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Montebourg gâche son talent

photo : Sidi-Bouzid News (Flickr)

Il y a trois Montebourg : l’avocat de la démondialisation qui dès 1997, faisait campagne en faveur du protectionnisme européen, déplorant la désertification industrielle de la Saône-et-Loire, l’éternel jeune lion du Parti Socialiste qui ne parvient pas à se défaire de son image de bourgeois aux dents longues, orfèvre en retournements de veste et combinazione, passé de Benoît (Hamon) à Ségolène (Royal) puis à Martine après un flirt raté avec Pierre (Moscovici) et, enfin, le Robespierre aux petits pieds, partisan de l’acharnement éthique contre Chirac, dont l’idéologie semble se réduire à une vague critique parlementariste de la Ve République et à une croisade contre les paradis fiscaux.

Lundi soir, lors de son grand meeting au théâtre Dejazet, Montebourg voulait surtout montrer le premier, le démondialisateur, notamment dans son excellent discours de clôture où il a confirmé son hétérodoxie économique et formulé quelques propositions concrètes, qui ont au moins le mérite de trancher avec les mesures cosmétiques de ses concurrents socialistes d’enrichir le débat de quelques couplets innovants :

– La mise sous tutelle des banques et entrée de représentants de l’Etat, des syndicats et des usagers dans leurs conseils d’administration ;

– La création d’une Agence Européenne de la dette mutualisant les dettes publiques sur la base d’une taxation des transactions financières à hauteur de 0.05% (dont les recettes rembourseraient la dette grecque en un an).


Volontaires de toute la France, unissez-vous ! par idees_reves

Bonne prestation sur le fond, donc. On n’en dira pas autant sur la forme. Côté mise en scène, Montebourg a sacrifié à tous les poncifs du Spectacle contemporain. D’emblée, le ton fut donné par le choix farfelu d’une musique du groupe ivoirien Magic system en duo avec le chanteur Khaled.


MAGIC SYSTEM KHALED par sixonine

Compilant l’arabe et un idiome africain dans un brouhaha musical insupportable, ce générique accompagna l’entrée en scène – puis la sortie- d’Arnaud Montebourg, rappelant avec de gros sabots que Montebourg n’a rien à voir avec Marine Le Pen, malgré la proximité de leurs projets économiques malicieusement rappelée par l’intéressée. Le public ne put échapper à la rengaine sur le grand-père algérien du candidat, pas plus qu’à l’éloge absurde de la « France métissée ». Du Ségolène Royal dans le texte.

Le pire restait à venir, avec un aréopage de soutiens hétéroclites. Deux heures durant, une petite dizaine d’intervenants se disputèrent en effet la palme du discours le plus soporifique pour défendre leurs chapelles respectives, en vrac le féminisme, les banlieues, la laïcité, l’écologie, les rapports Nord-Sud. On vit donc se succéder à la tribune :

– Un Roland Castro parfois lyrique, parfois pertinent et concret, mais plutôt fumeux dans son éloge naïf de la « mondialité » ethnoculturelle française.

– Un représentant du pôle écologique du PS racontant longuement l’écologie d’hier avec des histoires de poêles à charbon qui firent monter d’un cran la chaleur suffocante. Sa blague involontaire sur la profondeur des convictions écologistes d’un Montebourg n’acceptant les supermarchés que quand ils utilisent un tant soit peu l’énergie solaire, a remporté un grand succès auprès des mauvais esprits disséminés dans la salle.

– Une ex-ministre de la jeunesse de Cresson et Bérégovoy, Frédérique Bredin, qui offrit à l’assistance dans un pur revival des années Mitterrand promettant à Montebourg, qui a « le courage de la volonté », un destin présidentiel.

– Laurianne Deniaud, présidente des Jeunes socialistes, soumise à un très courageux devoir de réserve qui la contraint à attendre le résultat des primaires socialistes pour rallier le vainqueur, mit son éloquence (digne des plus belles heures de Darry Cowl) au service d’un vibrant hommage à la jeunesse, résumant au passage les deux faces du socialisme postmoderne : l’égalité hommes-femmes et la lutte contre les discriminations.

– Christine Taubira entraînant une fois encore sur le public sur les chemins rebattus du « devoir de mémoire » et de l’exécration corollaire des pouvoirs politique, financier, médiatique, idéologique. Evoquant Frantz Fanon et le mouvement des pays non-alignés, elle célébra la globalisation de la démondialisation. Heureusement, la radicale de gauche fit une révélation fracassante : Montebourg possèderait deux qualités « il est beau, et ce n’est pas un bourgeois ».

– Sihem Souid, auteur d’Omerta dans la police, évidemment victime de la misogynie et du racisme congénitaux de nos flics et ardente avocate de la police de proximité : de quoi dissuader les trafiquants de drogues de manier des armes de guerre.

– Sihem Habchi, ex-présidente de Ni putes ni soumises, « résistante » au fascisme qui entra en politique un certain 21 avril 2002et que l’on a connue mieux inspirée.

Arrivé et reparti sur les rythmes endiablés d’un hymne au métissage, pour ne pas dire au multiculturalisme – personne au PS n’ayant à ce jour perçu la contradiction entre ces deux voies – Arnaud Montebourg a finalement galvaudé son talent en caricaturant « Jean-Marine Le Pen » dont le « projet est racialiste » (!).

N’eût-été son programme économique ambitieux, ce show aurait pu être parrainé par la Fondation Terra Nova. Les amis d’Olivier Ferrand, qui avait choisi de se fondre dans l’assistance, sont en effet les inspirateurs du positionnement France de demain regroupant « les jeunes, les femmes et les minorités des quartiers populaires ». Il n’est pas sûr que cette « coalition des victimes » suffise à pallier le peu d’appétence des classes populaires pour le PS. Il est vrai qu’il le leur rend bien.

Charlène et Albert de Monaco : pas d’enterrement pour le mariage ?

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Ouf on est rassuré, alors qu’on avait craint le pire pour notre programme télé de samedi, la Principauté vient de publier le communiqué suivant : « A quelques jours des cérémonies du mariage de S.A.S. le Prince Albert avec Mlle Charlène Wittstock, le Palais princier dément formellement les allégations mensongères parues ce matin sur le site lexpress.fr, ces rumeurs n’ont pour but que de nuire gravement à l’image du Souverain, par conséquence à celle de Mlle Wittstock, et portent un préjudice grave à cet événement heureux ».

Pour ceux qui n’auraient pas suivi le feuilleton, il faut dire que nos confrères de l’Express n’y étaient pas allés de main morte. D’après eux, Charlène aurait tout simplement tenté de fuguer il y a une semaine, et de s’embarquer pour un aller sans retour vers son Afrique du sud natale, avant d’être interceptée par la police française à l’aéroport de Nice, comme un vulgaire DSK. Ce qui est déjà rigolo, mais le meilleur est à venir.

Car d’après nos confrères, cette tentative d’évasion a été provoquée par une mystérieuse révélation : « Qu’a donc appris la jeune femme pour décider de quitter aussi précipitamment Monaco et de tirer un trait sur ce mariage ? Liaison amoureuse ? Plus encore ? Toute la presse people est sur les dents depuis quelques jours, et un journal dispose de tous les éléments d’une histoire qui risque d’ébranler une nouvelle fois la Principauté ».

On reste pantois à la lecture de ce « Plus encore » qui sonne indubitablement comme un « Pire encore ».

Mais on s’énerve pour rien, là. Stéphane Bern, qui commentera le mariage en direct sur le service public (s’il a bien lieu) a déclaré qu’il n’y avait pas d’affaire ce matin dans Le Parisien, avant de conclure assez peu confraternellement : « C’était trop parfait. J’étais certain qu’une boule puante se préparait. (…) Cette volonté de salir la famille princière est dégueulasse ! Cette famille a connu tellement de malheurs… Qu’on leur foute la paix ! ».

Christophe Barbier, lanceur de boules puantes ? On a du mal à y croire. D’un autre côté, on m’aurait dit que Stéphane Bern allait s’exprimer publiquement comme une harenguière sous méthamphétamine , j’y aurais pas cru non plus…

Martine, on veut des paillettes !

photo : Parti socialiste

La légende héroïque de la presse raconte qu’Hubert Beuve-Méry, le patron du Monde haute époque, donnait cette consigne à ses journalistes, « Faites chiant, messieurs, faites chiant ! » Il semble que ce programme reste valable aujourd’hui, y compris en politique. Regardons les treize minutes de déclaration de campagne de Martine Aubry : il y a de la conviction (pan pour ceux qui disaient qu’elle était sans envie comme son père), un rappel aux fondamentaux du socialisme, une adresse à la France qui dépasse le cercle des militants socialistes, une ébauche de programme. Toutes les croix dans toutes les cases.

Et pourtant, on s’ennuie un peu. Sans doute parce que depuis le crash de Dominique Strauss-Kahn on l’attend, cette déclaration. La surprise avait même été préventivement levée ce week-end pour préparer le terrain et peut-être éviter aux hordes de journalistes d’errer pendant des jours en cherchant Aubry dans les quartiers populaires, de Lille comme on cherche Charlie et son maillot rayé dans la BD du même nom.

Il est vrai que depuis le congrès de Reims, Aubry, on a pris l’habitude de l’avoir dans l’œil, comme on a Lady Gaga dans l’oreille : par défaut. Elle qui après les 35 heures et les deux défaites de la gauche avait quitté la scène nationale pour faire de la rénovation urbaine et de l’art contemporain pour tous à Lille, a su revenir presque naturellement sur les écrans comme si de rien n’était. La voilà donc candidate.

