la prestigieuse université de Stanford qui a été qualifié par l’hebdomadaire britannique The Economist, d’« économiste marxiste combatif ». C’est sans doute en partie la raison pour laquelle le programme de candidate de sa fille flirte avec le marxisme. Au mois d’août, pour lutter contre l’inflation, elle a annoncé qu’en tant que présidente, elle mettrait en place « un plan fédéral de fixation des prix pour les produits alimentaires et d’épicerie » afin d’empêcher les « grandes entreprises de profiter des consommateurs ». Cette mesure très soviétique est purement électoraliste et n’est pas sans rappeler les propositions ubuesques des partis politiques de gauche du monde entier, à l’instar du Nouveau Front populaire qui propose l’instauration du Smic à 1 600 euros en France… Toutes ces politiques sont néfastes pour les entreprises, et conduiraient évidemment à plus de pauvreté.

Il y a aussi beaucoup à craindre pour le soutien historique et indéfectible des États-Unis à Israël si Kamala Harris l’emporte en novembre. Certes, elle a déclaré à plusieurs reprises qu’elle était du côté de l’État hébreu, mais certaines de ses prises de position disent l’inverse et la rapprochent en réalité des pires postures propalestiniennes. Elle n’est pas claire par exemple concernant sa position à venir sur l’arrêt ou non des livraisons d’armes à Israël en tant que présidente, évitant de répondre à des questions à ce sujet. Et elle subit une pression constante de la part du courant le plus gauchiste et anti-Israélien du parti démocrate, dont les membres du « Squad ». Elle aura peut-être besoin du vote musulman dans certains « swing States ». Saura-t-elle résister à cette pression ? Il est permis d’en douter.

Mignonne, allons voir…

Le romancier Franck Maubert a acheté une maison sur les bords du Loir, le pays de Ronsard. Aimanté par le génie des lieux, il mêle ses mots à ceux du poète et à la beauté du paysage. Avec Pierre de Ronsard, une démonstration de grand style.


Le moraliste Joubert écrit qu’il « ne faut qu’un sujet à un ouvrage ordinaire ; mais pour le bel ouvrage, il faut un germe qui se développe de lui-même comme une plante. » Le germe, chez Franck Maubert, est aussi la source, la cause originelle qui donne lieu au livre ; qui lui assure son développement. Et son unité. À l’instar de Ronsard, le romancier de L’eau qui passe (Gallimard, prix Jean-Freustié 2019) a le goût des Histoires naturelles. Celle qu’il nous conte aujourd’hui doit tout à l’amoureux de Cassandre. Le poète des Amours va donner une maison au narrateur mais, plus encore, « un paysage à qui parler ». Et un bel ouvrage, bref mais foisonnant, profond et luxuriant, érudit et sensible.

Plume généreuse

Avec Pierre de Ronsard est d’emblée une promenade sur les bords du Loir, là où « une lumière solitaire éclabousse la perspective même les jours où le bleu est indécis. Une journée entière peut s’écouler à se perdre dans les métamorphoses de la lumière, dans les rumeurs des vents. » Franck Maubert est un styliste de première envergure, de ceux qui font raisonner leur imagination dans « le halo des mythes », qui s’inventent une liberté : celle qui confine à une joie profuse. L’euphorie, qui est l’une des formes que prend son énergie, guide sa plume et, comme il est à l’évidence généreux, elle infuse.

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Tout part d’une petite annonce : « Pays de Ronsard. Cadre exceptionnel, bord du Loir, anciens communs de château restaurés, 220 m2 habitables, viager libre. Étude Herbinière à Tours. » Le narrateur est appelé, un dieu fait signe, il doit partir, faire route sur-le-champ, aller visiter cette maison : « Quelque chose me poussait, quelque chose de plus fort que ma volonté, que la raison même, m’attirait en ces lieux. Je l’ignorais, mais c’était Ronsard, ou plutôt cette nature, la sienne, celle qu’il a célébrée, ce paysage si français qu’il aimait tant. » À peine descendu de sa voiture, sans même poser les yeux sur la maison de l’annonce, sans donc l’avoir visitée, étourdi par la scène qu’offre ici la nature, il est pris d’une « fièvre buissonnante » et hurle : « J’achète ! » C’en est fait de lui : « Je sais que j’ai trouvé ma tanière et que je cesserai de me désirer ailleurs. » Ainsi commencent les plaisirs et les jours…

Ami retrouvé

Maubert est savant. Il interprète le poète, fouille sa vie comme son œuvre, interroge sa famille, sonde son cœur donc ses passions, veut pointer ses mystères : « Il y a chez Ronsard un mélange surprenant, ce puissant accord entre la richesse terrestre et la bénédiction céleste. » Tout se passe, là, comme si le décor plantait le poète : « Ici tous les sens débordent, ils s’activent au service d’un plaisir particulier où contemplation et pensée se rejoignent. » Maubert a Ronsard tous les jours sous les yeux. À preuve, les fantômes existent.

Ce qui captive le narrateur, c’est bien « ce quelque chose d’évanoui à travers l’illusion du murmure des mots ». Ronsard était comme un ami disparu de Maubert. Ils viennent de se retrouver.

Franck Maubert, Avec Pierre de Ronsard, Mercure de France, 2024.

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Gouvernement Barnier: élections, piège à cons!

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« Élections, piège à cons » : l’impertinence soixante-huitarde va comme un gant à la farce démocratique produite par la classe politique naufragée. En juin 1968 les contestataires de mai entendaient, par ce slogan, dénoncer le choix de Charles De Gaulle de dissoudre l’Assemblée nationale ; les élections allaient malgré tout lui offrir une majorité absolue.

Cette fois, ce sont les perdants des législatives qui se partagent les 39 postes du gouvernement de Michel Barnier, constitué samedi soir. Non seulement le nouveau Premier ministre n’a su concrétiser ses promesses du 5 septembre de « tourner la page » et d’apporter « des ruptures », mais la macronie, désavouée par les urnes, se taille la part du lion (seize ministres, dont sept reconduits). Les Républicains de Laurent Wauquiez, faibles de leurs 47 députés, se partageront 15 maroquins avec les Divers droite. Les miettes n’ont pas été proposées aux indésirables vainqueurs du 7 juillet, le Nouveau Front populaire et le RN allié à Éric Ciotti.

Parler de coup d’État ou de putsch pour qualifier ce jeu de bonneteau serait certes excessif : la mascarade s’est déroulée sans violence, avec l’assentiment de partis soucieux de leur survie et d’hommes politiques ambitieux n’oubliant pas de remercier leurs « mamans » (Attal, Barnier) sur le perron de l’Hôtel de Matignon. Le mot qui vient, devant ce déni démocratique, est celui d’usurpation. Un monde politique prend fin pour n’avoir jamais su représenter la vraie France. La santé mentale, annoncée dimanche soir sur France 2 comme « grande cause nationale » par le Premier ministre, est d’abord un fléau qui frappe ces élites refusant le réel.

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Bruno Retailleau (LR), nommé à l’Intérieur par Barnier, saura-t-il néanmoins corriger les premières impuissances du Premier ministre, confronté aux blessures ardentes de l’égo présidentiel et à ses pièges de braconnier ? Le sénateur de la Vendée, qui fut proche de Philippe de Villiers et du courant souverainiste, a comme atout d’avoir les idées claires sur les sujets interdits (immigration de peuplement, libanisation de la nation, infiltration islamiste, etc.). Il fait partie de ces rares élus qui ont pensé l’effondrement du vieux monde claquemuré.

Mais lui comme d’autres à droite n’ont pas été au bout de leurs réflexions. Retailleau ne semble pas vouloir admettre que le nouveau monde s’élabore en dehors du système dépassé dont il reste un acteur. L’alternative se construit au cœur du peuple abandonné, que le RN en mutation s’emploie à fédérer. Or, pour avoir choisi de collaborer avec la macronie récusée, Retailleau et ses amis ont pris le risque de sombrer avec le Titanic. Ainsi, le ministre de l’Intérieur devra composer avec le socialiste Didier Migaud, imposé par le chef de l’État au ministère de la Justice : un choix qui fera inutilement perdurer l’opposition entre la police et la justice, au plus grand profit des délinquants. Il est trop tôt bien sûr pour juger le gouvernement, sous surveillance de Marine Le Pen. Contraint au pointillisme des compromis, Barnier s’oblige à la modestie. Mais les Français, déjà trahis après leur vain refus de la constitution européenne en 2005, ne supporteront pas longtemps le mauvais spectacle de leur cocufiage, probables impôts supplémentaires en plus. Gare au cave qui se rebiffe !

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Un Offenbach queer?

Mis en scène de façon outrancière par Barrie Kosky, Les brigands deviennent vite assommants. Puis, il faut supporter les calembours inédits d’Antonio Cuenca Ruiz. Enfin, entre en scène la navrante Sandrine Sarroche… Des huées ont été entendues, lâchées des balcons le soir où nous étions présents.


Ca vrille, ça sautille, ça virevolte, ça pétille dans un paroxysme de frénésie burlesque, de malice et de facétie. Tourbillon de danses carnavalesques, de travestissements teintés de lubricité qu’accuse le flamboiement des costumes : la foule des brigands déchaînés envahit le plateau du Palais Garnier, dont le somptueux rideau de carton lourdement ornementé qu’on connait, se lève sur les ors fatigués d’un palais à l’abandon, aux parois ouvragées, grisâtres, maculées de graffitis morbides ou obscènes.

Montée – démontée, pour mieux dire ! – par le metteur en scène australien Barrie Kosky, fanatique d’Offenbach (cf. La Belle Hélène, à Berlin cette année), cette nouvelle production marque le retour à l’Opéra de Paris du célèbre opéra-bouffe qui, au sommet de la carrière d’Offenbach, triompha en 1869 au Théâtre des Variétés, pour entrer bientôt dans la pure tradition de l’Opéra-Comique.

Travestissement roi

Il est parfaitement légitime et même souhaitable, en 2024, de sortir Offenbach de la naphtaline boulevardière, vaguement égrillarde, où le bourgeois en frac du Second Empire trouvait à se divertir. Le duo des librettistes, Henri Meilhac et Ludovic Halévy, ne seraient-ils pas, quelques années plus tard, ceux de Carmen (1875) ? Dramaturges, romanciers, vaudevillistes et princes de l’opérette, ces deux-là étaient les vedettes du temps. Leurs répliques en vers s’enchaînent ici avec la même aisance – « Jadis vous n’aviez qu’une patrie/ Maintenant vous en aurez deux/ La nouvelle c’est l’Italie/ L’Espagn’, cest cell’ de vos aïeux (…) Y’a des gens qui se disent Espagnols/ Et qui n’sont pas du tout Espagnols » –  que les numéros de la partition – musique facile, paroles allusives qui font alors rire aux éclats, Napoléon III ayant pris pour épouse, comme chacun sait, l’ibérique Eugénie de Montijo…

Bref, redonner de l’engrais à la sève comique des Brigands ne fait pas de mal, revitaminer la veine discrètement subversive qui change ces bandits de grand chemin en métaphore des possédants et autres gens de pouvoir n’a rien d’abusif. Il faut bien reconnaître que Barrie Kosky y parvient, mais à quel prix : brillamment campé, malgré son accent, par le ténor néerlandais Marcel Beekman, le chef des brigands, Falsacappa, méconnaissable sous son obscène cuirasse de chair enveloppée d’une longue robe rouge vif, endosse l’aspect d’une hystérique drag-queen emperruquée, monstrueusement fardée, exacte copie de « Divine », l’héroïne camp du mémorable film-culte américain ultra trash de John Waters, Pink Flamingos (1972).

