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Faut-il oublier les chrétiens d’Irak?

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Qu’il me soit permis de dire, avant que je dise ce que j’ai à dire, combien j’admire Alain Finkielkraut. Sans son œuvre lue avec toute l’attention dont je suis capable, sans son émission Répliques, que j’écoute avec constance depuis près de vingt ans, mon horizon intellectuel, mais aussi spirituel, serait beaucoup plus étroit. Je n’aurais sans doute jamais lu Jean-Claude Michéa. J’aurais rencontré l’œuvre de Philippe Muray beaucoup plus tard. Je n’aurais pas lu Philip Roth ou Milan Kundera avec la même attention, j’aurais ignoré Péguy. Oui, Péguy. Je pourrais facilement allonger la liste. Sans doute même n’aurais-je pas repris sur le tard des études de philosophie. Bref, ma dette à l’égard de ce penseur inspiré et précis, grâce auquel la grande littérature ouvre notre monde à une complexité lumineuse, dont l’inquiétude émouvante et sincère face à la marche du siècle ne peut que toucher l’âme de celui qui ose s’affranchir du ricanement obligatoire, est immense.

Ma consternation à l’écoute de son émission Répliques du 25 septembre, consacrée à établir un bilan de la guerre d’Irak au moment du retrait des forces américaines, n’en fut que plus grande. Alain Finkielkraut avait réuni Jean Daniel et André Glucksmann pour tenter de dresser un tableau de l’Irak actuel, sept ans et demi après la prise de Bagdad par l’armée américaine. On parla beaucoup des « mensonges » ou de « l’hybris » des « néo-conservateurs » américains. Jean Daniel et André Glucksmann se firent à tour de rôle les champions de la lutte contre Saddam Hussein (le digne héritier à la fois de Staline et d’Hitler selon Glucksmann), il fut ainsi beaucoup question d’un procès intenté par l’ancien ministre des Affaires étrangères Claude Cheysson à Jean Daniel, pour crime de lèse-majesté à l’encontre du dictateur irakien…en 1996. A l’unisson, les trois interlocuteurs évoquèrent longuement la montée de l’antiaméricanisme, de l’antisémitisme et de l’antisionisme dans le monde arabe dont l’invasion américaine aurait ou non été la cause….

Pas un mot ne fut prononcé au cours de l’émission sur le sort fait aujourd’hui en Irak aux chrétiens de ce pays. La palme de l’indifférence satisfaite fut remportée haut la main par André Glucksmann qui commença fort en affirmant sans honte et sans être contredit, « pour les Irakiens, le résultat de la guerre est positif ». Puis, lorsqu’il aborda brièvement les « problèmes » liés au départ des soldats américains d’Irak, il se contenta, du haut de ses certitudes d’ultra-démocrate, d’un glaçant « on rend au peuple [irakien] sa responsabilité. Il est responsable de ce qui lui arrive », sans que l’obscénité de ces propos, quant on les met en rapport avec ce qui arrive effectivement aux chrétiens d’Irak aujourd’hui, ne soit semble-t-il ne serait-ce que remarquée par Jean Daniel ou Alain Finkielkraut. Un peu comme si, en plein génocide arménien, un progressiste béat s’était contenté, dans l’indifférence générale, de souligner les vertus de l’arrivée au pouvoir des nationalistes turcs, en tant que premier pas sur le chemin de la modernité politique de ce pays, ou encore comme si un président français au début des années 1990, n’avait trouvé aucun intellectuel de son pays face à lui au moment où au nom de la vieille amitié franco-serbe, la diplomatie française évitait soigneusement de se mêler des « guerres de communautés » yougoslaves.

Mais cette dernière comparaison est sans doute malvenue, car contrairement aux Croates et aux Bosniaques (et même, oserais-je ajouter, aux Serbes) les chrétiens d’Irak n’ont aucun espoir de pouvoir obtenir un jour la création d’un Etat qui serait le leur et qui les protègerait de la furie sanguinaire de bon nombre de leurs compatriotes musulmans

Une persécution concertée et organisée

Je ne veux pas être injuste. Alain Finkielkraut souligna quand même la peur des « communautés irakiennes » à l’idée de se trouver seules face à face après le départ des Américains, mais à aucun moment le mot « chrétien » ne sortit de sa bouche et la dissymétrie structurelle entre chrétiens et musulmans ne fut jamais évoquée, comme si toutes les communautés étaient toutes également responsables de la violence… Et comme si, au fond, les chrétiens avait d’ores et déjà disparus d’Irak…

Selon le Secours catholique, présent en Syrie pour aider les réfugiés irakiens, le nombre de chrétiens en Irak ne dépasserait pas aujourd’hui 300 000 personnes (contre 800 000 avant la chute de Saddam Hussein) pour la plupart aujourd’hui réfugiées en territoire kurde. Les communautés chrétiennes dans les villes arabes d’Irak, c’est-à-dire presque toutes les grandes villes du pays, sont toutes en voie de disparition. Ce n’est pas, ou pas seulement, à une guerre de communauté que nous assistons en Irak, en tout cas pas quand il s’agit des chrétiens, mais à une vaste persécution concertée et organisée d’une minorité religieuse qui s’inscrit dans le cadre plus large de la persécution des chrétiens en « terre d’Islam », pour utiliser l’expression reprise au cours de cette émission par Alain Finkielkraut, qui semble ignorer que le territoire que recouvre l’Irak aujourd’hui a été pendant plusieurs siècles une « terre chrétienne », avant d’être converti au fil de l’épée par les Arabes au VIIe siècle. De nombreux témoignages décrivent la persécution de grande ampleur que subissent aujourd’hui les chrétiens d’Irak. Citons par exemple celui du Frère Nageeb Mekhail, supérieur des dominicains de Mossoul, (qui pour sa part n’hésite pas à parler de génocide) recueilli au mois de juin 2010 par le Secours Catholique.

« Le dernier attentat a été particulièrement violent. C’était le 2 mai dernier entre Caracoche et Mossoul, entre deux check-points. Treize bus, escortés par la police, emmenaient des étudiants universitaires chrétiens des villages de la plaine de Ninive au centre universitaire de Mossoul (…) Ce triple attentat, deux explosifs et une voiture suicidaire, contre ces bus a tué le jeune Radeef et une étudiante prénommée Sandy. Il y a eu plus de 180 blessés hospitalisés. Les bus touchés transportaient essentiellement des filles. Certaines ont perdu leurs pieds, leurs yeux, leurs dents ou sont devenues complètement défigurées (…) Les militaires de faction aux check-points ont dansé et fait le signe de la victoire après l’explosion, il y a des images enregistrées sur des téléphones portables par d’autres étudiants qui en attestent. Quant à la police, elle a fait décharger des véhicules les premiers blessés qu’on voulait amener à l’hôpital. Les policiers voulaient que les corps restent à terre pour y mourir. La police et l’armée souvent sont les complices des terroristes ».

Ou putes ou soumises

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Ce soir, à 21h30[1. Soirée Thema, Arte 21h30 – « Femmes : pourquoi tant de haine ? » La cité du mâle, Quand le rap dérape, débat avec Malika Sorel et Serrap Cileli], Arte diffusera La cité du Mâle, documentaire produit par Daniel Leconte à qui l’on doit entre autres Carlos, le film d’Olivier Assayas ainsi que C’est dur d’être aimé par des cons, documentaire sur les « Caricatures de Mahomet » et le procès que des associations musulmanes intentèrent à leur sujet à Charlie Hebdo – dont il est également réalisateur.

Cette fois-ci, la réalisatrice Cathy Sanchez est retournée dans la cité de Vitry sur Seine où, en 2002, Sohane, une jeune fille de 17 ans avait été brûlée vive dans un local à poubelles pour avoir éconduit un prétendant. C’est après ce crime, qui n’était pas un cas isolé, que fut créée l’association « Ni putes ni soumises » pour rassembler des filles et des garçons opposés à l’apparition, aux portes de Paris, de coutumes venues tout droit du Pakistan.

Le film commence fort. Une dame d’une soixantaine d’année qui évoque le souvenir de Sohane avec une peine sincère est interrompue par un ado qui vient lui interdire de parler « sur » son copain (le meurtrier) et la menace « d’une grande gifle » pour la faire taire. Voilà sans doute ce qu’on appelle « incivilités », ce cauchemar que vivent les habitants dans leur quartier natal, soumis à la terreur des plus jeunes et derniers arrivés.

Tolérance zéro pour tout ce qui n’est pas l’islam

Des adolescents en jogging qui, tels des gardiens de la révolution iranienne, interpellent les filles pas assez habillées.
Les mentalités séparent les femmes en deux catégories, « les filles bien qui portent le hijab, qui se respectent, qui respectent leur mari, qui rentrent à la maison après le travail », comme le confie un jeune Gaulois converti à l’islam, sans doute en mal d’intégration, et les putes, c’est-à-dire toutes les autres puisqu’il suffit pour devenir une pute de s’être fait « trouer ». Et « Sohane, c’était une pute », alors le copain a fait « une bêtise, qui ne méritait pas 25 ans de prison » d’ailleurs « la coupable de cette médiatisation qui a pesé sur la peine, c’est Fadela Amara, cette pute », nous disent Okito et Rachid.

La culture qui domine se réclame de l’islam et pousse les gens à pratiquer la tolérance zéro pour tout ce qui n’en est pas. La différence est haïe, l’homosexuel est chassé de la cité. Le mode de vie, les mœurs ont régressé, l’égalité entre les sexes, la liberté des femmes de s’habiller, d’aimer, a disparu sous la domination violente du grand frère, biologique ou symbolique.
L’honneur des garçons de la cité leur commande de frapper leurs sœurs quand l’honneur français interdit à un homme de lever la main sur une femme.

Quand ce décalage des civilisations apparaît crûment dans le reportage, les témoins – qui, sur leur territoire, se confiaient sans complexes face caméra – réalisent qu’ils ont fait une connerie et accusent l’auteur de « manipulations », lui reprochant « d’avoir donné une image caricaturale de la cité en sortant les propos de leur contexte ».

Je me demande dans quel contexte on peut remettre des phrases telles que « une fille qui s’est fait trouer, ça ne vaut rien » ou « la loi française, c’est de la merde » pour qu’elles deviennent acceptables.

Certains ne tiennent pas le même discours et le film le montre mais la norme qui régente le mode de vie m’inquiète. Est-ce cela l’islam de France ?
Derrière le discours répandu et confiant sur le multiculturalisme, la réalité d’une culture qui exclut toute les autres ne saurait être montrée.

Nabila Laïb, la « fixeuse », incontournable pour entrer dans la cité, (exigence que les rencontrent notamment à Gaza) a, dans un premier temps, obtenu d’Arte la déprogrammation du doc le 1er septembre en invoquant des menaces à son encontre en cas de diffusion, avant de revenir sur ses déclarations en proclamant qu’on lui avait volé son travail et qu’on l’avait écartée du montage[1. « Cette méthode, grossière et très peu journalistique, a pour objectif de détourner l’attention de l’information principale – la situation dégradée des jeunes femmes dans certaines cités – pour mettre en cause les journalistes. La ficelle est grosse et mériterait qu’on s’y attarde. C’est en effet une tentative nouvelle et « subtile » de censurer l’information », affirme Daniel Leconte dans un communiqué que certains journalistes ont préféré ignorer].