Alors qu’est-ce qui ennuie ? En ce qui me concerne, pas le socialisme orthodoxe qu’on imagine qu’elle va incarner. Certes, durant ses trois ans à la tête du PS, elle a périodiquement pataugé dans les bourbiers que la gauche sociétale adore, mais pour peu qu’elle soit bien conseillée, Aubry devrait savoir causer au peuple qui travaille et souffre, et le faire mieux que l’actuel locataire de l’Elysée, qui a grillé toutes ses cartouches ouvrières il y a cinq ans. La gauche qui s’intéresse avant tout au peuple, c’est suffisamment nouveau pour ne pas faire ronfler…

Non, l’ennui, si ça se trouve, vient de l’excès de normalité que toute la gauche s’impose – Eva Joly, ses lunettes rouges et sa mauvaise camaraderie faisant exception. À force de répéter que Nicolas Sarkozy parle trop, bouge trop, est bling-bling et j’en passe, la gauche a décidé de s’habiller dans de camaïeu gris souris. Avec de temps en temps une écharpe bleu layette pour faire festif. Même Ségolène Royal, qui question animation en connaît un rayon, est devenue bien calme voire légèrement blême. On annonce, ou plutôt, elle ré-annonce sa candidature depuis un bled picto-charentais, avec force « ordre juste » et autres « présidente des solutions », mais on en vient à regretter le spectacle total du Zénith où, coachée par des pros de la scène, elle bougeait les bras en faisant scander Fra-ter-ni-té à la salle en transe, quelque part entre l’Actor’s Studio et la messe vaudou. Ne parlons même pas de François Hollande, le « candidanormal ». Il devrait d’ailleurs songer à déposer la marque et la méthode ça peut marcher impec quand on veut se présenter à la tête de son association de bridge ou briguer la tête du FMI…

Faisons sobre, digne, présidentiable, c’est-à-dire chiant pour inspirer confiance aux électeurs de gauche qui doivent encore se déplacer deux fois pour choisir leur champion en octobre. Mais les électeurs du PS ont aussi droit aux paillettes et au rêve. Croire qu’on pourra se faire élire juste en proposant de prendre soin les uns des autres (ce qui n’est pas si mal), de lutter contre la crise-morale-qui-gangrène le-pays ou de relancer l’Europe des peuples, ça fait un peu juste. Même en y ajoutant la détestation du chef de l’Etat, la dénonciation de l’état calamiteux de l’économie et de l’école et l’annonce d’une réforme fiscale le compte n’y est pas.

J’ose imaginer que les socialistes le savent. Disons qu’ils s’économisent pour la vraie élection celle où on ne votera pas sous des préaux dans des boites à chaussures. J’ose espérer que Martine Aubry, qui aime l’opéra, la lecture et partir en week-end peinarde sans la presse people aux basques, forcera sa nature et laissera au placard ses chemisiers Monoprix. Qu’elle saura au moins donner l’illusion aux Français qu’on va un peu rigoler et essayer des trucs qui ne sortent pas d’un cours de management de l’ENA. Que sa campagne évoquera plus le carnaval de Dunkerque, la Braderie de Lille ou l’arrivée du Paris-Roubaix sous le soleil, pour rester local, qu’un film des frères Dardenne. J’espère que le PS a déjà booké un genre de Fatboy Slim ou de Nicolas Bedos pour animer ses futurs meetings. Et si possible pas pour remixer Bella Ciao.

Martine ne met pas son drapeau européen dans sa poche

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Photo : Parti socialiste

Si l’on a pu voir une nuée de drapeaux tricolores au fort sympathique meeting démondialisateur d’Arnaud Montebourg au théâtre Dejazet, Martine Aubry, elle, a tenu a présenter sa candidature sous le double parrainage du drapeau de la République et du logo publicitaire de la CEE (je sais que ça ne s’appelle plus comme ça, et qu’on est censé dire « l’Union », mais c’est moi qui signe).

Je ne peux pas dire que j’aime beaucoup ce machin bleu et jaune. J’ai recouvert celui qu’on m’a imposé sur ma plaque minéralogique par un autocollant GRD de la Présipauté de Groland, et même quand il fait 35 à l’ombre comme ce lundi, je me réjouis qu’il n’y ait pas un soupçon de vent sur Saint-Germain-des-Prés pour qu’on ne voie pas flotter cette daube étoilée au dessus du théâtre de l’Odéon, que seuls les fans de la page Facebook de Jean Lecanuet doivent appeler par son nom désormais officiel de « Théâtre de l’Europe ».

Tout ça pour dire que je m’étonne que Martine Aubry se soit cru obligée de déférer à ce rituel bruxellois pour sa première danse de prétendante. C’est d’autant plus désagréable pour moi que le cas échéant je voterai pour elle sans l’ombre d’un état d’âme au second tour de 2017, et peut-être même dès le premier. Mais cela risque aussi d’ébouriffer un certain nombre de ses électeurs putatifs, dont la majorité a, contrairement à elle, voté « non » en 2005. Si une seule image vaut mieux qu’un long discours, à quoi bon faire un vrai discours populaire de gauche (ce qu’elle a fait), si c’est pour signifier par visuellement qu’une fois élue, elle fera doublement allégeance: au peuple français, certes, mais aussi à la Commission que présida autrefois son papa ?

Certes, en posant devant le même duo de drapeaux que le chef de l’Etat sur sa photo officielle, elle a pensé se donner une stature de présidentiable. Sauf que cet accouplement héraldique n’a rien de profondément républicain, il est spécifiquement sarkozyste !

Voici la photo officielle du Général (Pas de drapeau du tout, mais il faut croire que ça allait sans dire)

Celle de l’excellent Georges Pompidou (même topo)

Celle de son successeur VGE, pourtant europhile précoce

Celle de François Mitterrand, qui revient au classicisme prégiscardien :

Celle de Jacques Chirac, où le drapeau tricolore fait de la figuration en arrière-plan, mais est dans le film quand même

Et, last but least, la photo officielle de Nicolas Sarkozy, où pour sa première apparition à l’écran, le drapeau européen partage d’emblée la vedette avec le tricolore.

En voulant avoir l’air sérieux, responsable, présidentiable et eurocompatible, Martine Aubry aura donc surtout eu l’air sarkozyste. Ça promet…

Pour la création d’un comité consultatif des commissions nationales !

Georges Clémenceau a déclaré un jour : « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission.» Le vieux filou radical-socialiste avait bien compris le potentiel de ces «commissions ou instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre ou des ministres» (selon l’appellation administrative officielle), qui – même si leur budget n’est pas toujours dispendieux, sont particulièrement nombreuses. Si certaines d’entre elles sont très médiatisées, comme le Conseil national du numérique que Nicolas Sarkozy a récemment inauguré en grande pompe, la grande majorité de ces structures évolue dans des limbes administratives inexplorées, dans des jungles ministérielles insoupçonnables, dans des fatras de paperasseries défiant l’imagination de l’homme sain d’esprit, dans des dédales de bonnes intentions subventionnées…

Le député UMP Jean-Luc Warsmann, interrogé par nos confrères du Nouvel Observateur, reconnaissait il y a quelques jours que ces groupes d’experts réunis dans la perspective théorique d’évolutions législatives éventuelles « coûtent cher sans que leur valeur ajoutée soit toujours prouvée…». Le Général de Gaulle les avait qualifiés du sympathique surnom de « Comités Théodule ». Dans l’annexe « Jaune budgétaire » du projet de loi de finances 2011 on en dénombre près de 700…

Amuse-toi, cher lecteur, à chercher parmi cette série d’authentiques commissions farfelues les quatre commissions fictives… Quatre, seulement…

« Commission consultative permanente d’œnologie » / « Commission nationale des chiffres premiers » / « Comité national de l’Initiative française pour les récifs coralliens » / « Observatoire national du Comportement canin » / « Commission des phares » / « Commission des téléphériques » / « Conseil national du bruit » / « Conseil national du paysage » / « Comité du secret statistique » / « Observatoire national de la lecture » / « Comité de pilotage des évènements indésirables graves » / « Observatoire national de la prolifération des coccinelles » / « Comité de suivi du programme d’action sur le sommeil » / « Conseil national du froid » / « Observatoire national de la mi-saison automnale » / « Comité consultatif permanent des fromages à pâte pressée semi-cuite » / « Conseil national des parcs et jardins ».

Les gagnants recevront toute notre considération. Les perdants continueront simplement à financer ces activités publiques indispensables avec leurs contributions volontaires au fisc.

Une nuit aux « Chandelles »

image : Gatzella (Flickr)

J’aime les salauds galants − une spécialité française qui mériterait d’être classée par l’Unesco au patrimoine immatériel de l’humanité. J’aime l’expression imprudente de leurs premiers émois de chasse. « Ma Douce Fureur. Je fais mon direct sur France 24 à 21 h 30. Accepterais-tu qu’après, je vienne me joindre au chaud de ton corps ? » J’aime le langage mercuriel de la rupture lorsque, las ou déjà pris dans le vortex d’une nouvelle aventure, ils posent l’ultime question : « Au fait, t’es-tu allongée au côté de ce garçon qui te courait après ? » J’aime leur goût des belles choses, leur faiblesse pour les matières nobles, leur
générosité raffinée aussi. J’aime la surprise de ma main lâchée subitement à la tombée de rideau lors d’une première à l’Odéon. J’aime la douleur d’une découverte inattendue de tout ce qu’une liaison licencieuse puisse contenir de violent, de perfide, de trivial et que je m’obstine à ignorer. « Il n’est aucune sorte de sensation qui soit plus vive que celle de la douleur, ses impressions sont sûres, elles ne trompent point comme celles du plaisir », remarquait jadis le divin marquis. Rien ne rend plus séduisant que la marque de douleur profonde. J’aime les salauds galants.

J’aurais adoré contribuer à la réputation sulfureuse de DSK en matière de rapports avec les femmes. Or, jusqu’à preuve du contraire, il convient de considérer le brillantissime ex-directeur du FMI comme un salaud galant et non pas comme un salaud tout court. Hélas ! Aucun hasard heureux n’a mêlé nos chemins. Comment entretenir la confiance en soi, en sa féminité, son pouvoir de séduction enfin, si l’on n’a jamais été l’objet des avances de celui qu’on a qualifié de « chimpanzé en rut » ? Que vaut une journaliste qui n’a pas suscité le moindre intérêt de sa part ? Perdant ainsi d’une minute à l’autre un peu plus d’estime pour moimême, inquiète pour mon avenir, j’ai saisi au vol l’occasion, à proprement dit providentielle, qui s’est présentée à moi un bel après-midi de dimanche.

