Disparu hier, Jean-Marie Le Pen apparait pour une majorité de citoyens français comme un prophète caricaturé – ou caricatural – sur la question de l’immigration.
Jean-Marie Le Pen, décédé mardi dans sa 97e année, a gagné sa bataille culturelle. L’histoire retiendra l’impétueux lanceur d’alertes, davantage que l’homme politique infréquentable. En effet, ses outrances à caractères antisémites font aujourd’hui pâles figures face aux débordements de haines anti-juives qui s’observent dans une partie de la communauté musulmane immigrée et dans l’extrême gauche antisioniste et anticapitaliste. Hier soir, à Paris et ailleurs, des militants « humanistes » se sont rassemblés pour cracher sur le mort en buvant bières et champagnes tièdes. Loin de clore une époque, la disparition du fondateur du Front national s’accompagne, partout dans le monde, du réveil annoncé des peuples et des nations. L’élection de Donald Trump témoigne de cette révolution conservatrice aboutie. L’annonce de la démission du Premier ministre canadien Justin Trudeau, lundi, vient confirmer l’échec des idéologues du mondialisme et du multiculturalisme : des utopies dénoncées par Le Pen.
Le goût de déplaire
Reste que son goût de déplaire aux élites parisiennes et à leurs médias, et sa coquetterie à assumer une posture d’ex-para devenu paria-punk, l’ont poussé à des fautes et à des condamnations infamantes. Cet attrait jubilatoire pour la provocation a eu pour conséquence de créer un effet repoussoir chez ceux (je fus de ceux-là) qui pouvaient comprendre ses assauts contre le politiquement correct mais qui ne pouvaient cautionner son « point de détail de l’histoire » sur les chambres à gaz, son « Durafour crématoire » et autres finesses de fin de banquet. De ce point de vue, Le Pen a contribué à compliquer et donc ralentir la tâche de ceux qui voyaient les mêmes choses mais ne voulaient pas être mêlés à son univers mental.
La concomitance entre sa mort, annoncée hier à midi, et la commémoration des attentats islamistes contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, rappelle l’aveuglement de tous ceux qui, à commencer par la rédaction du journal satirique, n’auront jamais voulu entendre ses mises en garde contre l’immigration de peuplement et la subversion de l’islam conquérant. Ironie de l’histoire : c’est l’ex-gauchiste Daniel Cohn-Bendit qui, dimanche sur LCI parlant de Mayotte submergée par les clandestins, a appelé à « freiner et rendre impossible cette immigration qui est un grand bouleversement, un grand remplacement de la population ». Cette adhésion soudaine du vieux soixante-huitard au vocabulaire de Renaud Camus n’est en tout cas pas partagée par Emmanuel Macron, corseté dans sa dialectique sommaire opposant gentils et méchants. Non content d’avoir visé l’autre jour Elon Musk en l’accusant de soutenir « une nouvelle Internationale réactionnaire », le chef de l’Etat a désigné Le Pen, dans une nécrologie avare de mots, comme la « figure historique de l’extrême droite ».
Or ce procès récurrent en extrémisme est l’autre moyen, avec la censure, de délégitimer des opinions non conformes. Derrière « l’extrême droite » ou le « fascisme », déjà brandis jadis contre les dénonciateurs du goulag et des crimes communistes, apparait un nouveau cycle politique aspirant au contraire à plus de démocratie.
En l’occurrence, c’est le monde déraciné, indifférencié et remplaçable, rêvé par Soros et appliqué par Macron, qui s’achève pour laisser place à une souveraineté plus directement liée à la volonté des peuples ordinaires. Les yeux de Jean-Marie Le Pen se sont fermés tandis que s’ouvrent les yeux des Français.
Ariane Mnouchkine et la troupe du Théâtre du Soleil ressuscitent la révolution bolchévique de 1917. Animée par un souffle puissant, l’épopée portée sur scène fustige cent ans de totalitarisme en Russie.
Avec Ici sont les dragons.1917 : la victoire était entre nos mains,le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine renoue avec les grandes fresques héroïques que furent 1789 ou les drames de Shakespeare. Entre la Révolution de février 1917 qui aurait pu conduire la Russie et les autres nations de l’empire des Romanov sur le chemin de la démocratie, et la révolution d’Octobre fomentée par des bolcheviques fanatiques, avides d’imposer la soi-disant dictature du prolétariat, ce premier volet d’un ambitieux dessein théâtral dévoile avec éloquence combien la force, en Russie, prime sur le droit, et combien l’autocrate Poutine est l’avatar peu glorieux des tyrans de jadis.
Une époustouflante maestria
Des tableaux étonnants, comme l’apparition de Nicolas II émergeant à cheval de l’obscurité, le temps d’une phrase signifiant son fatal aveuglement devant ce qui se trame dans son empire ; ou comme l’arrivée de Lénine en gare de Finlande dans les volutes de vapeur d’une locomotive en fureur ; des scènes de révolution, de batailles, de guerre civile ; les renaissances stupéfiantes des plus noires figures de ce temps, évoquées aussi bien par des masques à leur image que par des textes jadis écrits ou proférés par ces manipulateurs sanglants : de ce chaos d’idéologies, de luttes intestines, de conspirations, de traîtrises, de guerres fratricides, d’événements contradictoires, de ce bouleversement copernicien soulevant le plus vaste pays du monde, Ariane Mnouchkine et ses collaborateurs ont brossé un récit épique qu’ils présentent avec une époustouflante maestria.
Et ces tableaux innombrables qui défilent à un rythme infernal, ces éléments de décor qui apparaissent et disparaissent comme des fulgurances dans un permanent souci d’esthétique, forcent l’admiration. Il y a quelque chose de suffoquant dans cette splendide mécanique qui tourne à plein régime durant près de trois heures sans l’ombre d’une maladresse, et où trois femmes, trois Parques du malheur, sillonnent le théâtre pour toujours annoncer le pire.
Textes, mise en scène, direction d’acteurs, décors, lumières, projections, costumes, musiques, fonds sonores, ont été pensés et repensés, polis et repolis, retranchés, réécrits, restructurés au fil d’innombrables répétitions, jusqu’à ne conserver que l’essentiel des événements prodigieux ou misérables qui composent cette épopée ambitionnant avec panache à être une lecture implacable de l’Histoire.
Ariane Mnouchkine et les siens (plus de soixante-dix personnes, dont trente comédiens sur le plateau) n’hésitent pas à dénoncer l’architecture de ce système totalitaire qui fait du tyran russe d’aujourd’hui le descendant direct des tyrans soviétiques de jadis. Rien ici ne permet de faire croire que la révolution de Lénine et de Trotski aurait été trahie par Staline, comme tant d’idéologues ont voulu le faire croire. Déjà, elle n’était rien d’autre que l’œuf monstrueux d’où allaient sortir l’hydre stalinienne et la violence actuelle.
Cette course à l’abîme ne permet évidemment pas les nuances. Qu’importe ! L’essentiel est dit. Plus d’un siècle de crimes effroyables, de génocides, de mensonges se profile dans le premier volet de cette effroyable épopée courant de 1916 à 1918, où les crimes de 1917, mais aussi ceux de 1905 commis par le régime impérial, annoncent les crimes qui aujourd’hui ravagent l’Ukraine et pèsent sur la Russie.
Dans cette époustouflante mise en scène qui file comme le vent, sans temps mort, sans anecdotes inutiles, la tempête de l’Histoire est transportée par le génie du théâtre.
Le départ des soldats français déployés au Mali a permis à la Russie de s’implanter au cœur du pouvoir. En soutien à la junte militaire, les mercenaires de Wagner ont instauré un régime de terreur en systématisant massacres, viols et pillages dans certaines régions. Notre envoyé spécial a rencontré des survivants de cette épuration ethnique.
Armée française en Afrique : « On a oublié de nous dire merci » déclare Emmanuel Macron – lors de la Conférence annuelle des ambassadrices et des ambassadeurs à l’Élysée, le 6 janvier 2024
« Il n’y aura bientôt plus de soldats français au Sénégal », déclarait fin novembre le président sénégalais. En deux ans, l’armée française a battu en retraite du Mali, du Burkina Faso et du Niger, cédant à la pression de régimes affidés à la Russie qui ont pris la France comme bouc émissaire de leurs propres difficultés. Elle s’apprête désormais à plier bagage du Tchad, du Sénégal, et ses effectifs diminueront en Côte d’Ivoire et au Gabon. Ce déclin accéléré de la puissance militaire française en Afrique n’est pas le fruit d’une stratégie pensée et planifiée par le président Macron, mais le résultat d’un attentisme qui a fini d’anéantir l’autorité de la France.
Depuis la fin de l’opération Barkhane, près de deux cents civils ont été auditionnés. Tous ont vécu l’arrivée de Wagner au Mali comme un basculement dans l’horreur et regrettent le départ du « protecteur français ». Chômeurs, étudiants, bergers, comptables, gardiens, pompistes, infirmières ou mères au foyer, ils vivaient dans des communes sécurisées par Barkhane au centre et au nord du pays. En plus de permettre aux terroristes islamistes de retrouver leur influence et aux mercenaires russes de s’implanter au Sahel, le départ des Français a également provoqué une hausse massive de l’immigration. La plupart des victimes de Wagner ont émigré dans des pays limitrophes, en Afrique du Nord et en Europe.
Leurs témoignages sont aux antipodes des diatribes des putschistes de Bamako qui, avec une rhétorique volontairement dégagiste et anticolonialiste, ont causé le départ de la France. Ces victimes sont les seules sources vivantes capables de témoigner du régime de terreur instauré par les Russes. À les écouter, on comprend dans quel but la France a été instrumentalisée par le régime de Bamako et comment le Sahel est devenu le nouveau théâtre de la stratégie du chaos pilotée par Moscou aux portes de l’Europe.
La terreur russe au Mali racontée par ses rescapés
« Ça a été si rapide ! Les Wagner sont venus dans mon village accompagnés de militaires maliens. Sans rien chercher à comprendre, ils ont envoyé tous les hommes qu’ils trouvaient loin du village, pour les exécuter. Ensuite, les femmes ont été choisies comme des mangues sur le marché. J’ai été violée par cinq Russes pendant deux heures. » Mariam, 27 ans, Malienne et Touareg.
Les victimes de Wagner sont des survivants. Rencontrer les mercenaires russes a été un choc, puis un cauchemar. Youssouf, 23 ans, ne peut se départir de l’image de ces bergers maures brûlés vifs à dix mètres de sa cachette. Rhissa, 16 ans, a vu des soldats maliens éventrer le cadavre de son frère à la machette et en manger le cœur et le foie devant l’« excitation » et les « rires » des soldats blancs.
L’apparition des mercenaires est synonyme d’épouvante. On les a entendus débarquer sur des hélicoptères, la nuit, ou vus arriver en trombe sur des pick-up percutant enfants, femmes et vieux se trouvant sur leur route. Certains racontent le bruit des balles et les « corps tombant comme des mouches » alors qu’ils faisaient leurs courses au marché. Les rescapés qui ont simplement « croisé » leur chemin en brousse ont été torturés puis laissés pour morts.
Les incursions sanglantes relatées par les victimes de Wagner sont comparables à des razzias. Si la durée des attaques diffère selon les communes, leur structure comporte toujours trois invariants : massacres, viols et pillages. Les actions commises à leur départ s’apparentent à une politique de la terre brûlée : puits et réserves d’eau empoisonnés, récoltes ou maisons incendiées, bétail volé ou abattu, cadavres piégés à l’explosif.
Purification ethnique et conquête du territoire : l’autre mission de Wagner au Mali
La présence des mercenaires russes au Mali est souvent présentée comme la conséquence d’un pacte avec le régime de Bamako, au terme duquel la junte malienne chercherait à sécuriser son pouvoir en échange de concessions minières et d’un renforcement de la lutte contre les djihadistes. Cette lecture est largement incomplète. Les paramilitaires de Wagner représentent une assurance-vie pour la junte bamakoise et leur accès privilégié aux mines du Mali a été bien renseigné. Cependant une autre mission semble leur avoir été assignée : la conquête des territoires du Centre et du Nord par l’épuration ethnique.