Backchich et Télérama.fr se sont empressés de reprendre ses propos mensongers – elle affirmait par exemple être co-auteur du film. Backchich s’est particulièrement illustré dans un article venimeux et d’une mauvaise foi sidérante intitulé « La « Cité du mâle » en pis » – et sous-titré « Daube en Stock ». Pour l’auteur, l’interdiction du film « est une question de justice pour ceux qui vivent là. » Ah bon, pour lesquels ? Et selon Nabila Laïb, « c’est à cause de documentaires comme ceux-là que les journalistes ont des problèmes en banlieue ». Pas ceux de Backchich, qui semblent voir le réel avec des œillères islamo-gauchistes.

Comme souvent quand on parle d’islam, intimidations, pressions et menaces ont tenté d’empêcher la diffusion, ce soir, de La cité du mâle. Cette fois, ça n’a pas marché. On pourra quand même le voir. Et à mon avis, ce n’est pas seulement une nécessité : c’est un devoir. Il faudrait même le montrer à l’école de la République.

Un peu de décence, Mme Dati !

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Je vous l’avoue, je me suis un peu déconnecté de l’info ce week-end. Du coup j’ai fait semblant de rire sous cape quand pas mal d’amis, lundi puis mardi, m’ont parlé de la gaffe de Rachida Dati en direct à Dimanche +. Tout comme je n’ai, pour tout vous dire, pas pigé grand chose aux nombreuses allusions qu’y faisaient les humoristes dans les programmes matinaux des radios.

Heureusement, y’a internet. Et je viens enfin de voir le fameux extrait, avec sa fameuse gaffe. Et c’est vrai que Rachida qui vous explique sans rire qu’elle est de tout cœur avec les smicardes grévistes de chez Lejaby, c’est carrément obscène!

Toc toc toc, c’est Despentes

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Il y a une vieille jeune fille : Amélie Nothomb. Et une jeune vieille fille : Virginie Despentes. On est en droit, largement, de préférer la première, mais ce n’est pas une compétition. Déjà, je ne peux plus supporter, physiquement si j’ose dire, les titres des livres de Virginie : King Kong theory, à présent Apocalypse bébé. Je lui conseille, pour le suivant (car hélas il y aura un suivant) Ploum ploum tralala. C’est un excellent film avec Saturnin Fabre qui n’était pas écrivain, mais acteur, et qui lui savait à la fois écrire et jouer la comédie. Virginie ne sait que jouer la comédie. Littérairement, s’entend. Nous ne comprenons pas, après toutes ces années de prose colmatée, où elle voudrait en venir. Elle bâcle avec effort, dans un souci de plaire déguisé en mépris de crachat, des romans où les hommes et les femmes n’existent que sous forme de femmes, elles-mêmes cadenassées dans de simples figurations schématiques relevant, au mieux, du spectacle de marionnettes.

Je ne sache pas qu’on fasse profession d’écrire pour choquer Jérôme Garcin. Cette littérature, qui s’annonce systématiquement libérée de toutes les emprises (celles de la mode, des habitudes, des mœurs, et notamment du goût) est hémorragique ; elle se répand, bavarde, coule, jaillit mais oublie ce qui, chez les écrivains qui sont écrivains, est primordial : le monde. Rien que cela. Abrutie par son propre projet, entraînée par ses historiettes qui ne sont sordides que parce qu’elles sont bancales, Virginie omet de faire apparaître, en fond sonore, le monde dans lequel sont censées se dérouler ces rédactions de quatrième déguisées en roman. La réalité n’existe jamais, si bien que le lecteur n’a jamais de repère : tout pourrait, finalement, se dérouler dans Apocalypse bébé en novembre 1952. Virginie n’est pas présente dans l’univers et l’univers n’est pas présent non plus chez Virginie.

Ne reste donc, comme un papier peint sans son mur, qu’un scénario plaqué sur un peu de prose, à moins que ce ne soit le contraire. Tout est réciproque dans cette littérature, tout est interchangeable et tout est bijectif : les psychologies, les dialogues, les situations. Despentes écrirait l’inverse de tout ce qu’elle écrit que nul, finalement, ne s’en apercevrait. Il n’y a pas de rencontre ici, avec une voix, avec un auteur, avec une femme : ainsi la concrétude de l’œuvre vient-elle du dehors, des articles publiés, des photos prises, des tee-shirts portés. Tout glisse dans ces pages, tout fond, tout s’efface à mesure qu’on lit, et on se dit qu’Apocalypse bébé aurait pu durer trois pages ou mille sans qu’il n’en ait été ni affecté, ni modifié, ni surtout amélioré. Le pire étant, puisque je viens d’y consacrer somme toute quelques lignes, qu’il n’y a même pas rien à dire à son sujet.

*Cet article a été publié dans le numéro d’octobre du magazine Transfuge que nous remercions

Proche-Orient : après le gel, le dégel

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Les négociations entre Israéliens et Palestiniens, entamées il y a quelques jours à peine, vont-elles avorter à cause de la reprise de la construction dans les colonies ? C’est ce que semble penser la presse mondiale qui s’indigne de ce nouveau coup dur. Pourtant, les bulldozers convoqués pour fournir aux médias et aux colons des images de « fin de gel » cachent une réalité beaucoup plus nuancée. Les réactions très modérées de Mahmoud Abbas, le président palestinien, et les autres porte-paroles officiels et officieux de l’Autorité palestinienne auraient dû nous mettre la puce à l’oreille : cette crise sonne faux. Tout semble indiquer qu’Israéliens et Palestiniens n’ont pas – encore ? – décidé de torpiller les pourparlers lancés au début du mois à Washington. En fait, malgré les images passées en boucle sur nos écrans, « la fin du moratoire sur la construction en Cisjordanie » ne signifie pas une reprise de la colonisation. C’est entre ces deux notions Netanyahou et Abbas cherchent un compromis qui leur permettra de poursuivre les discussions.

La question du développement et de l’élargissement des implantations existantes – un accord tacite entre les deux partis impose depuis longtemps un moratoire sur la construction des nouvelles colonies – était depuis la victoire de la droite israélienne aux législatives de 2009 le principal obstacle à la reprise du dialogue public entre Ramallah et Jérusalem. Face à un gouvernement qui a Benyamin Netanyahou pour Premier ministre et Avigdor Lieberman comme ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Abbas est pourtant parvenu sans trop de difficultés à imposer le « gel de la colonisation » comme condition préalable à la reprise des négociations officielles. Profitant au maximum du manque de crédibilité dont souffrent les dirigeants israéliens auprès des chancelleries et opinions publiques, la tactique palestinienne, intelligente et efficace, a donc parfaitement fonctionné.

Les règles du jeu ont changé

Même parmi les colons qui ont fêté hier la fin du moratoire, les plus lucides comprennent que le gouvernement actuel – le meilleur possible pour eux – ne pourra pas revenir en arrière. Comme par hasard, certains dirigeants du Likoud, le parti de Netanyahou, multiplient les appels à élargir la coalition en intégrant des centristes de Kadima. Le message, adressé plutôt aux colons qu’à Tzipi Livni, chef de Kadima, est clair : contrairement à vous, Netanyahou a une alternative. Les colons sont donc sommés de se rendre à l’évidence : pour la droite au pouvoir, ces dix mois de gel des constructions ont créé de nouvelles règles du jeu. Parlant lundi soir dans un meeting organisé pour marquer la fin du moratoire (et donc, pour lui et les autres participants, une relance de la construction), Israël Katz, ministre des Transports et l’un des leaders de l’aile droite du Likoud, le parti de Netanyahou, a utilisé des formules nouvelles. Il a parlé de « bloc d’implantations » et du devoir du gouvernement de « conserver les colonies et leurs habitants ». Une oreille non israélienne n’entend pas forcément, derrière les mots, la petite musique, mais pour les connaisseurs de la droite israélienne, clé politique incontournable de tout accord, il s’agit d’un changement de taille. Il ne s’agit plus de « Judée et Samarie » mais des implantations et de leurs habitants. Autrement dit, tout ce qui est au-delà des limites municipales est négociable.

Le ministre des Transports n’a d’ailleurs fait que reprendre à son compte des formules utilisées depuis un petit moment par son Premier ministre. « Bibi » souhaite se mettre d’accord avec le président palestinien sur une liste des colonies qui resteraient – contre des compensations territoriales – israéliennes. Celles-ci sont regroupées dans des « blocs » occupant une surface relativement restreinte, où vit une large majorité de la population israélienne de la Cisjordanie. L’idée est donc d’annexer, dans le cadre d’un arrangement définitif sur les frontières, un minimum de surface abritant maximum d’habitants.

Un tel accord – très probablement tacite – aurait plusieurs avantages. Il permettrait tout d’abord à Netanyahou de réaliser l’exploit dont rêve tout homme politique : contenter deux camps diamétralement opposés. Dans ce cas la « quadrature du cercle » consiste à construire dans les colonies « blanchies » pour faire plaisir à la droite tout en gelant la construction dans les implantations « hors liste » pour contenter Washington et permettre à Ramallah de rester dans le jeu.

Autre avantage – et non des moindres – d’une telle solution : le nombre des colonies à l’avenir assuré ne manquera pas – tôt ou tard – de diviser les colons eux-mêmes. De toute évidence, cette liste comprendra les villes et bourgades proches de la frontière d’avant la guerre des Six jours (la ligne verte) dont les habitants sont plus modérés et plus attachés aux valeurs démocratiques. Ce processus pourrait donc isoler les franges les plus extrémistes d’un côté et gagner à la cause des deux Etats des citoyens qui se sentent déjà mal à l’aise dans le camp où leur adresse les a assignés presque d’office.

Quelle que soit la réponse palestinienne attendue le 4 octobre après la réunion au Caire de la Ligue arabe, le gouvernement Netanyahou décrit il y deux ans à peine comme « le plus à droite de l’histoire israélienne », continue son glissement idéologique. Comme l’avait constaté Ariel Sharon au début de la décennie, la réalité, insensible aux discours électoraux, finit par imposer sa logique.

Ils causent dans le poste

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Vous aimez lire Cyril Bennasar ou François Miclo ? Alors vous adorerez les voir, et en plus les entendre puisque, paraît-il, les deux sont possibles simultanément à la télévision.

Premier rendez-vous dès ce matin, sur LCI à 10 h 10, où Cyril Bennasar sera sur le plateau de « Choisissez votre camp ! », l’émission de débat animée par Valérie Expert (rediffusion ce même mardi à 14h10).

Quant à François Miclo, on le verra à partir de 23 h 05, sur France 3, où il sera l’un des invités de « Ce soir ou jamais », de Frédéric Taddei (voir l’émission).

Bref, si vous n’avez pas de télé, il est encore temps de vous faire inviter pour le brunch ou le digestif…

La Muraymania, ça suffit !

