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Hugo, ou rien

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victor hugo michel marmin

Que reste-t-il encore à dire sur Victor Hugo ? Considéré par les Français, qui pourtant lisent de moins en moins, comme leur plus grand écrivain, porte-parole fiévreux de tant de causes humanistes dont la défense ne souffre plus aujourd’hui la moindre discussion, l’auteur des Contemplations et de L’Homme qui rit est sans aucun doute le champion des hommages, des révérences et des commémorations.

Le livre que Michel Marmin lui consacre aux Editions Chronique fait cependant le pari de le révéler autrement, en plaçant les péripéties de l’intime dans la chambre d’échos de l’Histoire, en détaillant scrupuleusement les contextes artistique, sentimental et politique des poèmes, pièces et romans de celui qui voulait être « Chateaubriand ou rien ». Il a pour cela recours à une remarquable profusion de témoignages d’époque (correspondances et critiques, croquis et gravures, photographies et caricatures, affiches circonstancielles et tableaux de maîtres) qui se révèlent non seulement informatifs et éclairants, mais également d’une grande beauté formelle, avec une mention particulière aux médaillons de David d’Angers, aux portraits d’Auguste de Châtillon, à un fusain d’Emile Bayard et surtout aux dessins superbes et bouleversants de Hugo lui-même.

Voici certainement une manière hugolienne d’appréhender la vie et l’oeuvre de ce géant littéraire, lui qui n’a cessé justement, dans ses romans monumentaux, de mêler à ses intrigues quantité de parenthèses sociologiques et d’apartés métaphysiques, sans négliger jamais de nous les conter avec ce même style empreint de sensibilité solennelle et de fougue qu’il accordait à la fiction, parvenant ainsi à relier le particulier à l’universel et non comme il est aujourd’hui d’usage, le singulier à la norme. En explorant de la sorte ce qui a pu nourrir ces textes à la fois profonds et extravagants, mélodramatiques et cependant incisifs, jamais manichéens mais toujours violemment idéalistes, Michel Marmin dresse alors le portrait d’une figure tutélaire : au travers d’une existence qui en épousa les soubresauts contradictoires, il rend en effet justice à ce XIXème siècle qui ne fut autre que la matrice de nos velléités et de nos aspirations, de nos errements aussi, nous les modernes qui cherchons partout, dans le paradoxe et le désordre, à ne pas succomber à la tentation du nihilisme.

De la naissance du Romantisme à l’agonie de la Restauration, de Ruy Blas à L’Art d’être grand-père, de l’espoir des Trois Glorieuses aux crimes de la Commune, d’Adèle Hugo l’épouse infidèle et attentionnée à Juliette Drouet, la maîtresse éperdue cinquante années durant, de l’exil à Guernesey aux grandioses funérailles parisiennes, il faut lire ce très bel hommage à l’un de nos bons géants nationaux, lequel demeure certainement, comme l’affirme Michel Marmin dans sa préface, « le meilleur antidote au doute, au désespoir et à l’ennui ».

*Photo : wiki commons.

Michel Marmin, Victor Hugo pour l’éternité (Editions Chronique),2012.

Kropotkine et ses potes

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kropotkine faure anarchie

Souvent, l’anarchisme passe pour une sorte de révolte juvénile liée à une crise d’adolescence prolongée. On arbore le A rouge et cerclé, éventuellement quelques attributs hérités de la contre-culture punk (bracelet clouté, bottines à lacets rouges, coiffure hérissée…), on chantonne l’éternel refrain des Sex Pistols, on confond Bakounine et Potemkine, et puis on passe à autre chose à moins de finir punk à chien… La petite anarchie pubertaire, passée à la moulinette de la culture publicitaire, n’est que le rite de passage à l’âge adulte.

L’anarchisme historique, le vrai, le pur, le dur, c’est une autre histoire ! C’est du sérieux, et ça ne rigole pas ![access capability= »lire_inedits »] Mais son rire est autrement virulent que les ricanements adulescents des anarchistes en herbe. Depuis Proudhon, l’anarchiste originel est plutôt barbu, puritain et grave, et surtout son passage à l’anarchisme signale une pensée devenue adulte − une fois sortie des illusions du pouvoir, de la richesse, de la (bonne) société…

Pour s’en convaincre, il faut relire les Mémoires d’un révolutionnaire de Pierre Kropotkine, récemment édités en français. Né en 1842 dans une famille de la haute et vieille aristocratie moscovite, le prince Kropotkine est très tôt un familier des plus hautes sphères du pouvoir. Élève de la prestigieuse École des pages, il devient intime du tsar Alexandre II, le libérateur des serfs, qui sombra ensuite dans une autocratie de plus en plus paranoïaque. Kropotkine, qui vécut en 1862 l’abolition du servage sur ses propres terres familiales, vit aussi la réaction nobiliaire se faire de plus en plus dure envers toute aspiration, même timide, à plus de justice et de liberté. Kropotkine fait partie de ces officiers émancipés et émancipateurs dont les efforts sincères seront étouffés dans l’œuf. Cosaque de l’Amour, géographe et explorateur, ses longues années sibériennes seront la matrice de sa maturité − passée au feu du désenchantement envers tout pouvoir, quel qu’il soit, de toute façon corrompu et corrupteur. Face à la centralisation croissante et à la mise en coupe réglée du pays par une nouvelle oligarchie, Kropotkine se penche avec passion sur les communes libres médiévales et le communisme rural pré-moderne.

En 1872, lors d’un séjour en Suisse, il adhère à l’Association internationale des travailleurs et se lie à la déjà mythique Fédération jurassienne marquée par la figure de Bakounine. C’est là, à trente ans, qu’il se convertit au « communisme libertaire » dont il sera l’un des grands théoriciens. Revenu en Russie, il se consacre à la diffusion du socialisme, en habit princier dans les salons et à la cour, en costume paysan dans les réunions clandestines. Cette double vie dure deux ans. Arrêté sur ordre d’Alexandre II, il est enfermé dans la vieille forteresse Pierre-et-Paul. Ce sera la première de ses prisons, qui lui inspireront de riches réflexions sur le système carcéral. Au bout de deux ans, une évasion rocambolesque lui permet de se réfugier en Grande-Bretagne, puis en Suisse où il fonde Le Révolté, se lie à Louise Michel, aux frères Reclus (Élie et Élisée). Expulsé en Angleterre, emprisonné en France, entre exils et prisons, manifestations et publications, toute sa vie se confond avec cet âge épique de l’anarchisme, ébullition d’où sortiront aussi bien la « propagande par le fait » d’Auguste Vaillant que le « nudisme révolutionnaire » d’Émile Armand.