Il suffit de s’attarder sur la géographie de leurs crimes, l’origine de leurs victimes et sur l’histoire du Mali pour comprendre que la barbarie de Wagner n’a rien d’aléatoire. Leurs cibles sont principalement issues du centre et du nord du pays, de contrées éloignées de la capitale, peuplées de Peuls, Songhaï, Bozos, Dogons (au Centre), Maures et Touareg (au nord). À l’inverse, les populations du Sud sont des Bambaras (ethnie de Bamako), Malinkés, Soninkés (sud-ouest) et Sénoufos (sud-est). Depuis son indépendance, la République du Mali n’est indivisible que sur le papier de sa Constitution : au centre du pays les conflits entre Bozos, Dogons et Peuls ont perduré, et les populations arabo-berbères du Nord n’ont cessé d’exprimer leurs différences en s’organisant pour obtenir indépendance ou autonomie.
La junte bamakoise cherche à instaurer un pouvoir favorable aux peuples du Sud et à étendre son hégémonie dans le reste du pays en excitant les tensions interethniques contre les Peuls au Centre, et en purgeant les populations maures et touareg au Nord. Cette politique d’épuration ethnique n’est pas seulement rapportée par les victimes directes de la junte et de leur bras armé russe, qui se disent « ciblées », « pourchassées », « diabolisées ». Elle est aussi attestée par ceux ont échappé à la mort car ils n’étaient ni peuls, ni maures, ni touareg. « Tous mes voisins et mes amis peuls ont été obligés de s’enfuir. Ils savaient qu’ils risquaient leur vie en restant ici. La lutte contre le djihadisme est devenue un règlement de comptes », témoigne Laji, 32 ans, bambara issu d’un village du Centre-Est, où régnait la paix entre les ethnies. Samba, Songhaï issu d’une commune du cercle de Djenné raconte : « Mon ami tamasheq [touareg, ndlr] a été tué chez lui et sa femme a été violée par les Wagner. Il n’a rien fait, son seul tort est d’être né avec la peau blanche. »
Les viols systématiques des femmes peules et touareg rapportés par les rescapés de Wagner relèvent eux aussi de l’épuration ethnique. Nombre de ces viols ont donné naissance à des enfants dont l’existence est un tabou. On les appelle les « bébés Wagner ». Comme leur couleur de peau et leurs traits rappellent l’infamie qui a présidé à leur naissance, ils sont élevés dans le secret.
Si l’hostilité des victimes à l’endroit du régime putschiste est immense, elle est sans commune mesure avec la haine qu’ils nourrissent pour les maîtres d’œuvre de l’épuration. En effet, contrairement à la vision véhiculée par Jeune Afrique ou Le Monde, les Russes ne sont pas des supplétifs de l’armée malienne, c’est l’inverse : sur le terrain, ce sont les paramilitaires russes qui dirigent les opérations. Les FAMa (Forces armées maliennes) ne sont là que pour les seconder, au même titre que les confréries de chasseurs dozos et dogons avec lesquels ils pourchassent les Peuls dans le centre du pays.
S’ils commettent aussi des crimes de guerre, les FAMa sont décrites comme des éléments subalternes, obéissant aux ordres des « Blancs » et relégués aux fonctions de traducteurs ou de guides. Wagner a « droit de vie et de mort » sur les militaires maliens. En cas de désaccord ils sont exécutés par les mercenaires russes, comme à Anéfis, où Ahmad, 22 ans, a assisté à l’exécution de six soldats maliens qui avaient désobéi à leurs « maîtres russes », avant de s’enfuir en Tunisie.
La nostalgie de la France et des années Barkhane
Tous les civils interrogés ont, souvent avec ferveur, affirmé être favorables au retour de l’armée française au Sahel. Combien d’entre eux avaient manifesté sous la bannière « France dégage ! », jeté des pierres sur les convois militaires de l’armée française ou simplement contribué au « sentiment de lassitude » qui a précédé le retrait de Barkhane ? Impossible de le savoir. Depuis le départ de la France, les perceptions ont changé et les soldats français appartiennent à une époque révolue, évoquée avec nostalgie.
« Wagner a détruit neuf ans de paix rétablie par Barkhane. J’ai grandi dans la sécurité. Je bénis ce temps-là aujourd’hui », résume Aicha, tomonaise de 25 ans réfugiée en Mauritanie. L’arrivée des mercenaires a marqué une rupture si violente que toute mention des Français ranime des souvenirs insignifiants, voire pénibles, mais qui, en comparaison des atrocités commises par la suite, ont pris une valeur positive. Même un simple contrôle de routine effectué par une patrouille française devient un souvenir heureux : « Quand ils t’arrêtaient, ils te demandaient les pièces d’identification, passaient tes doigts dans leurs machines et te posaient des questions sur ton voyage. Ils étaient humains et respectueux. Pas des assassins comme Wagner », se remémore Khamis, 32 ans, qui a quitté son village des environs de Gao pour Abidjan.
Dans les esprits, Barkhane est aujourd’hui l’anti-Wagner. Aussi les soldats français sont-ils parfois qualifiés de « saints » ou assimilés à « une armée humanitaire », tandis que les mercenaires russes sont comparés à des « sauvages » ou à des « terroristes pires que Daech ». Les viols, massacres et pillages perpétrés par les Russes ont magnifié les services rendus aux locaux par les Français, dont ce n’était pourtant pas le cœur de mission. Les témoins n’ont pas oublié les « programmes d’aide sociale », les « aides aux micro-entreprises », « l’installation de château d’eau », la « création de barrages », les « dons de médicaments, vêtements, nourriture et fournitures scolaires », la « plantation d’arbres » dans des écoles… jusqu’aux « tournois de football » organisés ponctuellement avec les adolescents.
Si l’idée d’un retour de Barkhane suscite un enthousiasme unanime parmi les rescapés de Wagner, ils n’y croient guère : ils n’attendent plus grand-chose de la France. Les conditions du retrait de Barkhane ont marqué les esprits et l’arrivée de Wagner a profondément modifié la perception de la puissance française. « Les Européens sont lâches et ont peur de la Russie », regrette Abdoul. « Ils ont plié bagage comme s’ils étaient un pays du tiers-monde et non une puissance mondiale », soutient Ramata. Frère et sœur, ils ont quitté Kidal pour l’Algérie dans les six mois qui ont suivi le retrait français.
Le sentiment antifrançais est volatile et ne peut définir une politique africaine
En deux ans, le Sahel est devenu le foyer d’une mutation géopolitique majeure, menaçant directement l’ordre de sécurité européen. Le départ de la France a permis à la Russie, puissance hostile, de s’implanter au cœur d’États fragiles situés dans le grand voisinage de l’Europe : Libye, Mali, Burkina Faso et Niger. La montée du chaos dans ces dominions russes profite au régime de Moscou, garantit le pouvoir de ses alliés africains et menace la stabilité de l’Afrique et de l’Europe.
Les diplomaties française et européenne focalisent leur attention sur la guerre en Ukraine, à l’Est, et se sont détournées de la guerre non conventionnelle menée au Sud par la Russie. Le sentiment antifrançais, dont la presse internationale, les services de propagande de Wagner et les régimes hostiles à la France se sont tant fait les échos, est une donnée changeante, variable, éphémère. Il ne peut représenter la clé de voûte de notre politique africaine.
La gauche est allée jusqu’à donner l’impression de danser sur un cadavre. Hier soir, des opposants à Jean-Marie Le Pen, qui le considéraient comme le « diable de la République », se sont scandaleusement rassemblés à travers la France pour célébrer son décès.
Jean-Marie Le Pen est mort à 96 ans. Le fondateur et ancien président du Front national ne bénéficiera sans doute pas des quelques heures de décence qui suivent une disparition, même de quelqu’un d’assez largement honni.
En effet, on a vite observé des réactions honteuses de Jean-Luc Mélenchon, de Louis Boyard et de Philippe Poutou, alors que la classe politique dans l’ensemble s’est montrée digne et correcte. Et une manifestation déplorable place de la République pour se réjouir de la mort d’un homme qu’on détestait. Qu’on puisse ainsi célébrer dans l’allégresse ce qui a endeuillé une famille et traiter aussi vulgairement ce qui aurait mérité au moins le silence est la marque, une de plus, du délitement de notre société, de la dégradation de notre civilisation, avec l’effacement de la retenue à l’égard de ceux qui ne sont plus.
J’ai un peu connu Jean-Marie Le Pen quand ministère public dans deux procès de presse (intentés par lui contre le Canard enchaîné et Libération qui lui avaient reproché d’avoir torturé en Algérie), j’avais eu affaire à lui. Il avait créé de manière très artificielle, avant même le début de l’audience contre Libération, un incident odieux destiné à me déstabiliser et qui pour être réglé avait retardé les débats de plusieurs heures. Je ne peux donc pas être suspecté de partialité à son sujet.
Sur le plan politique, je le percevais comme une personnalité dont on n’avait jamais le droit de dire du bien. À plusieurs reprises, alors qu’il avait raison, je n’ai pas osé l’approuver, comme si je validais l’interdiction dont la transgression aurait été un péché mortel, un opprobre démocratique.
Un homme d’une immense culture, un orateur incomparable dont les imparfaits du subjonctif ont fait partie de la mythologie française. Avec des prestations médiatiques éblouissantes, notamment celle de 1984 à l’Heure de Vérité où on l’a « découvert ».
Le fondateur du Front national en 1972 avait prévu tout ce qui allait suivre pour ce qui se rapporte à l’immigration, à l’islamisme et au sentiment de dépossession qui en résulterait pour beaucoup de Français. Il avait vu et pensé juste avant tout le monde mais il était hors de question de se servir de sa lucidité puisqu’il était le diable.
En 2002, on a compris son désarroi quand il est parvenu à se qualifier pour le second tour. En réalité, n’étant pas prêt pour exercer le pouvoir, il n’aspirait pas à sortir de son rôle d’éveilleur et de trublion talentueux pour des responsabilités dont les qualités qu’elles auraient exigé ne lui correspondaient pas.
Il me semble d’ailleurs que c’est à cause de cette envie profonde de non-pouvoir qu’il s’est autorisé trop souvent des délires historiques, des provocations scandaleuses, qui ont culminé avec « le point de détail », à partir duquel il a perdu beaucoup de son crédit politique. Ils ne sont pas à mon sens survenus par hasard.
D’une part il y avait ce tempérament provocateur, tel un « potache » hors de contrôle, se plaisant à faire des jeux de mots antisémites et à prendre pour un détail ce qui était pourtant central dans l’extermination des juifs. D’autre part ils s’inscrivaient régulièrement dans un parcours qu’il ne désirait pas irréprochable et qui entravait, avec ses excès, les postures de dédiabolisation de sa fille Marine.
Ses extrémités choquantes ont beaucoup nui à sa crédibilité. Il s’en serait dispensé, il aurait été plus convaincant pour ce qu’il avait de prophétique…
On continuera probablement, malgré sa mort, à faire comme si Marine Le Pen ne s’était pas détachée de lui et n’avait pas renié ses élucubrations historiques. Son souvenir demeurera aussi utile pour ses opposants que le repoussoir qu’il était de son vivant.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas avec de la haine et de la moraline qu’on fera baisser le RN mais avec de l’argumentation et de l’impartialité. En effet c’est en lui donnant équitablement ses chances qu’on démontrera ses faiblesses et son inaptitude. Et je termine ce billet en songeant à cette part d’Histoire de France qui est morte avec lui.
Mourir le 7 janvier, jour de la Saint-Charlie, la dernière provocation de Jean-Marie Le Pen
Albert Camus se plaisait à dire « J’ai une patrie : la langue française ». Incontestablement, Jean-Marie Le Pen manifestait aussi, et peut-être avant tout, son amour de la patrie – amour chez lui chevillé au corps – dans le beau souci qu’il avait du respect de la langue, de l’usage du bel et bon français. Qu’on fût d’accord ou non, on l’écoutait. On se laissait emporter par le flux parfaitement maîtrisé de la phrase, ample, cassante ou sèche, selon l’intention, et on partageait comme malgré soi la gourmandise avec laquelle l’orateur lâchait ses mots.
Le timbre était ferme, la diction assurée, la faconde chatoyante et l’ironie jamais bien loin. Des termes toujours choisis avec intelligence, avec précision, bien à leur place dans la mélodie de la phrase. Une syntaxe au cordeau. Un vocabulaire perlé, riche. Une langue en fête, quoi. Et surtout la saine et fraternelle préoccupation de se faire bien comprendre. Cela sans jamais descendre en gamme, sans sacrifier aux facilités du temps, aux viols permanents du langage que s’autorisent à l’envi les bateleurs encartés du moment. Je rêve d’une anthologie des discours, des propos, des répliques de Jean-Marie Le Pen dûment éditée et mise à la disposition des parlementaires, des élus d’aujourd’hui. Pour leur édification. Ils y gagneraient sûrement en qualité du verbe, et nous en agrément d’écoute. On peut rêver.