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Philippe Muray

Depuis janvier 2010, c’est-à-dire depuis exactement cinq ans, Philippe Muray est partout. « Je suis partout » est devenu sa seconde nature – et c’est sans surprise. Depuis cinq ans, un déluge sans précédent de pensée moisie s’est abattu sur la France. Qui se souvient encore du sarkozysme et de sa droite moderniste et hyperfestive ? Depuis cinq ans, la pensée unique n’a plus qu’une seule voix : celle de Philippe Muray. La contagion surréaliste de l’entre-deux-guerres ou la frénésie existentialiste d’après-guerre nous paraissent à présent des phénomènes culturels bien timorés, au regard de l’ampleur de l’ouragan murayien qui a dévasté la France.

Le visage de Philippe Muray est sur tous les tee-shirts, sur tous les porte-clefs amusants, en fond d’écran sur tous les Zaïpodes et tous les Zipades. C’est encore lui qui ricane au fond de toutes les boules à neige. Muray est partout : tous nos enfants apprennent par cœur à l’école Tombeau pour une touriste innocente, qu’ils nous récitent en riant à Noël. Muray est dans l’annuaire, dans le Lagarde et Michard, dans tous les menus au restaurant, à la télé, à l’opéra, au théâtre, dans toutes les expos et jusque dans les replis nostalgiques de la moindre performance d’art post-contemporain.[access capability= »lire_inedits »]

La France a indubitablement changé de visage depuis que la pyramide du Louvre, symbole de l’esprit des Lumières, a été détruite et remplacée par cette gigantesque statue de la tête de Muray fumant un cigare et affublé des oreilles de Mickey – comme celui-ci en arbora réellement le jour où il se rendit à Eurodisney –, réalisée par un éminent plasticien saoudien. Muray est partout : depuis cinq ans, tous les nouveau-nés s’appellent Philippe, Festif ou Festyves. Et quel sera bientôt, à coup sûr, le jeu vidéo préféré des petits Festif et des petites Festève ? Festivisator, évidemment, dans lequel l’effigie électronique de Philippe Muray traque des Panurgian mutans et les massacre en leur jetant des livres de Céline ou de Léon Bloy qui se transforment en boules de feu.

Le café gay le plus « trendy » s’appelle l’HOMO-Festivus

Muray est la coqueluche de tous les rappeurs, de tous les coiffeurs, de tous les restaurateurs. Les estivants lisent tous Muray sur la plage et il suffit qu’ils lèvent la tête pour qu’ils déchiffrent des citations de Muray sur les banderoles tirées par les avions. Muray est dans toutes les pages people, sur CNN et sur Al-Jazira, dans toutes les musiques d’attente téléphonique. Dans le Marais, le café gay le plus trendy du moment est l’HOMO-Festivus. Les cours d’histoire sont désormais complétés par des cours de post-histoire, dispensés par les néo-hussards noirs du murayisme. Enfin, Muray a même conquis nos raves. Depuis quatre étés, la techno antifestive fait fureur. Le principe de la danse techno y subsiste, mais désormais la frénésie extatique des corps s’y déploie jusqu’au petit matin dans un abyssal silence. La techno de notre temps est une techno sans musique, sans beat, sans rien.

En cinq ans, la mafia murayienne s’est infiltrée partout, elle aussi. Vous apercevez une ombre ricanante en train de tirer les ficelles en coulisses ? Vous pouvez être certain qu’il s’agit d’un murayien. Anne Sefrioui, la veuve de Philippe Muray, dirige désormais Le Monde des livres. Elisabeth Lévy présente depuis trois ans le « 20 heures » sur France 2, de sa voix criarde et dérapante. Michel Desgranges, l’éditeur de Muray aux Belles Lettres, plastronne à la tête de Gallimard, qui prépare les sept pléiades du Journal de Muray et un huitième tome consacré à ses listes de courses. La direction du Monde est tombée entre les mains de son ami Philippe Delaroche. Enfin, chacun sait que notre actuel ministre de la Culture, le terrifiant Georges Liébert, était lui aussi l’éditeur et l’ami de Philippe Muray. Quant à la loi de pénalisation du festivisme, votée à l’unanimité en mai 2012, chacun a pu en constater le caractère liberticide et les effets dévastateurs. La renaissance actuelle du bal-musette dans nos banlieues suffit à démontrer son caractère profondément réactionnaire. Je ne dirai rien de la liaison obscure qui s’est opérée depuis deux ans entre l’islamisme et le murayisme. Depuis que Ben Laden a cité abondamment Muray en français dans sa vidéo de septembre 2013, on sait que l’ouvrage de Philippe Muray Chers djihadistes est désormais étudié et appris par cœur partout dans le monde dans les écoles coraniques d’obédience extrémiste.

Depuis le bannissement de Philippe Sollers sur l’île d’Elbe en avril 2011, tous les ennemis de Philippe Muray vivent dans la terreur. Jacques Henric et Catherine Millet se sont exilés en Patagonie, Scarpetta en Laponie et Daniel Lindenberg en Malaisie – où il est mort dans des conditions affreuses, des suites de l’infection d’une morsure d’orang-outang. Quant à la fin tragique d’Arnaud Viviant, suicidé par auto-crucifixion à un ginkgo biloba, chacun s’en souvient encore avec tristesse et horreur.

Avec le monopole intellectuel de la gauche, c’est la démocratie qu’on assassine

En dépit de tout, certains esprits grincheux osent encore affirmer que la démocratie n’est pas en danger. Pourtant, c’est le fondement même de la démocratie qui a été réduit en poussière : le monopole absolu de la gauche dans le monde intellectuel, à l’école et dans les médias. Le droit naturel, le droit de sang, le droit divin de la gauche à débattre a été confisqué par une horde de roquets aux ordres. Le plus atterrant est que ce sont eux qui prétendent désormais donner à la gauche des leçons de pluralisme. Comme si la gauche n’avait pas toujours été l’essence du pluralisme ! Les nouveaux nazis grincheux pluralistes qui sont à nos fenêtres et parfois à nos portes ont sapé méthodiquement – et parfois dans le désordre – le droit inaliénable et dérangeant de la gauche au monopole du pluralisme. Pourtant, qui peut prendre au sérieux des pluralistes en bottes brunes qui brandissent haut la main le petit livre bleu (leur trop fameux Après l’Histoire) et dont tous les principes se résument en vérité à un seul : le Führerprinzip. Celui-ci se nomme désormais Philippe Muray.

En défendant ici solennellement la nécessité démocratique de voir la gauche recouvrer son monopole sur le pluralisme, la morale et la pensée, je ne refuse nullement tout droit de cité à la droite, comme le prétendent certains. La droite a un droit plein et entier à l’existence, du moment qu’elle se maintient à l’intérieur des frontières de ses propres monopoles légitimes, qui font la singularité respectable de sa tradition : la méchanceté, la bêtise, l’obéissance, l’ignorance, la moisissure, la nostalgie frelatée et l’intolérance.[/access]

Keynes is my homeboy

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Vous aimez le rap ? Moi guère plus. J’avoue, je rechigne à apprécier ses subtilités rythmiques et sa prose toute en vindicte et complaintes. Ni popu ni bling-bling, je cale avec tout ce qui n’émane d’Orelsan, Corneille ou MC Solaar. Les clips stars du genre, anti-meufs, anti-homos et surtout anti-flics, désespèrent les substrats de mon adolescence rebelle et leurs souvenirs déjà anciens de rock’n’roll attitude.

On n’est pas sérieux quand on a 40 ans, dit le poète. Sauf quand, au détour de promenades virtuelles, l’on déniche – ce n’est pas tous les jours fête – un match scandé entre économistes, et pas n’importe lesquels puisqu’il s’agit de Keynes et Hayek, icônes respectivement de l’interventionnisme et du libéralisme.

[youtube]d0nERTFo-Sk[/youtube]

L’on doit ce duo de titans modernes, allégrement joué et filmé, impeccablement scénarisé (bagnole de luxe, palace, champagne et jolies pépées), au docte Russel Roberts, professeur d’économie, et au réalisateur John Papola. Mis en ligne en janvier, « Craignez les bulles et les crises » expose leurs théories antagonistes sauf sur un point : la crise financière résulte d’une mauvaise coordination entre l’épargne et l’investissement.

Vous n’y comprenez rien ? Chantez !

Sarkozy, c’est pas Pétain

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Photo : Feuillu

Bon, bien sûr, lors de ce fameux déjeuner du 16 septembre à Bruxelles sur la question rom, quand il s’est mis en colère, Nicolas Sarkozy a déclaré « Je suis le chef de l’Etat français, je ne laisserai pas insulter mon pays. » On peut penser que De Gaulle ou Chirac auraient sans doute, d’instinct, plutôt dit « Je suis le président de la République Française, je ne laisserai pas insulter mon pays. » Mitterrand, c’est plus douteux car la jeunesse est lente à mourir et Giscard n’aurait pas haussé le ton de toute façon parce qu’il a toujours été trop poli pour ça. Mais assez de psychiatrisation n’est-ce pas ? Lacan, lui-même remarquait d’ailleurs que l’inconscient est structuré comme un langage et non le langage comme un inconscient.

Pas de Roms place Saint-Pierre

Bon, bien sûr l’instrumentalisation d’une communauté à des fins de politique intérieure a pu énerver les âmes sensibles comme Benoit XVI ou une commissaire européenne. Mais sincèrement, qu’est-ce qu’un Pape enfermé au Vatican peut connaître de la réalité du terrain ? Rappelons tout de même que Benoît XVI avait déjà parfaitement montré sa méconnaissance de l’économie de marché et de son merveilleux fonctionnement chaque jour attesté, dans son Encyclique de juin 2009 Caritas in Veritate : « L’accroissement systémique des inégalités entre les groupes sociaux à l’intérieur d’un même pays et entre les populations des différents pays, c’est-à-dire l’augmentation massive de la pauvreté au sens relatif, non seulement tend à saper la cohésion sociale et met ainsi en danger la démocratie ». On dirait du Jean-Luc Mélenchon, ce qui est tout de même un comble. En plus, sur la question rom, il n’est pas du tout certain que le Vatican ait prévu des aires de stationnement sur son territoire d’un demi kilomètre carré et, de toute manière, ce n’est pas le pape qui se farcit des roulottes pleines de rempailleurs de chaises place Saint-Pierre ou dans les jardins de Castel Gandolfo.

Bon, bien sûr, il y a eu cette circulaire maladroite qui visait nommément les Roms mais apparemment, c’est un lapsus scripti (pas de psychiatrisation, bon dieu !) d’un conseiller du ministre de l’Intérieur. Et puis d’abord personne ne l’a vraiment relue cette circulaire et Besson, lui-même, n’était même pas au courant, c’est dire. Ou alors ce conseiller était ivre, comme celui de Fillon qui a insulté la police. Ceci étant dit, politiquement, écrire une circulaire avec 2 grammes dans le sang est aussi dangereux que de conduire dans le même état.

Amalgame scandaleux

Tout cela pour dénoncer l’amalgame décidément scandaleux qui est fait entre la politique actuelle du gouvernement et celle de Vichy. Il n’y a absolument rien de commun entre les deux et l’on s’étonne que l’association des Amis du maréchal Pétain n’ait pas entamé un sit-in de protestation sur la tombe du grand homme à l’île d’Yeu.