Pendant ce temps, en Russie, la pression se fait de plus en plus forte, et les réformateurs acculés, les libéraux rentrés dans le rang, les populistes persécutés laissent la place aux nihilistes et socialistes révolutionnaires, dans un jeu pervers de terreur contre terreur entre cellules terroristes et agents tsaristes. La révolution sera confisquée par ses éléments les plus radicaux, les plus violents. Après quarante ans d’exil, Kropotkine rentre en 1917 en Russie à la faveur de la Révolution de février, qui l’enthousiasme. Il reçoit un accueil triomphal, et refuse un poste de ministre que lui propose Kerenski. Il s’oppose aux bolcheviks, rencontre Makhno, Voline, Shapiro, les grands noms de l’anarchisme russe que le nouveau pouvoir pourchassera et écrasera bientôt. Mis à l’écart après la Révolution d’octobre, il voit sa santé décliner et meurt en 1921. Cent mille personnes accompagnent son cercueil jusqu’au cimetière. La Tchéka surveille de près : c’est la liberté russe qu’on enterre.

Peu avant sa mort, il avait déclaré : « Les communistes, avec leurs méthodes, au lieu de mener le peuple vers le communisme, finiront par lui en faire détester même le nom. » Kropotkine avait près de 80 ans. Anarchiste jusqu’au bout.

Il laisse derrière lui une œuvre riche qui influencera durablement la pensée anarchiste et anarchisante, comme La Conquête du pain (1892), L’Entraide (1902) ou La Grande Révolution (1909) − ainsi qu’une étonnante somme posthume, L’Éthique (1922), hélas inachevée, qui marque un aboutissement théologique de sa pensée et un retour au christianisme.

C’est ce bouillonnement de la grande époque libertaire, auquel il a très activement participé, que tentera de mettre − intellectuellement − en ordre Sébastien Faure (1858-1942) avec des centaines de collaborateurs dans son Encyclopédie anarchiste publiée en 1934 − aujourd’hui en cours de réédition. Sébastien Faure est un des grands noms de la Belle Époque de l’anarchie française. Candidat du Parti ouvrier français de Jules Guesde aux législatives de 1885, l’ancien séminariste se convertit à l’anarchisme en 1888. À partir des années 1890, il devient un véritable tribun de la cause, enchaînant meetings houleux et conférences homériques dans tout le pays. C’est aussi l’ère des attentats, que cristallise la sombre figure de Ravachol. En 1894, Sébastien Faure est jugé lors du fameux « procès des Trente », qui suit l’assassinat du président de la République, Sadi Carnot, par l’anarchiste italien Caserio. Batteur d’estrade, inlassable prédicateur, il sera aussi un infatigable journaliste et éditeur : collaborant aux grands titres de la presse anarchiste, il fonde notamment, en 1895, le journal mythique Le Libertaire. Entre 1904 et 1917, il fonde et dirige l’école libertaire « La Ruche » qui offre un enseignement alternatif à des enfants démunis ou orphelins. Durant la Grande Guerre, il demeure un pacifiste intégral, contrairement à Kropotkine qui, avec le Manifeste des Seize prône, contre le « zimmerwaldisme » de Lénine et consorts, la guerre contre l’autocratie allemande. Faure lance, en 1915, le journal Vers la paix. Convoqué par le ministère de l’Intérieur, il doit jouer en sourdine mais, militant increvable, restera l’anarchiste le plus surveillé de France. C’est pour répondre au caractère scientifique de l’appareil marxiste qu’il lance, en 1930, sous forme de fascicules, l’Encyclopédie anarchiste. Sur les cinq volumes prévus, un seul volume de quatre tomes, le Dictionnaire anarchiste, sortira en livre en 1934.

En 1936, une centurie de la Colonne Durruti portera son nom dans les combats d’Espagne. Pendant l’Occupation, les Renseignements généraux notent qu’il est « déprimé physiquement et surtout moralement ». Il meurt discrètement en 1942. L’anarchie Belle-Époque, en col amidonné et moustaches Napoléon III, a vécu.[/access]

Pierre Kropotkine, Autour d’une vie. Mémoires d’un révolutionnaire, Éditions du Sextant, 2012, 476 pages, 26 euros.

Sébastien Faure (dir.), Encyclopédie anarchiste. A-C, Éditions des Équateurs, 2012, 606 pages, 29,90 euros.

RIP : JR est mort à Dallas

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L’inoubliable Larry Hagman, alias JR Ewing vient de mourir à l’âge de 81 ans des suites d’un cancer. Déjà assez connu dans son pays durant les sixties, suite à ses rôles dans de nombreux feuilletons à succès, il était devenu une star mondiale en 1978 avec son interprétation d’un milliardaire du pétrole dans la série Dallas.

Il faut dire que le personnage de John Ross Ewing était totalement novateur dans cet univers où normalement les méchants meurent dans d’atroces souffrances, ou sont au moins sévèrement punis à la fin de l’épisode ou de la saison (sauf le manchot du Fugitif, hein…)

JR Ewing, non seulement n’était jamais puni de sa fourberie, de ses mensonges et de ses incessantes magouilles politico-sentimentalo-financières, mais il s’en enrichissait sans cesse, et sans remords, ça va de soi.