Le travestissement fait d’ailleurs loi d’un bout à l’autre d’un spectacle où les protagonistes vont de déguisement en déguisement (en ermites, en mendiants, en Espagnols, en marmitons…) : de là à exposer un chanteur en lycra noir sado-maso ; des prêtres derviches en chasuble, des bonnes sœurs en danseuses de french-cancan ; des marmitons en loufiats de brasserie ; des carabiniers en uniformes de gendarmes des années 1970, coiffés de képis ; une princesse de Grenade au costume calqué sur ceux des toiles de  Vélasquez ? De même, l’outrance volontaire des danseurs, petits allumeurs torse et jambes nus, et qui s’embouteillent avec le chœur nombreux, dans une perpétuelle, explosive et démente saturnale… L’affichage rutilant du mauvais goût, ce carambolage des époques (dont le livret, au reste, assume la fluidité) a la vertu d’investir ce répertoire très convenu d’un peu d’acide. Corrosif ? Pas tant que ça.  

L’intervention malvenue de Sandrine Sarroche

De fait, on ne suivra pas Kosky jusqu’au bout de sa logique : au lieu de se contenter de respecter le livret, le régisseur l’entrelarde, non seulement de nouveaux dialogues auxquels la plume d’Antonio Cuenca Ruiz imprime une tonalité résolument canaille, mais pour dissiper les obscurités (avérées) de cette intrigue à tiroirs aux mille rebondissements improbables, il intercale aux numéros, pour le spectateur qui serait éventuellement noyé, des digests sensés en désembrouiller la pelote. Didactisme agaçant. Mais ce n’est pas le pire. Le summum de la trivialité est atteint avec les calembours et autres gags dont notre « correcteur » se croit autorisé de farcir l’œuvre : ce n’est plus de l’opéra-bouffe, c’est de la bouffissure ! Jeux de mots sur la « ligne 7 du métro qui mène à la station Opéra », par exemple… Mais surtout, au dernier acte, la chroniqueuse et humoriste Sandrine Sarroche, surgissant sur scène dans sa mise BCBG, s’arroge un petit couplet parodique en alexandrins suivi d’un show de son cru qui, dans le rôle d’Antonio, le Caissier, changé en « ministre du Budget » (sic), lui inspire cette fable : « il était une fois un ancien banquier devenu président » – je ne nomme personne suivez mon regard. Ou, mieux encore, lui fait évoquer –  ha !ha ! ha ! – le… « palais Barnier ». Empalé par le sketch, le patrimoine lyrique a rendu l’âme.

Les Brigands 2024-2025 © Agathe Poupeney – OnP

Il est heureux que les chanteurs, eux, ne la lui ravissent tout à fait. Sous la baguette du transalpin Stefano Montanari qui fait à cette occasion son entrée à l’Opéra de Paris, l’orchestre maison charge d’énergie les mélodies entêtantes et espiègles du barde national, malgré de nombreux décalages avec le chœur – mais quelle importance quand le spectacle tire à ce point vers le cabaret. Belle performance pourtant de Marie Perbost, en Fiorella, la fille de Falsacappa, tandis qu’Antoinette Dennefeld excelle dans le rôle de son amant Fragoletto, tout autant que Laurent Naouri dans celui du chef des carabiniers. Mentionnons Adriana Bignani Lesca, en Princesse de Grenade, Philippe Talbot, en Comte de Gloria-Cassis… Beaucoup des rôles secondaires étant confiés à des membres de la Troupe lyrique ou de l’Académie de l’Opéra. Ce n’est pas contre eux qu’au tomber de rideau montent, au milieu des salves d’applaudissement, les huées lâchées des balcons, mais bien contre cette régie donnée pour transgressive et qui, en somme, se contente un peu trop grassement de faire la blague, comme on dit.

Dans un des textes du programme intitulé sans rire : « Pluralité du travestissement offenbachien (sic) ; le protéiforme comme matrice », la musicienne et chercheuse Capucine Amalvy rappelle que « si nous sommes tenté.e.s  (sic) par une lecture  contemporaine,  (…) en oscillant entre les binarités, l’œuvre tord les représentations essentialistes ». Non, vraiment, vous croyez ?              

Les brigands. Opéra-Bouffe en trois actes de Jacques Offenbach. Direction : Stefano Montanari. Mise en Scène : Barrie Kosky. Opéra et chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Marcel Beekman, Marie Perbost, Yann Beuron, Laurent Naouri, Matthias Vidal, Philippe Talbot, Eugénie Joneau, Leonardo Cortallazzi, Eric Huchet…
Palais Garnier. Paris.  Durée : 2h50.
Les 24, 26, 27 septembre, 2, 3, 5, 8, 12 octobre à 19h30. (Spectacle repris du 26 juin au 12 juillet 2025).

Génération Ratus

Notre chroniqueur ne s’est jamais laissé aller à se moquer d’un élève en grande difficulté. Bien au contraire : il a toujours tâché de comprendre d’où venaient les difficultés du disciple… Il n’est pas du genre à se moquer des errances de Sébastien Delogu, bien qu’il soit ostensiblement ignare, incompétent, de culture nulle et qu’il drague l’électorat antisémite. C’est du côté de la formation du député de Marseille qu’il faut essayer de trouver les sources de ses errances — les siennes et celles de ses semblables, tous réunis à gauche, comme par un fait exprès.


Je ne suis pas de ceux qui se gaussent lorsqu’ils entendent Sébastien Delogu ânonner (un joli verbe, en ce qui le concerne) difficilement un texte qu’il a sous les yeux, ou ignorer qui était Pétain.
(Quelle idée ils ont eue, à LFI, de demander à un Delogu de lire leur déclaration… Ou est-ce pour que leur électorat le plus analphabète s’identifie à un député qui ne l’est pas moins ? Ça procèderait assez du mépris dans lequel les gens de gauche tiennent les gens de peu…)

La dyslexie est un handicap dont on n’a pas à se moquer — encore que les clients de l’ancien chauffeur de taxi marseillais puissent s’inquiéter, rétrospectivement, des capacités du député des Quartiers Nord à distinguer sa droite de sa gauche.
Pédagogue un jour, pédagogue toujours. Je me suis efforcé de comprendre la source de ses difficultés — et de celles de nombre de ses compagnons de route.
Alors écoutez bien : Sébastien Delogu est né en 1987 — deux ans après l’apparition dans les salles de classe de Ratus, le manuel des éditions Hatier qui a permis de détruire à la source les capacités cognitives d’une génération entière : plébiscité par les « professeurs des écoles » (90% dans les années 1990, encore 80% aujourd’hui) qui avaient opté pour une méthode « idéo-visuelle » (c’est-à-dire à départ global), censée augmenter rapidement le sac de mots des élèves les plus ignares, Ratus est le modèle-type des manuels d’apprentissage du lire-écrire qui ont fabriqué à la chaîne des dyslexies « apprises », rendu presque impossible une lecture fluide, et détruit par avance la possibilité d’apprendre quoi que ce soit.
Ajoutez à cela que cette génération a pris de plein fouet les consignes des pédagogues constructivistes qui se sont installés au ministère de l’Education avec Lionel Jospin, et ont inspiré sa loi délétère de 1989. Conformément à ce que préconisait alors Philippe Meirieu, gourou en chef de la secte, Delogu et ses petits camarades ont sans doute appris à lire dans les notices des appareils ménagers…

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(Je dois à la vérité de dire que Meirieu, en 1999, est revenu sur ses préconisations antérieures : « Il y a quinze ans, par exemple, je pensais que les élèves défavorisés devaient apprendre à lire dans des modes d’emploi d’appareils électroménagers plutôt que dans les textes littéraires. Parce que j’estimais que c’était plus proche d’eux. Je me suis trompé », déclara-t-il ainsi au Figaro en 1999. Trop tard : le mal était fait, et ceux qui le suivaient aveuglément ont négligé d’ouvrir les yeux sur les désastres qu’ils provoquaient).

Parce que Delogu n’est pas le seul à appartenir à la génération Ratus. Manuel Bompard et Marine Tondelier sont nés en 1986, Mathilde Panot en 1989, Adrien Quatennens en 1990. Une belle brochette d’intellects à la dérive, tous abreuvés de pédagogies déficientes — Jean-Claude Michéa avait par avance posé le diagnostic de cette génération perdue en sortant, en 1999, L’Enseignement de l’ignorance, dont le titre résume les failles des pédagogies du désastre.

Plaignons ces purs produits du constructivisme, cette belle théorie selon laquelle l’enfant construit lui-même ses propres savoirs, ce qui leur permet en même temps d’en rester à « areuh-areuh » et d’appartenir à LFI.

En revanche, Mélenchon, Ruffin, Autain, Arenas et les autres n’ont pas cette excuse. Eux, c’est délibérément qu’ils ont opté pour La France Insoumise, arboré le drapeau des assassins palestiniens à tout propos, tenu des discours incendiaires, exhibé les photos du Lider aux illettrés dont on guignait le vote, et autres mirifiques fantaisies dont ils s’évertuent à nous prouver qu’elles sont « de gauche ».
Si la droite était jadis, à en croire De Gaulle, « la plus bête du monde », la gauche a fait de son mieux pour la dépasser sur le chemin de l’obscurantisme.

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À noter que nombre de « néoprofs » d’aujourd’hui, parmi les trentenaires — et la plupart de ceux que les jurys des concours ont refusé d’admettre, tant était crasse leur ignorance, mais que les syndicats voudraient que l’on intègre immédiatement comme titulaires — appartiennent à la même génération de cerveaux déglingués. Ce qui les amène, dans le plus pur respect de la loi Jospin qui régit toujours l’Educ-Nat, à écouter religieusement les discours débraillés de leurs élèves sur la platitude de la Terre, la primauté de la charia sur la loi française, l’infériorité naturelle des femmes, toutes impures, et autres balivernes qu’un enseignant sérieux (des générations antérieures) balaierait d’un haussement d’épaules : la liberté d’expression des élèves est précieuse, surtout quand il se tait.

J’habite Marseille. Quoi que j’aie du travail par-dessus la tête, j’offre à Sébastien Delogu de le prendre en cours particulier pour lui ré-apprendre le b-a-ba, le décryptage des mots et une culture de base — par exemple en lui faisant lire le texte complet de la loi de 1905 :« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».
Ça a quand même une autre gueule que le mode d’emploi de votre machine à laver…
Répétez après moi en lisant tous les mots, élève Delogu ! Et puis allez l’expliquer aux filles voilées qui ont aveuglément voté pour vous.

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Attal: quelle claque et quelle classe!

Ces derniers jours, le jeune Gabriel Attal s’est cru autorisé à donner la marche à suivre à son successeur, Michel Barnier… C’est qu’il a « une histoire à écrire avec les Français », estime-t-il dans Le Point.


On excusera, je l’espère, mon ignorance et ma sottise, mais j’ai longtemps pensé que l’École Alsacienne, si réputée par ailleurs, était le lieu où se préparaient les futurs compétiteurs du championnat du monde de choucroute garnie. Il n’en est rien, m’a-t-on fait savoir.