Voilà qu’un confrère travaillant pour un magazine tout ce qu’il y a de plus respectable, helvétique de surcroît, désire éclairer ses compatriotes sur les liaisons complexes, énigmatiques et dangereuses qui, en France plus qu’ailleurs, ou en tout cas différemment, mettent aux prises la politique et le sexe. Pourquoi moi, je n’en dirai rien. Sentez-vous libres, chers lecteurs, de me soupçonner de connivence avec les plus hautes sphères du pouvoir ou de fréquentation assidue d’établissements ultra-selects réservés aux adultes. Je ne démentirai rien. Bien au contraire. À peine vous confierai-je qu’à l’opposé des Anglo-Saxons et autres Germains, les Slaves n’ont aucun mal à s’approprier les codes de ce délicieux jeu de dupes sur lequel repose le système socio-politique en France. Si la séduction est la règle, va pour la séduction. J’avoue avoir éprouvé un vif plaisir à assister mon collègue dans son enquête.[access capability= »lire_inedits »]

En 1694, l’Académie sermonnait les libertins pour l’excès de liberté qu’ils s’octroyaient, délaissant tout devoir. À la même époque, dans son Dictionnaire français, Pierre Richelet définissait le libertinage comme « érèglement de vie, désordre ». Les temps ont changé, ainsi que le regard porté par les hommes sur une jouissance décomplexée, sinon programmatique. Qualifié de « sergent du sexe », Sade a été reclassé, dans la deuxième moitié du XXe siècle, de l’avant-garde de la transgression à celle du consumérisme. Où situer alors mes salauds galants ? Seraient-ils subversifs ou conformistes, anarchistes ou tartufes ? Que signifie au juste être libertin dans la France d’aujourd’hui ? Faut-il en prêter les attributs, si j’ose dire, à DSK ?

Menottes habillées de plumes roses nous sonnons à la porte discrète des « Chandelles », un luxueux club échangiste situé dans le 1er arrondissement de Paris. Si les liens entre le pouvoir et sexe existent, c’est ici que nous aurons le plus de chances de les percevoir à l’oeil nu. « Vous venez pour la première fois, il faut alors que je vous explique comment ça se passe… », débite le physionomiste depuis un coin obscur des vestiaires. Il m’est demandé d’y laisser mon sac à main, en échange de quoi nous obtenons un carton sur lequel sont inscrits nos faux prénoms.

Désormais, je suis Sonia et, croyez-moi, ceci a son importance. Notre hypothèse préliminaire, c’est que le pouvoir repose sur l’apparence. Je ne conteste nullement que des ouvriers de chez Renault puissent s’adonner au libertinage, mais il ne suffit pas d’être un vétéran de la débauche pour franchir la porte des « C handelles ».
Il se peut qu’il existe une internationale libertine, dont témoignerait l’information publiée par le Corriere della Sera. Une porno-star locale y avoue avoir rencontré DSK, surnommé à l’occasion « Gengis Khan », dans un club privé parisien. Les celebrities se frottent entre elles, dans un entre-soi fermé des fortunés. « “Les Chandelles” sont réservées aux êtres sensibles au glamour, à l’élégance et à l’esthétisme, aux tenants de la liberté érotique, aux addicts de la fantaisie… », lit-on sur la page d’accueil du site Internet du club. D’où mon conseil à tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, envisageraient de passer une soirée aux « Chandelles » : dépassez les limites de la décence dans le choix de vos costumes et toilettes, mais faites-le avec une certaine sophistication cultivée.

En outre, si vous voulez vivre une célébration des sens exaltés par une profusion des nudités, n’arrivez pas avant minuit. À moins que vous n’ayez envie de prendre (ou de perdre, c’est selon) votre temps pour admirer l’art de l’espace avec sa multitude de couloirs étroits, de loges, de salons, le soin apporté aux détails tels que les menottes habillées de plumes roses, les ottomanes tapissées, les corbeilles en fer à préservatifs, les coussins satinés. Enfin, accordez votre configuration lubrico-érotique préférée avec l’agenda de l’établissement, certaines soirées étant dédiées aux seuls couples, certaines autres aux couples et hommes seuls, et ainsi de suite…

Les soirées alimenteraient les « blancs » des RG Valérie, la patronne des lieux, comme tous les propriétaires de clubs échangistes, est susceptible de fournir des informations ultra-sensibles aux services autrefois dits des renseignements généraux. La participation de personnalités politiques aux soirées allumées des « Chandelles »
donnerait ainsi lieu, selon Le Monde, à la rédaction de quantité de notes dites « blanches », sans en-tête ni signature. La conclusion qu’on est tenté d’en tirer est à la fois banale et troublante. Si le libertinage, le lutinage, le droit de cuissage et autres frivolités se terminant par « -age » sont tolérés chez les hommes politiques, ils peuvent également devenir des armes contre eux. Cela signifie-t-il que la société française garde une certaine exigence de conduite morale à l’égard de ceux qui la gouvernent ? Les sondages sur l’affaire DSK semblent prouver le contraire, son parti étant toujours favori pour l’élection présidentielle. Cela étant, un jeune notaire toulousain confie qu’il s’abstient de fréquenter les boîtes échangistes dans sa ville par crainte d’y croiser les collègues de l’étude. Charmante tradition française du faux-semblant.

« Évidemment que beaucoup de gens connus vient ici… », me dit un vieil habitué, sans pour autant citer un seul nom. Décidément attiré par mon inexpérience des lieux, l’homme se permet quelques libertés auxquelles je n’ose répondre par une gifle bourgeoise en bonne et due forme. Aucune forme de violence n’a droit de cité dans ce temple de la civilité sexuelle. Je lui demande néanmoins si « personne n’a jamais été violenté ici ? », tout en pensant aux risques du journalisme d’investigation. « Depuis que DSK est assigné à résidence sous haute surveillance, personne ! », répond-il. Nous en rions discrètement et sans méchanceté aucune.

Contrairement à Bernard Henri-Lévy, je ne sais de « Dominique » que ce que veulent bien me faire savoir mes confrères et les patrons des médias pour lesquels ils travaillent. Par conséquent, sa défense s’appuyant sur l’argument que « rien au monde n’autorise à ce qu’un homme soit ainsi jeté aux chiens » me laisse pantoise. Si les faits qui lui sont reprochés étaient avérés, force serait de reconnaître que « Gengis Khan » a violé une femme et, accessoirement, la règle absolue du consentement qui est la loi des « Chandelles » − une boîte à laquelle il doit, semblerait-il, beaucoup, en tout cas assez pour avoir le devoir d’en donner une belle image. Cela vaut-il ou pas qu’un homme soit « jeté aux chiens » ? Je délègue le droit de réponse à mes salauds galants, de même qu’à mes nouveaux amis libertins, moins « déréglés » ou insolents qu’on ne le croit. Après tout, c’est leur réputation qui est en jeu. Je ne peux m’empêcher de noter, cependant, que jamais « Dominique » ne m’a paru aussi sexy que lors de sa première comparution devant le juge.

Comment conclure ? D’évidence, qu’il existe des liens entre le pouvoir politique et le sexe en France. Au même titre qu’il existe des liens entre les médias et le sexe, la mode et le sexe, la justice et le sexe ou la médecine et le sexe. Si mon collègue suisse souhaite enquêter sur tout cela, qu’il sache que je suis à sa disposition.
Quoi qu’il en soit, je préférerais de loin être représentée à l’Assemblée nationale par un député sexuellement obsédé que soignée par un dentiste enjôleur et frôleur. Last but not least, j’ai une pensée pour toute la clientèle des « Chandelles » qui a bien voulu accorder du crédit à mon inconduite simulée. J’espère qu’elle gardera toute son énergie à rendre inoubliables les « after work coquins » ou à inventer de nouvelles formules. Faites nous plaisir, amusez-vous ![/access]

Lauriers pour Leroy

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Jeudi 23 juin, comme chaque année, l’Académie Française a communiqué son palmarès annuel. 70 prix ont été décernés et nous avons le plaisir de compter parmi les lauréats notre ami Jérôme Leroy, qui s’est vu décerner pour Un dernier verre en Atlantide (La Table Ronde, 2010) le prix Maïse Ploquin-Caunan remis par les Quarante à « un recueil de poèmes en vers réguliers ou libres d’inspiration romantique. »

Le récipiendaire, très flatté, quoique légèrement effondré qu’on puisse le confondre avec un romantique, a promis de boire les 1000 euros du prix un jour prochain, notamment avec les Causeurs, contributeurs et lecteurs, qui souhaiteraient participer à de telles libations. Il préfère en effet, au détour d’un poème, se présenter de la façon suivante :

Je lis Nimier
Je lis Manchette
Je suis
Le petit hussard bleu de la côte Ouest

Un grand bravo à l’Académie Française, qui d’un même geste a su récompenser un sacré bon écrivain et qui, en plus, contribue par ses largesses à assurer un revenu complémentaire aux vignerons, aux cavistes et aux bistrots propagateurs de vins naturels

En effet, chacun sait ici que celui qui a écrit :« Je boirai la dernière bouteille de Pur Sang/De Didier Dagueneau/Quand je ne sais qui, je ne sais quoi, aura/Empoisonné les derniers points d’eau » est un adepte du verre libre.

Afghanistan : deux présidents, une stratégie ?

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photo : Gerard Van der Leun (Flickr)

Les guerres d’Afghanistan et de Libye en témoignent : le propre d’une Nation est de défendre ses intérêts stratégiques. C’est vrai pour l’hyperpuissante et guerrière Amérique dont le président cherche à solder les conflits hérités de son prédécesseur, et dont l’engagement en Libye s’est fait du bout des lèvres. Mais c’est aussi vrai pour la France « RGPPisé ». Bien qu’il détricote jour après jour son outil de défense pour faire des économies, Nicolas Sarkozy a voulu sa guerre, d’où son rôle moteur dans le déclenchement des hostilités en Libye. Mais sur l’Afghanistan, il semble avoir définitivement de suivre Barack Obama.