Eux aussi devraient en avoir assez d’être instrumentalisés par une gauche qui n’a plus que cette comparaison à la bouche, cette gauche incapable de proposer un projet alternatif pour les retraites et à peine de mobiliser 3 millions de personnes à deux semaines d’intervalle[1. A propos de la mobilisation du 23, l’impayable Eric Woerth a inventé le concept de « décélération notable » pour qualifier une mobilisation équivalente à la précédente. La « décélération notable », j’ai comme l’impression qu’on va la voir arriver dans sa carrière politique lors du prochain remaniement.].

En effet, on rappellera ici que la devise de l’Etat Français était Travail, Famille, Patrie et comme je hais ces mensonges qui vous ont fait tant de mal, je vais vous montrer, simplement en prenant quelques exemples dans l’actualité récente que la politique sarkozyste ne peut pas être pétainiste puisqu’elle n’aime ni le travail, ni la famille, ni la patrie.

Pour le travail, il suffit d’ouvrir le journal (enfin les journaux qui ont encore des pages « Social » à côté des pages « Economie », ce qui devient aussi rare qu’un moins de 25 ans avec un emploi). On dirait que l’on s’achemine tout doucement vers la France des années 2030 telle que l’imagine Houellebecq à la fin de son dernier roman, La carte et le territoire. Une Arcadie peuplée de néo ruraux branchés et connectés au monde entier, vivant dans des villages de la Creuse ou du Loiret. La désindustrialisation est le stade ultime du sarkozysme et tenir la chronique des délocalisations, fermetures de sites, licenciements, chantages à l’emploi pour faire accepter des baisses de salaire (chez les Conti de Toulouse tout récemment) prendrait des proportions homériques comme dans l’Iliade au Chant II où sont recensés dans une liste interminable tous les navires grecs et ceux de leurs alliés.

La terre ne ment pas mais on ment à la terre

Et puis, on ne peut pas dire non plus que le gouvernement soit pétainiste en matière d’agriculture. Le slogan de Bruno Lemaire, ce n’est pas « La terre ne ment pas », mais plutôt « On ment à la terre ». Si vous voulez expérimenter ces temps-ci la profonde absurdité de l’économie de marché, faites producteur de lait comme métier. Non seulement vous ne pourrez pas en vivre mais en plus, à l’autre bout de la chaine, le consommateur ne pourra pas l’acheter tellement il devient cher.

La famille, maintenant : on rappellera que François Baroin avant de faire marche arrière, provisoirement, avait quand même imaginé de faire ses économies budgétaires en supprimant la possibilité donnée aux parents et à leurs enfants qui étudient, de cumuler l’aide personnalisée au logement et l’allègement fiscal. Quant à la fin la demi-part accordée aux foyers fiscaux ayant des enfants à charge, elle est toujours sur le tapis.
Et voilà qu’aujourd’hui, ce sont les derniers jeunes qui croient encore au mariage qui vont être fiscalement bolossés. En effet, les couples qui se marient remplissent, pour la même année fiscale, trois déclarations: deux individuelles et une commune. À partir de la déclaration de revenus 2011, pour l’impôt payé en 2012, les couples auront obligation de choisir entre deux déclarations individuelles ou une déclaration commune. Il paraît que c’est une niche fiscale, comme le bouclier du même nom, qui lui ne bouge pas. On voit bien que le sarkozysme n’est pas un familialisme puisqu’en fait, son citoyen idéal, c’est celui qui est plein de pognon et qui vit à la colle, comme on disait dans le monde d’avant.

Il nous reste la patrie. Ah ça, la patrie, on pourrait y croire, avec Sarkozy. Et pourtant, non.
Regardez comme on fait les cadors, là, à Bruxelles. Et que je te regarde Barroso droit dans les yeux, façon western italien. Et que je suis sur le point de déclarer la guerre à de grandes puissances comme le Luxembourg ou la Roumanie. Oui, mais en attendant, la patrie, elle aimerait peut-être bien un débat parlementaire qui n’a toujours pas eu lieu à propos de notre engagement en Afghanistan, sous commandement américain. Et si possible avant qu’on franchisse le cap des cinquante soldats tués dans une guerre qui fait gagner du terrain un peu plus chaque jour à l’ennemi qu’elle est censée combattre.

La patrie, oui, il serait effectivement prendre l’Otan d’en parler, monsieur le Président.

« Je n’ai pas fait chanter Muray »

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Bertrand Burgalat
Bertrand Burgalat.

Compositeur, chanteur et producteur, fondateur du label discographique Tricatel, vous avez écrit et produit l’album-culte de Houellebecq en 2000. Vous avez même donné une série de concerts à l’auteur des Particules élémentaires. Pouvez-vous nous raconter cette collaboration ?

D’abord, je ne l’ai pas fait chanter mais parler, ce qui n’était pas facile au début, même si, par la suite, le carton de ses livres l’a délié. Nous nous sommes rencontrés vers 1995 par l’intermédiaire de Jean-Yves Jouannais et nous avons mis ensuite cinq ans à achever ce disque, à tâtons, car nous n’avions alors aucune référence, à part peut-être certains écueils et poncifs que nous souhaitions éviter.

[access capability= »lire_inedits »]Tricatel a été sollicité pour éditer l’album de Philippe Muray, Minimum Respect (enregistré entre 2003 et 2006). Alors qu’il est presque à la mode, regrettez-vous de ne pas l’avoir inscrit à votre catalogue ?

Je connaissais et aimais ses livres depuis longtemps lorsque je l’ai rencontré, et j’étais très triste de ne pouvoir embrayer sur son projet. Mais c’était une période difficile pour moi, notamment financièrement : ça n’aurait pas été lui rendre service que de sortir son disque tel quel. D’autre part, il me semblait que la musique ne collait pas avec le texte ; cela donnait un fond sonore un peu ironique et décalé, bref ça m’avait paru moins bien que ses bouquins, et trop proche sur la forme de ce qu’on avait essayé de faire et de ne pas faire avec Présence humaine pour que je m’y recolle : Houellebecq m’en avait fait pas mal baver, il aurait fallu que ce disque soit totalement différent pour que je recommence, même si je voyais bien que Muray était aussi sincère et gentil que l’autre peut se montrer épouvantable. Quant au fait qu’il soit devenu « à la mode », je trouve cela très mérité, et ça ne change évidemment rien à tout le bien que je pense de lui. 

La chanson est-elle un moyen, pour les écrivains, d’élargir leur public ?

Je ne pense pas que ce soit le bon angle d’approche. Le public qui s’intéresse aux disques un peu hors-piste est souvent plus rare que celui des livres. Pour un écrivain établi, la chanson n’est pas un facteur d’élargissement mais de rétrécissement de l’audience. Le groupe Air, qui d’ordinaire applique mes recettes avec un succès que mes propres tentatives ne connaissent jamais, a voulu percevoir les dividendes de l’album de Houellebecq en faisant un disque avec… Alessandro Baricco. Cette fois-ci, le crime n’a pas payé.

Houellebecq nourrissait-il de véritables ambitions de chanteur ?

Non, je pense qu’il s’est beaucoup amusé, au début, à jouer avec le cliché du type qu’on regarde sur scène, mais il me paraissait justement très important qu’il ne chante jamais au sens littéral : il n’était pas question de faire un disque de célébrité (ce qu’il n’était pas au début du projet) mais de tenter autre chose. Houellebecq a été courageux : il n’avait rien à gagner à se confronter aux infrastructures actuelles du rock, qui ne brillent pas par leur subtilité, et aux sarcasmes du milieu littéraire.  

Tricatel a également publié, en 2001, un album de l’écrivain Jonathan Coe, 9th & 13th. Cet album se distingue par l’accord et l’entremêlement des mots et de la musique…

Jonathan Coe est un écrivain considérable. Je suis triste qu’il n’y ait aucun équivalent en France de Testament à l’anglaise ou de Rotters Club. Dans 9th and 13th, il juxtapose les accords 9e et 13e et les rues portant le même chiffre à New York : on est effectivement dans ce que musique et littérature peuvent produire de plus singulier.

Le « disque d’écrivain » est-il un genre ?

Le premier qui me vienne à l’esprit est La Devanture des ivresses, que Jack-Alain Léger a publié sous le nom de Melmoth en 1969, puis l’album Obsolète qu’il a sorti en 1971 sous le pseudonyme de Dashiell Hedayat : ses deux essais ont été des coups de maître. Il y a ensuite certaines chansons de Ferré, comme La Solitude, Night and Day, ou Je t’aimais bien, tu sais : des textes somptueux aux flashes époustouflants (« Ton cancer a deux jours et tu as 18 ans »…) qui  communient avec une musique ravélienne. Ce n’est pas un « disque d’écrivain », mais ça ressemble à un « disque d’écrivain parfaitement réussi ».

L’album d’Ingrid Caven, édité par Tricatel en 2000, Chambre 1040, comporte beaucoup de textes de l’écrivain Jean-Jacques Schuhl (conjoint de la chanteuse). Comment ce projet est-il venu à vous ?

Les choses se sont toujours faites sans préméditation : je n’ai jamais essayé de positionner le label d’une manière ou d’une autre. Faire de la musique n’est pas toujours facile, mais l’une des joies que cela procure est de pouvoir rencontrer des gens qui n’en font pas, de s’évader d’un milieu professionnel qui, dans l’ensemble, est en contradiction avec ce que la musique peut avoir de merveilleux. Je ne sais pas si je préfère passer une soirée avec un programmateur de radio ou avec quelqu’un qui travaille dans le gardiennage (je parle d’expérience). Alors oui, c’est très agréable de pouvoir échanger et faire des choses avec des personnages aussi différents que Jack-Alain Léger, Yves Adrien, Elisabeth Barillé, Virginie Despentes, Bertrand Delcour, Jonathan Coe, Marie-Dominique Lelièvre, Jean Parvulesco ou Jean-Jacques Schuhl… Si j’étais dans le milieu littéraire (ou le gardiennage), je n’aurais pas forcément cette possibilité.

Il y a des écrivains qui font des disques, et les chanteurs qui font des livres. Passer de la littérature à la musique est-il naturel ?

Dans les deux cas se posent des questions de légitimité qui me semblent dérisoires. Chanter ou écrire, ce sont des choses assez naturelles : on n’a pas besoin de passer de permis pour ça. Pour en avoir le statut social, il suffit d’aller dans le métro se faire imprimer des cartes de visite. Ce qu’on fait après, ça, c’est autre chose. L’Académie française est truffée d’écrivains qui n’ont jamais écrit une ligne intéressante de leur vie, voire pas de ligne du tout. Certains textes d’Yves Simon ou de Pierre Vassiliu (Film, par exemple) sont façonnés comme des nouvelles. Dans l’autre sens, une romancière comme Barillé possède, dans ses livres, un véritable sens mélodique qui ne demande qu’à s’épanouir dans l’écriture de chansons. La plus grande difficulté, quand on écrit des paroles, qu’on soit écrivain ou non, est de s’affranchir des règles. On a souvent tendance, au début, à accorder trop d’importance aux rimes et aux pieds, au détriment de la musicalité, et bien sûr du sens de ce qu’on veut exprimer.[/access]

Faut-il oublier les chrétiens d’Irak?