Attal sorti de Matignon : il pédale dans la choucroute !

On me dit aussi que Monsieur Attal et tant d’autres maîtres queux de la politique actuelle seraient passés par cet établissement. Or, s’ils avaient produit quelque chose d’aussi profitable à l’humanité, au peuple de France, qu’une vraie bonne choucroute, cela se saurait. Là encore il n’en est rien.

Au vu de ce que ce même M. Attal nous montre ces derniers jours, je serais davantage enclin à imaginer que, dans les murs de ladite école, on enseignerait plutôt la suffisance, l’arrogance, la mauvaise foi et l’incorrection.

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Après un petit CDD de huit mois à Matignon, après quelques séjours touristiques, je veux dire éphémères, dans divers ministères, après quasiment dix années de marcronisme actif, après surtout la déculottée électorale qu’on connaît, sanction du bilan laissé, on l’a vu lors de la passation de pouvoir entre son successeur à Matignon et lui, accaparer longuement, bien trop longuement, éhontément dirais-je, la parole. Il parlait, parlait, parlait se croyant manifestement autorisé à donner des conseils, à édicter une feuille de route – «  Ceci et encore cela est sur votre bureau, Monsieur le Premier ministre » – se comportant non pas en sortant, en exfiltré pour cause d’échec cuisant mais en une sorte d’inamovible titulaire du poste, d’occupant de droit, seulement victime d’un incident de parcours, d’une parenthèse forcée.

Conseils d’ami ?

D’ailleurs ne donne-t-il pas tous les signes de n’avoir pas encore bien compris que, Premier ministre, ni même touriste-ministre, il ne l’était plus? Il se permet encore ces dernières heures de donner des consignes au successeur, de lui fixer des lignes rouges à ne pas dépasser, de lui intimer des ordres, de lui imposer une marche à suivre. Il est vrai que l’état dans lequel il laisse le pays le rend légitime à vouloir absolument imposer sa marque à tout ce monde pour aujourd’hui, demain et les temps à venir.

A lire aussi: Sébastien Delogu, le triomphe de l’échec…

On pourrait penser que, les joues encore meurtries de la baffe électorale encaissée, le jeunot au petit sourire tête à claques aurait la décence, la délicatesse de se taire, l’élégance de souhaiter bon vent à l’homme d’âge et d’expérience qui a l’exemplaire courage de reprendre en main le bâton merdeux qu’il lui laisse. De toute évidence, l’école par laquelle M. Attal est passé ne lui a pas enseigné cet art-là, si appréciable en politique comme dans maints aspects de la vie en société : l’art d’agir et de réagir en ayant soin de s’imposer un minimum de classe.

Rougemont: palette inclassable

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Plus qu’une courte semaine pour visiter l’exposition Incursion dans l’atelier de Rougemont. Elle se tient depuis la mi-juillet quai de Conti, en libre accès, dans cette prestigieuse enceinte parisienne de l’Institut de France, qui abrite l’Académie des Beaux-arts.


L’exposition préludait à la toute récente parution, en ce mois de septembre sous les auspices des éditions Norma, d’une monographie (bilingue français-anglais) consacrée à ce protée – peintre, dessinateur, designer, sculpteur, installateur, décorateur… – que fut Guy de Rougemont, disparu il y a trois ans, à l’âge de 86 ans. Dirigé par l’émérite spécialiste américaine Gay Gassmann, préfacé par l’architecte d’intérieur bien connu Jacques Grange et nourri de contributions amies – depuis les galeristes Pierre Passebon ou Diane de Polignac jusqu’ à l’historien d’art fort érudit Adrien Goetz, en passant par l’artiste argentin Julio Le Parc –  le « beau livre », de très grand format, constitue un hommage appuyé au disparu.


En 1935, Guy Joachim Edgard René du Temple de Rougemont ne naît pas dans la crotte, c’est le moins qu’on puisse dire. Sa mère descend en droite ligne de Caroline Murat, la sœur de Napoléon. Les sœurs de Guy, toutes duchesses ou princesses, seront-elles-mêmes durablement implantées dans le milieu étroit des musées, des galeries, des marchands d’art et des acheteurs fortunés… Son père, général et diplomate en poste aux États-Unis, lui aura ouvert de bonne heure l’idiome, les charmes et les réseaux de la hype society nord-américaine.

Gay Gassmann le souligne : « l’homme Guy de Rougement avait tellement de contradictions : un artiste français extrêmement fier de son héritage, un dandy qui évoluait à travers la scène parisienne avec aisance et grâce. Un enchanteur et un raconteur, qui connaissait tout le monde et ne supportait guère les imbéciles. Un intellectuel dévoué aux livres et, curieusement, un rebelle (…) Rougemont s’intéresse à tout, et tout l’inspire ».

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De fait, ce « pont entre grand art et art mineur » qu’évoque le patron de la Galerie du Passage, éditeur de la Table nuage à la quelle Rougemont doit une bonne part de sa célébrité, cette passerelle (aujourd’hui tellement galvaudée, minée par les barbouilleurs du « street art »), il n’allait pas de soi d’en lancer les arches sur le fleuve des Trente Glorieuses. Gassmann, encore : « né aristocrate, [Rougemont] est en même temps, à sa façon, un militant (…) Il n’hésite pas à qualifier quelqu’un ou quelque chose de ‘’bourgeois’’ ou de bureaucratique, tout en louant le modèle familial traditionnel et conventionnel ».

Marié avec la rayonnante Anne-Marie Deschodt – laquelle fut, en premières noces, l’épouse du grand cinéaste Louis Malle – l’artiste ornera son épée d’académicien de la devise familiale : « Age quod agis » : « fais ce que tu fais ». Rougemont aura beaucoup fait, et ce sur tous les registres de la création plastique. On se souvient qu’en 1974, il « met en couleur » en PVC polychromes les colonnes du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Un an plus tôt, il érige ses « totems » à Cergy-Pontoise ou au Plessis-Robinson. En 1977, il colore l’autoroute A 4, sur 30 km, avec des sculptures bien flashy. Commandes publiques – ah, le fameux 1% artistique imposé par la bureaucratie pour « animer » l’espace urbain et paysager… Comme l’observe Julie Goy dans un des textes qui enrichissent l’ouvrage : « l’œuvre de Guy de Rougemont est à double tranchant, oscillant constamment entre une volonté de simple prolongement artistique de la ville, et une volonté de contraste, de rupture avec ce qui existe ». Un bon exemple en reste le pavage de l’esplanade du musée d’Orsay.

Ces réalisations parfaitement datées ont l’heur de ne pas éclipser quantité de productions dont rendent compte les photos ‘’pleine page’’ qui constellent ce gros livre à l’élégante couverture rigide : le grand salon iconique de Henri Samuel, composé vers 1978 au 118 de la rue du Faubourg Saint-Honoré ; le magnifique atelier de Rougemont, rue des Quatre Fils, là même où Madame du Deffand tenait salon trois siècles plus tôt ; jusqu’au bar du Mark Hôtel, à New-York, déco millésimée 2010.


Aquarelliste, Rougemont conçoit du mobilier ; désigner, il crée des couverts en porcelaine, tel ce service Arlequin, en 1992. Graphiste, il dessine l’étiquette du Château Mouton Rothschild, cru 2011… Ou encore scénographie le bureau de François Catroux, la salle à manger de Françoise Dumas ou celle du couple Jacques-Henri et Cécile de Durfort.  Il décore l’appartement Dior du 30 avenue Montaigne. Ou même l’intérieur d’un jet privé, à l’occasion. Bref, ce pape du pop copain de Warhol n’en aura pas moins été, à sa manière, le pontife du chic.

Guy de Rougemont a eu droit à une rétrospective : elle remonte à 1990 – sise au Musée des Arts Décoratifs. L’aimable Adrien Goetz conclut : « il détestait l’idée d’être muséifié tout vif ». Mort, l’inclassable grand seigneur aurait-il la classe d’un classique ?      

En librairies : Guy de Rougemont, par Gay Gassmann. 256p., 250 illustrations. Norma éditions, 2024.

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A voir : Incursion dans l’atelier de Rougemont, jusqu’au 29 septembre. 27 quai de Conti – Paris 6e

La rentrée littéraire du côté des femmes, en ère post MeToo

Voici les ouvrages – tout à fait dispensables – que les lectrices s’arrachent cet automne


Beauvoir, Duras et Yourcenar m’ont construite. Née femme je leur dois d’être devenue une femme éprise de littérature, et surtout, de l’être restée. Je leur dois de m’avoir fait découvrir la Littérature éternelle, celle qui rend libre et se rit des assignations de genre, de classe ou de race ; cette littérature qu’on perd de vue, en cette époque de jérémiade généralisée où l’on n’écrit plus que pour glorifier la victime et témoigner – de préférence en étalant ses turpitudes – sur la place publique. J’ai aimé mes Marguerite parce qu’elles étaient des hommes comme les autres, des écrivains au même titre que Sartre, Montherlant, Flaubert, Gide ou Madame de La Fayette. J’ai retenu cette parole de l’une (Marguerite Duras), grande amoureuse : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup les aimer pour les aimer » et fait ma devise des mots écrits par l’autre, lus dans Les Yeux ouverts : « Ne comptez pas sur moi pour faire du particularisme de sexe. Je crois qu’une bonne femme vaut un homme bon ; qu’une femme intelligente vaut un homme intelligent. C’est une vérité simple. »

Ère lacrymale et victimaire

Des hommes et des femmes écrivaient, autrefois, avant la charge mentale, l’oppression patriarcale et la prédation, avant la misogynie banalisée et généralisée, avant la dysphorie de genre et la découverte des déterminismes sociaux. On écrivait et, bien. Mais ça, ça c’était avant qu’on entre en ère lacrymale et victimaire, avant que les néo-féministes, qui se foutent pas mal du talent, ne fassent main basse sur la littérature en exigeant que des écrivaines et autres auteresses sans plume soient reconnues. On a imposé aux lettres un quota de féminitude en même temps qu’on a évincé l’épopée. L’autofiction triomphe, obscène, et on pose ses tripes sur une table à laquelle on n’a pas été invité. La femme, qui s’est auto-proclamée mineure, est sommée d’étaler son moi vide et pourtant enflé comme un foie gras. Moi : maman, mariée, maîtresse, abusée. Moi : exploitée, moquée, dévalorisée… Moi : transfuge de sexe, de race ou de classe. Moi : toujours recommencé.e, femme, résiliente, forte et résolue à changer le monde.

Sixième roman pour Emma Becker

Bienvenue à gnangnanland : petite sélection de la rentrée littéraire, à lire, ou pas… Emma Becker nous donne son sixième roman Le Mal joli. L’auteresse continue, d’après franceinfo, à « bâtir une œuvre dans laquelle sexe, autofiction et littérature font ménage à trois. » Voici le pitch du roman : en trois saisons, du printemps à l’automne, on suit les aventures amoureuses, charnelles et passionnelles d’Emma, mariée, mère de famille et écrivaine, avec Antonin en couple et écrivain… lui aussi. Pour les amateurs de potins, on a reconnu en Antonin Nicolas d’Estienne d’Orves, auteur un brin réac. L’écrivaine adultère, affolée de désir, n’a peur de rien, elle baise, déserte le foyer, mais… continue, hélas, à écrire. « Votre petit hôtel borgne ne me fait pas peur. Je l’ai déjà dit, et je n’ai pas peur de vous rebattre les oreilles, je vous baiserais sur un tas de fumier, dans les égouts. Alors si vous pensez que j’ai peur d’un hôtel Ibis… ! »

A lire aussi, Didier Desrimais: Le triton est une sirène comme une autre!