Ce dernier, quoique n’ayant pas choisi le conflit afghan, a décidé de l’assumer. En 2009, le « surge » s’est traduit par le déploiement de 30 000 GI’s supplémentaires en Asie centrale : on ne gagne jamais mieux « les cœurs et les esprits » que par l’usage de la force. Ce président, parfois jugé trop faible, devait montrer son opiniâtreté face à l’islamisme et sa détermination à lutter contre des talibans supposés liés à al-Qaïda.

Depuis, l’impavide Obama peut se targuer d’avoir réussi là où le martial Georges W. Bush avait échoué. Si l’exécution d’Oussama Ben Laden n’a pas éradiqué la nébuleuse al-Qaïda, elle a considérablement changé le regard que l’on porte sur le conflit afghan. Car maintenant qu’on sait que l’ennemi public numéro un vivait en toute quiétude dans une villa d’Abbottabad, il n’est plus interdit de dire que le problème est surtout pakistanais. D’ailleurs, les plus vindicatifs d’entre les talibans sont certainement ceux du Tehrik-e-taliban-Pakistan (TTP), et non leurs homologues afghans, plus préoccupés par des objectifs nationaux que par des affaires de guerre sainte. Pour le spécialiste français d’al-Qaïda Jean-Pierre Filiu, Ben Laden parvenait à cultiver chez les sicaires du TTP une volonté d’exporter le djihad largement émoussée chez leurs cousins afghans, bien plus concentrés sur l’impératif de reconquête de leur territoire.

Surtout, à un an de l’échéance de 2012, Barack Obama doit lui aussi se concentrer sur les questions intérieures. Confronté à une crise de la dette sans précédent, il a de plus en plus de mal à justifier la poursuite d’une guerre de plus en plus contestée par le Congrès, et qui engloutit deux milliards de dollars par semaine. Aussi déclarait-il mercredi 22 juin depuis la Maison Blanche : « il est temps de se concentrer sur le nation-building ici, chez nous ». Et de présenter sa stratégie de sortie du conflit afghan, qui prévoit un retrait de 10 000 hommes dès 2011, puis de 23 000 en 2012.

En tout cas, la réintégration par la France de la structure militaire intégrée de l’OTAN la prédispose moins que jamais à l’indépendance. Deux heures à peine après le discours de la Maison Blanche, l’Elysée annonçait à son tour un retrait graduel d’Afghanistan, et l’on apprenait que d’ici 2012, 1300 soldats français, sur les 4 000 actuellement déployés, seraient désengagés.

On peut regretter que cet alignement soit aussi explicite alors qu’on sait depuis longtemps que le dispositif français doit se resserrer sur une seule province afghane, la Kapisa, et quitter définitivement le district de Surobi en 2012. Mais il est plus fâcheux de ne prendre qu’une demi-mesure, tant il devient difficile de déterminer quels sont les intérêts de la France dans ces montagnes d’Asie centrale où 63 soldats français ont déjà laissé la vie, cependant que nos otages ont le mauvais goût de préférer mourir au Sahel. À l’heure où nos intérêts sont essentiellement menacés en Afrique du Nord, notamment par AQMI, dont « l’émir » Abdelmalek Droukdal, rêve depuis fort longtemps de frapper le sol français, le conflit afghan présente en effet l’inconvénient majeur de nuire à « l’économie des moyens » et à « la concentration des efforts » chères aux lecteurs de Clausewitz. C’est une très mauvaise idée.

C’est une plus mauvaise idée encore au moment où la guerre en Libye, dans laquelle Nicolas Sarkozy s’est peut-être un peu lancé par calcul, mais sans doute aussi par devoir, prend une tournure nouvelle, l’objectif étant ostensiblement passé de la protection des civils au « regime change » et chacun se demandant s’il ne faudra pas à terme déployer des troupes aux sol, quoique la résolution 1973 l’ait exclu au départ.

Les stratèges de comptoirs se plaisent à dire qu’il est « plus facile de commencer une guerre que de la finir ». Les stratèges de comptoir ont peut-être raison raison, tant la France semble avoir du mal à décider son retrait définitif d’Afghanistan. Ne serait-il pas temps, pourtant, de diriger nos regards et nos efforts là où l’histoire et la géographie ont placé à la fois les intérêts de la France et les menaces qui pèsent sur elle, c’est-à-dire au nord de l’Afrique ?

Syrie-Turquie: ça va mal finir !

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Réfugiés syriens en Turquey. photo : BBC

La crise qui secoue la Syrie depuis plus trois mois peut-elle déborder à l’extérieur de ses frontières ? En effet, le risque que la contestation et sa répression violente déclenchent un conflit entre Damas et l’un de ses voisins est aujourd’hui loin d’être négligeable. Ce qui peut surprendre, en revanche, c’est que, malgré les incidents surmédiatisés à la frontière avec Israël, la tension monte avec la Turquie et non avec « l’ennemi héréditaire » sioniste.

L’afflux de réfugiés syriens fuyant la répression a contraint Ankara à envoyer à Damas des messages de plus en plus clairs. Les Turcs ont d’abord fait comprendre que quels que soient leur compassion pour le peuple syrien et leur sentiment de solidarité avec lui, ils n’avaient pas l’intention d’accueillir tous les Syriens souhaitant quitter leur patrie. Puis depuis une quinzaine de jours, Ankara fait savoir que son hospitalité ne dépassera pas le seuil de 10.000 réfugiés syriens. Pour les autres, selon des rumeurs relayées par les médias, la Turquie étudierait la création d’une « zone tampon » du côté syrien. Les officiels turcs ont immédiatement démenti et qualifié la question de « prématurée ».

Pour Ankara, affronter la Syrie traduirait un véritable « tête-à-queue » stratégique. Il y a un an, officiers syriens et turcs faisaient le bilan des exercices militaires communs qui, pour la deuxième année consécutive, avaient permis à leurs armées de terres d’œuvrer à une meilleure sécurisation de leur frontière commune. Rappelons également qu’il y a à peine trois mois, Hakan Fidan, le chef de l’agence nationale de renseignement de la Turquie (le MIT) se rendait à Damas pour évaluer « la situation » avec ses interlocuteurs et amis syriens. Désormais ces mêmes officiers se regardent en chiens de faïence… si jamais ordre était donné de démarrer les blindés, cela n’annoncerait pas un match amical.

Ce n’est qu’après le troisième et très décevant discours de Bachar el-Assad lundi dernier, que le gouvernement turc est sorti du bois. Assad a eu beau promettre des élections en août et des réformes en septembre, Ankara a réagi fermement sans même attendre la fin de son allocution à l’université de Damas. Ersat Hurmuzlu, conseiller du président turc Abdullah Gül, a ainsi accordé à Assad une petite semaine avant « une intervention extérieure ». En langage diplomatique, cela s’appelle un ultimatum. Signe que les Turcs ont perdu patience et qu’ils n’attendront ni août ni septembre pour agir.

En évoquant la possibilité d’une intervention extérieure, les Turcs pensaient-ils à une opération onusienne comme celle qui se déroule en Libye ou, ce qui est plus probable, à l’installation de cette fameuse « zone tampon » en territoire syrien ? Quoi qu’il en soit, Damas a, semble-t-il, décidé d’accepter le défi.
Jeudi dernier, un nombre non négligeable de soldats syriens ont en effet pris position aux abords de la frontière turque, non loin du village de Khirbat el-Jouze. Quelques unités se sont alors emparées de points symboliques pour y hisser le drapeau syrien. Le message est limpide : Bachar el-Assad n’a pas l’intention de laisser Ankara rogner sa souveraineté ou créer un Etat dans l’Etat syrien, aussi réduit soit-il. S’il a agi aussi rapidement, c’est pour dissuader les Turcs de le mettre devant le fait accompli avec cette « zone tampon ».

Pour le moment, aucune ligne rouge n’ayant été fixée par un leader turc de haut rang, Ankara garde une marge de manœuvre diplomatique. Mais le président Gül et son premier ministre Erdogan auront vite épuisé leur arsenal rhétorique. En 1998, un conflit armé entre les deux pays avait été évité in-extremis. Aujourd’hui, la donne a changé car les leaders turcs ont face à eux un pouvoir qui joue sa survie, ce qui ne peut que perturber les calculs savants de la dissuasion. Contrairement à son voisin prospère et sûr de lui-même, la Syrie pourrait donc être tentée par la politique du pire.
Tout est en place. Il ne manque que l’étincelle, l’erreur, le malentendu ou l’incident qui embrasera la mèche.

Rouge de colère

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J’enrage de constater qu’au procès des Khmers rouges, l’idéologie dont ils se réclamaient n’est pas mise en examen, et qu’elle ne l’est pas non plus par les commentateurs. Imagine-t-on qu’au procès de Nuremberg l’idéologie national-socialiste n’aurait pas été évoquée, comme si le système et la folie des hommes étaient tombés du ciel ?

C’est pourtant bien dans Marx qui les Khmers rouges ont appris qu’il fallait abolir les droits de l’homme, supprimer l’État de droit et la société civile, et ériger la Terreur robespierriste (simple suspension pratique et provisoire) en principe légitime et permanent du pouvoir.

Formés au marxisme à Paris, la caution du barbu ne leur a d’ailleurs pas manqué après la révélation de leurs crimes. Elle leur a été apportée en 1979 par le plus marxiste de nos philosophes, Alain Badiou. On consultera avec quelques frissons rétrospectifs son article paru dans Le Monde du 17 janvier 1979 sous le titre « Kampuchea vaincra ! »

Quant aux Cambodgiens non rouges, qui ne comprennent toujours pas pourquoi ces dirigeants ont assassiné leur propre peuple, ils manifestent une ignorance coupable des idées émises par Marx : tant qu’existent des adversaires de la dictature du prolétariat, la société doit être la scène d’une guerre civile sans merci, au sein de laquelle les prolétaires n’ont pas de patrie.

Tout cela est écrit noir sur blanc dans « Sur la question juive » et dans le « Manifeste du parti communiste ». Derrière les hommes qui doivent enfin répondre de leurs crimes contre l’humanité, il y a eu un système et une idéologie, que certains de nos beaux esprits continuent de révérer. Au nom de l’émancipation !

Mais il faut enfin que je l’avoue : je suis devenu résolument anticommuniste.