Il faudrait pour cela que nos actuels parlementaires aient l’humilité de bien vouloir constater la distance qu’il y a entre leurs éructations de cour d’école et les périodes oratoires quasi cicéroniennes de celui qui vient de passer ad patres. De celui qui vient de partir là où, tout antagonisme politicien aboli, il ne peut manquer de retrouver avec jubilation les Jaurès, les Maurras, les De Gaulle qui, comme lui, se faisaient un devoir intellectuel et moral de mêler en une seule et même passion, en une seule et même exigence l’amour de la langue et de la patrie.
Il y aurait bien des traits, des mots, des trouvailles, des saillies jaillis de sa bouche à retranscrire ici. Je me limiterai à cette seule réponse qu’il fit un jour à un journaliste. Réplique de théâtre d’ailleurs, plus que banale réponse : « Fasciste moi? Allons donc, je ne suis pas assez socialiste pour cela ! »
À défaut de s’inspirer de l’art oratoire de Jean-Marie Le Pen, nos élus du moment feraient bien de méditer ces quelques mots lâchés en riant à demi et qui sont pourtant d’une profondeur politique des plus éclairantes.
À la surprise générale, le président du Rassemblement national Jordan Bardella s’est emparé de la 10e place du classement des personnalités préférées des Français. L’homme politique s’impose sur le terrain politique mais n’a pourtant pas mis de l’eau dans son vin.
Au foot, le numéro 10 fait figure de maître du jeu. C’est par lui que tout ou presque passe, lui qui distribue les ballons, et qui fort souvent, d’une action d’éclat et de grande classe, marque le but décisif. On se lève dans les tribunes, on l’acclame. Les gamins se font offrir un maillot à son nom avec un gros 10 au milieu du dos et un plus petit sur la poitrine. C’est sur lui, que les regards et les caméras se braquent le plus volontiers à l’entrée des joueurs sur le terrain, tant il est vrai que nombre de légendes du ballon rond l’ont porté, ce numéro 10. Pelé, Zidane, Platini, Messi… Depuis ces jours derniers et la publication du classement IFOP-JDD des personnalités préférées des Français, nous avons un autre numéro 10. Bien qu’il ait le physique d’un sportif de ce niveau-là, ce n’est pas dans le jeu du ballon rond qu’il s’illustre, mais dans un autre, qui se pratique sur un terrain infiniment plus mouvant et bourbeux, la politique. Ce numéro 10 nouveau n’est autre, vous l’aurez compris, que Jordan Bardella. C’est en effet à ce rang estimable qu’il se hausse dans le palmarès 2024 de l’affection populaire que le JDD publie chaque nouvelle année depuis 1988. Une progression de quelque trente places. Belle ascension. Et qui vient couronner une saison à succès. Son livre Ce que je cherche fait un tabac. Un vrai best-seller, malgré les critiques nez pincés de la bonne presse et les dénigrements fielleux de l’engeance Apathie. L’intéressé s’est dit ravi de son numéro 10. À vingt-neuf ans et après seulement une petite dizaine d’années dans la carrière, on le serait à moins. « Ce succès, j’en suis convaincu, a-t-il déclaré, est le fruit d’une affection réciproque entre nous et les Français qui trouvent dans notre projet les réponses à leurs attentes. » Ce « nous » fleure bon la modestie. Il est également justifié par les faits, puisque la capitaine de son équipe, Marine Le Pen, le suit immédiatement dans le classement. Elle enfile cette année le dossard 11. Une progression fulgurante de cinquante places. Du rarement vu. Probablement, l’acharnement considéré injuste d’un arbitrage la menaçant d’une suspension de tout match pour cinq ans aura-t-il eu une certaine influence en sa faveur. Le peuple n’est pas dupe. De loin en loin, il s’entend à le faire savoir.
Mais il est clair aussi que ces performances – le mot n’est pas trop fort – doivent aussi beaucoup aux déclarations politiques du tandem, notamment celles, parmi les plus récentes, du jeune numéro 10, insistant fortement sur ses préconisations en matière de politique de sécurité. Que ce soit lors de ses vœux ou au cours d’une longue interview sur BFM TV mi-décembre, il a particulièrement pris soin de rappeler la fermeté des engagements pris par son parti sur ce plan : expulsion des délinquants étrangers, rétablissement des peines plancher, démantèlement des réseaux criminels partout où ils prospèrent désormais, suspension des allocations familiales aux parents des mineurs délinquants… Ce faisant, il ne se trompe pas. Ce sont bien là les attentes des Français. Cela dit, il est encore à l’unisson de ce que les citoyens de ce pays ressentent lorsqu’il confesse que la distribution – injustifiée- de subventions à des pays étrangers, lui « fait mal » et quand il affirme que, avec le Mercosur, la France se trouve « violée de sa souveraineté ».
Ce numéro 10 du palmarès 2024 n’est pas à ce jour, certes, le maître du jeu. Son parti, si. On le constatera probablement à l’Assemblée dans les jours qui viennent. Une chose paraît acquise : pour cette partie-là, la balle n’est plus vraiment au centre.
En 2019, à l’occasion de la sortie du second tome de ses mémoires, Jean-Marie Le Pen avait accepté l’invitation du défunt site Web ReacNRoll et répondu pendant une heure aux questions d’Elisabeth Lévy et Daoud Boughezala, de Causeur. Remontant le temps jusqu’à la création du FN en 1972 puis revenant sur les temps forts de sa vie politique depuis lors, il a livré là l’un de ses tout derniers grands interviews filmés.
Causeur vous propose de voir ou revoir en intégralité cet entretien.
Au royaume du Danemark, où le drame de Charlie Hebdo trouve son origine, il ne fait pas bon bafouer les interdits islamiques sur la représentation de Mahomet et la sanctuarisation du Coran. La liberté d’expression y est devenue un enjeu politique et sécuritaire. Portrait d’un pays où la terreur a remporté la partie.
En 2005, l’écrivain danois Kåre Bluitgen, auteur d’une biographie intitulée Koranen og profeten Muhammeds liv (« Le Coran et la vie du prophète Mahomet »), sollicite trois artistes pour illustrer son ouvrage. Sans succès. L’affaire est relatée par le journaliste Troels Pedersen qui révèle que, si plusieurs artistes refusent de dessiner Mahomet, c’est parce qu’ils craignent pour leur sécurité. Suite à cet article, le 30 septembre 2005, le quotidien danois Jyllands-Posten publie 12 caricatures de Mahomet réalisées par divers dessinateurs. Le journal a aussi essuyé plusieurs refus de dessinateurs craignant pour leur vie. Ils ont raison. À partir de ce moment, la liberté d’expression devient un enjeu culturel, politique et sécuritaire.
La publication provoque la réaction violente qu’on sait : plusieurs artistes reçoivent des menaces, des émeutes éclatent dans plusieurs pays arabes et musulmans, des attaques ciblent les ambassades danoises, on boycotte des produits danois. Plusieurs gouvernements arabes se fendent aussi de protestations diplomatiques.
Les caricatures de Mahomet publiées pour la première fois dans le quotidien danois Jyllands-Posten en septembre 2005. DR.
Au Danemark, la publication suscite de violentes critiques et un débat public intense. Pour certains, il faut défendre à tout prix le droit de dessiner et de publier ces caricatures, car il en va de la liberté d’expression. D’autres jugent cette publication irresponsable en raison de ses lourdes répercussions économiques et diplomatiques. Enfin, il y a ceux, musulmans mais pas seulement, qui dénoncent la publication comme moralement répréhensible, estimant qu’elle offense inutilement les musulmans vivant pacifiquement dans le pays.
Nouveau défi
L’une des caricatures devient rapidement emblématique. Réalisée par Kurt Westergaard, elle représente Mahomet avec une bombe dans son turban, allusion à une pièce de théâtre du début du xixe siècle. Elle vaut à Westergaard de nombreuses menaces et tentatives d’assassinat. En 2008, il est visé par un attentat, ce qui conduit une grande partie de la presse danoise à republier son dessin en signe de solidarité. Le 1er janvier 2010, sa fille et lui eurent la vie sauve grâce à l’intervention rapide de la police danoise. Mais cet épisode marque le début d’une vie sous haute surveillance pour l’artiste, contraint de vivre sous protection policière permanente jusqu’à sa mort en 2021, à l’âge de 86 ans.
Au Danemark, la liberté d’expression est inscrite dans l’article 77 de la Constitution de 1953, qui interdit toute forme de censure préalable. Cette liberté fondamentale, renforcée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, est encadrée par plusieurs restrictions légales. Curieusement, jusqu’en 2017, cette conception libérale coexiste avec une loi pénale interdisant le blasphème. Au moment de la crise des caricatures, le procureur étudie la question et conclut que la loi sur le blasphème n’est pas applicable dans ce cas. Autrement dit, la publication de caricatures, y compris celles de Mahomet, n’est pas blasphématoire. Il considère que l’article 266b du Code pénal, qui permet de sanctionner les propos et actes visant à menacer ou insulter un groupe ethnique en raison de l’origine ou de la religion, n’est pas non plus applicable, les caricatures controversées ne constituant pas une insulte à l’encontre des musulmans ni de leur religion. De même, la section 110 du Code pénal, qui punit les insultes publiques visant une nation étrangère, son drapeau ou ses symboles, est considérée comme non pertinente dans cette affaire. Le gouvernement danois, fidèle à cette interprétation, résistera systématiquement aux pressions internationales, notamment celles de pays musulmans, réclamant des interdictions ou des sanctions contre les auteurs.
Ces dernières années, un nouveau défi est apparu : des provocations délibérées à caractère antimusulman. Le pionnier dans ce domaine est l’artiste suédois Lars Vilks. En 2007, il représente Mahomet en chien, animal considéré comme impur dans la tradition musulmane. Ce dessin lui vaut de nombreuses menaces de mort et la protection policière qui s’ensuit. Or, contrairement à Kurt Westergaard, Lars Vilks n’est pas très bien vu au Danemark, où on le soupçonne de rechercher uniquement la provocation et de chercher à blesser les musulmans plutôt qu’à défendre la liberté d’expression.
Le 14 février 2015, un mois après l’attentat de Charlie Hebdo, un groupe proche de Vilks organise à Copenhague un débat intitulé « L’art, le blasphème et la liberté d’expression ». Cet événement, de nouveau dénoncé par certains comme une provocation inutile, rassemble un public restreint. Parmi les participants figure l’ambassadeur de France François Zimeray, actuel avocat de Boualem Sansal, qui considère au contraire qu’il faut soutenir cette initiative au nom de la liberté d’expression. La soirée tourne au tragique lorsqu’un terroriste, armé d’un fusil automatique, attaque l’assemblée, faisant un mort et plusieurs blessés. L’assaillant, un homme d’origine palestinienne né au Danemark, poursuit son parcours meurtrier en visant la synagogue de Copenhague, où il abat un garde chargé de la sécurité. Traqué par les forces de l’ordre, il est abattu la police.
Deux ans plus tard, en 2017, le Parlement danois abroge l’interdiction du blasphème inscrite dans le Code pénal. L’abrogation, portée par le parti d’extrême gauche Enhedslisten, est soutenue par l’ensemble des forces politiques, à l’exception des sociaux-démocrates. Le service de renseignement danois (PET) alerte sur les risques que cette décision pourrait engendrer pour la sécurité publique. Ces craintes se confirment lorsqu’un émule de Vilks passe à l’acte.
L’affaire Rasmus Paludan
Rasmus Paludan a été un juriste brillant et un avocat prometteur. Après un début de carrière réussi, ses opinions, qualifiées d’extrême droite, l’ont conduit à fonder un parti politique qui, en 2019, a frôlé le seuil nécessaire pour obtenir des sièges au Parlement. Paludan a progressivement déployé une stratégie de provocations ciblées et d’insultes contre les musulmans. Ce qui lui a déjà valu deux condamnations pour propos racistes. Il est déjà célèbre pour ses manifestations dans des quartiers majoritairement peuplés de musulmans, où il brûle publiquement le Coran.
La situation prend une tournure inquiétante lorsque Rasmus Paludan brûle un Coran devant l’ambassade de Turquie à Stockholm, suscitant l’ire d’Ankara. En représailles, la Turquie bloque les négociations sur l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Cette escalade place les autorités danoises dans une situation pour le moins inconfortable : elles doivent tenter de mettre fin aux provocations de Paludan, tout en respectant les principes fondamentaux de liberté d’expression et de manifestation, tâche rendue plus complexe par l’abrogation du délit de blasphème. Le débat public, intense et passionné, révèle une majorité nette : selon les sondages, 50 à 59 % des personnes interrogées sont favorable à l’interdiction des actes provocateurs visant des textes religieux sacrés, tandis que seuls 22 à 35 % défendent le droit au blasphème.