La femme amoureuse a toutes les audaces, soyez-en bien sûrs messieurs. Las ! la femme amoureuse est aussi mère. Un jour, elle récupère son fils Isidore à l’école et lui demande ce qu’il aimerait faire plus tard. Réponse du gosse : « En tout cas, je ne serai jamais écrivain (…) parce que quand tu es écrivain, tu n’es jamais chez toi, tu n’as jamais le temps de t’occuper de tes enfants. » Déclic. La maman désirante et écrivaine comprend qu’elle ne peut pas mettre ses « enfants en pause » pour vivre sa passion. Le texte se veut du Duras mâtiné d’Ernaux, mais, ça fait pschiit et on attend toujours le second effet kiss cool. L’Amant et Passion simple, tu repasseras, muscade ! 

Maylis de Kerangal : chic, une enquête « intérieure » !

Fortune de mer, ensuite. Appareillons pour le Havre avec Maylis de Kerangal qui surfe, elle aussi, sur le (la) vague ; la marée n’est pas encore tout à fait basse, que diable ! Voici Jour de ressac. Le corps d’un homme a été retrouvé au Havre ; on l’annonce à la narratrice. Dans la poche du mort, un ticket de métro. Au dos du ticket, griffonné, le numéro de téléphone de l’héroïne, 49 ans, doubleuse de métier, vie parisienne avec mari et enfant (très important). On est alors télétransporté au Havre, ville dans laquelle la narratrice, tout comme l’autrice « a poussé comme une herbe folle. » Ça va déferler, bordel ! (Pas du tout, en fait.)  « L’autrice nous propose une enquête au rythme des pas de la narratrice, une investigation aux allures de déambulation. » (franceinfo) Que ceux qui auraient imaginé un roman noir se rassurent, c’est bien un roman « de l’intime », celui d’une femme. « Une enquête intérieure qui questionne le passé, les brisures. » (franceinfo) Ce roman « conjugue magnifiquement l’intimité d’une femme cabossée par un chagrin d’amour et l’impersonnelle violence de l’enquête à laquelle elle est mêlée », précise Livres Hebdo.  Maylis de Kerangaldonne à voir « les douleurs anciennes, les marques qu’elles laissent et celles dont on fait le choix de s’épargner » (franceinfo). Dis-moi comment tu te préserves, je te dirai quelle femme (résiliente) tu es. La vie et la nostalgie ne sont définitivement plus ce qu’elles étaient : « Au loin, le phare projetait son désœuvrement sur l’avant-port, fou et solitaire, résigné à attendre le soir pour émettre sa signature lumineuse : un éclat rouge toutes les cinq secondes (…) Le battement cardiaque de la nuit portuaire. » De battre mon cœur s’est arrêté. Je ne crois pas que les vivants seront réparés par le nouvel opus de Madame de Kerangal.

Nouveaux départs ?

En bonne pêcheuse de perles, j’ai aussi repéré pour vous Dors ton sommeil de brute, commis par Carole Martinez qui n’en est pas à son coup d’essai. C’est encore le magazine ELLE qui en parle le mieux : « Si Éva fuit Paris, c’est pour mieux sauver son enfant. Son mari, Pierre, ne retient plus ses coups envers Lucie (sur ! bordel !), leur petite fille. Il faut s’installer là où personne ne pourra les retrouver. Eva trouve une maison de gardian, entourée de marais, survolée d’oiseaux migrateurs et surveillée par Serge, un doux géant. La sensation d’être en sécurité est de courte durée. En pleine nuit, Lucie crie. Des hurlements longs, glaçants, annonciateurs de la suite des évènements. » On n’a pas voulu la connaître, la suite.

Pour que vous sachiez bien quoi ne pas lire, j’évoquerai enfin La meilleure part d’eux-mêmes d’Avril Ventura. Il y est question de Marie qui, selon ELLE, toujours, « a bazardé sa vie d’avant, coupé les ponts avec tous et surtout avec Paul, le père de l’enfant qu’elle vient de quitter sans lui dire qu’elle était enceinte (…) » On l’avoue, on n’a pas lu ce deuxième roman d’Avril Ventura, productrice à France Culture et qui collabore régulièrement aux pages littéraires de ELLE et du Monde. Pourtant, on en a bien saisi l’esprit.

Force est de le reconnaître, personne ne nuit plus à la littérature que les autrices à messages, les plumitives de l’intime et les chantres de la féminitude intoxiquées par les vapeurs néo-féministes si ce n’est leurs critiques thuriféraires au verbe aussi filandreux et collant que de la barbe à papa ; c’est dit.

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Gouvernement: la laïcité à la française perd une bataille de plus

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Othman Nasrou Secrétaire d État chargé de la citoyennete et de la lutte contre les discriminations, hier à Matignon © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Le LR Othman Nasrou a un temps été pressenti pour prendre la tête d’un ministère de la Laïcité au sein du gouvernement Barnier. Islamophobe ! a immédiatement dénoncé la gauche. Finalement, Monsieur Nasrou dirigera un Secrétariat d’État à la Citoyenneté et à la lutte contre les discriminations. Le regard libre d’Elisabeth Lévy


On a failli avoir un ministère de la Laïcité. Pendant trois jours ! Dès que l’idée a fuité, on a eu droit aux grandes orgues. La laïcité, qui a longtemps été le combat de la gauche quand la droite défendait le pouvoir de l’Église, a accompagné, baigné, irrigué l’aventure de la République et singulièrement celle de l’école républicaine.

Jaurès disait que « la laïcité, c’est la fin des réprouvés », une définition admirable. Eh bien, pour une grande partie de la gauche, la laïcité est aujourd’hui une insanité, une insulte, une menace. Pire : une idée de droite ! Un concept raciste destiné à persécuter les musulmans… Elle est contestée et menacée à l’école, à l’hôpital, dans les entreprises, dans toute la vie sociale. Elle est vomie par les islamistes. D’ailleurs, le combat contre la laïcité était la raison sociale du CCIF, dissous pour séparatisme.

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À l’annonce de ce possible ministère de la Laïcité, la gauche insoumise et crypto-insoumise a fait des vocalises sur le thème de l’islamophobie, terme ânonné par tous les idiots utiles des Frères musulmans. Pablo Pillaud-Vivien, rédacteur en chef de la revue Regards, a ainsi dénoncé une « provocation qui va mettre le feu aux poudres. Ce sera un ministère de l’islamophobie. »

Toute la gauche n’est heureusement pas sur cette ligne. Mais, il faut croire que Jérôme Guedj et Bernard Cazeneuve pèsent moins que Jean-Luc Mélenchon et sa bande d’agitateurs communautaristes. Emmanuel Macron et Michel Barnier ont donc reculé. Exit la laïcité ; à la place : un Secrétariat d’Etat à la Citoyenneté et à la lutte contre les discriminations, confié au même Othman Nasrou. C’est une abdication. Comme si nous avions peur d’être nous-mêmes.

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Vous pensez que j’exagère ? Qu’après tout, ce n’est qu’un changement de nom ? Non ! Un ministère de la Laïcité n’aurait sans doute pas changé grand-chose. Mais, reculer même sur le mot, c’est proclamer et entériner qu’on abandonne la chose. Et on l’abandonne précisément pour s’attirer les bonnes grâces de la gauche et surtout pour ne pas froisser nos concitoyens musulmans – ou du moins une bonne partie d’entre eux hostiles à la laïcité et qu’on traite comme des enfants susceptibles. J’ai bien peur de lire en sous-texte du nouvel intitulé de ce ministère que le véritable obstacle à une citoyenneté pleine et entière, ce ne serait pas le séparatisme, mais les discriminations et les injustices. Vous êtes des victimes et la collectivité a une dette envers vous.

Pourtant, la laïcité, c’est le mode d’emploi du vivre-ensemble à la française. Il n’y a rien de raciste ou de désobligeant à demander aux derniers arrivés et à leurs descendants de le respecter. Inutile de mentir, de répéter comme Gabriel Attal que la laïcité n’est que bienveillante. Oui elle est bienveillante, mais contraignante. Elle demande une certaine discrétion religieuse dans l’espace public, d’accepter que les autres puissent se moquer de votre dieu. C’est souvent douloureux. Mais c’est aussi la promesse pour chacun, quelle que soit sa naissance, son origine, son clan, de pouvoir penser librement. Malheureusement, on dirait que ce n’est plus la promesse française.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Chargeons les charges!

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Montreuil, 2012 © DURAND FLORENCE/SIPA

Le matraquage fiscal n’est pas une nouveauté. Ce qui l’est sûrement, c’est la paupérisation de certaines professions que l’on pensait jusqu’ici à l’abri du besoin. Un jeune avocat témoigne.  


Le « citoyen du monde » Arthur Young observait des choses bien curieuses, à l’occasion de ses fameux Voyages en France : çà et là en effet, de vastes étendues de terre, pourtant fertiles, demeuraient en jachères — et ainsi la population crevait de faim aux abords de ses propres champs. À qui la faute ? Au système oppressif d’impôts, de taxes, de charges et de corvées, en partie hérité du système féodal, en partie récupéré par l’État central (lire Un conte de deux villes, de Dickens). Le paysan matraqué de toutes parts se trouvait pareillement miséreux, qu’il exploitât sa terre ou qu’il ne l’exploitât point ; alors, il s’épargnait une peine inutile : il avait faim, mais au moins il était libre. C’était en 1788.

Aberrations françaises

Le témoignage de Young est fort intéressant ; d’ailleurs cet exercice, de visiter un pays étranger et d’en noter sans passion les succès et les défauts, n’a rien perdu de sa valeur : je rêve de lire le récit de voyage d’un globe-trotter d’outre-Manche, un peu niais, doté cependant d’un bon sens de l’observation, qui noterait ingénument les défaillances de notre État quant à la condition du travail. La France, évidemment, a bien changé depuis 1788 : elle s’est tertiarisée. Je gage pourtant que nombre d’aberrations lui sauteraient aux yeux, et notamment, d’une part, la faiblesse de la différence entre le montant des bas salaires et celui des prestations de toutes sortes accordées aux non travailleurs, d’autre part, la paupérisation des professions libérales.

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Un exemple (personnel) : la rétrocession d’honoraires minimale mensuelle accordée aux jeunes avocats, à Tours, est fixée à 2 000 euros brut ; comptez 40% de charges (impôts, CNBF, Ordre, URSSAF…), soit 1 200 euros net. L’INSEE fixe à 1 158 euros par mois le seuil de pauvreté en France : donc, à 42 euros près, le jeune avocat touche le seuil de pauvreté.

L’on me rétorquera que cette rétrocession n’équivaut pas à un travail à plein temps, mais est facturée par le collaborateur : libre à lui de développer sa clientèle personnelle. Mais l’irrespect des conditions du contrat de collaboration (notamment en ce qui concerne le temps libre disponible) est coutumier dans la profession ; puis, le surplus sera dévoré par la multiplication des frais qui s’ajoutent aux charges fixes : la voiture, le logiciel, la formation obligatoire ou le compte professionnel, et je ne parle pas de l’Ordre et des assurances, qui réclament chaque année la modique somme de 1 200 euros (!). À la fin, il ne reste rien : rien pour réunir du capital, obtenir un prêt, et même constituer un apport : les héritiers prendront l’argent de famille et les autres, contre mauvaise fortune bon cœur, feront tourner la machine à consommation.