Marx, les Juifs et les droits de l'homme: À l'origine de la catastrophe communiste

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Montebourg gâche son talent

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photo : Sidi-Bouzid News (Flickr)

Il y a trois Montebourg : l’avocat de la démondialisation qui dès 1997, faisait campagne en faveur du protectionnisme européen, déplorant la désertification industrielle de la Saône-et-Loire, l’éternel jeune lion du Parti Socialiste qui ne parvient pas à se défaire de son image de bourgeois aux dents longues, orfèvre en retournements de veste et combinazione, passé de Benoît (Hamon) à Ségolène (Royal) puis à Martine après un flirt raté avec Pierre (Moscovici) et, enfin, le Robespierre aux petits pieds, partisan de l’acharnement éthique contre Chirac, dont l’idéologie semble se réduire à une vague critique parlementariste de la Ve République et à une croisade contre les paradis fiscaux.

Lundi soir, lors de son grand meeting au théâtre Dejazet, Montebourg voulait surtout montrer le premier, le démondialisateur, notamment dans son excellent discours de clôture où il a confirmé son hétérodoxie économique et formulé quelques propositions concrètes, qui ont au moins le mérite de trancher avec les mesures cosmétiques de ses concurrents socialistes d’enrichir le débat de quelques couplets innovants :

– La mise sous tutelle des banques et entrée de représentants de l’Etat, des syndicats et des usagers dans leurs conseils d’administration ;

– La création d’une Agence Européenne de la dette mutualisant les dettes publiques sur la base d’une taxation des transactions financières à hauteur de 0.05% (dont les recettes rembourseraient la dette grecque en un an).


Volontaires de toute la France, unissez-vous ! par idees_reves

Bonne prestation sur le fond, donc. On n’en dira pas autant sur la forme. Côté mise en scène, Montebourg a sacrifié à tous les poncifs du Spectacle contemporain. D’emblée, le ton fut donné par le choix farfelu d’une musique du groupe ivoirien Magic system en duo avec le chanteur Khaled.


MAGIC SYSTEM KHALED par sixonine

Compilant l’arabe et un idiome africain dans un brouhaha musical insupportable, ce générique accompagna l’entrée en scène – puis la sortie- d’Arnaud Montebourg, rappelant avec de gros sabots que Montebourg n’a rien à voir avec Marine Le Pen, malgré la proximité de leurs projets économiques malicieusement rappelée par l’intéressée. Le public ne put échapper à la rengaine sur le grand-père algérien du candidat, pas plus qu’à l’éloge absurde de la « France métissée ». Du Ségolène Royal dans le texte.

Le pire restait à venir, avec un aréopage de soutiens hétéroclites. Deux heures durant, une petite dizaine d’intervenants se disputèrent en effet la palme du discours le plus soporifique pour défendre leurs chapelles respectives, en vrac le féminisme, les banlieues, la laïcité, l’écologie, les rapports Nord-Sud. On vit donc se succéder à la tribune :

– Un Roland Castro parfois lyrique, parfois pertinent et concret, mais plutôt fumeux dans son éloge naïf de la « mondialité » ethnoculturelle française.

– Un représentant du pôle écologique du PS racontant longuement l’écologie d’hier avec des histoires de poêles à charbon qui firent monter d’un cran la chaleur suffocante. Sa blague involontaire sur la profondeur des convictions écologistes d’un Montebourg n’acceptant les supermarchés que quand ils utilisent un tant soit peu l’énergie solaire, a remporté un grand succès auprès des mauvais esprits disséminés dans la salle.

– Une ex-ministre de la jeunesse de Cresson et Bérégovoy, Frédérique Bredin, qui offrit à l’assistance dans un pur revival des années Mitterrand promettant à Montebourg, qui a « le courage de la volonté », un destin présidentiel.

– Laurianne Deniaud, présidente des Jeunes socialistes, soumise à un très courageux devoir de réserve qui la contraint à attendre le résultat des primaires socialistes pour rallier le vainqueur, mit son éloquence (digne des plus belles heures de Darry Cowl) au service d’un vibrant hommage à la jeunesse, résumant au passage les deux faces du socialisme postmoderne : l’égalité hommes-femmes et la lutte contre les discriminations.

– Christine Taubira entraînant une fois encore sur le public sur les chemins rebattus du « devoir de mémoire » et de l’exécration corollaire des pouvoirs politique, financier, médiatique, idéologique. Evoquant Frantz Fanon et le mouvement des pays non-alignés, elle célébra la globalisation de la démondialisation. Heureusement, la radicale de gauche fit une révélation fracassante : Montebourg possèderait deux qualités « il est beau, et ce n’est pas un bourgeois ».

– Sihem Souid, auteur d’Omerta dans la police, évidemment victime de la misogynie et du racisme congénitaux de nos flics et ardente avocate de la police de proximité : de quoi dissuader les trafiquants de drogues de manier des armes de guerre.

– Sihem Habchi, ex-présidente de Ni putes ni soumises, « résistante » au fascisme qui entra en politique un certain 21 avril 2002et que l’on a connue mieux inspirée.

Arrivé et reparti sur les rythmes endiablés d’un hymne au métissage, pour ne pas dire au multiculturalisme – personne au PS n’ayant à ce jour perçu la contradiction entre ces deux voies – Arnaud Montebourg a finalement galvaudé son talent en caricaturant « Jean-Marine Le Pen » dont le « projet est racialiste » (!).

N’eût-été son programme économique ambitieux, ce show aurait pu être parrainé par la Fondation Terra Nova. Les amis d’Olivier Ferrand, qui avait choisi de se fondre dans l’assistance, sont en effet les inspirateurs du positionnement France de demain regroupant « les jeunes, les femmes et les minorités des quartiers populaires ». Il n’est pas sûr que cette « coalition des victimes » suffise à pallier le peu d’appétence des classes populaires pour le PS. Il est vrai qu’il le leur rend bien.

Charlène et Albert de Monaco : pas d’enterrement pour le mariage ?

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Ouf on est rassuré, alors qu’on avait craint le pire pour notre programme télé de samedi, la Principauté vient de publier le communiqué suivant : « A quelques jours des cérémonies du mariage de S.A.S. le Prince Albert avec Mlle Charlène Wittstock, le Palais princier dément formellement les allégations mensongères parues ce matin sur le site lexpress.fr, ces rumeurs n’ont pour but que de nuire gravement à l’image du Souverain, par conséquence à celle de Mlle Wittstock, et portent un préjudice grave à cet événement heureux ».

Pour ceux qui n’auraient pas suivi le feuilleton, il faut dire que nos confrères de l’Express n’y étaient pas allés de main morte. D’après eux, Charlène aurait tout simplement tenté de fuguer il y a une semaine, et de s’embarquer pour un aller sans retour vers son Afrique du sud natale, avant d’être interceptée par la police française à l’aéroport de Nice, comme un vulgaire DSK. Ce qui est déjà rigolo, mais le meilleur est à venir.

Car d’après nos confrères, cette tentative d’évasion a été provoquée par une mystérieuse révélation : « Qu’a donc appris la jeune femme pour décider de quitter aussi précipitamment Monaco et de tirer un trait sur ce mariage ? Liaison amoureuse ? Plus encore ? Toute la presse people est sur les dents depuis quelques jours, et un journal dispose de tous les éléments d’une histoire qui risque d’ébranler une nouvelle fois la Principauté ».

On reste pantois à la lecture de ce « Plus encore » qui sonne indubitablement comme un « Pire encore ».

Mais on s’énerve pour rien, là. Stéphane Bern, qui commentera le mariage en direct sur le service public (s’il a bien lieu) a déclaré qu’il n’y avait pas d’affaire ce matin dans Le Parisien, avant de conclure assez peu confraternellement : « C’était trop parfait. J’étais certain qu’une boule puante se préparait. (…) Cette volonté de salir la famille princière est dégueulasse ! Cette famille a connu tellement de malheurs… Qu’on leur foute la paix ! ».

Christophe Barbier, lanceur de boules puantes ? On a du mal à y croire. D’un autre côté, on m’aurait dit que Stéphane Bern allait s’exprimer publiquement comme une harenguière sous méthamphétamine , j’y aurais pas cru non plus…

Martine, on veut des paillettes !

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photo : Parti socialiste

La légende héroïque de la presse raconte qu’Hubert Beuve-Méry, le patron du Monde haute époque, donnait cette consigne à ses journalistes, « Faites chiant, messieurs, faites chiant ! » Il semble que ce programme reste valable aujourd’hui, y compris en politique. Regardons les treize minutes de déclaration de campagne de Martine Aubry : il y a de la conviction (pan pour ceux qui disaient qu’elle était sans envie comme son père), un rappel aux fondamentaux du socialisme, une adresse à la France qui dépasse le cercle des militants socialistes, une ébauche de programme. Toutes les croix dans toutes les cases.

Et pourtant, on s’ennuie un peu. Sans doute parce que depuis le crash de Dominique Strauss-Kahn on l’attend, cette déclaration. La surprise avait même été préventivement levée ce week-end pour préparer le terrain et peut-être éviter aux hordes de journalistes d’errer pendant des jours en cherchant Aubry dans les quartiers populaires, de Lille comme on cherche Charlie et son maillot rayé dans la BD du même nom.

Il est vrai que depuis le congrès de Reims, Aubry, on a pris l’habitude de l’avoir dans l’œil, comme on a Lady Gaga dans l’oreille : par défaut. Elle qui après les 35 heures et les deux défaites de la gauche avait quitté la scène nationale pour faire de la rénovation urbaine et de l’art contemporain pour tous à Lille, a su revenir presque naturellement sur les écrans comme si de rien n’était. La voilà donc candidate.