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Qu’il me soit permis de dire, avant que je dise ce que j’ai à dire, combien j’admire Alain Finkielkraut. Sans son œuvre lue avec toute l’attention dont je suis capable, sans son émission Répliques, que j’écoute avec constance depuis près de vingt ans, mon horizon intellectuel, mais aussi spirituel, serait beaucoup plus étroit. Je n’aurais sans doute jamais lu Jean-Claude Michéa. J’aurais rencontré l’œuvre de Philippe Muray beaucoup plus tard. Je n’aurais pas lu Philip Roth ou Milan Kundera avec la même attention, j’aurais ignoré Péguy. Oui, Péguy. Je pourrais facilement allonger la liste. Sans doute même n’aurais-je pas repris sur le tard des études de philosophie. Bref, ma dette à l’égard de ce penseur inspiré et précis, grâce auquel la grande littérature ouvre notre monde à une complexité lumineuse, dont l’inquiétude émouvante et sincère face à la marche du siècle ne peut que toucher l’âme de celui qui ose s’affranchir du ricanement obligatoire, est immense.

Ma consternation à l’écoute de son émission Répliques du 25 septembre, consacrée à établir un bilan de la guerre d’Irak au moment du retrait des forces américaines, n’en fut que plus grande. Alain Finkielkraut avait réuni Jean Daniel et André Glucksmann pour tenter de dresser un tableau de l’Irak actuel, sept ans et demi après la prise de Bagdad par l’armée américaine. On parla beaucoup des « mensonges » ou de « l’hybris » des « néo-conservateurs » américains. Jean Daniel et André Glucksmann se firent à tour de rôle les champions de la lutte contre Saddam Hussein (le digne héritier à la fois de Staline et d’Hitler selon Glucksmann), il fut ainsi beaucoup question d’un procès intenté par l’ancien ministre des Affaires étrangères Claude Cheysson à Jean Daniel, pour crime de lèse-majesté à l’encontre du dictateur irakien…en 1996. A l’unisson, les trois interlocuteurs évoquèrent longuement la montée de l’antiaméricanisme, de l’antisémitisme et de l’antisionisme dans le monde arabe dont l’invasion américaine aurait ou non été la cause….

Pas un mot ne fut prononcé au cours de l’émission sur le sort fait aujourd’hui en Irak aux chrétiens de ce pays. La palme de l’indifférence satisfaite fut remportée haut la main par André Glucksmann qui commença fort en affirmant sans honte et sans être contredit, « pour les Irakiens, le résultat de la guerre est positif ». Puis, lorsqu’il aborda brièvement les « problèmes » liés au départ des soldats américains d’Irak, il se contenta, du haut de ses certitudes d’ultra-démocrate, d’un glaçant « on rend au peuple [irakien] sa responsabilité. Il est responsable de ce qui lui arrive », sans que l’obscénité de ces propos, quant on les met en rapport avec ce qui arrive effectivement aux chrétiens d’Irak aujourd’hui, ne soit semble-t-il ne serait-ce que remarquée par Jean Daniel ou Alain Finkielkraut. Un peu comme si, en plein génocide arménien, un progressiste béat s’était contenté, dans l’indifférence générale, de souligner les vertus de l’arrivée au pouvoir des nationalistes turcs, en tant que premier pas sur le chemin de la modernité politique de ce pays, ou encore comme si un président français au début des années 1990, n’avait trouvé aucun intellectuel de son pays face à lui au moment où au nom de la vieille amitié franco-serbe, la diplomatie française évitait soigneusement de se mêler des « guerres de communautés » yougoslaves.

Mais cette dernière comparaison est sans doute malvenue, car contrairement aux Croates et aux Bosniaques (et même, oserais-je ajouter, aux Serbes) les chrétiens d’Irak n’ont aucun espoir de pouvoir obtenir un jour la création d’un Etat qui serait le leur et qui les protègerait de la furie sanguinaire de bon nombre de leurs compatriotes musulmans

Une persécution concertée et organisée

Je ne veux pas être injuste. Alain Finkielkraut souligna quand même la peur des « communautés irakiennes » à l’idée de se trouver seules face à face après le départ des Américains, mais à aucun moment le mot « chrétien » ne sortit de sa bouche et la dissymétrie structurelle entre chrétiens et musulmans ne fut jamais évoquée, comme si toutes les communautés étaient toutes également responsables de la violence… Et comme si, au fond, les chrétiens avait d’ores et déjà disparus d’Irak…

Selon le Secours catholique, présent en Syrie pour aider les réfugiés irakiens, le nombre de chrétiens en Irak ne dépasserait pas aujourd’hui 300 000 personnes (contre 800 000 avant la chute de Saddam Hussein) pour la plupart aujourd’hui réfugiées en territoire kurde. Les communautés chrétiennes dans les villes arabes d’Irak, c’est-à-dire presque toutes les grandes villes du pays, sont toutes en voie de disparition. Ce n’est pas, ou pas seulement, à une guerre de communauté que nous assistons en Irak, en tout cas pas quand il s’agit des chrétiens, mais à une vaste persécution concertée et organisée d’une minorité religieuse qui s’inscrit dans le cadre plus large de la persécution des chrétiens en « terre d’Islam », pour utiliser l’expression reprise au cours de cette émission par Alain Finkielkraut, qui semble ignorer que le territoire que recouvre l’Irak aujourd’hui a été pendant plusieurs siècles une « terre chrétienne », avant d’être converti au fil de l’épée par les Arabes au VIIe siècle. De nombreux témoignages décrivent la persécution de grande ampleur que subissent aujourd’hui les chrétiens d’Irak. Citons par exemple celui du Frère Nageeb Mekhail, supérieur des dominicains de Mossoul, (qui pour sa part n’hésite pas à parler de génocide) recueilli au mois de juin 2010 par le Secours Catholique.

« Le dernier attentat a été particulièrement violent. C’était le 2 mai dernier entre Caracoche et Mossoul, entre deux check-points. Treize bus, escortés par la police, emmenaient des étudiants universitaires chrétiens des villages de la plaine de Ninive au centre universitaire de Mossoul (…) Ce triple attentat, deux explosifs et une voiture suicidaire, contre ces bus a tué le jeune Radeef et une étudiante prénommée Sandy. Il y a eu plus de 180 blessés hospitalisés. Les bus touchés transportaient essentiellement des filles. Certaines ont perdu leurs pieds, leurs yeux, leurs dents ou sont devenues complètement défigurées (…) Les militaires de faction aux check-points ont dansé et fait le signe de la victoire après l’explosion, il y a des images enregistrées sur des téléphones portables par d’autres étudiants qui en attestent. Quant à la police, elle a fait décharger des véhicules les premiers blessés qu’on voulait amener à l’hôpital. Les policiers voulaient que les corps restent à terre pour y mourir. La police et l’armée souvent sont les complices des terroristes ».

Ou putes ou soumises

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Ce soir, à 21h30[1. Soirée Thema, Arte 21h30 – « Femmes : pourquoi tant de haine ? » La cité du mâle, Quand le rap dérape, débat avec Malika Sorel et Serrap Cileli], Arte diffusera La cité du Mâle, documentaire produit par Daniel Leconte à qui l’on doit entre autres Carlos, le film d’Olivier Assayas ainsi que C’est dur d’être aimé par des cons, documentaire sur les « Caricatures de Mahomet » et le procès que des associations musulmanes intentèrent à leur sujet à Charlie Hebdo – dont il est également réalisateur.

Cette fois-ci, la réalisatrice Cathy Sanchez est retournée dans la cité de Vitry sur Seine où, en 2002, Sohane, une jeune fille de 17 ans avait été brûlée vive dans un local à poubelles pour avoir éconduit un prétendant. C’est après ce crime, qui n’était pas un cas isolé, que fut créée l’association « Ni putes ni soumises » pour rassembler des filles et des garçons opposés à l’apparition, aux portes de Paris, de coutumes venues tout droit du Pakistan.

Le film commence fort. Une dame d’une soixantaine d’année qui évoque le souvenir de Sohane avec une peine sincère est interrompue par un ado qui vient lui interdire de parler « sur » son copain (le meurtrier) et la menace « d’une grande gifle » pour la faire taire. Voilà sans doute ce qu’on appelle « incivilités », ce cauchemar que vivent les habitants dans leur quartier natal, soumis à la terreur des plus jeunes et derniers arrivés.

Tolérance zéro pour tout ce qui n’est pas l’islam

Des adolescents en jogging qui, tels des gardiens de la révolution iranienne, interpellent les filles pas assez habillées.
Les mentalités séparent les femmes en deux catégories, « les filles bien qui portent le hijab, qui se respectent, qui respectent leur mari, qui rentrent à la maison après le travail », comme le confie un jeune Gaulois converti à l’islam, sans doute en mal d’intégration, et les putes, c’est-à-dire toutes les autres puisqu’il suffit pour devenir une pute de s’être fait « trouer ». Et « Sohane, c’était une pute », alors le copain a fait « une bêtise, qui ne méritait pas 25 ans de prison » d’ailleurs « la coupable de cette médiatisation qui a pesé sur la peine, c’est Fadela Amara, cette pute », nous disent Okito et Rachid.

La culture qui domine se réclame de l’islam et pousse les gens à pratiquer la tolérance zéro pour tout ce qui n’en est pas. La différence est haïe, l’homosexuel est chassé de la cité. Le mode de vie, les mœurs ont régressé, l’égalité entre les sexes, la liberté des femmes de s’habiller, d’aimer, a disparu sous la domination violente du grand frère, biologique ou symbolique.
L’honneur des garçons de la cité leur commande de frapper leurs sœurs quand l’honneur français interdit à un homme de lever la main sur une femme.

Quand ce décalage des civilisations apparaît crûment dans le reportage, les témoins – qui, sur leur territoire, se confiaient sans complexes face caméra – réalisent qu’ils ont fait une connerie et accusent l’auteur de « manipulations », lui reprochant « d’avoir donné une image caricaturale de la cité en sortant les propos de leur contexte ».

Je me demande dans quel contexte on peut remettre des phrases telles que « une fille qui s’est fait trouer, ça ne vaut rien » ou « la loi française, c’est de la merde » pour qu’elles deviennent acceptables.

Certains ne tiennent pas le même discours et le film le montre mais la norme qui régente le mode de vie m’inquiète. Est-ce cela l’islam de France ?
Derrière le discours répandu et confiant sur le multiculturalisme, la réalité d’une culture qui exclut toute les autres ne saurait être montrée.

Nabila Laïb, la « fixeuse », incontournable pour entrer dans la cité, (exigence que les rencontrent notamment à Gaza) a, dans un premier temps, obtenu d’Arte la déprogrammation du doc le 1er septembre en invoquant des menaces à son encontre en cas de diffusion, avant de revenir sur ses déclarations en proclamant qu’on lui avait volé son travail et qu’on l’avait écartée du montage[1. « Cette méthode, grossière et très peu journalistique, a pour objectif de détourner l’attention de l’information principale – la situation dégradée des jeunes femmes dans certaines cités – pour mettre en cause les journalistes. La ficelle est grosse et mériterait qu’on s’y attarde. C’est en effet une tentative nouvelle et « subtile » de censurer l’information », affirme Daniel Leconte dans un communiqué que certains journalistes ont préféré ignorer].