Confronté à cette pression sociale, le gouvernement décide de faire passer une nouvelle législation qui sera intégrée à la section §110e du Code pénal pour en souligner l’importance. D’après ce texte, toute personne qui, « publiquement ou avec l’intention de diffuser dans un cercle plus large, traite de manière indue un texte ayant une importance significative pour une communauté religieuse reconnue [185 communautés religieuses sont reconnues au Danemark, ndlr], ou un objet considéré comme tel », s’expose à des poursuites judiciaires. Après un âpre débat au Parlement, la loi est adoptée fin 2023.
Reste à savoir ce qui constitue un « traitement indu » d’un texte ou d’un objet sacré. On entre évidemment là dans le domaine de l’interprétation. Pour clarifier cette notion, des exemples ont été intégrés à l’exposé des motifs et dans les réponses écrites du ministre aux questions parlementaires. Mais il revient aux tribunaux de trancher au cas par cas et de fixer les limites exactes de cette interdiction. Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, elle a donné lieu à six inculpations.
Parallèlement, à partir de décembre 2020, l’assassinat de Samuel Paty et les menaces reçues par un professeur danois qui a montré à ses élèves des caricatures de Mahomet poussent des partis d’opposition de droite et de gauche à réclamer un débat au Parlement sur des mesures améliorant la sécurité des enseignants. Les députés proposent même de rendre obligatoire la présentation des caricatures de Mahomet en cours, afin de sensibiliser les élèves à la liberté d’expression. Cependant, en mai 2023, le gouvernement rejette cette proposition, estimant que sa mise en œuvre mettrait les enseignants en danger.
Récemment, la question de la liberté d’expression et de ses limites a donné lieu à un autre procès. Au lendemain du 7-Octobre, la Première ministre sociale-démocrate Mette Frederiksen présente ses condoléances à l’ambassadeur d’Israël au Danemark. Cependant, lorsqu’un journaliste lui demande si elle souhaite également exprimer sa solidarité avec les souffrances du peuple palestinien, sa réponse maladroite déclenche des manifestations de musulmans et de jeunes Danois propalestiniens. Elles s’accompagnent de pancartes et de propos en ligne qui peuvent relever de l’apologie du terrorisme, sanctionnée par l’article 136-2 du Code pénal (qui interdit d’« approuver publiquement et expressément » un acte de terrorisme).
Parmi les dossiers examinés par la justice dans le but d’éventuelles poursuites publiques, un cas a particulièrement attiré l’attention. Sous un message Facebook intitulé « 7 000 enfants morts à Gaza. L’avons-nous négligé trop longtemps ? », une femme de 28 ans a publié le commentaire suivant : « Pendant 73 ans, il y a eu la guerre, mais ce n’est que MAINTENANT que le Hamas a vraiment riposté. À juste titre ! Tout autre peuple aurait fait la même chose. » Par la suite, elle a pris ses distances avec ces propos, qualifiant l’attaque du Hamas d’« abominable ». Lors de son procès, le tribunal a estimé qu’elle n’avait pas l’intention d’« approuver expressément » les actions du Hamas, et elle a été acquittée. Le parquet a fait appel de cette décision, soulignant la nécessité de clarifier la limite entre l’expression légitime d’une opinion politique et l’approbation d’un acte de terrorisme.
En juin 2024, l’Institut des droits de l’homme a publié un sondage mené auprès de 4 000 Danois, révélant qu’au cours de l’année écoulée, 10 % des personnes interrogées se sont abstenues de participer à des manifestations publiques, et 33 % ont évité d’exprimer leurs opinions sur les réseaux sociaux, par crainte de représailles. Ces comportements d’autocensure concernent principalement des sujets sensibles comme la religion, l’immigration, les étrangers, ou encore l’égalité et la discrimination. C’est que la liberté d’expression n’est pas seulement une affaire de loi, mais aussi de peur. Et sur ce plan, les islamistes ont gagné.
Un remède pire que le mal Quand, le 25 août 2023, le gouvernement danois dépose un projet de loi « anti-autodafés », qui punit jusqu’à deux ans de prison le « traitement inapproprié d’objets ayant une signification religieuse importante pour une communauté religieuse », la consternation est grande parmi ceux qui, dans le pays, n’ont pas oublié Charlie. La coalition au pouvoir, composée de sociaux-démocrates, de libéraux et de centristes, a beau souligner que le texte va permettre d’empêcher les ultras-nationalistes du mouvement Danske Patrioter de brûler des Corans dans leurs manifestations, et elle a beau assurer que la Constitution continuera de protéger le droit de critiquer les cultes « par écrit et par oral », l’intériorisation d’un interdit religieux dans le droit commun n’en est pas moins patent. Dans une tribune publiée le 14 septembre par le journal danois Berlingske Tidende, 77 intellectuels du monde entier, parmi lesquels Pascal Bruckner, Caroline Fourest et Art Spiegelman, fustigent cette « catastrophe pour la liberté d’expression » et s’inquiètent du « manque de solidarité avec d’autres pays démocratiques » – allusion à la Suède voisine qui a déploré quelques semaines auparavant l’incendie de son ambassade à Bagdad suite à un autodafé de Coran organisé par des athées irakiens à Stockholm. Las, le Parlement danois vote la loi le 7 décembre. Comment dit-on « déception » dans la langue de Karen Blixen ? • JBR
Les tribunaux sont-ils à la hauteur de la menace islamiste ? La justice antiterroriste sans aucun doute. On n’en dira pas autant de la justice du quotidien, souvent complaisante avec l’islamo-djihadisme.
Depuis le début du procès Pelicot en septembre dernier, pas un jour ne passe sans qu’un juge ou un avocat prenne la parole dans les médias pour appeler l’institution judiciaire à se remettre en cause. À relever le défi de la criminalité sexuelle. À apprendre à identifier et punir les « prédateurs » qui se servent d’outils encore mal connus des enquêteurs, comme la soumission chimique ou les forums sur le Web. On ne peut que s’en féliciter.
Mais une telle prise de conscience a-t-elle eu lieu ces deux dernières années face à l’islamisme et à ses nouvelles méthodes de conquête ? Certes un Parquet national antiterroriste a été créé en 2019. Certes, Salah Abdeslam a été condamné à la perpétuité en 2022. Certes la cour d’assises spéciale de Paris vient, contre l’avis du parquet, de déclarer coupables d’association de malfaiteurs terroriste les deux principaux auteurs de la campagne de haine contre Samuel Paty. Mais quid des intimidations plus diffuses ? De l’entrisme à l’école ? De l’antisémitisme qui prend prétexte de la fraternité avec les musulmans de Gaza ?
Au sein de la magistrature, l’idée d’un « accommodement raisonnable » avec le deuxième culte de France est assez partagée. Quand le 29 janvier 2020, la garde des Sceaux Nicole Belloubet, pourtant agrégée de droit et ancienne membre du Conseil constitutionnel, déclare sur Europe 1 au sujet de l’affaire Mila que « l’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave », elle ne fait hélas qu’exprimer une doxa très courante dans ses rangs. Face au tollé médiatique et politique suscité, surtout à droite, par son insanité, elle rétropédalera quelques jours plus tard en publiant dans Le Monde une tribune titrée : « Le crime de lèse-Dieu n’existe pas» – mieux vaut tarte que jamais.
Cette mansuétude inquiétante, on la trouve ainsi dans certaines décisions de justice récentes. Ainsi le 19 novembre, l’homme qui avait appelé sur X à « brûler vif » le proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel, après une altercation avec une élève refusant de retirer son voile islamique, a seulement été condamné à 600 euros d’amende et à un stage de citoyenneté de cinq jours (sans mention sur son casier judiciaire, car il ne faudrait pas pénaliser son intégration professionnelle).
Le 11 décembre, la lycéenne de 18 ans, poursuivie pour avoir giflé une professeur qui lui avait demandé de retirer son voile dans l’enceinte du lycée Sévigné de Tourcoing, a seulement été condamnée à quatre mois de prison avec sursis.
Le 19 décembre, Elias d’Imzalène, le créateur du site Islam&info, a seulement été condamné à cinq mois de prison avec sursis pour avoir, en septembre, appelé à l’intifada en France, c’est-à-dire à une offensive terroriste contre les juifs au nom d’Allah. Après l’annonce du verdict, son avocat, tout en plastronnant, a taxé la décision de « minable ». Le pire, c’est qu’il a raison.
Les agressions sexuelles commises par des immigrés, et les silences gênés chez les féministes, rappellent des conseils passés farfelus comme « restez à un bras d’écart » ou « élargissons les trottoirs ». Mais désormais, sur ces affaires, le magnat Musk veille…
"On a subi des attouchements": à Milan pour fêter le Nouvel an, Laura et ses amis ont été victimes d'agressions https://t.co/MJ4CcWgiKR
Les faits sont passés quasiment inaperçus dans la presse française : de jeunes Liégeoises ont été victimes d’agressions sexuelles, sur la piazza del Duomo de Milan, lors du réveillon du Nouvel An. Principalement visées, trois filles ont eu à subir des attouchements, dont quelques mains baladeuses introduites jusqu’à l’intérieur de leurs vêtements. Une des victimes, dont les propos ont été rapportés par 7sur7, précise : « Il y avait beaucoup de migrants ou jeunes d’origine étrangère avec le drapeau de leur pays (…) et très peu d’Italiens ». Cerise sur l’indigeste gâteau : les agresseurs n’ont pas manqué de crier « vaffanculo Italia »en plus de quelques « amabilités » envers la police.
La scène ne manque pas de rappeler la cauchemardesque Saint-Sylvestre vécue par de jeunes Allemandes en 2015 à Cologne : une vague d’agressions sexuelles avait alors été commise par des réfugiés. Au total, plus de mille plaintes avaient été déposées suite à ce viol collectif et organisé. D’autres villes furent alors touchées par le phénomène dans pas moins de douze Länder allemands. C’était seulement quelques mois après qu’Angela Merkel, alors chancelière, eut prononcé son désormais célèbre autant que mortifère : « Wir schaffen das! » (traduisez : « Nous y arriverons ! »). Avec sa formule péremptoire, la Dame de fer allemande n’avait pas fait avancer la cause des femmes.
Dans les deux cas, comme dans beaucoup d’autres, le silence des féministes ayant pignon sur rue – à l’exception notable du Collectif de droite Némésis – fut et reste assourdissant, comme si elles se forçaient à ne pas comprendre une réalité qui met à mal leur intersectionnalité aveuglante et leur antiracisme moralisateur. Selon leur grille de lecture, l’étranger, contrairement à l’homme blanc, ne peut en aucun cas être un agresseur ou un violeur car lui aussi est, à leurs yeux, une victime – rappelons-leur que nos sociétés sont parmi les plus accueillantes du monde. Et puis, il ne faudrait, selon elles, surtout pas « faire le jeu de ». Tel un symbole, quelques jours après le viol de Cologne, le maire de la ville rhénane, Henriette Reker, avait conseillé aux femmes de garder avec les hommes une distance « d’une longueur de bras ». La sortie préfigurait celle de Caroline de Haas qui proposerait, quelques mois plus tard, d’« élargir les trottoirs » pour lutter contre le harcèlement.
Une autre affaire refait surface aujourd’hui, à la faveur d’un tweet d’Elon Musk. Entre les années 1980 et 2010, des milliers de jeunes filles, souvent mineures et issues de milieux défavorisés, ont été agressées sexuellement par des gangs composés d’Indo-pakistanais au Royaume-Uni. La révélation des faits sordides, mêlant viols, torture et prostitution forcée, aurait dû susciter une vague d’indignation allant au-delà des frontières britanniques. Mais les médias et faiseurs d’opinion européens se sont tus dans toutes les langues : il ne fallait surtout pas mettre à mal le récit diversitaire.
Évidemment, il est toujours utile de rappeler que tous les étrangers ne sont pas des violeurs (loin de là, évidemment) et que tous les violeurs ne sont pas étrangers. Cela ne doit pas nous empêcher de regarder en face la réalité et de nous poser les bonnes questions : combien d’autres affaires de ce type sont-elles mises sous le boisseau ? Combien d’autres victimes subissent-elles encore des viols dans l’indifférence la plus totale ? Et surtout : combien de temps allons-nous accepter cela sans réagir ?