Est-ce ce réalisme et ce cynisme assumés qui ont rendu JR sympathique, comme je le pense ? Ou bien est-ce parce qu’il était raccord avec l’idéologie des winners des années 80, de cette manière de voir et d’agir incarnée dans la vraie vie par Reagan, Thatcher et Tapie, comme l’expliquaient à l’époque beaucoup de spectateurs sincèrement outrés, tel Renaud qui vers 1985 descendait en flamme la série-culte dans son excellente chanson « J’ai raté Téléfoot »

« Après j’me suis regardé Dallas

Ce feuilleton pourri dégueulasse

Ça fait frémir le populo

De voir tous ces enfants de salauds

Ces ricains véreux pleins aux as

Faire l’apologie du pognon

De l’ordurerie et de la crasse

Y nous prennent vraiment pour des cons
Eh, maintenant qu’on est socialistes

Fini les feuilletons américains
On veut des feuilletons soviétiques

Et même des belges y en a des biens

Y’en a un c’est l’histoire d’une frite

Qu’est amoureuse d’un communiste… »

Toujours est-il que dans la vraie vie, il semblerait que Larry était le prototype du chic type. Linda Gray, qui jouait le rôle de sa femme, Sue Ellen, dans la série l’a veillé jusqu’à son dernier souffle. « Larry Hagman a été mon meilleur ami pendant trente-cinq ans (…) Il apportait la joie à tous ceux qu’il connaissait. Il était créatif, drôle, aimant et talentueux. Il me manquera énormément », a-t-elle déclaré dans un communiqué. On espère que les fans de JR ne seront pas trop déçus par ces révélations.

Dallas, hélas

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LARRY HAGMAN DALLAS

Larry Hagman est mort à 81 ans des suites d’un cancer. C’était JR, le méchant de Dallas. La série qui s’imposa planétairement de la fin des années 70 aux années 80, racontait les Atrides au Texas, avec ranchs et puits de pétrole à la place des palais mycéniens. Je me souviens que ça passait les samedis soirs sur la première chaîne et que finalement de vrais archétypes s’inscrivaient alors dans un imaginaire désormais mondialisé : le gentil frère, l’avocat revanchard, la femme alcoolique mondaine.
Ah Sue Ellen, qui est la première comparaison qui nous vient encore à l’esprit quand on voit, un peu pompette dans un cocktail, une quadra élégante et désespérée, ce qui est un pléonasme dans la France de 2012 où le féminisme a beaucoup œuvré pour la généralisation du célibat. Moi j’aimais bien, chez les femmes de Dallas, celle de Bobby, Victoria Principal avec sa frange et puis aussi, les jours de régressions mammaires, ce petit boudin blond de Lucy avec ses gros seins et son regard un peu bovin.

JR, c’était le salaud qu’on adorait détester. Il faisait des trucs ignobles pour garder le contrôle de l’entreprise familiale. Ce qui est amusant, c’est que cet ignoble capitaliste, aujourd’hui, apparaîtrait presque comme un humaniste. Il ne voulait pas se soumettre aux actionnaires, il ne voulait pas laisser l’entreprise paternelle aux mains des mous du genoux de sa famille, il se battait pour l’économie réelle et il avait un beau stetson, ce qui finalement était son seul point commun avec George W Bush, faux texan, pétrolier incompétent et président fils à papa.
Oui, JR, aujourd’hui, c’est le genre de gars qui intriguerait pour refuser d’appliquer le plan de compétitivité de Louis Gallois ou les directives européennes sur la concurrence. Parce que ce qui l’intéressait d’abord, JR, c’était de voir jaillir l’or noir de ses puits de pétrole et en tirer assez de pognon pour faire vivre la communauté. Je ne dis pas que JR était un champion de la redistribution mais aujourd’hui, il serait plus proche de Chavez que de Mitt Romney et question protectionnisme et redressement industriel de Montebourg ou Mélenchon que de Ron Paul ou Mario Draghi.
Vous me direz, c’est bien normal, puisque Chavez, tout le monde sait qu’il est très méchant aussi. Mais bon, comme pour beaucoup de choses, le capitalisme façon JR n’est plus qu’un souvenir du monde d’avant.

Pour vous en convaincre, pensez donc à visionner les 357 épisodes de Dallas.
Ça explique aussi bien ce qui s’est passé que Le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Eve Chiapello (Gallimard, 1999) où il n’y a aucune illustration représentant des filles sous la douche espionnées par un homme au sourire sardonique.

*Photo : Dallas Film Society Images.

Sulla strada

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dino risi fanfaron

C’était un 15 août.

Les rues de Rome désertes et caniculaires dormaient profondément. Nous étions au début des années 60. Vittorio papillonnait au volant de son Aurelia Sport à culasse rabotée. Collé sur le pare-brise, un carton indiquait « Camera Deputati » (Chambre des députés), ultime pied-de-nez aux Carabinieri et minable combine. Risible. À grands coups de klaxon italien et de tête-à-queue artistiques, Vittorio sautait de place en place à la recherche d’un téléphone. Jean-Louis lui ouvrit la porte de son appartement et de cette rencontre insolite naquit une amitié intéressée, sincère, joyeuse et funèbre. Vittorio était grand, 1,87 m pour 82 kg, roublard, scintillant et désabusé comme tous les héros romantiques. Polo blanc, bronzage cuivré, force de la nature et cœur d’enfant. Un fanfaron splendide, d’un naturel aussi désopilant qu’agaçant. La quarantaine triomphante quand elle commence juste à se fissurer pour émouvoir.

Vittorio parlait tout le temps. Il racontait sa vie, ses exploits, ses médiocrités, les femmes, les voitures, les nuits dansantes, l’argent, la vie en somme. Il se rappelait qu’un jour, Antonioni l’avait doublé dans une rapide Flaminia Zagato. Il avait conservé de ce dépassement fugace, une légère meurtrissure teintée d’un éblouissement respectueux pour les mécaniques vigoureuses. Il disait : « je ne connais rien de plus jouissif que de conduire », « je préfère le billard au vélo », « regarde pas le compteur, il retarde », « tu veux me laisser danser, je crée », « à l’assaut des petites teutonnes ! », etc… Il était drôle et désespéré.