Backchich et Télérama.fr se sont empressés de reprendre ses propos mensongers – elle affirmait par exemple être co-auteur du film. Backchich s’est particulièrement illustré dans un article venimeux et d’une mauvaise foi sidérante intitulé « La « Cité du mâle » en pis » – et sous-titré « Daube en Stock ». Pour l’auteur, l’interdiction du film « est une question de justice pour ceux qui vivent là. » Ah bon, pour lesquels ? Et selon Nabila Laïb, « c’est à cause de documentaires comme ceux-là que les journalistes ont des problèmes en banlieue ». Pas ceux de Backchich, qui semblent voir le réel avec des œillères islamo-gauchistes.

Comme souvent quand on parle d’islam, intimidations, pressions et menaces ont tenté d’empêcher la diffusion, ce soir, de La cité du mâle. Cette fois, ça n’a pas marché. On pourra quand même le voir. Et à mon avis, ce n’est pas seulement une nécessité : c’est un devoir. Il faudrait même le montrer à l’école de la République.

Un peu de décence, Mme Dati !

17

Je vous l’avoue, je me suis un peu déconnecté de l’info ce week-end. Du coup j’ai fait semblant de rire sous cape quand pas mal d’amis, lundi puis mardi, m’ont parlé de la gaffe de Rachida Dati en direct à Dimanche +. Tout comme je n’ai, pour tout vous dire, pas pigé grand chose aux nombreuses allusions qu’y faisaient les humoristes dans les programmes matinaux des radios.

Heureusement, y’a internet. Et je viens enfin de voir le fameux extrait, avec sa fameuse gaffe. Et c’est vrai que Rachida qui vous explique sans rire qu’elle est de tout cœur avec les smicardes grévistes de chez Lejaby, c’est carrément obscène!

Toc toc toc, c’est Despentes

88

Il y a une vieille jeune fille : Amélie Nothomb. Et une jeune vieille fille : Virginie Despentes. On est en droit, largement, de préférer la première, mais ce n’est pas une compétition. Déjà, je ne peux plus supporter, physiquement si j’ose dire, les titres des livres de Virginie : King Kong theory, à présent Apocalypse bébé. Je lui conseille, pour le suivant (car hélas il y aura un suivant) Ploum ploum tralala. C’est un excellent film avec Saturnin Fabre qui n’était pas écrivain, mais acteur, et qui lui savait à la fois écrire et jouer la comédie. Virginie ne sait que jouer la comédie. Littérairement, s’entend. Nous ne comprenons pas, après toutes ces années de prose colmatée, où elle voudrait en venir. Elle bâcle avec effort, dans un souci de plaire déguisé en mépris de crachat, des romans où les hommes et les femmes n’existent que sous forme de femmes, elles-mêmes cadenassées dans de simples figurations schématiques relevant, au mieux, du spectacle de marionnettes.

Je ne sache pas qu’on fasse profession d’écrire pour choquer Jérôme Garcin. Cette littérature, qui s’annonce systématiquement libérée de toutes les emprises (celles de la mode, des habitudes, des mœurs, et notamment du goût) est hémorragique ; elle se répand, bavarde, coule, jaillit mais oublie ce qui, chez les écrivains qui sont écrivains, est primordial : le monde. Rien que cela. Abrutie par son propre projet, entraînée par ses historiettes qui ne sont sordides que parce qu’elles sont bancales, Virginie omet de faire apparaître, en fond sonore, le monde dans lequel sont censées se dérouler ces rédactions de quatrième déguisées en roman. La réalité n’existe jamais, si bien que le lecteur n’a jamais de repère : tout pourrait, finalement, se dérouler dans Apocalypse bébé en novembre 1952. Virginie n’est pas présente dans l’univers et l’univers n’est pas présent non plus chez Virginie.

Ne reste donc, comme un papier peint sans son mur, qu’un scénario plaqué sur un peu de prose, à moins que ce ne soit le contraire. Tout est réciproque dans cette littérature, tout est interchangeable et tout est bijectif : les psychologies, les dialogues, les situations. Despentes écrirait l’inverse de tout ce qu’elle écrit que nul, finalement, ne s’en apercevrait. Il n’y a pas de rencontre ici, avec une voix, avec un auteur, avec une femme : ainsi la concrétude de l’œuvre vient-elle du dehors, des articles publiés, des photos prises, des tee-shirts portés. Tout glisse dans ces pages, tout fond, tout s’efface à mesure qu’on lit, et on se dit qu’Apocalypse bébé aurait pu durer trois pages ou mille sans qu’il n’en ait été ni affecté, ni modifié, ni surtout amélioré. Le pire étant, puisque je viens d’y consacrer somme toute quelques lignes, qu’il n’y a même pas rien à dire à son sujet.

*Cet article a été publié dans le numéro d’octobre du magazine Transfuge que nous remercions

Proche-Orient : après le gel, le dégel

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Les négociations entre Israéliens et Palestiniens, entamées il y a quelques jours à peine, vont-elles avorter à cause de la reprise de la construction dans les colonies ? C’est ce que semble penser la presse mondiale qui s’indigne de ce nouveau coup dur. Pourtant, les bulldozers convoqués pour fournir aux médias et aux colons des images de « fin de gel » cachent une réalité beaucoup plus nuancée. Les réactions très modérées de Mahmoud Abbas, le président palestinien, et les autres porte-paroles officiels et officieux de l’Autorité palestinienne auraient dû nous mettre la puce à l’oreille : cette crise sonne faux. Tout semble indiquer qu’Israéliens et Palestiniens n’ont pas – encore ? – décidé de torpiller les pourparlers lancés au début du mois à Washington. En fait, malgré les images passées en boucle sur nos écrans, « la fin du moratoire sur la construction en Cisjordanie » ne signifie pas une reprise de la colonisation. C’est entre ces deux notions Netanyahou et Abbas cherchent un compromis qui leur permettra de poursuivre les discussions.

La question du développement et de l’élargissement des implantations existantes – un accord tacite entre les deux partis impose depuis longtemps un moratoire sur la construction des nouvelles colonies – était depuis la victoire de la droite israélienne aux législatives de 2009 le principal obstacle à la reprise du dialogue public entre Ramallah et Jérusalem. Face à un gouvernement qui a Benyamin Netanyahou pour Premier ministre et Avigdor Lieberman comme ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Abbas est pourtant parvenu sans trop de difficultés à imposer le « gel de la colonisation » comme condition préalable à la reprise des négociations officielles. Profitant au maximum du manque de crédibilité dont souffrent les dirigeants israéliens auprès des chancelleries et opinions publiques, la tactique palestinienne, intelligente et efficace, a donc parfaitement fonctionné.

Les règles du jeu ont changé

Même parmi les colons qui ont fêté hier la fin du moratoire, les plus lucides comprennent que le gouvernement actuel – le meilleur possible pour eux – ne pourra pas revenir en arrière. Comme par hasard, certains dirigeants du Likoud, le parti de Netanyahou, multiplient les appels à élargir la coalition en intégrant des centristes de Kadima. Le message, adressé plutôt aux colons qu’à Tzipi Livni, chef de Kadima, est clair : contrairement à vous, Netanyahou a une alternative. Les colons sont donc sommés de se rendre à l’évidence : pour la droite au pouvoir, ces dix mois de gel des constructions ont créé de nouvelles règles du jeu. Parlant lundi soir dans un meeting organisé pour marquer la fin du moratoire (et donc, pour lui et les autres participants, une relance de la construction), Israël Katz, ministre des Transports et l’un des leaders de l’aile droite du Likoud, le parti de Netanyahou, a utilisé des formules nouvelles. Il a parlé de « bloc d’implantations » et du devoir du gouvernement de « conserver les colonies et leurs habitants ». Une oreille non israélienne n’entend pas forcément, derrière les mots, la petite musique, mais pour les connaisseurs de la droite israélienne, clé politique incontournable de tout accord, il s’agit d’un changement de taille. Il ne s’agit plus de « Judée et Samarie » mais des implantations et de leurs habitants. Autrement dit, tout ce qui est au-delà des limites municipales est négociable.

Le ministre des Transports n’a d’ailleurs fait que reprendre à son compte des formules utilisées depuis un petit moment par son Premier ministre. « Bibi » souhaite se mettre d’accord avec le président palestinien sur une liste des colonies qui resteraient – contre des compensations territoriales – israéliennes. Celles-ci sont regroupées dans des « blocs » occupant une surface relativement restreinte, où vit une large majorité de la population israélienne de la Cisjordanie. L’idée est donc d’annexer, dans le cadre d’un arrangement définitif sur les frontières, un minimum de surface abritant maximum d’habitants.

Un tel accord – très probablement tacite – aurait plusieurs avantages. Il permettrait tout d’abord à Netanyahou de réaliser l’exploit dont rêve tout homme politique : contenter deux camps diamétralement opposés. Dans ce cas la « quadrature du cercle » consiste à construire dans les colonies « blanchies » pour faire plaisir à la droite tout en gelant la construction dans les implantations « hors liste » pour contenter Washington et permettre à Ramallah de rester dans le jeu.

Autre avantage – et non des moindres – d’une telle solution : le nombre des colonies à l’avenir assuré ne manquera pas – tôt ou tard – de diviser les colons eux-mêmes. De toute évidence, cette liste comprendra les villes et bourgades proches de la frontière d’avant la guerre des Six jours (la ligne verte) dont les habitants sont plus modérés et plus attachés aux valeurs démocratiques. Ce processus pourrait donc isoler les franges les plus extrémistes d’un côté et gagner à la cause des deux Etats des citoyens qui se sentent déjà mal à l’aise dans le camp où leur adresse les a assignés presque d’office.

Quelle que soit la réponse palestinienne attendue le 4 octobre après la réunion au Caire de la Ligue arabe, le gouvernement Netanyahou décrit il y deux ans à peine comme « le plus à droite de l’histoire israélienne », continue son glissement idéologique. Comme l’avait constaté Ariel Sharon au début de la décennie, la réalité, insensible aux discours électoraux, finit par imposer sa logique.

Ils causent dans le poste

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Vous aimez lire Cyril Bennasar ou François Miclo ? Alors vous adorerez les voir, et en plus les entendre puisque, paraît-il, les deux sont possibles simultanément à la télévision.

Premier rendez-vous dès ce matin, sur LCI à 10 h 10, où Cyril Bennasar sera sur le plateau de « Choisissez votre camp ! », l’émission de débat animée par Valérie Expert (rediffusion ce même mardi à 14h10).

Quant à François Miclo, on le verra à partir de 23 h 05, sur France 3, où il sera l’un des invités de « Ce soir ou jamais », de Frédéric Taddei (voir l’émission).

Bref, si vous n’avez pas de télé, il est encore temps de vous faire inviter pour le brunch ou le digestif…

La Muraymania, ça suffit !