Alors qu’est-ce qui ennuie ? En ce qui me concerne, pas le socialisme orthodoxe qu’on imagine qu’elle va incarner. Certes, durant ses trois ans à la tête du PS, elle a périodiquement pataugé dans les bourbiers que la gauche sociétale adore, mais pour peu qu’elle soit bien conseillée, Aubry devrait savoir causer au peuple qui travaille et souffre, et le faire mieux que l’actuel locataire de l’Elysée, qui a grillé toutes ses cartouches ouvrières il y a cinq ans. La gauche qui s’intéresse avant tout au peuple, c’est suffisamment nouveau pour ne pas faire ronfler…

Non, l’ennui, si ça se trouve, vient de l’excès de normalité que toute la gauche s’impose – Eva Joly, ses lunettes rouges et sa mauvaise camaraderie faisant exception. À force de répéter que Nicolas Sarkozy parle trop, bouge trop, est bling-bling et j’en passe, la gauche a décidé de s’habiller dans de camaïeu gris souris. Avec de temps en temps une écharpe bleu layette pour faire festif. Même Ségolène Royal, qui question animation en connaît un rayon, est devenue bien calme voire légèrement blême. On annonce, ou plutôt, elle ré-annonce sa candidature depuis un bled picto-charentais, avec force « ordre juste » et autres « présidente des solutions », mais on en vient à regretter le spectacle total du Zénith où, coachée par des pros de la scène, elle bougeait les bras en faisant scander Fra-ter-ni-té à la salle en transe, quelque part entre l’Actor’s Studio et la messe vaudou. Ne parlons même pas de François Hollande, le « candidanormal ». Il devrait d’ailleurs songer à déposer la marque et la méthode ça peut marcher impec quand on veut se présenter à la tête de son association de bridge ou briguer la tête du FMI…

Faisons sobre, digne, présidentiable, c’est-à-dire chiant pour inspirer confiance aux électeurs de gauche qui doivent encore se déplacer deux fois pour choisir leur champion en octobre. Mais les électeurs du PS ont aussi droit aux paillettes et au rêve. Croire qu’on pourra se faire élire juste en proposant de prendre soin les uns des autres (ce qui n’est pas si mal), de lutter contre la crise-morale-qui-gangrène le-pays ou de relancer l’Europe des peuples, ça fait un peu juste. Même en y ajoutant la détestation du chef de l’Etat, la dénonciation de l’état calamiteux de l’économie et de l’école et l’annonce d’une réforme fiscale le compte n’y est pas.

J’ose imaginer que les socialistes le savent. Disons qu’ils s’économisent pour la vraie élection celle où on ne votera pas sous des préaux dans des boites à chaussures. J’ose espérer que Martine Aubry, qui aime l’opéra, la lecture et partir en week-end peinarde sans la presse people aux basques, forcera sa nature et laissera au placard ses chemisiers Monoprix. Qu’elle saura au moins donner l’illusion aux Français qu’on va un peu rigoler et essayer des trucs qui ne sortent pas d’un cours de management de l’ENA. Que sa campagne évoquera plus le carnaval de Dunkerque, la Braderie de Lille ou l’arrivée du Paris-Roubaix sous le soleil, pour rester local, qu’un film des frères Dardenne. J’espère que le PS a déjà booké un genre de Fatboy Slim ou de Nicolas Bedos pour animer ses futurs meetings. Et si possible pas pour remixer Bella Ciao.

Martine ne met pas son drapeau européen dans sa poche

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Photo : Parti socialiste

Si l’on a pu voir une nuée de drapeaux tricolores au fort sympathique meeting démondialisateur d’Arnaud Montebourg au théâtre Dejazet, Martine Aubry, elle, a tenu a présenter sa candidature sous le double parrainage du drapeau de la République et du logo publicitaire de la CEE (je sais que ça ne s’appelle plus comme ça, et qu’on est censé dire « l’Union », mais c’est moi qui signe).

Je ne peux pas dire que j’aime beaucoup ce machin bleu et jaune. J’ai recouvert celui qu’on m’a imposé sur ma plaque minéralogique par un autocollant GRD de la Présipauté de Groland, et même quand il fait 35 à l’ombre comme ce lundi, je me réjouis qu’il n’y ait pas un soupçon de vent sur Saint-Germain-des-Prés pour qu’on ne voie pas flotter cette daube étoilée au dessus du théâtre de l’Odéon, que seuls les fans de la page Facebook de Jean Lecanuet doivent appeler par son nom désormais officiel de « Théâtre de l’Europe ».

Tout ça pour dire que je m’étonne que Martine Aubry se soit cru obligée de déférer à ce rituel bruxellois pour sa première danse de prétendante. C’est d’autant plus désagréable pour moi que le cas échéant je voterai pour elle sans l’ombre d’un état d’âme au second tour de 2017, et peut-être même dès le premier. Mais cela risque aussi d’ébouriffer un certain nombre de ses électeurs putatifs, dont la majorité a, contrairement à elle, voté « non » en 2005. Si une seule image vaut mieux qu’un long discours, à quoi bon faire un vrai discours populaire de gauche (ce qu’elle a fait), si c’est pour signifier par visuellement qu’une fois élue, elle fera doublement allégeance: au peuple français, certes, mais aussi à la Commission que présida autrefois son papa ?

Certes, en posant devant le même duo de drapeaux que le chef de l’Etat sur sa photo officielle, elle a pensé se donner une stature de présidentiable. Sauf que cet accouplement héraldique n’a rien de profondément républicain, il est spécifiquement sarkozyste !

Voici la photo officielle du Général (Pas de drapeau du tout, mais il faut croire que ça allait sans dire)

Celle de l’excellent Georges Pompidou (même topo)

Celle de son successeur VGE, pourtant europhile précoce

Celle de François Mitterrand, qui revient au classicisme prégiscardien :

Celle de Jacques Chirac, où le drapeau tricolore fait de la figuration en arrière-plan, mais est dans le film quand même

Et, last but least, la photo officielle de Nicolas Sarkozy, où pour sa première apparition à l’écran, le drapeau européen partage d’emblée la vedette avec le tricolore.

En voulant avoir l’air sérieux, responsable, présidentiable et eurocompatible, Martine Aubry aura donc surtout eu l’air sarkozyste. Ça promet…

Pour la création d’un comité consultatif des commissions nationales !

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Georges Clémenceau a déclaré un jour : « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission.» Le vieux filou radical-socialiste avait bien compris le potentiel de ces «commissions ou instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre ou des ministres» (selon l’appellation administrative officielle), qui – même si leur budget n’est pas toujours dispendieux, sont particulièrement nombreuses. Si certaines d’entre elles sont très médiatisées, comme le Conseil national du numérique que Nicolas Sarkozy a récemment inauguré en grande pompe, la grande majorité de ces structures évolue dans des limbes administratives inexplorées, dans des jungles ministérielles insoupçonnables, dans des fatras de paperasseries défiant l’imagination de l’homme sain d’esprit, dans des dédales de bonnes intentions subventionnées…

Le député UMP Jean-Luc Warsmann, interrogé par nos confrères du Nouvel Observateur, reconnaissait il y a quelques jours que ces groupes d’experts réunis dans la perspective théorique d’évolutions législatives éventuelles « coûtent cher sans que leur valeur ajoutée soit toujours prouvée…». Le Général de Gaulle les avait qualifiés du sympathique surnom de « Comités Théodule ». Dans l’annexe « Jaune budgétaire » du projet de loi de finances 2011 on en dénombre près de 700…

Amuse-toi, cher lecteur, à chercher parmi cette série d’authentiques commissions farfelues les quatre commissions fictives… Quatre, seulement…

« Commission consultative permanente d’œnologie » / « Commission nationale des chiffres premiers » / « Comité national de l’Initiative française pour les récifs coralliens » / « Observatoire national du Comportement canin » / « Commission des phares » / « Commission des téléphériques » / « Conseil national du bruit » / « Conseil national du paysage » / « Comité du secret statistique » / « Observatoire national de la lecture » / « Comité de pilotage des évènements indésirables graves » / « Observatoire national de la prolifération des coccinelles » / « Comité de suivi du programme d’action sur le sommeil » / « Conseil national du froid » / « Observatoire national de la mi-saison automnale » / « Comité consultatif permanent des fromages à pâte pressée semi-cuite » / « Conseil national des parcs et jardins ».

Les gagnants recevront toute notre considération. Les perdants continueront simplement à financer ces activités publiques indispensables avec leurs contributions volontaires au fisc.

Une nuit aux « Chandelles »

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image : Gatzella (Flickr)

J’aime les salauds galants − une spécialité française qui mériterait d’être classée par l’Unesco au patrimoine immatériel de l’humanité. J’aime l’expression imprudente de leurs premiers émois de chasse. « Ma Douce Fureur. Je fais mon direct sur France 24 à 21 h 30. Accepterais-tu qu’après, je vienne me joindre au chaud de ton corps ? » J’aime le langage mercuriel de la rupture lorsque, las ou déjà pris dans le vortex d’une nouvelle aventure, ils posent l’ultime question : « Au fait, t’es-tu allongée au côté de ce garçon qui te courait après ? » J’aime leur goût des belles choses, leur faiblesse pour les matières nobles, leur
générosité raffinée aussi. J’aime la surprise de ma main lâchée subitement à la tombée de rideau lors d’une première à l’Odéon. J’aime la douleur d’une découverte inattendue de tout ce qu’une liaison licencieuse puisse contenir de violent, de perfide, de trivial et que je m’obstine à ignorer. « Il n’est aucune sorte de sensation qui soit plus vive que celle de la douleur, ses impressions sont sûres, elles ne trompent point comme celles du plaisir », remarquait jadis le divin marquis. Rien ne rend plus séduisant que la marque de douleur profonde. J’aime les salauds galants.

J’aurais adoré contribuer à la réputation sulfureuse de DSK en matière de rapports avec les femmes. Or, jusqu’à preuve du contraire, il convient de considérer le brillantissime ex-directeur du FMI comme un salaud galant et non pas comme un salaud tout court. Hélas ! Aucun hasard heureux n’a mêlé nos chemins. Comment entretenir la confiance en soi, en sa féminité, son pouvoir de séduction enfin, si l’on n’a jamais été l’objet des avances de celui qu’on a qualifié de « chimpanzé en rut » ? Que vaut une journaliste qui n’a pas suscité le moindre intérêt de sa part ? Perdant ainsi d’une minute à l’autre un peu plus d’estime pour moimême, inquiète pour mon avenir, j’ai saisi au vol l’occasion, à proprement dit providentielle, qui s’est présentée à moi un bel après-midi de dimanche.