Disparu hier, Jean-Marie Le Pen apparait pour une majorité de citoyens français comme un prophète caricaturé – ou caricatural – sur la question de l’immigration.
Jean-Marie Le Pen, décédé mardi dans sa 97e année, a gagné sa bataille culturelle. L’histoire retiendra l’impétueux lanceur d’alertes, davantage que l’homme politique infréquentable. En effet, ses outrances à caractères antisémites font aujourd’hui pâles figures face aux débordements de haines anti-juives qui s’observent dans une partie de la communauté musulmane immigrée et dans l’extrême gauche antisioniste et anticapitaliste. Hier soir, à Paris et ailleurs, des militants « humanistes » se sont rassemblés pour cracher sur le mort en buvant bières et champagnes tièdes. Loin de clore une époque, la disparition du fondateur du Front national s’accompagne, partout dans le monde, du réveil annoncé des peuples et des nations. L’élection de Donald Trump témoigne de cette révolution conservatrice aboutie. L’annonce de la démission du Premier ministre canadien Justin Trudeau, lundi, vient confirmer l’échec des idéologues du mondialisme et du multiculturalisme : des utopies dénoncées par Le Pen.
Le goût de déplaire
Reste que son goût de déplaire aux élites parisiennes et à leurs médias, et sa coquetterie à assumer une posture d’ex-para devenu paria-punk, l’ont poussé à des fautes et à des condamnations infamantes. Cet attrait jubilatoire pour la provocation a eu pour conséquence de créer un effet repoussoir chez ceux (je fus de ceux-là) qui pouvaient comprendre ses assauts contre le politiquement correct mais qui ne pouvaient cautionner son « point de détail de l’histoire » sur les chambres à gaz, son « Durafour crématoire » et autres finesses de fin de banquet. De ce point de vue, Le Pen a contribué à compliquer et donc ralentir la tâche de ceux qui voyaient les mêmes choses mais ne voulaient pas être mêlés à son univers mental.
La concomitance entre sa mort, annoncée hier à midi, et la commémoration des attentats islamistes contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, rappelle l’aveuglement de tous ceux qui, à commencer par la rédaction du journal satirique, n’auront jamais voulu entendre ses mises en garde contre l’immigration de peuplement et la subversion de l’islam conquérant. Ironie de l’histoire : c’est l’ex-gauchiste Daniel Cohn-Bendit qui, dimanche sur LCI parlant de Mayotte submergée par les clandestins, a appelé à « freiner et rendre impossible cette immigration qui est un grand bouleversement, un grand remplacement de la population ». Cette adhésion soudaine du vieux soixante-huitard au vocabulaire de Renaud Camus n’est en tout cas pas partagée par Emmanuel Macron, corseté dans sa dialectique sommaire opposant gentils et méchants. Non content d’avoir visé l’autre jour Elon Musk en l’accusant de soutenir « une nouvelle Internationale réactionnaire », le chef de l’Etat a désigné Le Pen, dans une nécrologie avare de mots, comme la « figure historique de l’extrême droite ».
Or ce procès récurrent en extrémisme est l’autre moyen, avec la censure, de délégitimer des opinions non conformes. Derrière « l’extrême droite » ou le « fascisme », déjà brandis jadis contre les dénonciateurs du goulag et des crimes communistes, apparait un nouveau cycle politique aspirant au contraire à plus de démocratie.
En l’occurrence, c’est le monde déraciné, indifférencié et remplaçable, rêvé par Soros et appliqué par Macron, qui s’achève pour laisser place à une souveraineté plus directement liée à la volonté des peuples ordinaires. Les yeux de Jean-Marie Le Pen se sont fermés tandis que s’ouvrent les yeux des Français.
Ariane Mnouchkine et la troupe du Théâtre du Soleil ressuscitent la révolution bolchévique de 1917. Animée par un souffle puissant, l’épopée portée sur scène fustige cent ans de totalitarisme en Russie.
Avec Ici sont les dragons.1917 : la victoire était entre nos mains,le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine renoue avec les grandes fresques héroïques que furent 1789 ou les drames de Shakespeare. Entre la Révolution de février 1917 qui aurait pu conduire la Russie et les autres nations de l’empire des Romanov sur le chemin de la démocratie, et la révolution d’Octobre fomentée par des bolcheviques fanatiques, avides d’imposer la soi-disant dictature du prolétariat, ce premier volet d’un ambitieux dessein théâtral dévoile avec éloquence combien la force, en Russie, prime sur le droit, et combien l’autocrate Poutine est l’avatar peu glorieux des tyrans de jadis.
Une époustouflante maestria
Des tableaux étonnants, comme l’apparition de Nicolas II émergeant à cheval de l’obscurité, le temps d’une phrase signifiant son fatal aveuglement devant ce qui se trame dans son empire ; ou comme l’arrivée de Lénine en gare de Finlande dans les volutes de vapeur d’une locomotive en fureur ; des scènes de révolution, de batailles, de guerre civile ; les renaissances stupéfiantes des plus noires figures de ce temps, évoquées aussi bien par des masques à leur image que par des textes jadis écrits ou proférés par ces manipulateurs sanglants : de ce chaos d’idéologies, de luttes intestines, de conspirations, de traîtrises, de guerres fratricides, d’événements contradictoires, de ce bouleversement copernicien soulevant le plus vaste pays du monde, Ariane Mnouchkine et ses collaborateurs ont brossé un récit épique qu’ils présentent avec une époustouflante maestria.
Et ces tableaux innombrables qui défilent à un rythme infernal, ces éléments de décor qui apparaissent et disparaissent comme des fulgurances dans un permanent souci d’esthétique, forcent l’admiration. Il y a quelque chose de suffoquant dans cette splendide mécanique qui tourne à plein régime durant près de trois heures sans l’ombre d’une maladresse, et où trois femmes, trois Parques du malheur, sillonnent le théâtre pour toujours annoncer le pire.
Textes, mise en scène, direction d’acteurs, décors, lumières, projections, costumes, musiques, fonds sonores, ont été pensés et repensés, polis et repolis, retranchés, réécrits, restructurés au fil d’innombrables répétitions, jusqu’à ne conserver que l’essentiel des événements prodigieux ou misérables qui composent cette épopée ambitionnant avec panache à être une lecture implacable de l’Histoire.
Ariane Mnouchkine et les siens (plus de soixante-dix personnes, dont trente comédiens sur le plateau) n’hésitent pas à dénoncer l’architecture de ce système totalitaire qui fait du tyran russe d’aujourd’hui le descendant direct des tyrans soviétiques de jadis. Rien ici ne permet de faire croire que la révolution de Lénine et de Trotski aurait été trahie par Staline, comme tant d’idéologues ont voulu le faire croire. Déjà, elle n’était rien d’autre que l’œuf monstrueux d’où allaient sortir l’hydre stalinienne et la violence actuelle.
Cette course à l’abîme ne permet évidemment pas les nuances. Qu’importe ! L’essentiel est dit. Plus d’un siècle de crimes effroyables, de génocides, de mensonges se profile dans le premier volet de cette effroyable épopée courant de 1916 à 1918, où les crimes de 1917, mais aussi ceux de 1905 commis par le régime impérial, annoncent les crimes qui aujourd’hui ravagent l’Ukraine et pèsent sur la Russie.
Dans cette époustouflante mise en scène qui file comme le vent, sans temps mort, sans anecdotes inutiles, la tempête de l’Histoire est transportée par le génie du théâtre.
Le départ des soldats français déployés au Mali a permis à la Russie de s’implanter au cœur du pouvoir. En soutien à la junte militaire, les mercenaires de Wagner ont instauré un régime de terreur en systématisant massacres, viols et pillages dans certaines régions. Notre envoyé spécial a rencontré des survivants de cette épuration ethnique.
Armée française en Afrique : « On a oublié de nous dire merci » déclare Emmanuel Macron – lors de la Conférence annuelle des ambassadrices et des ambassadeurs à l’Élysée, le 6 janvier 2024
« Il n’y aura bientôt plus de soldats français au Sénégal », déclarait fin novembre le président sénégalais. En deux ans, l’armée française a battu en retraite du Mali, du Burkina Faso et du Niger, cédant à la pression de régimes affidés à la Russie qui ont pris la France comme bouc émissaire de leurs propres difficultés. Elle s’apprête désormais à plier bagage du Tchad, du Sénégal, et ses effectifs diminueront en Côte d’Ivoire et au Gabon. Ce déclin accéléré de la puissance militaire française en Afrique n’est pas le fruit d’une stratégie pensée et planifiée par le président Macron, mais le résultat d’un attentisme qui a fini d’anéantir l’autorité de la France.
Depuis la fin de l’opération Barkhane, près de deux cents civils ont été auditionnés. Tous ont vécu l’arrivée de Wagner au Mali comme un basculement dans l’horreur et regrettent le départ du « protecteur français ». Chômeurs, étudiants, bergers, comptables, gardiens, pompistes, infirmières ou mères au foyer, ils vivaient dans des communes sécurisées par Barkhane au centre et au nord du pays. En plus de permettre aux terroristes islamistes de retrouver leur influence et aux mercenaires russes de s’implanter au Sahel, le départ des Français a également provoqué une hausse massive de l’immigration. La plupart des victimes de Wagner ont émigré dans des pays limitrophes, en Afrique du Nord et en Europe.
Leurs témoignages sont aux antipodes des diatribes des putschistes de Bamako qui, avec une rhétorique volontairement dégagiste et anticolonialiste, ont causé le départ de la France. Ces victimes sont les seules sources vivantes capables de témoigner du régime de terreur instauré par les Russes. À les écouter, on comprend dans quel but la France a été instrumentalisée par le régime de Bamako et comment le Sahel est devenu le nouveau théâtre de la stratégie du chaos pilotée par Moscou aux portes de l’Europe.
La terreur russe au Mali racontée par ses rescapés
« Ça a été si rapide ! Les Wagner sont venus dans mon village accompagnés de militaires maliens. Sans rien chercher à comprendre, ils ont envoyé tous les hommes qu’ils trouvaient loin du village, pour les exécuter. Ensuite, les femmes ont été choisies comme des mangues sur le marché. J’ai été violée par cinq Russes pendant deux heures. » Mariam, 27 ans, Malienne et Touareg.
Les victimes de Wagner sont des survivants. Rencontrer les mercenaires russes a été un choc, puis un cauchemar. Youssouf, 23 ans, ne peut se départir de l’image de ces bergers maures brûlés vifs à dix mètres de sa cachette. Rhissa, 16 ans, a vu des soldats maliens éventrer le cadavre de son frère à la machette et en manger le cœur et le foie devant l’« excitation » et les « rires » des soldats blancs.
L’apparition des mercenaires est synonyme d’épouvante. On les a entendus débarquer sur des hélicoptères, la nuit, ou vus arriver en trombe sur des pick-up percutant enfants, femmes et vieux se trouvant sur leur route. Certains racontent le bruit des balles et les « corps tombant comme des mouches » alors qu’ils faisaient leurs courses au marché. Les rescapés qui ont simplement « croisé » leur chemin en brousse ont été torturés puis laissés pour morts.
Les incursions sanglantes relatées par les victimes de Wagner sont comparables à des razzias. Si la durée des attaques diffère selon les communes, leur structure comporte toujours trois invariants : massacres, viols et pillages. Les actions commises à leur départ s’apparentent à une politique de la terre brûlée : puits et réserves d’eau empoisonnés, récoltes ou maisons incendiées, bétail volé ou abattu, cadavres piégés à l’explosif.
Purification ethnique et conquête du territoire : l’autre mission de Wagner au Mali
La présence des mercenaires russes au Mali est souvent présentée comme la conséquence d’un pacte avec le régime de Bamako, au terme duquel la junte malienne chercherait à sécuriser son pouvoir en échange de concessions minières et d’un renforcement de la lutte contre les djihadistes. Cette lecture est largement incomplète. Les paramilitaires de Wagner représentent une assurance-vie pour la junte bamakoise et leur accès privilégié aux mines du Mali a été bien renseigné. Cependant une autre mission semble leur avoir été assignée : la conquête des territoires du Centre et du Nord par l’épuration ethnique.
Il suffit de s’attarder sur la géographie de leurs crimes, l’origine de leurs victimes et sur l’histoire du Mali pour comprendre que la barbarie de Wagner n’a rien d’aléatoire. Leurs cibles sont principalement issues du centre et du nord du pays, de contrées éloignées de la capitale, peuplées de Peuls, Songhaï, Bozos, Dogons (au Centre), Maures et Touareg (au nord). À l’inverse, les populations du Sud sont des Bambaras (ethnie de Bamako), Malinkés, Soninkés (sud-ouest) et Sénoufos (sud-est). Depuis son indépendance, la République du Mali n’est indivisible que sur le papier de sa Constitution : au centre du pays les conflits entre Bozos, Dogons et Peuls ont perduré, et les populations arabo-berbères du Nord n’ont cessé d’exprimer leurs différences en s’organisant pour obtenir indépendance ou autonomie.