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Philippe Muray

Philippe Muray

Depuis janvier 2010, c’est-à-dire depuis exactement cinq ans, Philippe Muray est partout. « Je suis partout » est devenu sa seconde nature – et c’est sans surprise. Depuis cinq ans, un déluge sans précédent de pensée moisie s’est abattu sur la France. Qui se souvient encore du sarkozysme et de sa droite moderniste et hyperfestive ? Depuis cinq ans, la pensée unique n’a plus qu’une seule voix : celle de Philippe Muray. La contagion surréaliste de l’entre-deux-guerres ou la frénésie existentialiste d’après-guerre nous paraissent à présent des phénomènes culturels bien timorés, au regard de l’ampleur de l’ouragan murayien qui a dévasté la France.

Le visage de Philippe Muray est sur tous les tee-shirts, sur tous les porte-clefs amusants, en fond d’écran sur tous les Zaïpodes et tous les Zipades. C’est encore lui qui ricane au fond de toutes les boules à neige. Muray est partout : tous nos enfants apprennent par cœur à l’école Tombeau pour une touriste innocente, qu’ils nous récitent en riant à Noël. Muray est dans l’annuaire, dans le Lagarde et Michard, dans tous les menus au restaurant, à la télé, à l’opéra, au théâtre, dans toutes les expos et jusque dans les replis nostalgiques de la moindre performance d’art post-contemporain.[access capability= »lire_inedits »]

La France a indubitablement changé de visage depuis que la pyramide du Louvre, symbole de l’esprit des Lumières, a été détruite et remplacée par cette gigantesque statue de la tête de Muray fumant un cigare et affublé des oreilles de Mickey – comme celui-ci en arbora réellement le jour où il se rendit à Eurodisney –, réalisée par un éminent plasticien saoudien. Muray est partout : depuis cinq ans, tous les nouveau-nés s’appellent Philippe, Festif ou Festyves. Et quel sera bientôt, à coup sûr, le jeu vidéo préféré des petits Festif et des petites Festève ? Festivisator, évidemment, dans lequel l’effigie électronique de Philippe Muray traque des Panurgian mutans et les massacre en leur jetant des livres de Céline ou de Léon Bloy qui se transforment en boules de feu.

Le café gay le plus « trendy » s’appelle l’HOMO-Festivus

Muray est la coqueluche de tous les rappeurs, de tous les coiffeurs, de tous les restaurateurs. Les estivants lisent tous Muray sur la plage et il suffit qu’ils lèvent la tête pour qu’ils déchiffrent des citations de Muray sur les banderoles tirées par les avions. Muray est dans toutes les pages people, sur CNN et sur Al-Jazira, dans toutes les musiques d’attente téléphonique. Dans le Marais, le café gay le plus trendy du moment est l’HOMO-Festivus. Les cours d’histoire sont désormais complétés par des cours de post-histoire, dispensés par les néo-hussards noirs du murayisme. Enfin, Muray a même conquis nos raves. Depuis quatre étés, la techno antifestive fait fureur. Le principe de la danse techno y subsiste, mais désormais la frénésie extatique des corps s’y déploie jusqu’au petit matin dans un abyssal silence. La techno de notre temps est une techno sans musique, sans beat, sans rien.

En cinq ans, la mafia murayienne s’est infiltrée partout, elle aussi. Vous apercevez une ombre ricanante en train de tirer les ficelles en coulisses ? Vous pouvez être certain qu’il s’agit d’un murayien. Anne Sefrioui, la veuve de Philippe Muray, dirige désormais Le Monde des livres. Elisabeth Lévy présente depuis trois ans le « 20 heures » sur France 2, de sa voix criarde et dérapante. Michel Desgranges, l’éditeur de Muray aux Belles Lettres, plastronne à la tête de Gallimard, qui prépare les sept pléiades du Journal de Muray et un huitième tome consacré à ses listes de courses. La direction du Monde est tombée entre les mains de son ami Philippe Delaroche. Enfin, chacun sait que notre actuel ministre de la Culture, le terrifiant Georges Liébert, était lui aussi l’éditeur et l’ami de Philippe Muray. Quant à la loi de pénalisation du festivisme, votée à l’unanimité en mai 2012, chacun a pu en constater le caractère liberticide et les effets dévastateurs. La renaissance actuelle du bal-musette dans nos banlieues suffit à démontrer son caractère profondément réactionnaire. Je ne dirai rien de la liaison obscure qui s’est opérée depuis deux ans entre l’islamisme et le murayisme. Depuis que Ben Laden a cité abondamment Muray en français dans sa vidéo de septembre 2013, on sait que l’ouvrage de Philippe Muray Chers djihadistes est désormais étudié et appris par cœur partout dans le monde dans les écoles coraniques d’obédience extrémiste.

Depuis le bannissement de Philippe Sollers sur l’île d’Elbe en avril 2011, tous les ennemis de Philippe Muray vivent dans la terreur. Jacques Henric et Catherine Millet se sont exilés en Patagonie, Scarpetta en Laponie et Daniel Lindenberg en Malaisie – où il est mort dans des conditions affreuses, des suites de l’infection d’une morsure d’orang-outang. Quant à la fin tragique d’Arnaud Viviant, suicidé par auto-crucifixion à un ginkgo biloba, chacun s’en souvient encore avec tristesse et horreur.

Avec le monopole intellectuel de la gauche, c’est la démocratie qu’on assassine

En dépit de tout, certains esprits grincheux osent encore affirmer que la démocratie n’est pas en danger. Pourtant, c’est le fondement même de la démocratie qui a été réduit en poussière : le monopole absolu de la gauche dans le monde intellectuel, à l’école et dans les médias. Le droit naturel, le droit de sang, le droit divin de la gauche à débattre a été confisqué par une horde de roquets aux ordres. Le plus atterrant est que ce sont eux qui prétendent désormais donner à la gauche des leçons de pluralisme. Comme si la gauche n’avait pas toujours été l’essence du pluralisme ! Les nouveaux nazis grincheux pluralistes qui sont à nos fenêtres et parfois à nos portes ont sapé méthodiquement – et parfois dans le désordre – le droit inaliénable et dérangeant de la gauche au monopole du pluralisme. Pourtant, qui peut prendre au sérieux des pluralistes en bottes brunes qui brandissent haut la main le petit livre bleu (leur trop fameux Après l’Histoire) et dont tous les principes se résument en vérité à un seul : le Führerprinzip. Celui-ci se nomme désormais Philippe Muray.

En défendant ici solennellement la nécessité démocratique de voir la gauche recouvrer son monopole sur le pluralisme, la morale et la pensée, je ne refuse nullement tout droit de cité à la droite, comme le prétendent certains. La droite a un droit plein et entier à l’existence, du moment qu’elle se maintient à l’intérieur des frontières de ses propres monopoles légitimes, qui font la singularité respectable de sa tradition : la méchanceté, la bêtise, l’obéissance, l’ignorance, la moisissure, la nostalgie frelatée et l’intolérance.[/access]

Keynes is my homeboy

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Vous aimez le rap ? Moi guère plus. J’avoue, je rechigne à apprécier ses subtilités rythmiques et sa prose toute en vindicte et complaintes. Ni popu ni bling-bling, je cale avec tout ce qui n’émane d’Orelsan, Corneille ou MC Solaar. Les clips stars du genre, anti-meufs, anti-homos et surtout anti-flics, désespèrent les substrats de mon adolescence rebelle et leurs souvenirs déjà anciens de rock’n’roll attitude.

On n’est pas sérieux quand on a 40 ans, dit le poète. Sauf quand, au détour de promenades virtuelles, l’on déniche – ce n’est pas tous les jours fête – un match scandé entre économistes, et pas n’importe lesquels puisqu’il s’agit de Keynes et Hayek, icônes respectivement de l’interventionnisme et du libéralisme.

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L’on doit ce duo de titans modernes, allégrement joué et filmé, impeccablement scénarisé (bagnole de luxe, palace, champagne et jolies pépées), au docte Russel Roberts, professeur d’économie, et au réalisateur John Papola. Mis en ligne en janvier, « Craignez les bulles et les crises » expose leurs théories antagonistes sauf sur un point : la crise financière résulte d’une mauvaise coordination entre l’épargne et l’investissement.

Vous n’y comprenez rien ? Chantez !

Sarkozy, c’est pas Pétain

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Photo : Feuillu
Photo : Feuillu

Bon, bien sûr, lors de ce fameux déjeuner du 16 septembre à Bruxelles sur la question rom, quand il s’est mis en colère, Nicolas Sarkozy a déclaré « Je suis le chef de l’Etat français, je ne laisserai pas insulter mon pays. » On peut penser que De Gaulle ou Chirac auraient sans doute, d’instinct, plutôt dit « Je suis le président de la République Française, je ne laisserai pas insulter mon pays. » Mitterrand, c’est plus douteux car la jeunesse est lente à mourir et Giscard n’aurait pas haussé le ton de toute façon parce qu’il a toujours été trop poli pour ça. Mais assez de psychiatrisation n’est-ce pas ? Lacan, lui-même remarquait d’ailleurs que l’inconscient est structuré comme un langage et non le langage comme un inconscient.

Pas de Roms place Saint-Pierre

Bon, bien sûr l’instrumentalisation d’une communauté à des fins de politique intérieure a pu énerver les âmes sensibles comme Benoit XVI ou une commissaire européenne. Mais sincèrement, qu’est-ce qu’un Pape enfermé au Vatican peut connaître de la réalité du terrain ? Rappelons tout de même que Benoît XVI avait déjà parfaitement montré sa méconnaissance de l’économie de marché et de son merveilleux fonctionnement chaque jour attesté, dans son Encyclique de juin 2009 Caritas in Veritate : « L’accroissement systémique des inégalités entre les groupes sociaux à l’intérieur d’un même pays et entre les populations des différents pays, c’est-à-dire l’augmentation massive de la pauvreté au sens relatif, non seulement tend à saper la cohésion sociale et met ainsi en danger la démocratie ». On dirait du Jean-Luc Mélenchon, ce qui est tout de même un comble. En plus, sur la question rom, il n’est pas du tout certain que le Vatican ait prévu des aires de stationnement sur son territoire d’un demi kilomètre carré et, de toute manière, ce n’est pas le pape qui se farcit des roulottes pleines de rempailleurs de chaises place Saint-Pierre ou dans les jardins de Castel Gandolfo.

Bon, bien sûr, il y a eu cette circulaire maladroite qui visait nommément les Roms mais apparemment, c’est un lapsus scripti (pas de psychiatrisation, bon dieu !) d’un conseiller du ministre de l’Intérieur. Et puis d’abord personne ne l’a vraiment relue cette circulaire et Besson, lui-même, n’était même pas au courant, c’est dire. Ou alors ce conseiller était ivre, comme celui de Fillon qui a insulté la police. Ceci étant dit, politiquement, écrire une circulaire avec 2 grammes dans le sang est aussi dangereux que de conduire dans le même état.

Amalgame scandaleux

Tout cela pour dénoncer l’amalgame décidément scandaleux qui est fait entre la politique actuelle du gouvernement et celle de Vichy. Il n’y a absolument rien de commun entre les deux et l’on s’étonne que l’association des Amis du maréchal Pétain n’ait pas entamé un sit-in de protestation sur la tombe du grand homme à l’île d’Yeu.