Voilà qu’un confrère travaillant pour un magazine tout ce qu’il y a de plus respectable, helvétique de surcroît, désire éclairer ses compatriotes sur les liaisons complexes, énigmatiques et dangereuses qui, en France plus qu’ailleurs, ou en tout cas différemment, mettent aux prises la politique et le sexe. Pourquoi moi, je n’en dirai rien. Sentez-vous libres, chers lecteurs, de me soupçonner de connivence avec les plus hautes sphères du pouvoir ou de fréquentation assidue d’établissements ultra-selects réservés aux adultes. Je ne démentirai rien. Bien au contraire. À peine vous confierai-je qu’à l’opposé des Anglo-Saxons et autres Germains, les Slaves n’ont aucun mal à s’approprier les codes de ce délicieux jeu de dupes sur lequel repose le système socio-politique en France. Si la séduction est la règle, va pour la séduction. J’avoue avoir éprouvé un vif plaisir à assister mon collègue dans son enquête.[access capability= »lire_inedits »]

En 1694, l’Académie sermonnait les libertins pour l’excès de liberté qu’ils s’octroyaient, délaissant tout devoir. À la même époque, dans son Dictionnaire français, Pierre Richelet définissait le libertinage comme « érèglement de vie, désordre ». Les temps ont changé, ainsi que le regard porté par les hommes sur une jouissance décomplexée, sinon programmatique. Qualifié de « sergent du sexe », Sade a été reclassé, dans la deuxième moitié du XXe siècle, de l’avant-garde de la transgression à celle du consumérisme. Où situer alors mes salauds galants ? Seraient-ils subversifs ou conformistes, anarchistes ou tartufes ? Que signifie au juste être libertin dans la France d’aujourd’hui ? Faut-il en prêter les attributs, si j’ose dire, à DSK ?

Menottes habillées de plumes roses nous sonnons à la porte discrète des « Chandelles », un luxueux club échangiste situé dans le 1er arrondissement de Paris. Si les liens entre le pouvoir et sexe existent, c’est ici que nous aurons le plus de chances de les percevoir à l’oeil nu. « Vous venez pour la première fois, il faut alors que je vous explique comment ça se passe… », débite le physionomiste depuis un coin obscur des vestiaires. Il m’est demandé d’y laisser mon sac à main, en échange de quoi nous obtenons un carton sur lequel sont inscrits nos faux prénoms.

Désormais, je suis Sonia et, croyez-moi, ceci a son importance. Notre hypothèse préliminaire, c’est que le pouvoir repose sur l’apparence. Je ne conteste nullement que des ouvriers de chez Renault puissent s’adonner au libertinage, mais il ne suffit pas d’être un vétéran de la débauche pour franchir la porte des « C handelles ».
Il se peut qu’il existe une internationale libertine, dont témoignerait l’information publiée par le Corriere della Sera. Une porno-star locale y avoue avoir rencontré DSK, surnommé à l’occasion « Gengis Khan », dans un club privé parisien. Les celebrities se frottent entre elles, dans un entre-soi fermé des fortunés. « “Les Chandelles” sont réservées aux êtres sensibles au glamour, à l’élégance et à l’esthétisme, aux tenants de la liberté érotique, aux addicts de la fantaisie… », lit-on sur la page d’accueil du site Internet du club. D’où mon conseil à tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, envisageraient de passer une soirée aux « Chandelles » : dépassez les limites de la décence dans le choix de vos costumes et toilettes, mais faites-le avec une certaine sophistication cultivée.

En outre, si vous voulez vivre une célébration des sens exaltés par une profusion des nudités, n’arrivez pas avant minuit. À moins que vous n’ayez envie de prendre (ou de perdre, c’est selon) votre temps pour admirer l’art de l’espace avec sa multitude de couloirs étroits, de loges, de salons, le soin apporté aux détails tels que les menottes habillées de plumes roses, les ottomanes tapissées, les corbeilles en fer à préservatifs, les coussins satinés. Enfin, accordez votre configuration lubrico-érotique préférée avec l’agenda de l’établissement, certaines soirées étant dédiées aux seuls couples, certaines autres aux couples et hommes seuls, et ainsi de suite…

Les soirées alimenteraient les « blancs » des RG Valérie, la patronne des lieux, comme tous les propriétaires de clubs échangistes, est susceptible de fournir des informations ultra-sensibles aux services autrefois dits des renseignements généraux. La participation de personnalités politiques aux soirées allumées des « Chandelles »
donnerait ainsi lieu, selon Le Monde, à la rédaction de quantité de notes dites « blanches », sans en-tête ni signature. La conclusion qu’on est tenté d’en tirer est à la fois banale et troublante. Si le libertinage, le lutinage, le droit de cuissage et autres frivolités se terminant par « -age » sont tolérés chez les hommes politiques, ils peuvent également devenir des armes contre eux. Cela signifie-t-il que la société française garde une certaine exigence de conduite morale à l’égard de ceux qui la gouvernent ? Les sondages sur l’affaire DSK semblent prouver le contraire, son parti étant toujours favori pour l’élection présidentielle. Cela étant, un jeune notaire toulousain confie qu’il s’abstient de fréquenter les boîtes échangistes dans sa ville par crainte d’y croiser les collègues de l’étude. Charmante tradition française du faux-semblant.

« Évidemment que beaucoup de gens connus vient ici… », me dit un vieil habitué, sans pour autant citer un seul nom. Décidément attiré par mon inexpérience des lieux, l’homme se permet quelques libertés auxquelles je n’ose répondre par une gifle bourgeoise en bonne et due forme. Aucune forme de violence n’a droit de cité dans ce temple de la civilité sexuelle. Je lui demande néanmoins si « personne n’a jamais été violenté ici ? », tout en pensant aux risques du journalisme d’investigation. « Depuis que DSK est assigné à résidence sous haute surveillance, personne ! », répond-il. Nous en rions discrètement et sans méchanceté aucune.

Contrairement à Bernard Henri-Lévy, je ne sais de « Dominique » que ce que veulent bien me faire savoir mes confrères et les patrons des médias pour lesquels ils travaillent. Par conséquent, sa défense s’appuyant sur l’argument que « rien au monde n’autorise à ce qu’un homme soit ainsi jeté aux chiens » me laisse pantoise. Si les faits qui lui sont reprochés étaient avérés, force serait de reconnaître que « Gengis Khan » a violé une femme et, accessoirement, la règle absolue du consentement qui est la loi des « Chandelles » − une boîte à laquelle il doit, semblerait-il, beaucoup, en tout cas assez pour avoir le devoir d’en donner une belle image. Cela vaut-il ou pas qu’un homme soit « jeté aux chiens » ? Je délègue le droit de réponse à mes salauds galants, de même qu’à mes nouveaux amis libertins, moins « déréglés » ou insolents qu’on ne le croit. Après tout, c’est leur réputation qui est en jeu. Je ne peux m’empêcher de noter, cependant, que jamais « Dominique » ne m’a paru aussi sexy que lors de sa première comparution devant le juge.

Comment conclure ? D’évidence, qu’il existe des liens entre le pouvoir politique et le sexe en France. Au même titre qu’il existe des liens entre les médias et le sexe, la mode et le sexe, la justice et le sexe ou la médecine et le sexe. Si mon collègue suisse souhaite enquêter sur tout cela, qu’il sache que je suis à sa disposition.
Quoi qu’il en soit, je préférerais de loin être représentée à l’Assemblée nationale par un député sexuellement obsédé que soignée par un dentiste enjôleur et frôleur. Last but not least, j’ai une pensée pour toute la clientèle des « Chandelles » qui a bien voulu accorder du crédit à mon inconduite simulée. J’espère qu’elle gardera toute son énergie à rendre inoubliables les « after work coquins » ou à inventer de nouvelles formules. Faites nous plaisir, amusez-vous ![/access]

Lauriers pour Leroy

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Jeudi 23 juin, comme chaque année, l’Académie Française a communiqué son palmarès annuel. 70 prix ont été décernés et nous avons le plaisir de compter parmi les lauréats notre ami Jérôme Leroy, qui s’est vu décerner pour Un dernier verre en Atlantide (La Table Ronde, 2010) le prix Maïse Ploquin-Caunan remis par les Quarante à « un recueil de poèmes en vers réguliers ou libres d’inspiration romantique. »

Le récipiendaire, très flatté, quoique légèrement effondré qu’on puisse le confondre avec un romantique, a promis de boire les 1000 euros du prix un jour prochain, notamment avec les Causeurs, contributeurs et lecteurs, qui souhaiteraient participer à de telles libations. Il préfère en effet, au détour d’un poème, se présenter de la façon suivante :

Je lis Nimier
Je lis Manchette
Je suis
Le petit hussard bleu de la côte Ouest

Un grand bravo à l’Académie Française, qui d’un même geste a su récompenser un sacré bon écrivain et qui, en plus, contribue par ses largesses à assurer un revenu complémentaire aux vignerons, aux cavistes et aux bistrots propagateurs de vins naturels

En effet, chacun sait ici que celui qui a écrit :« Je boirai la dernière bouteille de Pur Sang/De Didier Dagueneau/Quand je ne sais qui, je ne sais quoi, aura/Empoisonné les derniers points d’eau » est un adepte du verre libre.

Afghanistan : deux présidents, une stratégie ?

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photo : Gerard Van der Leun (Flickr)

Les guerres d’Afghanistan et de Libye en témoignent : le propre d’une Nation est de défendre ses intérêts stratégiques. C’est vrai pour l’hyperpuissante et guerrière Amérique dont le président cherche à solder les conflits hérités de son prédécesseur, et dont l’engagement en Libye s’est fait du bout des lèvres. Mais c’est aussi vrai pour la France « RGPPisé ». Bien qu’il détricote jour après jour son outil de défense pour faire des économies, Nicolas Sarkozy a voulu sa guerre, d’où son rôle moteur dans le déclenchement des hostilités en Libye. Mais sur l’Afghanistan, il semble avoir définitivement de suivre Barack Obama.