Jean-Louis était sinistre, réservé, travailleur, pétri de bons sentiments, amoureux transi, détestable enfant modèle, sans vie en somme. Miracle du destin qui force deux êtres à s’unir vers une issue forcément tragique. Deux hommes lancés plein pot dans un spider sur les routes encombrées et brouillonnes d’une Italie qui étouffe. Des rires qui éclatent, des vérités criées à la volée, des mensonges susurrés, une bouillabaisse partagée, des verres de Campari bus en signe d’amitié, une nuit à la belle étoile sur une plage et cette bande-son, ce twist qui accélère les existences trop molles, trop bien réglées.

Et puis, les femmes, une multitude de femmes. Des visages qui aguichent, des corps qui repoussent, des mots qui blessent. Serveuses au regard sombre, baigneuses appétissantes, mamas replètes aux accents faubouriens. De cette mare nostrum, surnagent quelques beautés inoubliables, Catherine Spaak, la fille, une montagne de pureté et de désir infranchissable, et Luciana Angiolillo, l’ex-femme, d’une froideur incandescente.

Oui, c’était un 15 août. Un 15 août des années 60…

DVD Le Fanfaron de Dino Risi – Collection Les maîtres italiens SNC – Film remasterisé haute définition – Suppléments : Interviews Dino Risi – Vittorio Gassman – Annette Stroyberg – En vente le 28 novembre

Gardarem nos juifs !

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netanyahou hollande merah

Je partage avec mes compatriotes juifs le malheur d’être français mais, catholique, je ne jouis point, comme eux, du redoutable privilège d’être juif. Si je me sentais menacé dans mon pays, où irais-je ? Ma misérable personne n’a aucune chance de trouver sous d’autres cieux une nationalité de substitution. Me présenterais-je même au Vatican, hâve et désespéré, tenant dans ma main haut levée les certificats de baptême de mes ascendants directs et indirects sur dix générations qu’on ne m’accorderait guère plus qu’une bénédiction mais, assurément, pas un visa et moins encore un passeport. Quant à Tel Aviv ou Jérusalem, où se déclarer français équivaut presque à se promener dans les rues en uniforme nazi, je ne saurais y espérer autre chose qu’un statut précaire de clandestin ![access capability= »lire_inedits »] Bref, si je quittais la France, désormais honnie du monde entier, je deviendrais un réprouvé de toutes les nations, un clandestin de toutes les frontières, menacé ici et là à cause de ma religion, mal venu partout par la faute de ma nationalité. J’inaugurerais la triste condition du Français universellement réprouvé, du catholique errant !

Mes concitoyens juifs disposent en revanche tout naturellement d’une position de repli, baignée par deux mers, dont une Morte, certes, et très salée, mais presque paisible et garantissant un taux de flottabilité bien supérieur à celui de la mer du Nord ! Il en est qui s’en vont, certains reviennent, d’autres s’établissent. Seront-ils, en grand nombre, sensibles à l’invitation que leur a lancée M. Nétanyahou, à Paris, le 31 octobre, et à son incantation « électorale » lancée le 1er novembre à Toulouse ?
La cérémonie du souvenir qui eut pour cadre l’école Ohr-Torah (ex-Ozar-Hatorah), fut de fort belle tenue. On y évoqua les figures des victimes de Mohamed Merah : les enfants, le directeur de l’école (tués parce qu’ils étaient juifs), et les trois soldats. Les témoignages du père de Myriam, Yaakov Monsonego (bouleversant), du père de Jonathan Sandler, directeur de l’école, exécuté en portant secours à ses deux petits, Gabriel et Aryeh, assassinés eux aussi, d’Eva Sandler, leur mère, veuve de Jonathan, resteront dans nos mémoires. Le président Hollande eut raison d’affirmer que la sécurité des juifs de France « n’est pas l’affaire des juifs mais celle de tous les Français ».

Après lui, M. Nétanyahou prit la parole, d’abord en français, puis en hébreu. Ce politicien roué mais de petite envergure, brutal par calcul plus que par conviction et moins encore par éducation (c’est un bourgeois bien élevé, m’a confirmé un ami, très au fait de la vie politique israélienne), me fit d’abord une excellente impression. Sans atteindre le niveau d’expression de l’homme d’État qu’il ne sera jamais, il sut trouver les mots de compassion vraie pour les victimes, et de sympathie pour notre pays. Puis, soudain, l’ambiance se transforma. Elle devint celle d’un meeting : M. Nétanyahou n’était plus le premier ministre d’un pays ami, mais un candidat en campagne « hors sol », le protecteur autoproclamé des juifs de France qu’il avait, la veille, lors d’une intéressante conférence de presse à l’Élysée (il s’y était déclaré prêt à retrouver les Palestiniens à la table des négociations), invités à rejoindre Israël pour leur sécurité (dont n’a hélas point bénéficié l’infortuné Rabin, assassiné par un « agité du local »), un militant énervé de la cause sioniste, associé, dans son pays, à un personnage aussi détestable que M. Lieberman. L’émouvante cérémonie se changea en réunion électorale, pauvrement scénarisée : des jeunes gens vinrent sagement prendre place derrière la puissante carrure de M. Nétanyahou, formant une frise de soutien presque trop joyeuse dans cette circonstance. La salle, à l’exception des officiels français, reprit en chœur les mots martelés avec une certaine véhémence par Benyamin Nétanyahou : « Am Israel Haï ! » (« Le peuple d’Israël vivra ! »). C’était fini ! Toute l’émotion, profonde, sincère, était brutalement balayée par cette manifestation, que la présence de François Hollande rendait incongrue. M. Nétanyahou prenait le contrôle de la salle, imposait son allure, sa morale, sa vision du monde.