De l’égalité républicaine à l’égalitarisme socialiste

Loin de moi l’idée de vouloir ici prôner une idéologie ultra-libérale : je comprends l’intérêt de cotiser pour la retraite, les accidents de la vie, et même les compatriotes en difficulté. Seulement, chacun devrait pouvoir mettre de côté à proportion de sa situation particulière ; puis j’ai constaté, comme beaucoup, les défaillances du système — les retraites, par quel scandale ? finissent constamment hors de proportion avec les cotisations, que ce soit dans un sens très favorable pour les statuts privilégiés, ou scandaleux pour les populations ouvrières.

L’économie française devient communiste. D’ailleurs, la Sécurité sociale, comme la CAF, excroissances de l’État social obèse — de Providence devenu Papa (remarque à étendre hors du champ de l’économie…) — sont nées des ordonnances du PCF ; certes, on n’a pas encore osé instaurer les kolkhozes, il n’empêche : presque la moitié des revenus du travail passe dans les caisses de l’État, avant d’être redistribuée : ce n’est plus l’égalité républicaine, c’est l’égalitarisme socialiste. Pour mémoire, l’argent est une propriété privée : si le Conseil Constitutionnel était plus sagement présidé, il rappellerait la législation française à l’ordre, sur le fondement de l’article 17 de notre grande Déclaration.

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Si encore nos charges rendaient notre nation riche ; mais les économies socialistes, trop administratives, trop centralisées, à la fois trop oppressives et trop dépensières, s’avèrent rarement efficaces. L’État est le plus mauvais des gestionnaires : donnez-lui votre argent, il le fait disparaître ; confiez-lui une entreprise, il la ruine : tout ce qui passe entre ses mains s’évapore, la gabegie est énorme ! Et de fait, que paient nos charges ? — les services publics défaillants, les aides, les prestations sociales (j’ai voulu les lister mais j’ai renoncé, il y en a trop !) et le remboursement de la dette…

Il est urgent de laisser respirer les travailleurs ; de ne plus leur voler le produit du labeur ; de valoriser le travail et de dévaloriser la paresse ; de ne remettre à l’État que le régalien, ainsi que les secteurs strictement stratégiques ; de mener une politique protectionniste, de modérer les dépenses publiques, de baisser les impôts et les taxes, de réduire les charges afin de permettre plus largement à chacun de se constituer sa propre rente : en deux mots, de nous laisser libres et responsables.

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Kamala Harris, une modérée?

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Kamala Harris en 2018 © Richard Gardner/Shutter/SIPA

Élections américaines: êtes-vous certain que Kamala Harris soit aussi modérée qu’on le dit ? L’avocat franco-américain Randy Yaloz, président de « Republicans Overseas Action », détaille ici le parcours très (trop, à son goût) progressiste de la candidate démocrate…


Depuis l’investiture de Kamala Harris comme candidate officielle du Parti démocrate, nombre d’observateurs, de part et d’autre de l’Atlantique, la dépeignent comme une candidate « modérée » ou « centriste ». Pourtant, le bilan de son parcours politique en Californie et de son mandat de vice-présidente montre une tout autre réalité, celle d’une progressiste radicale.

Immigrationnisme

Commençons par son bilan en matière d’immigration. Quand elle fut procureure du district de San Francisco de 2004 à 2010, elle a soutenu une politique visant à protéger les délinquants étrangers âgés de moins de 18 ans des autorités fédérales en charge de l’immigration. Ainsi, des immigrés dangereux ont pu entrer sur le territoire américain en prétextant qu’ils étaient mineurs. Fait significatif, le très progressiste et immigrationiste centre de réflexion America’s Voice a loué sa politique migratoire. « En tant que procureur général de Californie de 2011 jusqu’à sa démission à la suite de sa victoire au Sénat des États-Unis en novembre 2016, Mme Harris a défendu avec vigueur les communautés d’immigrants dans son État et dans l’ensemble du pays », est-il notamment écrit dans une publication datant du mois de juillet.

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En tant que vice-présidente, Kamala Harris est responsable du bilan de l’administration Biden. Huit millions de migrants ont traversé la frontière sud depuis 2021. Au-delà de ses résultats désastreux en termes de protection de la frontière américaine, elle compte également parmi les personnalités politiques qui ont soutenu le mouvement des émeutiers qui a suivi la mort de George Floyd en 2020. Dans un tweet publié en juin 2020, elle encourageait les Américains à participer à un fonds visant à aider les manifestants violents.

Pire encore, elle a donné l’impression de soutenir le mouvement « Defund the police ». Dans une émission radio « Ebro in the morning », toujours en 2020, elle a déclaré que « tout ce mouvement consiste à dire, à juste titre, que nous devons examiner ces budgets et déterminer s’ils reflètent les bonnes priorités ». Kamala Harris serait-elle une candidate anti-police ?

Une radicale, dès sa jeunesse

À l’occasion d’un meeting en Pennsylvanie au mois d’août, Donald Trump, commentant la proposition de son adversaire de vouloir bloquer les prix, affirmait que Kamala Harris était devenue « complètement communiste ». Mais on peut se demander si sa radicalité est aussi récente.

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Dès son enfance, elle a baigné dans les idéologies de gauche et d’extrême-gauche. Retournons plusieurs décennies en arrière. Kamala Harris est née en 1964 à Oakland en Californie d’une mère biologiste indienne, Shyamala Gopalan et d’un père Jamaïcain, Donald J. Harris. Le parcours de ce dernier permet d’éclairer certaines prises de position de sa fille. Car il n’est autre qu’un célèbre professeur d’économie émérite de la prestigieuse université de Stanford qui a été qualifié par l’hebdomadaire britannique The Economist, d’« économiste marxiste combatif ». C’est sans doute en partie la raison pour laquelle le programme de candidate de sa fille flirte avec le marxisme. Au mois d’août, pour lutter contre l’inflation, elle a annoncé qu’en tant que présidente, elle mettrait en place « un plan fédéral de fixation des prix pour les produits alimentaires et d’épicerie » afin d’empêcher les « grandes entreprises de profiter des consommateurs ». Cette mesure très soviétique est purement électoraliste et n’est pas sans rappeler les propositions ubuesques des partis politiques de gauche du monde entier, à l’instar du Nouveau Front populaire qui propose l’instauration du Smic à 1 600 euros en France… Toutes ces politiques sont néfastes pour les entreprises, et conduiraient évidemment à plus de pauvreté.

Il y a aussi beaucoup à craindre pour le soutien historique et indéfectible des États-Unis à Israël si Kamala Harris l’emporte en novembre. Certes, elle a déclaré à plusieurs reprises qu’elle était du côté de l’État hébreu, mais certaines de ses prises de position disent l’inverse et la rapprochent en réalité des pires postures propalestiniennes. Elle n’est pas claire par exemple concernant sa position à venir sur l’arrêt ou non des livraisons d’armes à Israël en tant que présidente, évitant de répondre à des questions à ce sujet. Et elle subit une pression constante de la part du courant le plus gauchiste et anti-Israélien du parti démocrate, dont les membres du « Squad ». Elle aura peut-être besoin du vote musulman dans certains « swing States ». Saura-t-elle résister à cette pression ? Il est permis d’en douter.

Mignonne, allons voir…

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Franck Maubert © Francesca Mantovani / Éditions Gallimard

Le romancier Franck Maubert a acheté une maison sur les bords du Loir, le pays de Ronsard. Aimanté par le génie des lieux, il mêle ses mots à ceux du poète et à la beauté du paysage. Avec Pierre de Ronsard, une démonstration de grand style.


Le moraliste Joubert écrit qu’il « ne faut qu’un sujet à un ouvrage ordinaire ; mais pour le bel ouvrage, il faut un germe qui se développe de lui-même comme une plante. » Le germe, chez Franck Maubert, est aussi la source, la cause originelle qui donne lieu au livre ; qui lui assure son développement. Et son unité. À l’instar de Ronsard, le romancier de L’eau qui passe (Gallimard, prix Jean-Freustié 2019) a le goût des Histoires naturelles. Celle qu’il nous conte aujourd’hui doit tout à l’amoureux de Cassandre. Le poète des Amours va donner une maison au narrateur mais, plus encore, « un paysage à qui parler ». Et un bel ouvrage, bref mais foisonnant, profond et luxuriant, érudit et sensible.

Plume généreuse

Avec Pierre de Ronsard est d’emblée une promenade sur les bords du Loir, là où « une lumière solitaire éclabousse la perspective même les jours où le bleu est indécis. Une journée entière peut s’écouler à se perdre dans les métamorphoses de la lumière, dans les rumeurs des vents. » Franck Maubert est un styliste de première envergure, de ceux qui font raisonner leur imagination dans « le halo des mythes », qui s’inventent une liberté : celle qui confine à une joie profuse. L’euphorie, qui est l’une des formes que prend son énergie, guide sa plume et, comme il est à l’évidence généreux, elle infuse.

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Tout part d’une petite annonce : « Pays de Ronsard. Cadre exceptionnel, bord du Loir, anciens communs de château restaurés, 220 m2 habitables, viager libre. Étude Herbinière à Tours. » Le narrateur est appelé, un dieu fait signe, il doit partir, faire route sur-le-champ, aller visiter cette maison : « Quelque chose me poussait, quelque chose de plus fort que ma volonté, que la raison même, m’attirait en ces lieux. Je l’ignorais, mais c’était Ronsard, ou plutôt cette nature, la sienne, celle qu’il a célébrée, ce paysage si français qu’il aimait tant. » À peine descendu de sa voiture, sans même poser les yeux sur la maison de l’annonce, sans donc l’avoir visitée, étourdi par la scène qu’offre ici la nature, il est pris d’une « fièvre buissonnante » et hurle : « J’achète ! » C’en est fait de lui : « Je sais que j’ai trouvé ma tanière et que je cesserai de me désirer ailleurs. » Ainsi commencent les plaisirs et les jours…

Ami retrouvé

Maubert est savant. Il interprète le poète, fouille sa vie comme son œuvre, interroge sa famille, sonde son cœur donc ses passions, veut pointer ses mystères : « Il y a chez Ronsard un mélange surprenant, ce puissant accord entre la richesse terrestre et la bénédiction céleste. » Tout se passe, là, comme si le décor plantait le poète : « Ici tous les sens débordent, ils s’activent au service d’un plaisir particulier où contemplation et pensée se rejoignent. » Maubert a Ronsard tous les jours sous les yeux. À preuve, les fantômes existent.

Ce qui captive le narrateur, c’est bien « ce quelque chose d’évanoui à travers l’illusion du murmure des mots ». Ronsard était comme un ami disparu de Maubert. Ils viennent de se retrouver.

Franck Maubert, Avec Pierre de Ronsard, Mercure de France, 2024.

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Gouvernement Barnier: élections, piège à cons!