La junte bamakoise cherche à instaurer un pouvoir favorable aux peuples du Sud et à étendre son hégémonie dans le reste du pays en excitant les tensions interethniques contre les Peuls au Centre, et en purgeant les populations maures et touareg au Nord. Cette politique d’épuration ethnique n’est pas seulement rapportée par les victimes directes de la junte et de leur bras armé russe, qui se disent « ciblées », « pourchassées », « diabolisées ». Elle est aussi attestée par ceux ont échappé à la mort car ils n’étaient ni peuls, ni maures, ni touareg. « Tous mes voisins et mes amis peuls ont été obligés de s’enfuir. Ils savaient qu’ils risquaient leur vie en restant ici. La lutte contre le djihadisme est devenue un règlement de comptes », témoigne Laji, 32 ans, bambara issu d’un village du Centre-Est, où régnait la paix entre les ethnies. Samba, Songhaï issu d’une commune du cercle de Djenné raconte : « Mon ami tamasheq [touareg, ndlr] a été tué chez lui et sa femme a été violée par les Wagner. Il n’a rien fait, son seul tort est d’être né avec la peau blanche. »
Les viols systématiques des femmes peules et touareg rapportés par les rescapés de Wagner relèvent eux aussi de l’épuration ethnique. Nombre de ces viols ont donné naissance à des enfants dont l’existence est un tabou. On les appelle les « bébés Wagner ». Comme leur couleur de peau et leurs traits rappellent l’infamie qui a présidé à leur naissance, ils sont élevés dans le secret.
Si l’hostilité des victimes à l’endroit du régime putschiste est immense, elle est sans commune mesure avec la haine qu’ils nourrissent pour les maîtres d’œuvre de l’épuration. En effet, contrairement à la vision véhiculée par Jeune Afrique ou Le Monde, les Russes ne sont pas des supplétifs de l’armée malienne, c’est l’inverse : sur le terrain, ce sont les paramilitaires russes qui dirigent les opérations. Les FAMa (Forces armées maliennes) ne sont là que pour les seconder, au même titre que les confréries de chasseurs dozos et dogons avec lesquels ils pourchassent les Peuls dans le centre du pays.
S’ils commettent aussi des crimes de guerre, les FAMa sont décrites comme des éléments subalternes, obéissant aux ordres des « Blancs » et relégués aux fonctions de traducteurs ou de guides. Wagner a « droit de vie et de mort » sur les militaires maliens. En cas de désaccord ils sont exécutés par les mercenaires russes, comme à Anéfis, où Ahmad, 22 ans, a assisté à l’exécution de six soldats maliens qui avaient désobéi à leurs « maîtres russes », avant de s’enfuir en Tunisie.
La nostalgie de la France et des années Barkhane
Tous les civils interrogés ont, souvent avec ferveur, affirmé être favorables au retour de l’armée française au Sahel. Combien d’entre eux avaient manifesté sous la bannière « France dégage ! », jeté des pierres sur les convois militaires de l’armée française ou simplement contribué au « sentiment de lassitude » qui a précédé le retrait de Barkhane ? Impossible de le savoir. Depuis le départ de la France, les perceptions ont changé et les soldats français appartiennent à une époque révolue, évoquée avec nostalgie.
« Wagner a détruit neuf ans de paix rétablie par Barkhane. J’ai grandi dans la sécurité. Je bénis ce temps-là aujourd’hui », résume Aicha, tomonaise de 25 ans réfugiée en Mauritanie. L’arrivée des mercenaires a marqué une rupture si violente que toute mention des Français ranime des souvenirs insignifiants, voire pénibles, mais qui, en comparaison des atrocités commises par la suite, ont pris une valeur positive. Même un simple contrôle de routine effectué par une patrouille française devient un souvenir heureux : « Quand ils t’arrêtaient, ils te demandaient les pièces d’identification, passaient tes doigts dans leurs machines et te posaient des questions sur ton voyage. Ils étaient humains et respectueux. Pas des assassins comme Wagner », se remémore Khamis, 32 ans, qui a quitté son village des environs de Gao pour Abidjan.
Dans les esprits, Barkhane est aujourd’hui l’anti-Wagner. Aussi les soldats français sont-ils parfois qualifiés de « saints » ou assimilés à « une armée humanitaire », tandis que les mercenaires russes sont comparés à des « sauvages » ou à des « terroristes pires que Daech ». Les viols, massacres et pillages perpétrés par les Russes ont magnifié les services rendus aux locaux par les Français, dont ce n’était pourtant pas le cœur de mission. Les témoins n’ont pas oublié les « programmes d’aide sociale », les « aides aux micro-entreprises », « l’installation de château d’eau », la « création de barrages », les « dons de médicaments, vêtements, nourriture et fournitures scolaires », la « plantation d’arbres » dans des écoles… jusqu’aux « tournois de football » organisés ponctuellement avec les adolescents.
Si l’idée d’un retour de Barkhane suscite un enthousiasme unanime parmi les rescapés de Wagner, ils n’y croient guère : ils n’attendent plus grand-chose de la France. Les conditions du retrait de Barkhane ont marqué les esprits et l’arrivée de Wagner a profondément modifié la perception de la puissance française. « Les Européens sont lâches et ont peur de la Russie », regrette Abdoul. « Ils ont plié bagage comme s’ils étaient un pays du tiers-monde et non une puissance mondiale », soutient Ramata. Frère et sœur, ils ont quitté Kidal pour l’Algérie dans les six mois qui ont suivi le retrait français.
Le sentiment antifrançais est volatile et ne peut définir une politique africaine
En deux ans, le Sahel est devenu le foyer d’une mutation géopolitique majeure, menaçant directement l’ordre de sécurité européen. Le départ de la France a permis à la Russie, puissance hostile, de s’implanter au cœur d’États fragiles situés dans le grand voisinage de l’Europe : Libye, Mali, Burkina Faso et Niger. La montée du chaos dans ces dominions russes profite au régime de Moscou, garantit le pouvoir de ses alliés africains et menace la stabilité de l’Afrique et de l’Europe.
Les diplomaties française et européenne focalisent leur attention sur la guerre en Ukraine, à l’Est, et se sont détournées de la guerre non conventionnelle menée au Sud par la Russie. Le sentiment antifrançais, dont la presse internationale, les services de propagande de Wagner et les régimes hostiles à la France se sont tant fait les échos, est une donnée changeante, variable, éphémère. Il ne peut représenter la clé de voûte de notre politique africaine.
Place de la République, des manifestants se rassemblées hier soir pour "fêter" la mort de Jean-Marie Le Pen. DR.
La gauche est allée jusqu’à donner l’impression de danser sur un cadavre. Hier soir, des opposants à Jean-Marie Le Pen, qui le considéraient comme le « diable de la République », se sont scandaleusement rassemblés à travers la France pour célébrer son décès.
Jean-Marie Le Pen est mort à 96 ans. Le fondateur et ancien président du Front national ne bénéficiera sans doute pas des quelques heures de décence qui suivent une disparition, même de quelqu’un d’assez largement honni.
En effet, on a vite observé des réactions honteuses de Jean-Luc Mélenchon, de Louis Boyard et de Philippe Poutou, alors que la classe politique dans l’ensemble s’est montrée digne et correcte. Et une manifestation déplorable place de la République pour se réjouir de la mort d’un homme qu’on détestait. Qu’on puisse ainsi célébrer dans l’allégresse ce qui a endeuillé une famille et traiter aussi vulgairement ce qui aurait mérité au moins le silence est la marque, une de plus, du délitement de notre société, de la dégradation de notre civilisation, avec l’effacement de la retenue à l’égard de ceux qui ne sont plus.
J’ai un peu connu Jean-Marie Le Pen quand ministère public dans deux procès de presse (intentés par lui contre le Canard enchaîné et Libération qui lui avaient reproché d’avoir torturé en Algérie), j’avais eu affaire à lui. Il avait créé de manière très artificielle, avant même le début de l’audience contre Libération, un incident odieux destiné à me déstabiliser et qui pour être réglé avait retardé les débats de plusieurs heures. Je ne peux donc pas être suspecté de partialité à son sujet.
Sur le plan politique, je le percevais comme une personnalité dont on n’avait jamais le droit de dire du bien. À plusieurs reprises, alors qu’il avait raison, je n’ai pas osé l’approuver, comme si je validais l’interdiction dont la transgression aurait été un péché mortel, un opprobre démocratique.
Un homme d’une immense culture, un orateur incomparable dont les imparfaits du subjonctif ont fait partie de la mythologie française. Avec des prestations médiatiques éblouissantes, notamment celle de 1984 à l’Heure de Vérité où on l’a « découvert ».
Le fondateur du Front national en 1972 avait prévu tout ce qui allait suivre pour ce qui se rapporte à l’immigration, à l’islamisme et au sentiment de dépossession qui en résulterait pour beaucoup de Français. Il avait vu et pensé juste avant tout le monde mais il était hors de question de se servir de sa lucidité puisqu’il était le diable.
En 2002, on a compris son désarroi quand il est parvenu à se qualifier pour le second tour. En réalité, n’étant pas prêt pour exercer le pouvoir, il n’aspirait pas à sortir de son rôle d’éveilleur et de trublion talentueux pour des responsabilités dont les qualités qu’elles auraient exigé ne lui correspondaient pas.
Il me semble d’ailleurs que c’est à cause de cette envie profonde de non-pouvoir qu’il s’est autorisé trop souvent des délires historiques, des provocations scandaleuses, qui ont culminé avec « le point de détail », à partir duquel il a perdu beaucoup de son crédit politique. Ils ne sont pas à mon sens survenus par hasard.
D’une part il y avait ce tempérament provocateur, tel un « potache » hors de contrôle, se plaisant à faire des jeux de mots antisémites et à prendre pour un détail ce qui était pourtant central dans l’extermination des juifs. D’autre part ils s’inscrivaient régulièrement dans un parcours qu’il ne désirait pas irréprochable et qui entravait, avec ses excès, les postures de dédiabolisation de sa fille Marine.
Ses extrémités choquantes ont beaucoup nui à sa crédibilité. Il s’en serait dispensé, il aurait été plus convaincant pour ce qu’il avait de prophétique…
On continuera probablement, malgré sa mort, à faire comme si Marine Le Pen ne s’était pas détachée de lui et n’avait pas renié ses élucubrations historiques. Son souvenir demeurera aussi utile pour ses opposants que le repoussoir qu’il était de son vivant.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas avec de la haine et de la moraline qu’on fera baisser le RN mais avec de l’argumentation et de l’impartialité. En effet c’est en lui donnant équitablement ses chances qu’on démontrera ses faiblesses et son inaptitude. Et je termine ce billet en songeant à cette part d’Histoire de France qui est morte avec lui.
Mourir le 7 janvier, jour de la Saint-Charlie, la dernière provocation de Jean-Marie Le Pen
Albert Camus se plaisait à dire « J’ai une patrie : la langue française ». Incontestablement, Jean-Marie Le Pen manifestait aussi, et peut-être avant tout, son amour de la patrie – amour chez lui chevillé au corps – dans le beau souci qu’il avait du respect de la langue, de l’usage du bel et bon français. Qu’on fût d’accord ou non, on l’écoutait. On se laissait emporter par le flux parfaitement maîtrisé de la phrase, ample, cassante ou sèche, selon l’intention, et on partageait comme malgré soi la gourmandise avec laquelle l’orateur lâchait ses mots.
Le timbre était ferme, la diction assurée, la faconde chatoyante et l’ironie jamais bien loin. Des termes toujours choisis avec intelligence, avec précision, bien à leur place dans la mélodie de la phrase. Une syntaxe au cordeau. Un vocabulaire perlé, riche. Une langue en fête, quoi. Et surtout la saine et fraternelle préoccupation de se faire bien comprendre. Cela sans jamais descendre en gamme, sans sacrifier aux facilités du temps, aux viols permanents du langage que s’autorisent à l’envi les bateleurs encartés du moment. Je rêve d’une anthologie des discours, des propos, des répliques de Jean-Marie Le Pen dûment éditée et mise à la disposition des parlementaires, des élus d’aujourd’hui. Pour leur édification. Ils y gagneraient sûrement en qualité du verbe, et nous en agrément d’écoute. On peut rêver.