D’officielle, la cérémonie devenait politique et, d’institutionnelle, elle se faisait, d’une certaine manière, confessionnelle. Tout le monde était ainsi pris en otage, capturé par un politicien en campagne : les juifs de France, le gouvernement, tous les Français. Que faisait alors le Président de la République française ? Venu pour apporter son soutien à des femmes, des hommes, des enfants accablés par le malheur, il se voyait contraint d’en être le spectateur, et de l’approuver. Malaise…

La menace qui pèse sur les juifs, en France, pèse sur tous les Français qui, tous, ont été révulsés par les événements atroces de Toulouse. Le crime de Merah n’était pas un crime français, mais l’acte d’un misérable en proie à ses démons intérieurs, saisi par terrifiante idéologie, vaine, sanguinaire et pleine d’obscurité qui, si elle prospère ici, n’a strictement rien à voir avec notre histoire. Israël est une démocratie dynamique, très sourcilleuse sur la question de la séparation des pouvoirs. Depuis une vingtaine d’années, une (petite) partie de son malheur lui vient de son élite dirigeante : Israël, son peuple, ses institutions n’ont pas une classe politique digne d’eux. Alors, mes chers compatriotes juifs, réfléchissez bien avant de faire votre alya : Israël est certes un beau pays, une nation jeune, vigoureuse, mais n’oubliez pas qu’il y a là-bas plein de Juifs et plein d’Arabes ![/access]

*Photo : Libération/Patrick Peccatte.

Mise à SAC (Capital)

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Dans le monde merveilleux de la finance, comme dans celui de l’olympisme, l’important n’est plus de participer mais de faire tomber des records. Madoff, Kerviel et maintenant qui sait, Steve Cohen. Il est le fondateur d’un des plus grands fonds spéculatifs de Wall Street, SAC Capital et fait l’objet d’une plainte de la part des Etats-Unis eux-mêmes, excusez du peu.

On reproche en effet, du côté de Washington, à SAC Capital un joli délit d’initié record de 276 millions de dollars. L’histoire est simple comme un coup de fil qui permet de remplir son compte en banque. Deux laboratoires pharmaceutiques, Elan et Wyeth qui sont des filiales de l’américain Pfizer, tentent de mettre au point un traitement sur la maladie d’Alzheimer. Les résultats sont très moyennement probants, ce qui va évidemment faire chuter le cours des actions. Mais ils se trouvent que deux conseillers de SAC Finance avaient pris langue avec un des chercheurs qui les a prévenus avant la publication du rapport sur les conclusions négatives. SAC Capital a donc vendu illico presto pour près d’un milliard de dollars d’action des deux labos, histoire d’anticiper et de se faire un peu de pognon sur les espoirs déçus de millions de malades.

Néanmoins, le pot aux roses a été découvert grâce aux remords du professeur Gilmann qui s’est soudain vaguement souvenu du sens du mot déontologie et qui en aussi profité pour négocier son immunité judiciaire. Il a d’ailleurs rendu intégralement les 186 000 dollars qu’il avait perçus lors de la jolie manip. Il a dû se dire qu’en matière de dépassements d’honoraires, il avait vraiment abusé sur ce coup-là.

Pendant le combat de coqs à l’UMP, Hollande fait l’autruche

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hollande ump mariage gay

Le pouvoir socialiste ne pouvait espérer mieux. Le spectacle donné par les responsables coqs de l’UMP n’est pas seulement pitoyable; il occulte le reste de l’actualité, et notamment ce qui pourrait vraiment intéresser les Français. Pendant que les médias, réjouis d’une telle aubaine, focalisent notre attention sur la guerre Copé-Fillon, François Hollande et le gouvernement Ayrault s’enfoncent dans l’impopularité, la croissance est en berne, l’agence Moody’s sanctionne l’absence de réformes structurelles et dégrade la note de la France, les taux OAT remontent doucement et, surtout, le président de la République se retrouve empêtré avec son projet de mariage homosexuel.

Pour la gauche, ces derniers jours auront été exemplaires dans l’art d’utiliser la stupidité du camp adverse.

La mobilisation de samedi dernier contre le mariage homosexuel, en réunissant près de 200000 personnes fut indiscutablement un succès. Koltchak et Io Froufrou en ont fait d’excellents compte-rendus, qui soulignent chaque fois la diversité et la courtoisie des manifestants. Comme Corto l’a déploré, les médias ont tu l’ampleur du mouvement et les gauchistes ripostaient, non sans hargne, sur Twitter. Alors qu’ils sont toujours prompts à dénoncer les amalgames, ils n’hésitaient pas à caricaturer les manifestants en catholiques-intégristes-fachos-homophobes. Le lendemain avait lieu la manifestation de Civitas: elle fut perturbée par l’irruption des hystériques du FEMEN , avec un service d’ordre vite débordé et quelques échaufourrées. Les gonzesses qui étaient venues chercher le contact, armées de bombes lacrymogènes, pleurnichèrent aussitôt parce qu’elles avaient été bousculées. Le piège était grossier et on peut regretter, comme l’Amiral Woland, que quelques skinheads soient tombés dedans à pieds joints: des idiots utiles qui ont ainsi confirmé l’image caricaturale, celle des catholiques-intégristes-fachos-homophobes, que les médias et la gauche donnent d’eux. Les FEMEN ont réussi leur coup: on a oublié les 200000 manifestants de la veille. À ce sujet, on lira l’excellente analyse de Fikmonskov.

Ceci dit, les manifestations du week end ont quelque peu ébranlé les certitudes du Camp du Bien. Si bien que le Président de la République a semblé faire marche arrière. Mardi, devant les maires de France , il a expliqué que la loi sur le « mariage pour tous » devrait s’appliquer, si elle est adoptée, dans « le respect de la liberté de conscience ». Aussitôt, furieux, les fanatiques de la cause homosexuelle, ont exigé d’être reçus à l’Élysée et nous avons finalement vu François Hollande se désavouer : il a aussitôt «retiré» l’expression « liberté de conscience » qu’il avait utilisée devant les maires. François Hollande a ainsi apporté la preuve de son absence de conviction. C’est du Hollande typique : mou, toujours prêt à la reculade et au compromis. Il y a du Louis XVI chez ce type là et on ne serait pas étonné d’apprendre qu’il se passionne pour la serrurerie; reste à savoir si l’échafaud se trouve au bout du parcours.