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Passation de pouvoir au ministère de la Justice, Didier Migaud et Eric Dupond-Moretti, 23 septembre 2024 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

« Élections, piège à cons » : l’impertinence soixante-huitarde va comme un gant à la farce démocratique produite par la classe politique naufragée. En juin 1968 les contestataires de mai entendaient, par ce slogan, dénoncer le choix de Charles De Gaulle de dissoudre l’Assemblée nationale ; les élections allaient malgré tout lui offrir une majorité absolue.

Cette fois, ce sont les perdants des législatives qui se partagent les 39 postes du gouvernement de Michel Barnier, constitué samedi soir. Non seulement le nouveau Premier ministre n’a su concrétiser ses promesses du 5 septembre de « tourner la page » et d’apporter « des ruptures », mais la macronie, désavouée par les urnes, se taille la part du lion (seize ministres, dont sept reconduits). Les Républicains de Laurent Wauquiez, faibles de leurs 47 députés, se partageront 15 maroquins avec les Divers droite. Les miettes n’ont pas été proposées aux indésirables vainqueurs du 7 juillet, le Nouveau Front populaire et le RN allié à Éric Ciotti.

Parler de coup d’État ou de putsch pour qualifier ce jeu de bonneteau serait certes excessif : la mascarade s’est déroulée sans violence, avec l’assentiment de partis soucieux de leur survie et d’hommes politiques ambitieux n’oubliant pas de remercier leurs « mamans » (Attal, Barnier) sur le perron de l’Hôtel de Matignon. Le mot qui vient, devant ce déni démocratique, est celui d’usurpation. Un monde politique prend fin pour n’avoir jamais su représenter la vraie France. La santé mentale, annoncée dimanche soir sur France 2 comme « grande cause nationale » par le Premier ministre, est d’abord un fléau qui frappe ces élites refusant le réel.

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Bruno Retailleau (LR), nommé à l’Intérieur par Barnier, saura-t-il néanmoins corriger les premières impuissances du Premier ministre, confronté aux blessures ardentes de l’égo présidentiel et à ses pièges de braconnier ? Le sénateur de la Vendée, qui fut proche de Philippe de Villiers et du courant souverainiste, a comme atout d’avoir les idées claires sur les sujets interdits (immigration de peuplement, libanisation de la nation, infiltration islamiste, etc.). Il fait partie de ces rares élus qui ont pensé l’effondrement du vieux monde claquemuré.

Mais lui comme d’autres à droite n’ont pas été au bout de leurs réflexions. Retailleau ne semble pas vouloir admettre que le nouveau monde s’élabore en dehors du système dépassé dont il reste un acteur. L’alternative se construit au cœur du peuple abandonné, que le RN en mutation s’emploie à fédérer. Or, pour avoir choisi de collaborer avec la macronie récusée, Retailleau et ses amis ont pris le risque de sombrer avec le Titanic. Ainsi, le ministre de l’Intérieur devra composer avec le socialiste Didier Migaud, imposé par le chef de l’État au ministère de la Justice : un choix qui fera inutilement perdurer l’opposition entre la police et la justice, au plus grand profit des délinquants. Il est trop tôt bien sûr pour juger le gouvernement, sous surveillance de Marine Le Pen. Contraint au pointillisme des compromis, Barnier s’oblige à la modestie. Mais les Français, déjà trahis après leur vain refus de la constitution européenne en 2005, ne supporteront pas longtemps le mauvais spectacle de leur cocufiage, probables impôts supplémentaires en plus. Gare au cave qui se rebiffe !

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Un Offenbach queer?

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Les Brigands 2024-2025 © Agathe Poupeney - OnP

Mis en scène de façon outrancière par Barrie Kosky, Les brigands deviennent vite assommants. Puis, il faut supporter les calembours inédits d’Antonio Cuenca Ruiz. Enfin, entre en scène la navrante Sandrine Sarroche… Des huées ont été entendues, lâchées des balcons le soir où nous étions présents.


Ca vrille, ça sautille, ça virevolte, ça pétille dans un paroxysme de frénésie burlesque, de malice et de facétie. Tourbillon de danses carnavalesques, de travestissements teintés de lubricité qu’accuse le flamboiement des costumes : la foule des brigands déchaînés envahit le plateau du Palais Garnier, dont le somptueux rideau de carton lourdement ornementé qu’on connait, se lève sur les ors fatigués d’un palais à l’abandon, aux parois ouvragées, grisâtres, maculées de graffitis morbides ou obscènes.

Montée – démontée, pour mieux dire ! – par le metteur en scène australien Barrie Kosky, fanatique d’Offenbach (cf. La Belle Hélène, à Berlin cette année), cette nouvelle production marque le retour à l’Opéra de Paris du célèbre opéra-bouffe qui, au sommet de la carrière d’Offenbach, triompha en 1869 au Théâtre des Variétés, pour entrer bientôt dans la pure tradition de l’Opéra-Comique.

Travestissement roi

Il est parfaitement légitime et même souhaitable, en 2024, de sortir Offenbach de la naphtaline boulevardière, vaguement égrillarde, où le bourgeois en frac du Second Empire trouvait à se divertir. Le duo des librettistes, Henri Meilhac et Ludovic Halévy, ne seraient-ils pas, quelques années plus tard, ceux de Carmen (1875) ? Dramaturges, romanciers, vaudevillistes et princes de l’opérette, ces deux-là étaient les vedettes du temps. Leurs répliques en vers s’enchaînent ici avec la même aisance – « Jadis vous n’aviez qu’une patrie/ Maintenant vous en aurez deux/ La nouvelle c’est l’Italie/ L’Espagn’, cest cell’ de vos aïeux (…) Y’a des gens qui se disent Espagnols/ Et qui n’sont pas du tout Espagnols » –  que les numéros de la partition – musique facile, paroles allusives qui font alors rire aux éclats, Napoléon III ayant pris pour épouse, comme chacun sait, l’ibérique Eugénie de Montijo…

Bref, redonner de l’engrais à la sève comique des Brigands ne fait pas de mal, revitaminer la veine discrètement subversive qui change ces bandits de grand chemin en métaphore des possédants et autres gens de pouvoir n’a rien d’abusif. Il faut bien reconnaître que Barrie Kosky y parvient, mais à quel prix : brillamment campé, malgré son accent, par le ténor néerlandais Marcel Beekman, le chef des brigands, Falsacappa, méconnaissable sous son obscène cuirasse de chair enveloppée d’une longue robe rouge vif, endosse l’aspect d’une hystérique drag-queen emperruquée, monstrueusement fardée, exacte copie de « Divine », l’héroïne camp du mémorable film-culte américain ultra trash de John Waters, Pink Flamingos (1972).

Le travestissement fait d’ailleurs loi d’un bout à l’autre d’un spectacle où les protagonistes vont de déguisement en déguisement (en ermites, en mendiants, en Espagnols, en marmitons…) : de là à exposer un chanteur en lycra noir sado-maso ; des prêtres derviches en chasuble, des bonnes sœurs en danseuses de french-cancan ; des marmitons en loufiats de brasserie ; des carabiniers en uniformes de gendarmes des années 1970, coiffés de képis ; une princesse de Grenade au costume calqué sur ceux des toiles de  Vélasquez ? De même, l’outrance volontaire des danseurs, petits allumeurs torse et jambes nus, et qui s’embouteillent avec le chœur nombreux, dans une perpétuelle, explosive et démente saturnale… L’affichage rutilant du mauvais goût, ce carambolage des époques (dont le livret, au reste, assume la fluidité) a la vertu d’investir ce répertoire très convenu d’un peu d’acide. Corrosif ? Pas tant que ça.  

L’intervention malvenue de Sandrine Sarroche

De fait, on ne suivra pas Kosky jusqu’au bout de sa logique : au lieu de se contenter de respecter le livret, le régisseur l’entrelarde, non seulement de nouveaux dialogues auxquels la plume d’Antonio Cuenca Ruiz imprime une tonalité résolument canaille, mais pour dissiper les obscurités (avérées) de cette intrigue à tiroirs aux mille rebondissements improbables, il intercale aux numéros, pour le spectateur qui serait éventuellement noyé, des digests sensés en désembrouiller la pelote. Didactisme agaçant. Mais ce n’est pas le pire. Le summum de la trivialité est atteint avec les calembours et autres gags dont notre « correcteur » se croit autorisé de farcir l’œuvre : ce n’est plus de l’opéra-bouffe, c’est de la bouffissure ! Jeux de mots sur la « ligne 7 du métro qui mène à la station Opéra », par exemple… Mais surtout, au dernier acte, la chroniqueuse et humoriste Sandrine Sarroche, surgissant sur scène dans sa mise BCBG, s’arroge un petit couplet parodique en alexandrins suivi d’un show de son cru qui, dans le rôle d’Antonio, le Caissier, changé en « ministre du Budget » (sic), lui inspire cette fable : « il était une fois un ancien banquier devenu président » – je ne nomme personne suivez mon regard. Ou, mieux encore, lui fait évoquer –  ha !ha ! ha ! – le… « palais Barnier ». Empalé par le sketch, le patrimoine lyrique a rendu l’âme.

Les Brigands 2024-2025 © Agathe Poupeney – OnP

Il est heureux que les chanteurs, eux, ne la lui ravissent tout à fait. Sous la baguette du transalpin Stefano Montanari qui fait à cette occasion son entrée à l’Opéra de Paris, l’orchestre maison charge d’énergie les mélodies entêtantes et espiègles du barde national, malgré de nombreux décalages avec le chœur – mais quelle importance quand le spectacle tire à ce point vers le cabaret. Belle performance pourtant de Marie Perbost, en Fiorella, la fille de Falsacappa, tandis qu’Antoinette Dennefeld excelle dans le rôle de son amant Fragoletto, tout autant que Laurent Naouri dans celui du chef des carabiniers. Mentionnons Adriana Bignani Lesca, en Princesse de Grenade, Philippe Talbot, en Comte de Gloria-Cassis… Beaucoup des rôles secondaires étant confiés à des membres de la Troupe lyrique ou de l’Académie de l’Opéra. Ce n’est pas contre eux qu’au tomber de rideau montent, au milieu des salves d’applaudissement, les huées lâchées des balcons, mais bien contre cette régie donnée pour transgressive et qui, en somme, se contente un peu trop grassement de faire la blague, comme on dit.

Dans un des textes du programme intitulé sans rire : « Pluralité du travestissement offenbachien (sic) ; le protéiforme comme matrice », la musicienne et chercheuse Capucine Amalvy rappelle que « si nous sommes tenté.e.s  (sic) par une lecture  contemporaine,  (…) en oscillant entre les binarités, l’œuvre tord les représentations essentialistes ». Non, vraiment, vous croyez ?              

Les brigands. Opéra-Bouffe en trois actes de Jacques Offenbach. Direction : Stefano Montanari. Mise en Scène : Barrie Kosky. Opéra et chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Marcel Beekman, Marie Perbost, Yann Beuron, Laurent Naouri, Matthias Vidal, Philippe Talbot, Eugénie Joneau, Leonardo Cortallazzi, Eric Huchet…
Palais Garnier. Paris.  Durée : 2h50.
Les 24, 26, 27 septembre, 2, 3, 5, 8, 12 octobre à 19h30. (Spectacle repris du 26 juin au 12 juillet 2025).