Il faudrait pour cela que nos actuels parlementaires aient l’humilité de bien vouloir constater la distance qu’il y a entre leurs éructations de cour d’école et les périodes oratoires quasi cicéroniennes de celui qui vient de passer ad patres. De celui qui vient de partir là où, tout antagonisme politicien aboli, il ne peut manquer de retrouver avec jubilation les Jaurès, les Maurras, les De Gaulle qui, comme lui, se faisaient un devoir intellectuel et moral de mêler en une seule et même passion, en une seule et même exigence l’amour de la langue et de la patrie.
Il y aurait bien des traits, des mots, des trouvailles, des saillies jaillis de sa bouche à retranscrire ici. Je me limiterai à cette seule réponse qu’il fit un jour à un journaliste. Réplique de théâtre d’ailleurs, plus que banale réponse : « Fasciste moi? Allons donc, je ne suis pas assez socialiste pour cela ! »
À défaut de s’inspirer de l’art oratoire de Jean-Marie Le Pen, nos élus du moment feraient bien de méditer ces quelques mots lâchés en riant à demi et qui sont pourtant d’une profondeur politique des plus éclairantes.
À la surprise générale, le président du Rassemblement national Jordan Bardella s’est emparé de la 10e place du classement des personnalités préférées des Français. L’homme politique s’impose sur le terrain politique mais n’a pourtant pas mis de l’eau dans son vin.
Au foot, le numéro 10 fait figure de maître du jeu. C’est par lui que tout ou presque passe, lui qui distribue les ballons, et qui fort souvent, d’une action d’éclat et de grande classe, marque le but décisif. On se lève dans les tribunes, on l’acclame. Les gamins se font offrir un maillot à son nom avec un gros 10 au milieu du dos et un plus petit sur la poitrine. C’est sur lui, que les regards et les caméras se braquent le plus volontiers à l’entrée des joueurs sur le terrain, tant il est vrai que nombre de légendes du ballon rond l’ont porté, ce numéro 10. Pelé, Zidane, Platini, Messi… Depuis ces jours derniers et la publication du classement IFOP-JDD des personnalités préférées des Français, nous avons un autre numéro 10. Bien qu’il ait le physique d’un sportif de ce niveau-là, ce n’est pas dans le jeu du ballon rond qu’il s’illustre, mais dans un autre, qui se pratique sur un terrain infiniment plus mouvant et bourbeux, la politique. Ce numéro 10 nouveau n’est autre, vous l’aurez compris, que Jordan Bardella. C’est en effet à ce rang estimable qu’il se hausse dans le palmarès 2024 de l’affection populaire que le JDD publie chaque nouvelle année depuis 1988. Une progression de quelque trente places. Belle ascension. Et qui vient couronner une saison à succès. Son livre Ce que je cherche fait un tabac. Un vrai best-seller, malgré les critiques nez pincés de la bonne presse et les dénigrements fielleux de l’engeance Apathie. L’intéressé s’est dit ravi de son numéro 10. À vingt-neuf ans et après seulement une petite dizaine d’années dans la carrière, on le serait à moins. « Ce succès, j’en suis convaincu, a-t-il déclaré, est le fruit d’une affection réciproque entre nous et les Français qui trouvent dans notre projet les réponses à leurs attentes. » Ce « nous » fleure bon la modestie. Il est également justifié par les faits, puisque la capitaine de son équipe, Marine Le Pen, le suit immédiatement dans le classement. Elle enfile cette année le dossard 11. Une progression fulgurante de cinquante places. Du rarement vu. Probablement, l’acharnement considéré injuste d’un arbitrage la menaçant d’une suspension de tout match pour cinq ans aura-t-il eu une certaine influence en sa faveur. Le peuple n’est pas dupe. De loin en loin, il s’entend à le faire savoir.
Mais il est clair aussi que ces performances – le mot n’est pas trop fort – doivent aussi beaucoup aux déclarations politiques du tandem, notamment celles, parmi les plus récentes, du jeune numéro 10, insistant fortement sur ses préconisations en matière de politique de sécurité. Que ce soit lors de ses vœux ou au cours d’une longue interview sur BFM TV mi-décembre, il a particulièrement pris soin de rappeler la fermeté des engagements pris par son parti sur ce plan : expulsion des délinquants étrangers, rétablissement des peines plancher, démantèlement des réseaux criminels partout où ils prospèrent désormais, suspension des allocations familiales aux parents des mineurs délinquants… Ce faisant, il ne se trompe pas. Ce sont bien là les attentes des Français. Cela dit, il est encore à l’unisson de ce que les citoyens de ce pays ressentent lorsqu’il confesse que la distribution – injustifiée- de subventions à des pays étrangers, lui « fait mal » et quand il affirme que, avec le Mercosur, la France se trouve « violée de sa souveraineté ».
Ce numéro 10 du palmarès 2024 n’est pas à ce jour, certes, le maître du jeu. Son parti, si. On le constatera probablement à l’Assemblée dans les jours qui viennent. Une chose paraît acquise : pour cette partie-là, la balle n’est plus vraiment au centre.
En 2019, à l’occasion de la sortie du second tome de ses mémoires, Jean-Marie Le Pen avait accepté l’invitation du défunt site Web ReacNRoll et répondu pendant une heure aux questions d’Elisabeth Lévy et Daoud Boughezala, de Causeur. Remontant le temps jusqu’à la création du FN en 1972 puis revenant sur les temps forts de sa vie politique depuis lors, il a livré là l’un de ses tout derniers grands interviews filmés.
Causeur vous propose de voir ou revoir en intégralité cet entretien.
Au royaume du Danemark, où le drame de Charlie Hebdo trouve son origine, il ne fait pas bon bafouer les interdits islamiques sur la représentation de Mahomet et la sanctuarisation du Coran. La liberté d’expression y est devenue un enjeu politique et sécuritaire. Portrait d’un pays où la terreur a remporté la partie.
En 2005, l’écrivain danois Kåre Bluitgen, auteur d’une biographie intitulée Koranen og profeten Muhammeds liv (« Le Coran et la vie du prophète Mahomet »), sollicite trois artistes pour illustrer son ouvrage. Sans succès. L’affaire est relatée par le journaliste Troels Pedersen qui révèle que, si plusieurs artistes refusent de dessiner Mahomet, c’est parce qu’ils craignent pour leur sécurité. Suite à cet article, le 30 septembre 2005, le quotidien danois Jyllands-Posten publie 12 caricatures de Mahomet réalisées par divers dessinateurs. Le journal a aussi essuyé plusieurs refus de dessinateurs craignant pour leur vie. Ils ont raison. À partir de ce moment, la liberté d’expression devient un enjeu culturel, politique et sécuritaire.
La publication provoque la réaction violente qu’on sait : plusieurs artistes reçoivent des menaces, des émeutes éclatent dans plusieurs pays arabes et musulmans, des attaques ciblent les ambassades danoises, on boycotte des produits danois. Plusieurs gouvernements arabes se fendent aussi de protestations diplomatiques.
Les caricatures de Mahomet publiées pour la première fois dans le quotidien danois Jyllands-Posten en septembre 2005. DR.
Au Danemark, la publication suscite de violentes critiques et un débat public intense. Pour certains, il faut défendre à tout prix le droit de dessiner et de publier ces caricatures, car il en va de la liberté d’expression. D’autres jugent cette publication irresponsable en raison de ses lourdes répercussions économiques et diplomatiques. Enfin, il y a ceux, musulmans mais pas seulement, qui dénoncent la publication comme moralement répréhensible, estimant qu’elle offense inutilement les musulmans vivant pacifiquement dans le pays.
Nouveau défi
L’une des caricatures devient rapidement emblématique. Réalisée par Kurt Westergaard, elle représente Mahomet avec une bombe dans son turban, allusion à une pièce de théâtre du début du xixe siècle. Elle vaut à Westergaard de nombreuses menaces et tentatives d’assassinat. En 2008, il est visé par un attentat, ce qui conduit une grande partie de la presse danoise à republier son dessin en signe de solidarité. Le 1er janvier 2010, sa fille et lui eurent la vie sauve grâce à l’intervention rapide de la police danoise. Mais cet épisode marque le début d’une vie sous haute surveillance pour l’artiste, contraint de vivre sous protection policière permanente jusqu’à sa mort en 2021, à l’âge de 86 ans.
Au Danemark, la liberté d’expression est inscrite dans l’article 77 de la Constitution de 1953, qui interdit toute forme de censure préalable. Cette liberté fondamentale, renforcée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, est encadrée par plusieurs restrictions légales. Curieusement, jusqu’en 2017, cette conception libérale coexiste avec une loi pénale interdisant le blasphème. Au moment de la crise des caricatures, le procureur étudie la question et conclut que la loi sur le blasphème n’est pas applicable dans ce cas. Autrement dit, la publication de caricatures, y compris celles de Mahomet, n’est pas blasphématoire. Il considère que l’article 266b du Code pénal, qui permet de sanctionner les propos et actes visant à menacer ou insulter un groupe ethnique en raison de l’origine ou de la religion, n’est pas non plus applicable, les caricatures controversées ne constituant pas une insulte à l’encontre des musulmans ni de leur religion. De même, la section 110 du Code pénal, qui punit les insultes publiques visant une nation étrangère, son drapeau ou ses symboles, est considérée comme non pertinente dans cette affaire. Le gouvernement danois, fidèle à cette interprétation, résistera systématiquement aux pressions internationales, notamment celles de pays musulmans, réclamant des interdictions ou des sanctions contre les auteurs.
Ces dernières années, un nouveau défi est apparu : des provocations délibérées à caractère antimusulman. Le pionnier dans ce domaine est l’artiste suédois Lars Vilks. En 2007, il représente Mahomet en chien, animal considéré comme impur dans la tradition musulmane. Ce dessin lui vaut de nombreuses menaces de mort et la protection policière qui s’ensuit. Or, contrairement à Kurt Westergaard, Lars Vilks n’est pas très bien vu au Danemark, où on le soupçonne de rechercher uniquement la provocation et de chercher à blesser les musulmans plutôt qu’à défendre la liberté d’expression.
Le 14 février 2015, un mois après l’attentat de Charlie Hebdo, un groupe proche de Vilks organise à Copenhague un débat intitulé « L’art, le blasphème et la liberté d’expression ». Cet événement, de nouveau dénoncé par certains comme une provocation inutile, rassemble un public restreint. Parmi les participants figure l’ambassadeur de France François Zimeray, actuel avocat de Boualem Sansal, qui considère au contraire qu’il faut soutenir cette initiative au nom de la liberté d’expression. La soirée tourne au tragique lorsqu’un terroriste, armé d’un fusil automatique, attaque l’assemblée, faisant un mort et plusieurs blessés. L’assaillant, un homme d’origine palestinienne né au Danemark, poursuit son parcours meurtrier en visant la synagogue de Copenhague, où il abat un garde chargé de la sécurité. Traqué par les forces de l’ordre, il est abattu la police.
Deux ans plus tard, en 2017, le Parlement danois abroge l’interdiction du blasphème inscrite dans le Code pénal. L’abrogation, portée par le parti d’extrême gauche Enhedslisten, est soutenue par l’ensemble des forces politiques, à l’exception des sociaux-démocrates. Le service de renseignement danois (PET) alerte sur les risques que cette décision pourrait engendrer pour la sécurité publique. Ces craintes se confirment lorsqu’un émule de Vilks passe à l’acte.
L’affaire Rasmus Paludan
Rasmus Paludan a été un juriste brillant et un avocat prometteur. Après un début de carrière réussi, ses opinions, qualifiées d’extrême droite, l’ont conduit à fonder un parti politique qui, en 2019, a frôlé le seuil nécessaire pour obtenir des sièges au Parlement. Paludan a progressivement déployé une stratégie de provocations ciblées et d’insultes contre les musulmans. Ce qui lui a déjà valu deux condamnations pour propos racistes. Il est déjà célèbre pour ses manifestations dans des quartiers majoritairement peuplés de musulmans, où il brûle publiquement le Coran.
La situation prend une tournure inquiétante lorsque Rasmus Paludan brûle un Coran devant l’ambassade de Turquie à Stockholm, suscitant l’ire d’Ankara. En représailles, la Turquie bloque les négociations sur l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Cette escalade place les autorités danoises dans une situation pour le moins inconfortable : elles doivent tenter de mettre fin aux provocations de Paludan, tout en respectant les principes fondamentaux de liberté d’expression et de manifestation, tâche rendue plus complexe par l’abrogation du délit de blasphème. Le débat public, intense et passionné, révèle une majorité nette : selon les sondages, 50 à 59 % des personnes interrogées sont favorable à l’interdiction des actes provocateurs visant des textes religieux sacrés, tandis que seuls 22 à 35 % défendent le droit au blasphème.