Le revirement du président de la République, que la cacophonie à l’UMP a permis de minimiser, est significatif de notre vie politique : c’est le grand n’importe quoi, et tant mieux, apparemment, si on peut gagner ainsi des élections et en vivre. Or, le grand n’importe quoi, c’est ce qui abaisse la politique. C’est également ce que vit l’UMP. Comme François Hollande, Jean-François Copé et François Fillon n’ont pas de convictions: ils se battent pour des places. Quant à Marine Le Pen, elle ne fait pas mieux quand elle permet l’élection de François Hollande. Aujourd’hui, la droite se déchire parce qu’elle s’est vidée de tout contenu idéologique. Constamment intimidée par une pensée unique venue de la gauche, elle n’a de droite que le nom. D’ailleurs, si elle essaie de revendiquer ses valeurs, ses adversaires montent aussitôt au créneau pour dénoncer une droitisation: comme s’il était honteux, pour la droite, d’avoir des valeurs de droite. Copé et Fillon sont maintenant cramés : espérons que ce suicide politique aura permis de crever les abcès qui s’accumulaient.

*Photo : François Hollande.

Florange : bon pour la ferraille

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florange arcelor mittal

Résumé des événements précédents : Florange cité des morts violentes, Mittal d’abord puis une jeune femme noire défigurée, les cadavres nus se suivent, le suspect est en fuite, un ancien ministre semble impliqué et Muller nage comme tout le monde.

Le lendemain était un autre jour, le soleil perçait tant bien que mal les nuages grisonnants. Nos héros étaient confortablement installés dans le bureau de Muller, une pièce spacieuse meublée en design nord-coréen, à des années-lumière des trous à rats que l’on voyait naguère dans les feuilletons. Le poêle ronflait dans son coin, un grand bureau en acajou du Kamtchatka pour le patron, un petit en sapin suédois pour son adjoint et par une baie vitrée avec balcon l’on pouvait admirer l’ancienne usine. Aux murs étaient accrochés des peintures grasses d’un style réaliste ouvrier réalisées par un retraité de la sidérurgie, un italien qui ne pouvait s’empêcher de placer la Madone dans toutes ses toiles. Le commissariat de la Fensch est un bâtiment récupéré sur les friches industrielles, quelque part entre Hayange et Florange, qui fut réhabilité grâce à des fonds alloués pas l’Union Européenne, plus personne ne sait d’ailleurs pourquoi.

La filière liquide fermée en 2013, un repreneur semblant fiable en avait profité pour vendre les hauts-fourneaux à un ferrailleur avant de disparaître sans laisser de traces, le reste avait suivi. Les chinois, déjà installés sur l’autre rive de la Moselle avaient alors racheté le site en entier : centre commercial, complexe sportif, hôtels, casinos, golf, hôpital, école de commerce internationale, une mutation éclair avec l’aide d’investisseurs très divers : Qatar, Luxembourg, Corée du Nord ; sans oublier la grande mosquée et son école coranique payés par le royaume wahhabite.

Gallino versa un café à son chef, celui-ci le remercia et fit de même, puis ouvrant le petit réfrigérateur qui se trouvait dans le coin-cuisine, il en sortit un paquet soigneusement ficelé, et, saisissant une baguette de pain au passage il entreprit de déshabiller le précieux colis.
-Dio Cane ! S’écria Pippo, chef, c’est de la vraie Schmierwurst ? Mais où trouvez-vous ça ? Depuis que la vente de porc est interdite dans la commune…
-En Allemagne mon petit, le dernier boucher-charcutier de la région qui en vendait clandestinement a du s’exiler en Serbie après que les gardiens de la foi aient brûlé sa boutique.
Une forte odeur de purin provenant de la coulée continue voisine vint leur chatouiller les narines, rappelant fort à propos que la « cathédrale » vidée de ses machines à faire des brames était devenue un élevage de poulets industriel, propriété des frères Tang : dix millions de volailles caquetant dans les laminoirs.

La littérature de gare c’est bien joli mais passons aux choses sérieuses : Arcelor Mittal Florange, le malade en attente de décès (dans la dignité?). Les rumeurs commencent à circuler concernant la reprise éventuelle de la filière liquide, l’une d’elle fut même transformée par Les Echos comme une quasi certitude, démentie le surlendemain par le principal intéressé, c’est à dire le géant russe Severstal. Souvenons-nous qu’en 2006, lorsque Mittal lançait son OPA hostile sur le groupe Arcelor, le patron de l’époque Guy Dollé avait appelé son homologue, quoique milliardaire, russe Alexei Mordachov à la rescousse, le führer de Severstal justement. Un jeu de dupes dont les russes étaient sortis vexés et pour cause, il s’agissait de négocier en douce avec l’indien en agitant la « menace » russe, histoire d’arranger les affaires des actionnaires et du père Dollé lui-même avec lesquels tonton Lakshmi sut être reconnaissant… L’on nous ressert le même plat réchauffé 6 ans plus tard, la revanche du milliardaire échaudé, le diplômé de l’institut Togliatti de Leningrad prend sa revanche sur l’indien sans cœur, rions… Le géant russe, il est vrai dispose de grandes quantités de cash (2 milliards de dollars) avec lesquelles il achète à tour de bras de la sidérurgie ; récemment encore une usine dans le Maryland (USA) pour la modique somme de 810 millions de dollars, à Mittal justement ! Il avait déjà investi en Moselle dans une usine qu’il a revendu depuis : les métallos de la Fensch n’ont pas plus d’illusions à propos du caïd de Tcherepovets (oblast de Vologda) que d’un asiatique fantôme ou de la mafia sicilienne. Qui plus est un analyste d’une banque d’investissement, monsieur Galikhanov doute fortement de l’intérêt du site et surtout des hauts-fourneaux de Patural, trop vieux à son goût, Mordachov peut produire de l’acier à moindre coût partout dans le monde, à commencer par son pays natal. Par contre il est probable que tout le reste du site l’intéresse, particulièrement la tôle pour l’automobile et la partie emballage : secteurs que, justement, Mittal ne voudra pas lâcher…