Génération Ratus

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Le député d'extrême gauche Sébastien Delogu, Marseille, 21 septembre 2024 © Alain ROBERT/SIPA

Notre chroniqueur ne s’est jamais laissé aller à se moquer d’un élève en grande difficulté. Bien au contraire : il a toujours tâché de comprendre d’où venaient les difficultés du disciple… Il n’est pas du genre à se moquer des errances de Sébastien Delogu, bien qu’il soit ostensiblement ignare, incompétent, de culture nulle et qu’il drague l’électorat antisémite. C’est du côté de la formation du député de Marseille qu’il faut essayer de trouver les sources de ses errances — les siennes et celles de ses semblables, tous réunis à gauche, comme par un fait exprès.


Je ne suis pas de ceux qui se gaussent lorsqu’ils entendent Sébastien Delogu ânonner (un joli verbe, en ce qui le concerne) difficilement un texte qu’il a sous les yeux, ou ignorer qui était Pétain.
(Quelle idée ils ont eue, à LFI, de demander à un Delogu de lire leur déclaration… Ou est-ce pour que leur électorat le plus analphabète s’identifie à un député qui ne l’est pas moins ? Ça procèderait assez du mépris dans lequel les gens de gauche tiennent les gens de peu…)

La dyslexie est un handicap dont on n’a pas à se moquer — encore que les clients de l’ancien chauffeur de taxi marseillais puissent s’inquiéter, rétrospectivement, des capacités du député des Quartiers Nord à distinguer sa droite de sa gauche.
Pédagogue un jour, pédagogue toujours. Je me suis efforcé de comprendre la source de ses difficultés — et de celles de nombre de ses compagnons de route.
Alors écoutez bien : Sébastien Delogu est né en 1987 — deux ans après l’apparition dans les salles de classe de Ratus, le manuel des éditions Hatier qui a permis de détruire à la source les capacités cognitives d’une génération entière : plébiscité par les « professeurs des écoles » (90% dans les années 1990, encore 80% aujourd’hui) qui avaient opté pour une méthode « idéo-visuelle » (c’est-à-dire à départ global), censée augmenter rapidement le sac de mots des élèves les plus ignares, Ratus est le modèle-type des manuels d’apprentissage du lire-écrire qui ont fabriqué à la chaîne des dyslexies « apprises », rendu presque impossible une lecture fluide, et détruit par avance la possibilité d’apprendre quoi que ce soit.
Ajoutez à cela que cette génération a pris de plein fouet les consignes des pédagogues constructivistes qui se sont installés au ministère de l’Education avec Lionel Jospin, et ont inspiré sa loi délétère de 1989. Conformément à ce que préconisait alors Philippe Meirieu, gourou en chef de la secte, Delogu et ses petits camarades ont sans doute appris à lire dans les notices des appareils ménagers…

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(Je dois à la vérité de dire que Meirieu, en 1999, est revenu sur ses préconisations antérieures : « Il y a quinze ans, par exemple, je pensais que les élèves défavorisés devaient apprendre à lire dans des modes d’emploi d’appareils électroménagers plutôt que dans les textes littéraires. Parce que j’estimais que c’était plus proche d’eux. Je me suis trompé », déclara-t-il ainsi au Figaro en 1999. Trop tard : le mal était fait, et ceux qui le suivaient aveuglément ont négligé d’ouvrir les yeux sur les désastres qu’ils provoquaient).

Parce que Delogu n’est pas le seul à appartenir à la génération Ratus. Manuel Bompard et Marine Tondelier sont nés en 1986, Mathilde Panot en 1989, Adrien Quatennens en 1990. Une belle brochette d’intellects à la dérive, tous abreuvés de pédagogies déficientes — Jean-Claude Michéa avait par avance posé le diagnostic de cette génération perdue en sortant, en 1999, L’Enseignement de l’ignorance, dont le titre résume les failles des pédagogies du désastre.

Plaignons ces purs produits du constructivisme, cette belle théorie selon laquelle l’enfant construit lui-même ses propres savoirs, ce qui leur permet en même temps d’en rester à « areuh-areuh » et d’appartenir à LFI.

En revanche, Mélenchon, Ruffin, Autain, Arenas et les autres n’ont pas cette excuse. Eux, c’est délibérément qu’ils ont opté pour La France Insoumise, arboré le drapeau des assassins palestiniens à tout propos, tenu des discours incendiaires, exhibé les photos du Lider aux illettrés dont on guignait le vote, et autres mirifiques fantaisies dont ils s’évertuent à nous prouver qu’elles sont « de gauche ».
Si la droite était jadis, à en croire De Gaulle, « la plus bête du monde », la gauche a fait de son mieux pour la dépasser sur le chemin de l’obscurantisme.

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À noter que nombre de « néoprofs » d’aujourd’hui, parmi les trentenaires — et la plupart de ceux que les jurys des concours ont refusé d’admettre, tant était crasse leur ignorance, mais que les syndicats voudraient que l’on intègre immédiatement comme titulaires — appartiennent à la même génération de cerveaux déglingués. Ce qui les amène, dans le plus pur respect de la loi Jospin qui régit toujours l’Educ-Nat, à écouter religieusement les discours débraillés de leurs élèves sur la platitude de la Terre, la primauté de la charia sur la loi française, l’infériorité naturelle des femmes, toutes impures, et autres balivernes qu’un enseignant sérieux (des générations antérieures) balaierait d’un haussement d’épaules : la liberté d’expression des élèves est précieuse, surtout quand il se tait.

J’habite Marseille. Quoi que j’aie du travail par-dessus la tête, j’offre à Sébastien Delogu de le prendre en cours particulier pour lui ré-apprendre le b-a-ba, le décryptage des mots et une culture de base — par exemple en lui faisant lire le texte complet de la loi de 1905 :« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».
Ça a quand même une autre gueule que le mode d’emploi de votre machine à laver…
Répétez après moi en lisant tous les mots, élève Delogu ! Et puis allez l’expliquer aux filles voilées qui ont aveuglément voté pour vous.

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Attal: quelle claque et quelle classe!

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Gabriel Attal, Rosny sous Bois, 10 septembre 2024 © Jeanne Accorsini/SIPA

Ces derniers jours, le jeune Gabriel Attal s’est cru autorisé à donner la marche à suivre à son successeur, Michel Barnier… C’est qu’il a « une histoire à écrire avec les Français », estime-t-il dans Le Point.


On excusera, je l’espère, mon ignorance et ma sottise, mais j’ai longtemps pensé que l’École Alsacienne, si réputée par ailleurs, était le lieu où se préparaient les futurs compétiteurs du championnat du monde de choucroute garnie. Il n’en est rien, m’a-t-on fait savoir.

Attal sorti de Matignon : il pédale dans la choucroute !

On me dit aussi que Monsieur Attal et tant d’autres maîtres queux de la politique actuelle seraient passés par cet établissement. Or, s’ils avaient produit quelque chose d’aussi profitable à l’humanité, au peuple de France, qu’une vraie bonne choucroute, cela se saurait. Là encore il n’en est rien.

Au vu de ce que ce même M. Attal nous montre ces derniers jours, je serais davantage enclin à imaginer que, dans les murs de ladite école, on enseignerait plutôt la suffisance, l’arrogance, la mauvaise foi et l’incorrection.

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Après un petit CDD de huit mois à Matignon, après quelques séjours touristiques, je veux dire éphémères, dans divers ministères, après quasiment dix années de marcronisme actif, après surtout la déculottée électorale qu’on connaît, sanction du bilan laissé, on l’a vu lors de la passation de pouvoir entre son successeur à Matignon et lui, accaparer longuement, bien trop longuement, éhontément dirais-je, la parole. Il parlait, parlait, parlait se croyant manifestement autorisé à donner des conseils, à édicter une feuille de route – «  Ceci et encore cela est sur votre bureau, Monsieur le Premier ministre » – se comportant non pas en sortant, en exfiltré pour cause d’échec cuisant mais en une sorte d’inamovible titulaire du poste, d’occupant de droit, seulement victime d’un incident de parcours, d’une parenthèse forcée.

Conseils d’ami ?

D’ailleurs ne donne-t-il pas tous les signes de n’avoir pas encore bien compris que, Premier ministre, ni même touriste-ministre, il ne l’était plus? Il se permet encore ces dernières heures de donner des consignes au successeur, de lui fixer des lignes rouges à ne pas dépasser, de lui intimer des ordres, de lui imposer une marche à suivre. Il est vrai que l’état dans lequel il laisse le pays le rend légitime à vouloir absolument imposer sa marque à tout ce monde pour aujourd’hui, demain et les temps à venir.

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On pourrait penser que, les joues encore meurtries de la baffe électorale encaissée, le jeunot au petit sourire tête à claques aurait la décence, la délicatesse de se taire, l’élégance de souhaiter bon vent à l’homme d’âge et d’expérience qui a l’exemplaire courage de reprendre en main le bâton merdeux qu’il lui laisse. De toute évidence, l’école par laquelle M. Attal est passé ne lui a pas enseigné cet art-là, si appréciable en politique comme dans maints aspects de la vie en société : l’art d’agir et de réagir en ayant soin de s’imposer un minimum de classe.

Rougemont: palette inclassable

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L'artiste Guy de Rougemont (1935-2021) chez lui à Marsillargues en 2019 © Ambroise Tézenas

Plus qu’une courte semaine pour visiter l’exposition Incursion dans l’atelier de Rougemont. Elle se tient depuis la mi-juillet quai de Conti, en libre accès, dans cette prestigieuse enceinte parisienne de l’Institut de France, qui abrite l’Académie des Beaux-arts.


L’exposition préludait à la toute récente parution, en ce mois de septembre sous les auspices des éditions Norma, d’une monographie (bilingue français-anglais) consacrée à ce protée – peintre, dessinateur, designer, sculpteur, installateur, décorateur… – que fut Guy de Rougemont, disparu il y a trois ans, à l’âge de 86 ans. Dirigé par l’émérite spécialiste américaine Gay Gassmann, préfacé par l’architecte d’intérieur bien connu Jacques Grange et nourri de contributions amies – depuis les galeristes Pierre Passebon ou Diane de Polignac jusqu’ à l’historien d’art fort érudit Adrien Goetz, en passant par l’artiste argentin Julio Le Parc –  le « beau livre », de très grand format, constitue un hommage appuyé au disparu.


En 1935, Guy Joachim Edgard René du Temple de Rougemont ne naît pas dans la crotte, c’est le moins qu’on puisse dire. Sa mère descend en droite ligne de Caroline Murat, la sœur de Napoléon. Les sœurs de Guy, toutes duchesses ou princesses, seront-elles-mêmes durablement implantées dans le milieu étroit des musées, des galeries, des marchands d’art et des acheteurs fortunés… Son père, général et diplomate en poste aux États-Unis, lui aura ouvert de bonne heure l’idiome, les charmes et les réseaux de la hype society nord-américaine.

Gay Gassmann le souligne : « l’homme Guy de Rougement avait tellement de contradictions : un artiste français extrêmement fier de son héritage, un dandy qui évoluait à travers la scène parisienne avec aisance et grâce. Un enchanteur et un raconteur, qui connaissait tout le monde et ne supportait guère les imbéciles. Un intellectuel dévoué aux livres et, curieusement, un rebelle (…) Rougemont s’intéresse à tout, et tout l’inspire ».