Eux aussi devraient en avoir assez d’être instrumentalisés par une gauche qui n’a plus que cette comparaison à la bouche, cette gauche incapable de proposer un projet alternatif pour les retraites et à peine de mobiliser 3 millions de personnes à deux semaines d’intervalle[1. A propos de la mobilisation du 23, l’impayable Eric Woerth a inventé le concept de « décélération notable » pour qualifier une mobilisation équivalente à la précédente. La « décélération notable », j’ai comme l’impression qu’on va la voir arriver dans sa carrière politique lors du prochain remaniement.].

En effet, on rappellera ici que la devise de l’Etat Français était Travail, Famille, Patrie et comme je hais ces mensonges qui vous ont fait tant de mal, je vais vous montrer, simplement en prenant quelques exemples dans l’actualité récente que la politique sarkozyste ne peut pas être pétainiste puisqu’elle n’aime ni le travail, ni la famille, ni la patrie.

Pour le travail, il suffit d’ouvrir le journal (enfin les journaux qui ont encore des pages « Social » à côté des pages « Economie », ce qui devient aussi rare qu’un moins de 25 ans avec un emploi). On dirait que l’on s’achemine tout doucement vers la France des années 2030 telle que l’imagine Houellebecq à la fin de son dernier roman, La carte et le territoire. Une Arcadie peuplée de néo ruraux branchés et connectés au monde entier, vivant dans des villages de la Creuse ou du Loiret. La désindustrialisation est le stade ultime du sarkozysme et tenir la chronique des délocalisations, fermetures de sites, licenciements, chantages à l’emploi pour faire accepter des baisses de salaire (chez les Conti de Toulouse tout récemment) prendrait des proportions homériques comme dans l’Iliade au Chant II où sont recensés dans une liste interminable tous les navires grecs et ceux de leurs alliés.

La terre ne ment pas mais on ment à la terre

Et puis, on ne peut pas dire non plus que le gouvernement soit pétainiste en matière d’agriculture. Le slogan de Bruno Lemaire, ce n’est pas « La terre ne ment pas », mais plutôt « On ment à la terre ». Si vous voulez expérimenter ces temps-ci la profonde absurdité de l’économie de marché, faites producteur de lait comme métier. Non seulement vous ne pourrez pas en vivre mais en plus, à l’autre bout de la chaine, le consommateur ne pourra pas l’acheter tellement il devient cher.

La famille, maintenant : on rappellera que François Baroin avant de faire marche arrière, provisoirement, avait quand même imaginé de faire ses économies budgétaires en supprimant la possibilité donnée aux parents et à leurs enfants qui étudient, de cumuler l’aide personnalisée au logement et l’allègement fiscal. Quant à la fin la demi-part accordée aux foyers fiscaux ayant des enfants à charge, elle est toujours sur le tapis.
Et voilà qu’aujourd’hui, ce sont les derniers jeunes qui croient encore au mariage qui vont être fiscalement bolossés. En effet, les couples qui se marient remplissent, pour la même année fiscale, trois déclarations: deux individuelles et une commune. À partir de la déclaration de revenus 2011, pour l’impôt payé en 2012, les couples auront obligation de choisir entre deux déclarations individuelles ou une déclaration commune. Il paraît que c’est une niche fiscale, comme le bouclier du même nom, qui lui ne bouge pas. On voit bien que le sarkozysme n’est pas un familialisme puisqu’en fait, son citoyen idéal, c’est celui qui est plein de pognon et qui vit à la colle, comme on disait dans le monde d’avant.

Il nous reste la patrie. Ah ça, la patrie, on pourrait y croire, avec Sarkozy. Et pourtant, non.
Regardez comme on fait les cadors, là, à Bruxelles. Et que je te regarde Barroso droit dans les yeux, façon western italien. Et que je suis sur le point de déclarer la guerre à de grandes puissances comme le Luxembourg ou la Roumanie. Oui, mais en attendant, la patrie, elle aimerait peut-être bien un débat parlementaire qui n’a toujours pas eu lieu à propos de notre engagement en Afghanistan, sous commandement américain. Et si possible avant qu’on franchisse le cap des cinquante soldats tués dans une guerre qui fait gagner du terrain un peu plus chaque jour à l’ennemi qu’elle est censée combattre.

La patrie, oui, il serait effectivement prendre l’Otan d’en parler, monsieur le Président.

« Je n’ai pas fait chanter Muray »

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Bertrand Burgalat
Bertrand Burgalat.
Bertrand Burgalat
Bertrand Burgalat.

Compositeur, chanteur et producteur, fondateur du label discographique Tricatel, vous avez écrit et produit l’album-culte de Houellebecq en 2000. Vous avez même donné une série de concerts à l’auteur des Particules élémentaires. Pouvez-vous nous raconter cette collaboration ?

D’abord, je ne l’ai pas fait chanter mais parler, ce qui n’était pas facile au début, même si, par la suite, le carton de ses livres l’a délié. Nous nous sommes rencontrés vers 1995 par l’intermédiaire de Jean-Yves Jouannais et nous avons mis ensuite cinq ans à achever ce disque, à tâtons, car nous n’avions alors aucune référence, à part peut-être certains écueils et poncifs que nous souhaitions éviter.

[access capability= »lire_inedits »]Tricatel a été sollicité pour éditer l’album de Philippe Muray, Minimum Respect (enregistré entre 2003 et 2006). Alors qu’il est presque à la mode, regrettez-vous de ne pas l’avoir inscrit à votre catalogue ?

Je connaissais et aimais ses livres depuis longtemps lorsque je l’ai rencontré, et j’étais très triste de ne pouvoir embrayer sur son projet. Mais c’était une période difficile pour moi, notamment financièrement : ça n’aurait pas été lui rendre service que de sortir son disque tel quel. D’autre part, il me semblait que la musique ne collait pas avec le texte ; cela donnait un fond sonore un peu ironique et décalé, bref ça m’avait paru moins bien que ses bouquins, et trop proche sur la forme de ce qu’on avait essayé de faire et de ne pas faire avec Présence humaine pour que je m’y recolle : Houellebecq m’en avait fait pas mal baver, il aurait fallu que ce disque soit totalement différent pour que je recommence, même si je voyais bien que Muray était aussi sincère et gentil que l’autre peut se montrer épouvantable. Quant au fait qu’il soit devenu « à la mode », je trouve cela très mérité, et ça ne change évidemment rien à tout le bien que je pense de lui. 

La chanson est-elle un moyen, pour les écrivains, d’élargir leur public ?

Je ne pense pas que ce soit le bon angle d’approche. Le public qui s’intéresse aux disques un peu hors-piste est souvent plus rare que celui des livres. Pour un écrivain établi, la chanson n’est pas un facteur d’élargissement mais de rétrécissement de l’audience. Le groupe Air, qui d’ordinaire applique mes recettes avec un succès que mes propres tentatives ne connaissent jamais, a voulu percevoir les dividendes de l’album de Houellebecq en faisant un disque avec… Alessandro Baricco. Cette fois-ci, le crime n’a pas payé.

Houellebecq nourrissait-il de véritables ambitions de chanteur ?

Non, je pense qu’il s’est beaucoup amusé, au début, à jouer avec le cliché du type qu’on regarde sur scène, mais il me paraissait justement très important qu’il ne chante jamais au sens littéral : il n’était pas question de faire un disque de célébrité (ce qu’il n’était pas au début du projet) mais de tenter autre chose. Houellebecq a été courageux : il n’avait rien à gagner à se confronter aux infrastructures actuelles du rock, qui ne brillent pas par leur subtilité, et aux sarcasmes du milieu littéraire.  

Tricatel a également publié, en 2001, un album de l’écrivain Jonathan Coe, 9th & 13th. Cet album se distingue par l’accord et l’entremêlement des mots et de la musique…

Jonathan Coe est un écrivain considérable. Je suis triste qu’il n’y ait aucun équivalent en France de Testament à l’anglaise ou de Rotters Club. Dans 9th and 13th, il juxtapose les accords 9e et 13e et les rues portant le même chiffre à New York : on est effectivement dans ce que musique et littérature peuvent produire de plus singulier.

Le « disque d’écrivain » est-il un genre ?

Le premier qui me vienne à l’esprit est La Devanture des ivresses, que Jack-Alain Léger a publié sous le nom de Melmoth en 1969, puis l’album Obsolète qu’il a sorti en 1971 sous le pseudonyme de Dashiell Hedayat : ses deux essais ont été des coups de maître. Il y a ensuite certaines chansons de Ferré, comme La Solitude, Night and Day, ou Je t’aimais bien, tu sais : des textes somptueux aux flashes époustouflants (« Ton cancer a deux jours et tu as 18 ans »…) qui  communient avec une musique ravélienne. Ce n’est pas un « disque d’écrivain », mais ça ressemble à un « disque d’écrivain parfaitement réussi ».

L’album d’Ingrid Caven, édité par Tricatel en 2000, Chambre 1040, comporte beaucoup de textes de l’écrivain Jean-Jacques Schuhl (conjoint de la chanteuse). Comment ce projet est-il venu à vous ?

Les choses se sont toujours faites sans préméditation : je n’ai jamais essayé de positionner le label d’une manière ou d’une autre. Faire de la musique n’est pas toujours facile, mais l’une des joies que cela procure est de pouvoir rencontrer des gens qui n’en font pas, de s’évader d’un milieu professionnel qui, dans l’ensemble, est en contradiction avec ce que la musique peut avoir de merveilleux. Je ne sais pas si je préfère passer une soirée avec un programmateur de radio ou avec quelqu’un qui travaille dans le gardiennage (je parle d’expérience). Alors oui, c’est très agréable de pouvoir échanger et faire des choses avec des personnages aussi différents que Jack-Alain Léger, Yves Adrien, Elisabeth Barillé, Virginie Despentes, Bertrand Delcour, Jonathan Coe, Marie-Dominique Lelièvre, Jean Parvulesco ou Jean-Jacques Schuhl… Si j’étais dans le milieu littéraire (ou le gardiennage), je n’aurais pas forcément cette possibilité.

Il y a des écrivains qui font des disques, et les chanteurs qui font des livres. Passer de la littérature à la musique est-il naturel ?

Dans les deux cas se posent des questions de légitimité qui me semblent dérisoires. Chanter ou écrire, ce sont des choses assez naturelles : on n’a pas besoin de passer de permis pour ça. Pour en avoir le statut social, il suffit d’aller dans le métro se faire imprimer des cartes de visite. Ce qu’on fait après, ça, c’est autre chose. L’Académie française est truffée d’écrivains qui n’ont jamais écrit une ligne intéressante de leur vie, voire pas de ligne du tout. Certains textes d’Yves Simon ou de Pierre Vassiliu (Film, par exemple) sont façonnés comme des nouvelles. Dans l’autre sens, une romancière comme Barillé possède, dans ses livres, un véritable sens mélodique qui ne demande qu’à s’épanouir dans l’écriture de chansons. La plus grande difficulté, quand on écrit des paroles, qu’on soit écrivain ou non, est de s’affranchir des règles. On a souvent tendance, au début, à accorder trop d’importance aux rimes et aux pieds, au détriment de la musicalité, et bien sûr du sens de ce qu’on veut exprimer.[/access]