On frappa, le gros, c’est à dire le médecin légiste, entra en trombe comme à son habitude, soufflant et rougeoyant, balançant sa sacoche ventrue sur le premier classeur à sa portée.
-Putain-con de la saucisse à tartiner, et trempée dans le café au lait, on ne se refuse rien, gastronomie locale prohibée mes cochons, j’aurais du amener le Pastis, il y en a pour moi ?
-Assieds-toi Pasqua, sers-toi, Pippo verse une tasse à monsieur le médecin légiste et sors donc la mirabelle pendant que tu y es… Alors quoi de neuf ?
-J’ai les résultats des autopsies, rapide hein le marseillais, comme le mistral, bon, dites-donc vous êtes deux sacrés pervers, aller fourrer votre nez dans la foufoune d’une négresse assassinée ! Mais vous vous êtes carrément gouré les gars !
-Que veux-tu dire ?
-Osez le clito amigo, votre connaissance de l’anatomie féminine laisse à désirer, passe encore pour le petit qui est un agneau de lait, mais toi Derrick ça m’étonne. Bref, son bouton, elle l’a encore, il est bien caché, par contre elle s’est fait faire une plastie des petites lèvres…
-Ma perque? fit Gallino, perdant soudain son français pour retrouver son idiome héréditaire.
-Coquetterie, esthétique, confort, tout est possible mon ami, disons qu’elle a échangé un garage pour 4X4 contre un garage pour une Clio.
-Comme cela est plaisamment et poétiquement dit, vulgaire et sexiste en diable Pasqua, tu es bien marseillais ! Et tous les trois de s’esclaffer bruyamment.
-Ceci étant, je connais la question les mecs, j’ai pratiqué dans une autre vie et je crois aussi savoir d’où vient votre greluche.
-Eclaire-nous phare du Prado s’écrièrent-ils en chœur.
-D’après sa morphologie, la couleur de sa peau, le peu qu’il reste des traits de son visage -snif- cette fille a tout d’une fallasha, une juive d’Ethiopie.
-Comment peux-tu deviner des trucs pareils ?
-Une autre vie, je te dis, j’étais rasta à l’époque cinquante kilos tout mouillé et je vivais en Israël avec une reine de beauté, chirurgie esthétique et culture de ganja dans la vallée du Jourdain. Je sais qui a opéré la bougresse, je reconnais son style, c’est Mordechai Rosenfeld de Tel Aviv, il exerce toujours dans une clinique privée pour milliardaires, et, tenez vous bien, regardez ce que j’ai trouvé sous la peau de son avant-bras :
Il déposa une minuscule capsule dorée sur le bureau.
– ???? dirent-ils de concert
– Un micro émetteur, balise et plaque d’identification à la fois, j’ai déjà contacté un vieux pote reconverti dans le trafic de cocaïne, votre victime n’est autre que « Black Diamond » l’agent 38 du Mossad…

Gourmandises

Perico Legasse gastronomie

J’avais, il y a déjà quelques années, fustigé les tendances délétères de certains lycées hôteliers, qui n’enseignent plus les fondamentaux de la vraie cuisine — celle qui se mange — afin de satisfaire la demande de groupes industriels cannibales, et les lubies de chefs adeptes de la cuisine décorative et médiatisés par « des programmes télévisés à l’huile de moi ». Des lycées influencés par la chimie culinaire d’Hervé This (« le meilleur allié de la malbouffe industrielle »), les pitreries d’Adrian Ferra (« caudillo de la ragougnasse intellectuelle mondialisée ») et les étoiles de Bibendum (« en train de se dégonfler »). Ces amabilités, et quelques autres, se trouvent dans le tout récent Dictionnaire impertinent de la gastronomie, écrit par le doux impétueux Périco Légasse, chroniqueur gastronomique si talentueux qu’il finira détesté par toute la profession.

Un écrivain se définit par ses références. Dis-moi qui tu cites, je te dirai qui tu es. Périco Légasse est homme de culture — et au fil de ces 283 pages, les auteurs évoqués dressent le portrait d’un jouisseur de mots qui font sens — bref, il veut du contenu dans son assiette intellectuelle, pas uniquement des virgules de sauce autour d’une supposée quintessence.
Cela commence dès l’exergue, emprunté à Saint-John Perse : « On périt par défaut bien plus que par excès ». Qui d’entre nous, qui voyons chaque jour les ravages du vide dans les jeunes cervelles, ne signerait pas une telle déclaration liminaire ? Suivent bien entendu toutes les fortes pensées des grands gastronomes — puis soudain, à l’article « Classes du goût » (créées par Jacques Puisais en 1975 pour réapprendre à manger à nos enfants — que dirait-il aujourd’hui…), soudain débarque Condorcet : « Sans instruction du peuple, le suffrage universel peut conduire à la dictature des imbéciles ». Ma foi, entre hamburgers mollassons et reddition scolaire, je crois que nous y sommes. La reconquête sera longue, et rude.

Que l’on ne s’imagine pas que je force en imaginant un parallèle entre gastronomie et pédagogie. « Accor est le symbole du « prêt-à-bouffer » [son manager général est l’ancien PDG de McDonald, Denis Hennequin] et participe, en tant que premier employeur dans l’hôtellerie-restauration, à l’effondrement du niveau dans les lycées professionnels. Les restaurateurs de métier et les maîtres d’apprentissage ayant fréquenté ces fabriques à crétins sont unanimes : si la plupart des élèves sont si nuls à l’issue de leur formation, c’est qu’il ne s’agit plus d’une formation mais d’une déformation. Que demande en effet le groupe Accor à l’enseignement hôtelier ? De lui fournir une main d’œuvre sachant manier la technologie alimentaire moderne et suivre une logique industrielle (décongeler, chauffer au micro-ondes, ouvrir les poches en plastique contenant les plats cuisinés) et non plus préparer un potage, monter une béarnaise ou brider un poulet. »  Ne pas en conclure que tous les établissements hôteliers sont tombés dans la même panade : « Même s’ils ne sont pas très nombreux, on trouve encore des établissements où l’on apprend aux jeunes à préparer à manger en respectant le produit, le terroir et la saison. Les autres sont des fabriques à crétins ».
On se demande où l’ami Légasse a trouvé une telle formule…