Confronté à cette pression sociale, le gouvernement décide de faire passer une nouvelle législation qui sera intégrée à la section §110e du Code pénal pour en souligner l’importance. D’après ce texte, toute personne qui, « publiquement ou avec l’intention de diffuser dans un cercle plus large, traite de manière indue un texte ayant une importance significative pour une communauté religieuse reconnue [185 communautés religieuses sont reconnues au Danemark, ndlr], ou un objet considéré comme tel », s’expose à des poursuites judiciaires. Après un âpre débat au Parlement, la loi est adoptée fin 2023.
Reste à savoir ce qui constitue un « traitement indu » d’un texte ou d’un objet sacré. On entre évidemment là dans le domaine de l’interprétation. Pour clarifier cette notion, des exemples ont été intégrés à l’exposé des motifs et dans les réponses écrites du ministre aux questions parlementaires. Mais il revient aux tribunaux de trancher au cas par cas et de fixer les limites exactes de cette interdiction. Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, elle a donné lieu à six inculpations.
Parallèlement, à partir de décembre 2020, l’assassinat de Samuel Paty et les menaces reçues par un professeur danois qui a montré à ses élèves des caricatures de Mahomet poussent des partis d’opposition de droite et de gauche à réclamer un débat au Parlement sur des mesures améliorant la sécurité des enseignants. Les députés proposent même de rendre obligatoire la présentation des caricatures de Mahomet en cours, afin de sensibiliser les élèves à la liberté d’expression. Cependant, en mai 2023, le gouvernement rejette cette proposition, estimant que sa mise en œuvre mettrait les enseignants en danger.
Récemment, la question de la liberté d’expression et de ses limites a donné lieu à un autre procès. Au lendemain du 7-Octobre, la Première ministre sociale-démocrate Mette Frederiksen présente ses condoléances à l’ambassadeur d’Israël au Danemark. Cependant, lorsqu’un journaliste lui demande si elle souhaite également exprimer sa solidarité avec les souffrances du peuple palestinien, sa réponse maladroite déclenche des manifestations de musulmans et de jeunes Danois propalestiniens. Elles s’accompagnent de pancartes et de propos en ligne qui peuvent relever de l’apologie du terrorisme, sanctionnée par l’article 136-2 du Code pénal (qui interdit d’« approuver publiquement et expressément » un acte de terrorisme).
Parmi les dossiers examinés par la justice dans le but d’éventuelles poursuites publiques, un cas a particulièrement attiré l’attention. Sous un message Facebook intitulé « 7 000 enfants morts à Gaza. L’avons-nous négligé trop longtemps ? », une femme de 28 ans a publié le commentaire suivant : « Pendant 73 ans, il y a eu la guerre, mais ce n’est que MAINTENANT que le Hamas a vraiment riposté. À juste titre ! Tout autre peuple aurait fait la même chose. » Par la suite, elle a pris ses distances avec ces propos, qualifiant l’attaque du Hamas d’« abominable ». Lors de son procès, le tribunal a estimé qu’elle n’avait pas l’intention d’« approuver expressément » les actions du Hamas, et elle a été acquittée. Le parquet a fait appel de cette décision, soulignant la nécessité de clarifier la limite entre l’expression légitime d’une opinion politique et l’approbation d’un acte de terrorisme.
En juin 2024, l’Institut des droits de l’homme a publié un sondage mené auprès de 4 000 Danois, révélant qu’au cours de l’année écoulée, 10 % des personnes interrogées se sont abstenues de participer à des manifestations publiques, et 33 % ont évité d’exprimer leurs opinions sur les réseaux sociaux, par crainte de représailles. Ces comportements d’autocensure concernent principalement des sujets sensibles comme la religion, l’immigration, les étrangers, ou encore l’égalité et la discrimination. C’est que la liberté d’expression n’est pas seulement une affaire de loi, mais aussi de peur. Et sur ce plan, les islamistes ont gagné.
Un remède pire que le mal Quand, le 25 août 2023, le gouvernement danois dépose un projet de loi « anti-autodafés », qui punit jusqu’à deux ans de prison le « traitement inapproprié d’objets ayant une signification religieuse importante pour une communauté religieuse », la consternation est grande parmi ceux qui, dans le pays, n’ont pas oublié Charlie. La coalition au pouvoir, composée de sociaux-démocrates, de libéraux et de centristes, a beau souligner que le texte va permettre d’empêcher les ultras-nationalistes du mouvement Danske Patrioter de brûler des Corans dans leurs manifestations, et elle a beau assurer que la Constitution continuera de protéger le droit de critiquer les cultes « par écrit et par oral », l’intériorisation d’un interdit religieux dans le droit commun n’en est pas moins patent. Dans une tribune publiée le 14 septembre par le journal danois Berlingske Tidende, 77 intellectuels du monde entier, parmi lesquels Pascal Bruckner, Caroline Fourest et Art Spiegelman, fustigent cette « catastrophe pour la liberté d’expression » et s’inquiètent du « manque de solidarité avec d’autres pays démocratiques » – allusion à la Suède voisine qui a déploré quelques semaines auparavant l’incendie de son ambassade à Bagdad suite à un autodafé de Coran organisé par des athées irakiens à Stockholm. Las, le Parlement danois vote la loi le 7 décembre. Comment dit-on « déception » dans la langue de Karen Blixen ? • JBR
Les tribunaux sont-ils à la hauteur de la menace islamiste ? La justice antiterroriste sans aucun doute. On n’en dira pas autant de la justice du quotidien, souvent complaisante avec l’islamo-djihadisme.
Depuis le début du procès Pelicot en septembre dernier, pas un jour ne passe sans qu’un juge ou un avocat prenne la parole dans les médias pour appeler l’institution judiciaire à se remettre en cause. À relever le défi de la criminalité sexuelle. À apprendre à identifier et punir les « prédateurs » qui se servent d’outils encore mal connus des enquêteurs, comme la soumission chimique ou les forums sur le Web. On ne peut que s’en féliciter.
Mais une telle prise de conscience a-t-elle eu lieu ces deux dernières années face à l’islamisme et à ses nouvelles méthodes de conquête ? Certes un Parquet national antiterroriste a été créé en 2019. Certes, Salah Abdeslam a été condamné à la perpétuité en 2022. Certes la cour d’assises spéciale de Paris vient, contre l’avis du parquet, de déclarer coupables d’association de malfaiteurs terroriste les deux principaux auteurs de la campagne de haine contre Samuel Paty. Mais quid des intimidations plus diffuses ? De l’entrisme à l’école ? De l’antisémitisme qui prend prétexte de la fraternité avec les musulmans de Gaza ?
Au sein de la magistrature, l’idée d’un « accommodement raisonnable » avec le deuxième culte de France est assez partagée. Quand le 29 janvier 2020, la garde des Sceaux Nicole Belloubet, pourtant agrégée de droit et ancienne membre du Conseil constitutionnel, déclare sur Europe 1 au sujet de l’affaire Mila que « l’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave », elle ne fait hélas qu’exprimer une doxa très courante dans ses rangs. Face au tollé médiatique et politique suscité, surtout à droite, par son insanité, elle rétropédalera quelques jours plus tard en publiant dans Le Monde une tribune titrée : « Le crime de lèse-Dieu n’existe pas» – mieux vaut tarte que jamais.
Cette mansuétude inquiétante, on la trouve ainsi dans certaines décisions de justice récentes. Ainsi le 19 novembre, l’homme qui avait appelé sur X à « brûler vif » le proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel, après une altercation avec une élève refusant de retirer son voile islamique, a seulement été condamné à 600 euros d’amende et à un stage de citoyenneté de cinq jours (sans mention sur son casier judiciaire, car il ne faudrait pas pénaliser son intégration professionnelle).
Le 11 décembre, la lycéenne de 18 ans, poursuivie pour avoir giflé une professeur qui lui avait demandé de retirer son voile dans l’enceinte du lycée Sévigné de Tourcoing, a seulement été condamnée à quatre mois de prison avec sursis.
Le 19 décembre, Elias d’Imzalène, le créateur du site Islam&info, a seulement été condamné à cinq mois de prison avec sursis pour avoir, en septembre, appelé à l’intifada en France, c’est-à-dire à une offensive terroriste contre les juifs au nom d’Allah. Après l’annonce du verdict, son avocat, tout en plastronnant, a taxé la décision de « minable ». Le pire, c’est qu’il a raison.
Les agressions sexuelles commises par des immigrés, et les silences gênés chez les féministes, rappellent des conseils passés farfelus comme « restez à un bras d’écart » ou « élargissons les trottoirs ». Mais désormais, sur ces affaires, le magnat Musk veille…
"On a subi des attouchements": à Milan pour fêter le Nouvel an, Laura et ses amis ont été victimes d'agressions https://t.co/MJ4CcWgiKR
Les faits sont passés quasiment inaperçus dans la presse française : de jeunes Liégeoises ont été victimes d’agressions sexuelles, sur la piazza del Duomo de Milan, lors du réveillon du Nouvel An. Principalement visées, trois filles ont eu à subir des attouchements, dont quelques mains baladeuses introduites jusqu’à l’intérieur de leurs vêtements. Une des victimes, dont les propos ont été rapportés par 7sur7, précise : « Il y avait beaucoup de migrants ou jeunes d’origine étrangère avec le drapeau de leur pays (…) et très peu d’Italiens ». Cerise sur l’indigeste gâteau : les agresseurs n’ont pas manqué de crier « vaffanculo Italia »en plus de quelques « amabilités » envers la police.
La scène ne manque pas de rappeler la cauchemardesque Saint-Sylvestre vécue par de jeunes Allemandes en 2015 à Cologne : une vague d’agressions sexuelles avait alors été commise par des réfugiés. Au total, plus de mille plaintes avaient été déposées suite à ce viol collectif et organisé. D’autres villes furent alors touchées par le phénomène dans pas moins de douze Länder allemands. C’était seulement quelques mois après qu’Angela Merkel, alors chancelière, eut prononcé son désormais célèbre autant que mortifère : « Wir schaffen das! » (traduisez : « Nous y arriverons ! »). Avec sa formule péremptoire, la Dame de fer allemande n’avait pas fait avancer la cause des femmes.
Dans les deux cas, comme dans beaucoup d’autres, le silence des féministes ayant pignon sur rue – à l’exception notable du Collectif de droite Némésis – fut et reste assourdissant, comme si elles se forçaient à ne pas comprendre une réalité qui met à mal leur intersectionnalité aveuglante et leur antiracisme moralisateur. Selon leur grille de lecture, l’étranger, contrairement à l’homme blanc, ne peut en aucun cas être un agresseur ou un violeur car lui aussi est, à leurs yeux, une victime – rappelons-leur que nos sociétés sont parmi les plus accueillantes du monde. Et puis, il ne faudrait, selon elles, surtout pas « faire le jeu de ». Tel un symbole, quelques jours après le viol de Cologne, le maire de la ville rhénane, Henriette Reker, avait conseillé aux femmes de garder avec les hommes une distance « d’une longueur de bras ». La sortie préfigurait celle de Caroline de Haas qui proposerait, quelques mois plus tard, d’« élargir les trottoirs » pour lutter contre le harcèlement.
Une autre affaire refait surface aujourd’hui, à la faveur d’un tweet d’Elon Musk. Entre les années 1980 et 2010, des milliers de jeunes filles, souvent mineures et issues de milieux défavorisés, ont été agressées sexuellement par des gangs composés d’Indo-pakistanais au Royaume-Uni. La révélation des faits sordides, mêlant viols, torture et prostitution forcée, aurait dû susciter une vague d’indignation allant au-delà des frontières britanniques. Mais les médias et faiseurs d’opinion européens se sont tus dans toutes les langues : il ne fallait surtout pas mettre à mal le récit diversitaire.
Évidemment, il est toujours utile de rappeler que tous les étrangers ne sont pas des violeurs (loin de là, évidemment) et que tous les violeurs ne sont pas étrangers. Cela ne doit pas nous empêcher de regarder en face la réalité et de nous poser les bonnes questions : combien d’autres affaires de ce type sont-elles mises sous le boisseau ? Combien d’autres victimes subissent-elles encore des viols dans l’indifférence la plus totale ? Et surtout : combien de temps allons-nous accepter cela sans réagir ?