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De fait, ce « pont entre grand art et art mineur » qu’évoque le patron de la Galerie du Passage, éditeur de la Table nuage à la quelle Rougemont doit une bonne part de sa célébrité, cette passerelle (aujourd’hui tellement galvaudée, minée par les barbouilleurs du « street art »), il n’allait pas de soi d’en lancer les arches sur le fleuve des Trente Glorieuses. Gassmann, encore : « né aristocrate, [Rougemont] est en même temps, à sa façon, un militant (…) Il n’hésite pas à qualifier quelqu’un ou quelque chose de ‘’bourgeois’’ ou de bureaucratique, tout en louant le modèle familial traditionnel et conventionnel ».

Marié avec la rayonnante Anne-Marie Deschodt – laquelle fut, en premières noces, l’épouse du grand cinéaste Louis Malle – l’artiste ornera son épée d’académicien de la devise familiale : « Age quod agis » : « fais ce que tu fais ». Rougemont aura beaucoup fait, et ce sur tous les registres de la création plastique. On se souvient qu’en 1974, il « met en couleur » en PVC polychromes les colonnes du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Un an plus tôt, il érige ses « totems » à Cergy-Pontoise ou au Plessis-Robinson. En 1977, il colore l’autoroute A 4, sur 30 km, avec des sculptures bien flashy. Commandes publiques – ah, le fameux 1% artistique imposé par la bureaucratie pour « animer » l’espace urbain et paysager… Comme l’observe Julie Goy dans un des textes qui enrichissent l’ouvrage : « l’œuvre de Guy de Rougemont est à double tranchant, oscillant constamment entre une volonté de simple prolongement artistique de la ville, et une volonté de contraste, de rupture avec ce qui existe ». Un bon exemple en reste le pavage de l’esplanade du musée d’Orsay.

Ces réalisations parfaitement datées ont l’heur de ne pas éclipser quantité de productions dont rendent compte les photos ‘’pleine page’’ qui constellent ce gros livre à l’élégante couverture rigide : le grand salon iconique de Henri Samuel, composé vers 1978 au 118 de la rue du Faubourg Saint-Honoré ; le magnifique atelier de Rougemont, rue des Quatre Fils, là même où Madame du Deffand tenait salon trois siècles plus tôt ; jusqu’au bar du Mark Hôtel, à New-York, déco millésimée 2010.


Aquarelliste, Rougemont conçoit du mobilier ; désigner, il crée des couverts en porcelaine, tel ce service Arlequin, en 1992. Graphiste, il dessine l’étiquette du Château Mouton Rothschild, cru 2011… Ou encore scénographie le bureau de François Catroux, la salle à manger de Françoise Dumas ou celle du couple Jacques-Henri et Cécile de Durfort.  Il décore l’appartement Dior du 30 avenue Montaigne. Ou même l’intérieur d’un jet privé, à l’occasion. Bref, ce pape du pop copain de Warhol n’en aura pas moins été, à sa manière, le pontife du chic.

Guy de Rougemont a eu droit à une rétrospective : elle remonte à 1990 – sise au Musée des Arts Décoratifs. L’aimable Adrien Goetz conclut : « il détestait l’idée d’être muséifié tout vif ». Mort, l’inclassable grand seigneur aurait-il la classe d’un classique ?      

En librairies : Guy de Rougemont, par Gay Gassmann. 256p., 250 illustrations. Norma éditions, 2024.

Guy de Rougemont

Price: 75,00 €

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A voir : Incursion dans l’atelier de Rougemont, jusqu’au 29 septembre. 27 quai de Conti – Paris 6e

La rentrée littéraire du côté des femmes, en ère post MeToo

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DR.

Voici les ouvrages – tout à fait dispensables – que les lectrices s’arrachent cet automne


Beauvoir, Duras et Yourcenar m’ont construite. Née femme je leur dois d’être devenue une femme éprise de littérature, et surtout, de l’être restée. Je leur dois de m’avoir fait découvrir la Littérature éternelle, celle qui rend libre et se rit des assignations de genre, de classe ou de race ; cette littérature qu’on perd de vue, en cette époque de jérémiade généralisée où l’on n’écrit plus que pour glorifier la victime et témoigner – de préférence en étalant ses turpitudes – sur la place publique. J’ai aimé mes Marguerite parce qu’elles étaient des hommes comme les autres, des écrivains au même titre que Sartre, Montherlant, Flaubert, Gide ou Madame de La Fayette. J’ai retenu cette parole de l’une (Marguerite Duras), grande amoureuse : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup les aimer pour les aimer » et fait ma devise des mots écrits par l’autre, lus dans Les Yeux ouverts : « Ne comptez pas sur moi pour faire du particularisme de sexe. Je crois qu’une bonne femme vaut un homme bon ; qu’une femme intelligente vaut un homme intelligent. C’est une vérité simple. »

Ère lacrymale et victimaire

Des hommes et des femmes écrivaient, autrefois, avant la charge mentale, l’oppression patriarcale et la prédation, avant la misogynie banalisée et généralisée, avant la dysphorie de genre et la découverte des déterminismes sociaux. On écrivait et, bien. Mais ça, ça c’était avant qu’on entre en ère lacrymale et victimaire, avant que les néo-féministes, qui se foutent pas mal du talent, ne fassent main basse sur la littérature en exigeant que des écrivaines et autres auteresses sans plume soient reconnues. On a imposé aux lettres un quota de féminitude en même temps qu’on a évincé l’épopée. L’autofiction triomphe, obscène, et on pose ses tripes sur une table à laquelle on n’a pas été invité. La femme, qui s’est auto-proclamée mineure, est sommée d’étaler son moi vide et pourtant enflé comme un foie gras. Moi : maman, mariée, maîtresse, abusée. Moi : exploitée, moquée, dévalorisée… Moi : transfuge de sexe, de race ou de classe. Moi : toujours recommencé.e, femme, résiliente, forte et résolue à changer le monde.

Sixième roman pour Emma Becker

Bienvenue à gnangnanland : petite sélection de la rentrée littéraire, à lire, ou pas… Emma Becker nous donne son sixième roman Le Mal joli. L’auteresse continue, d’après franceinfo, à « bâtir une œuvre dans laquelle sexe, autofiction et littérature font ménage à trois. » Voici le pitch du roman : en trois saisons, du printemps à l’automne, on suit les aventures amoureuses, charnelles et passionnelles d’Emma, mariée, mère de famille et écrivaine, avec Antonin en couple et écrivain… lui aussi. Pour les amateurs de potins, on a reconnu en Antonin Nicolas d’Estienne d’Orves, auteur un brin réac. L’écrivaine adultère, affolée de désir, n’a peur de rien, elle baise, déserte le foyer, mais… continue, hélas, à écrire. « Votre petit hôtel borgne ne me fait pas peur. Je l’ai déjà dit, et je n’ai pas peur de vous rebattre les oreilles, je vous baiserais sur un tas de fumier, dans les égouts. Alors si vous pensez que j’ai peur d’un hôtel Ibis… ! »

A lire aussi, Didier Desrimais: Le triton est une sirène comme une autre!

La femme amoureuse a toutes les audaces, soyez-en bien sûrs messieurs. Las ! la femme amoureuse est aussi mère. Un jour, elle récupère son fils Isidore à l’école et lui demande ce qu’il aimerait faire plus tard. Réponse du gosse : « En tout cas, je ne serai jamais écrivain (…) parce que quand tu es écrivain, tu n’es jamais chez toi, tu n’as jamais le temps de t’occuper de tes enfants. » Déclic. La maman désirante et écrivaine comprend qu’elle ne peut pas mettre ses « enfants en pause » pour vivre sa passion. Le texte se veut du Duras mâtiné d’Ernaux, mais, ça fait pschiit et on attend toujours le second effet kiss cool. L’Amant et Passion simple, tu repasseras, muscade ! 

Maylis de Kerangal : chic, une enquête « intérieure » !

Fortune de mer, ensuite. Appareillons pour le Havre avec Maylis de Kerangal qui surfe, elle aussi, sur le (la) vague ; la marée n’est pas encore tout à fait basse, que diable ! Voici Jour de ressac. Le corps d’un homme a été retrouvé au Havre ; on l’annonce à la narratrice. Dans la poche du mort, un ticket de métro. Au dos du ticket, griffonné, le numéro de téléphone de l’héroïne, 49 ans, doubleuse de métier, vie parisienne avec mari et enfant (très important). On est alors télétransporté au Havre, ville dans laquelle la narratrice, tout comme l’autrice « a poussé comme une herbe folle. » Ça va déferler, bordel ! (Pas du tout, en fait.)  « L’autrice nous propose une enquête au rythme des pas de la narratrice, une investigation aux allures de déambulation. » (franceinfo) Que ceux qui auraient imaginé un roman noir se rassurent, c’est bien un roman « de l’intime », celui d’une femme. « Une enquête intérieure qui questionne le passé, les brisures. » (franceinfo) Ce roman « conjugue magnifiquement l’intimité d’une femme cabossée par un chagrin d’amour et l’impersonnelle violence de l’enquête à laquelle elle est mêlée », précise Livres Hebdo.  Maylis de Kerangaldonne à voir « les douleurs anciennes, les marques qu’elles laissent et celles dont on fait le choix de s’épargner » (franceinfo). Dis-moi comment tu te préserves, je te dirai quelle femme (résiliente) tu es. La vie et la nostalgie ne sont définitivement plus ce qu’elles étaient : « Au loin, le phare projetait son désœuvrement sur l’avant-port, fou et solitaire, résigné à attendre le soir pour émettre sa signature lumineuse : un éclat rouge toutes les cinq secondes (…) Le battement cardiaque de la nuit portuaire. » De battre mon cœur s’est arrêté. Je ne crois pas que les vivants seront réparés par le nouvel opus de Madame de Kerangal.

Nouveaux départs ?

En bonne pêcheuse de perles, j’ai aussi repéré pour vous Dors ton sommeil de brute, commis par Carole Martinez qui n’en est pas à son coup d’essai. C’est encore le magazine ELLE qui en parle le mieux : « Si Éva fuit Paris, c’est pour mieux sauver son enfant. Son mari, Pierre, ne retient plus ses coups envers Lucie (sur ! bordel !), leur petite fille. Il faut s’installer là où personne ne pourra les retrouver. Eva trouve une maison de gardian, entourée de marais, survolée d’oiseaux migrateurs et surveillée par Serge, un doux géant. La sensation d’être en sécurité est de courte durée. En pleine nuit, Lucie crie. Des hurlements longs, glaçants, annonciateurs de la suite des évènements. » On n’a pas voulu la connaître, la suite.

Pour que vous sachiez bien quoi ne pas lire, j’évoquerai enfin La meilleure part d’eux-mêmes d’Avril Ventura. Il y est question de Marie qui, selon ELLE, toujours, « a bazardé sa vie d’avant, coupé les ponts avec tous et surtout avec Paul, le père de l’enfant qu’elle vient de quitter sans lui dire qu’elle était enceinte (…) » On l’avoue, on n’a pas lu ce deuxième roman d’Avril Ventura, productrice à France Culture et qui collabore régulièrement aux pages littéraires de ELLE et du Monde. Pourtant, on en a bien saisi l’esprit.

Force est de le reconnaître, personne ne nuit plus à la littérature que les autrices à messages, les plumitives de l’intime et les chantres de la féminitude intoxiquées par les vapeurs néo-féministes si ce n’est leurs critiques thuriféraires au verbe aussi filandreux et collant que de la barbe à papa ; c’est dit.

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