Ce dernier, quoique n’ayant pas choisi le conflit afghan, a décidé de l’assumer. En 2009, le « surge » s’est traduit par le déploiement de 30 000 GI’s supplémentaires en Asie centrale : on ne gagne jamais mieux « les cœurs et les esprits » que par l’usage de la force. Ce président, parfois jugé trop faible, devait montrer son opiniâtreté face à l’islamisme et sa détermination à lutter contre des talibans supposés liés à al-Qaïda.

Depuis, l’impavide Obama peut se targuer d’avoir réussi là où le martial Georges W. Bush avait échoué. Si l’exécution d’Oussama Ben Laden n’a pas éradiqué la nébuleuse al-Qaïda, elle a considérablement changé le regard que l’on porte sur le conflit afghan. Car maintenant qu’on sait que l’ennemi public numéro un vivait en toute quiétude dans une villa d’Abbottabad, il n’est plus interdit de dire que le problème est surtout pakistanais. D’ailleurs, les plus vindicatifs d’entre les talibans sont certainement ceux du Tehrik-e-taliban-Pakistan (TTP), et non leurs homologues afghans, plus préoccupés par des objectifs nationaux que par des affaires de guerre sainte. Pour le spécialiste français d’al-Qaïda Jean-Pierre Filiu, Ben Laden parvenait à cultiver chez les sicaires du TTP une volonté d’exporter le djihad largement émoussée chez leurs cousins afghans, bien plus concentrés sur l’impératif de reconquête de leur territoire.

Surtout, à un an de l’échéance de 2012, Barack Obama doit lui aussi se concentrer sur les questions intérieures. Confronté à une crise de la dette sans précédent, il a de plus en plus de mal à justifier la poursuite d’une guerre de plus en plus contestée par le Congrès, et qui engloutit deux milliards de dollars par semaine. Aussi déclarait-il mercredi 22 juin depuis la Maison Blanche : « il est temps de se concentrer sur le nation-building ici, chez nous ». Et de présenter sa stratégie de sortie du conflit afghan, qui prévoit un retrait de 10 000 hommes dès 2011, puis de 23 000 en 2012.

En tout cas, la réintégration par la France de la structure militaire intégrée de l’OTAN la prédispose moins que jamais à l’indépendance. Deux heures à peine après le discours de la Maison Blanche, l’Elysée annonçait à son tour un retrait graduel d’Afghanistan, et l’on apprenait que d’ici 2012, 1300 soldats français, sur les 4 000 actuellement déployés, seraient désengagés.

On peut regretter que cet alignement soit aussi explicite alors qu’on sait depuis longtemps que le dispositif français doit se resserrer sur une seule province afghane, la Kapisa, et quitter définitivement le district de Surobi en 2012. Mais il est plus fâcheux de ne prendre qu’une demi-mesure, tant il devient difficile de déterminer quels sont les intérêts de la France dans ces montagnes d’Asie centrale où 63 soldats français ont déjà laissé la vie, cependant que nos otages ont le mauvais goût de préférer mourir au Sahel. À l’heure où nos intérêts sont essentiellement menacés en Afrique du Nord, notamment par AQMI, dont « l’émir » Abdelmalek Droukdal, rêve depuis fort longtemps de frapper le sol français, le conflit afghan présente en effet l’inconvénient majeur de nuire à « l’économie des moyens » et à « la concentration des efforts » chères aux lecteurs de Clausewitz. C’est une très mauvaise idée.

C’est une plus mauvaise idée encore au moment où la guerre en Libye, dans laquelle Nicolas Sarkozy s’est peut-être un peu lancé par calcul, mais sans doute aussi par devoir, prend une tournure nouvelle, l’objectif étant ostensiblement passé de la protection des civils au « regime change » et chacun se demandant s’il ne faudra pas à terme déployer des troupes aux sol, quoique la résolution 1973 l’ait exclu au départ.

Les stratèges de comptoirs se plaisent à dire qu’il est « plus facile de commencer une guerre que de la finir ». Les stratèges de comptoir ont peut-être raison raison, tant la France semble avoir du mal à décider son retrait définitif d’Afghanistan. Ne serait-il pas temps, pourtant, de diriger nos regards et nos efforts là où l’histoire et la géographie ont placé à la fois les intérêts de la France et les menaces qui pèsent sur elle, c’est-à-dire au nord de l’Afrique ?

Syrie-Turquie: ça va mal finir !

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Réfugiés syriens en Turquey. photo : BBC

La crise qui secoue la Syrie depuis plus trois mois peut-elle déborder à l’extérieur de ses frontières ? En effet, le risque que la contestation et sa répression violente déclenchent un conflit entre Damas et l’un de ses voisins est aujourd’hui loin d’être négligeable. Ce qui peut surprendre, en revanche, c’est que, malgré les incidents surmédiatisés à la frontière avec Israël, la tension monte avec la Turquie et non avec « l’ennemi héréditaire » sioniste.

L’afflux de réfugiés syriens fuyant la répression a contraint Ankara à envoyer à Damas des messages de plus en plus clairs. Les Turcs ont d’abord fait comprendre que quels que soient leur compassion pour le peuple syrien et leur sentiment de solidarité avec lui, ils n’avaient pas l’intention d’accueillir tous les Syriens souhaitant quitter leur patrie. Puis depuis une quinzaine de jours, Ankara fait savoir que son hospitalité ne dépassera pas le seuil de 10.000 réfugiés syriens. Pour les autres, selon des rumeurs relayées par les médias, la Turquie étudierait la création d’une « zone tampon » du côté syrien. Les officiels turcs ont immédiatement démenti et qualifié la question de « prématurée ».

Pour Ankara, affronter la Syrie traduirait un véritable « tête-à-queue » stratégique. Il y a un an, officiers syriens et turcs faisaient le bilan des exercices militaires communs qui, pour la deuxième année consécutive, avaient permis à leurs armées de terres d’œuvrer à une meilleure sécurisation de leur frontière commune. Rappelons également qu’il y a à peine trois mois, Hakan Fidan, le chef de l’agence nationale de renseignement de la Turquie (le MIT) se rendait à Damas pour évaluer « la situation » avec ses interlocuteurs et amis syriens. Désormais ces mêmes officiers se regardent en chiens de faïence… si jamais ordre était donné de démarrer les blindés, cela n’annoncerait pas un match amical.

Ce n’est qu’après le troisième et très décevant discours de Bachar el-Assad lundi dernier, que le gouvernement turc est sorti du bois. Assad a eu beau promettre des élections en août et des réformes en septembre, Ankara a réagi fermement sans même attendre la fin de son allocution à l’université de Damas. Ersat Hurmuzlu, conseiller du président turc Abdullah Gül, a ainsi accordé à Assad une petite semaine avant « une intervention extérieure ». En langage diplomatique, cela s’appelle un ultimatum. Signe que les Turcs ont perdu patience et qu’ils n’attendront ni août ni septembre pour agir.

En évoquant la possibilité d’une intervention extérieure, les Turcs pensaient-ils à une opération onusienne comme celle qui se déroule en Libye ou, ce qui est plus probable, à l’installation de cette fameuse « zone tampon » en territoire syrien ? Quoi qu’il en soit, Damas a, semble-t-il, décidé d’accepter le défi.
Jeudi dernier, un nombre non négligeable de soldats syriens ont en effet pris position aux abords de la frontière turque, non loin du village de Khirbat el-Jouze. Quelques unités se sont alors emparées de points symboliques pour y hisser le drapeau syrien. Le message est limpide : Bachar el-Assad n’a pas l’intention de laisser Ankara rogner sa souveraineté ou créer un Etat dans l’Etat syrien, aussi réduit soit-il. S’il a agi aussi rapidement, c’est pour dissuader les Turcs de le mettre devant le fait accompli avec cette « zone tampon ».

Pour le moment, aucune ligne rouge n’ayant été fixée par un leader turc de haut rang, Ankara garde une marge de manœuvre diplomatique. Mais le président Gül et son premier ministre Erdogan auront vite épuisé leur arsenal rhétorique. En 1998, un conflit armé entre les deux pays avait été évité in-extremis. Aujourd’hui, la donne a changé car les leaders turcs ont face à eux un pouvoir qui joue sa survie, ce qui ne peut que perturber les calculs savants de la dissuasion. Contrairement à son voisin prospère et sûr de lui-même, la Syrie pourrait donc être tentée par la politique du pire.
Tout est en place. Il ne manque que l’étincelle, l’erreur, le malentendu ou l’incident qui embrasera la mèche.

Rouge de colère

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J’enrage de constater qu’au procès des Khmers rouges, l’idéologie dont ils se réclamaient n’est pas mise en examen, et qu’elle ne l’est pas non plus par les commentateurs. Imagine-t-on qu’au procès de Nuremberg l’idéologie national-socialiste n’aurait pas été évoquée, comme si le système et la folie des hommes étaient tombés du ciel ?

C’est pourtant bien dans Marx qui les Khmers rouges ont appris qu’il fallait abolir les droits de l’homme, supprimer l’État de droit et la société civile, et ériger la Terreur robespierriste (simple suspension pratique et provisoire) en principe légitime et permanent du pouvoir.

Formés au marxisme à Paris, la caution du barbu ne leur a d’ailleurs pas manqué après la révélation de leurs crimes. Elle leur a été apportée en 1979 par le plus marxiste de nos philosophes, Alain Badiou. On consultera avec quelques frissons rétrospectifs son article paru dans Le Monde du 17 janvier 1979 sous le titre « Kampuchea vaincra ! »

Quant aux Cambodgiens non rouges, qui ne comprennent toujours pas pourquoi ces dirigeants ont assassiné leur propre peuple, ils manifestent une ignorance coupable des idées émises par Marx : tant qu’existent des adversaires de la dictature du prolétariat, la société doit être la scène d’une guerre civile sans merci, au sein de laquelle les prolétaires n’ont pas de patrie.

Tout cela est écrit noir sur blanc dans « Sur la question juive » et dans le « Manifeste du parti communiste ». Derrière les hommes qui doivent enfin répondre de leurs crimes contre l’humanité, il y a eu un système et une idéologie, que certains de nos beaux esprits continuent de révérer. Au nom de l’émancipation !

Mais il faut enfin que je l’avoue : je suis devenu résolument anticommuniste.

Marx, les Juifs et les droits de l'homme: À l'origine de la catastrophe communiste

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