Des crétins qui des quatre saveurs, n’en retiennent pour la plupart qu’une seule — celle du bonheur lénifiant d’une enfance perpétuée. « Plus l’être humain évolue, plus il est à même d’apprécier l’amertume. Le sucré reste le goût référent de l’enfance, donné par la première goutte de lait. »
L’école n’est pas là pour verser du sirop de sucre dans les jeunes cervelles, mais pour leur apprendre l’amertume (« L’amer libère cependant du sucré et révèle la capacité de l’individu à s’ouvrir sur l’inconnu, l’ailleurs, l’insolite »), ce goût compliqué — l’amertume du pur moka sans sucre, la touche nécessaire d’amertume dans la pâte d’amande, et l’amertume exquise de l’huile d’olive — j’ai produit dix ans durant de l’huile de verdale, et j’en sais quelque chose, de ce qu’il faut d’amer pour exalter les douceurs d’une sucrine — ou d’une salade d’endives, amer sur amer — on dirait à nouveau Saint-John Perse. Souvenir au passage d’un débat avec l’immonde Peter Gumbel, qui veut pour les écoliers le bonheur tout de suite — et cinquante ans d’amertume et de Pôle Emploi derrière. L’Ecole est le lieu du bonheur différé.
Oui, mais voilà : on abreuve ces enfants de sucre, on les abrutit de glucides, on les maintient dans la classe biberon, au lieu de les « instituer », comme disait Montaigne — de les faire tenir debout. « En tant que produit financier, le sucre est devenu l’un des pires fléaux de l’humanité. Il est l’arme absolue de la malbouffe. » Mais mon cher, l’école du bonheur immédiat n’a d’autre but que la satisfaction financière — à court terme, celle des officiels ravis de trouver dans les pédagogies nouvelles des arguments à leurs petites économies (puisque les Savoirs sont désormais diabolisés, coupons dans les plages horaires du Français, des Maths, de l’Histoire), à long terme celle des industriels si contents de recruter des employés sans science ni conscience. Pur sucre.

« Amatrice de gelées et de coulis, d’émulsions et de pulvérisations, la grande cuisine contemporaine aime le mou doux qui se suce, se lèche et s’aspire. Et plus ça va, plus les faiseurs de tendances sont heureux. La dent, qui sert à ciseler, déchirer et mastiquer, est donc condamnée à disparaître du paysage gastrophysiologique humain. Le fameux mâchon lyonnais va bientôt se servir avec une paille… »
Le mou, le pré-maché, se retrouvent à l’identique dans les intentions des pédagos modernes. Rien ne doit causer d’effort, rien ne doit différer le bonheur de l’enfant, qui ne quitte le giron familial que pour retrouver un giron pédagogique. Ce n’est plus Claudine à l’école, entre dictées et problèmes, c’est Ma Chérie dans un lieu de vie, entre savoir-être et savoir-devenir. Ainsi se profile l’« abêtissement sensoriel » qui menace les générations futures — en sus de l’abêtissement tout court.

J’ai dénoncé en son temps ce « protocole de Lisbonne » qui avouait clairement que nous avions besoin de 10% de cadres et de 90% d’ilotes — beau projet qui ne donne guère envie d’être européen. Il faut penser toutes les révolutions pédagogiques effectives dans cette seule perspective — le système génère l’Ecole dont il a besoin. Il se fiche pas mal d’amener chacun au mieux de ses capacités, tant qu’on lui fournit sa livre de chair fraîche à usage immédiat et rentabilité maximale.
Figurez-vous qu’il en est de même de la viande, livrée sur les comptoirs des grandes surfaces bien trop tôt au gré des gastronomes — pour une sordide histoire de rentabilité. « Un aloyau de bœuf demande au moins un mois de mûrisserie avant d’être débité en boucherie » (« idéalement un mois et demi », précise-t-il ailleurs) et d’arriver dans nos assiettes, pour un plaisir gustatif maximal. Or, « attendre que la viande atteigne un niveau satisfaisant de maturation suppose une perte d’eau, donc de bénéfice pour le boucher puisque la bête a été payée au prix de sa pesée le jour de l’abattage ».
Comment ? que dites-vous ? De vulgaires intérêts financiers ne sauraient interférer ni avec l’avenir de nos enfants, ni avec nos papilles ? Nous ne saurions le tolérer ?
C’est pourtant ce que nous faisons lorsque nous achetons du Charal ou que nous professons du Meirieu. Oh, l’emballage brille, mais le contenu flirte avec l’escroquerie. Et c’est par facilité que nous nous adonnons aux plaisirs louches de la malbouffe et du constructivisme. L’école meurt de bonnes intentions mortifères. « La malbouffe, c’est toujours pour les pauvres » —l’école au rabais aussi, savez-vous…

Ultime légitimation pédagogique de la gourmandise : « La cuisine française est un cours d’histoire et de géographie. Elle est dessinée par les paysages, colorée par la saison puis révélée par la main de l’homme (…) La cuisine française, c’est le droit du sol, donc de la terre, en aucun cas le droit du sang. » La culture commence à l’agriculture. La terre ne ment pas, tant qu’on ne la livre pas à Monsanto. « L’agriculture paysanne, c’est le goût de la France ».
Pétainisme ! s’exclament les imbéciles — les mêmes qui pensent que « le vol-au-vent a des relents maurassiens », qu’il est « une bouchée fasciste ». « Il y a les cons qui parlent de la cuisine française en la qualifiant de franchouillarde et les salauds qui la dénigrent pour mieux se vendre à l’étranger. » Il y a une mondialisation noble, quand Joël Robuchon s’exporte et diffuse la France au bout de ses fourchettes, ou qu’un Américain à Paris trouve au beurre un usage inventif — dans Le Dernier tango. Il y a une mondialisation écœurante, quand on remplace le beurre de cacao par de l’huile de palme, quand le poulet de batterie devient aliment pour chiens, tant il est immangeable, et quand on nous bassine avec les résultats scolaires des Finlandais ou des Coréens, nous qui si longtemps avons su nous contenter d’être intelligemment français. Mais voilà : « La xénophobie antifrançaise est un mal à la mode »« il faut donc utiliser le mot terroir avec précaution et de la formule tradition avec parcimonie, sinon plane le risque de dérive lepéniste, vite invoquée par les contempteurs du rata cocardier ». Ou par les ingénieux inventeurs de programmes d’Histoire où le Monomotapa a remplacé les victoires napoléoniennes — exit le veau Marengo et le potage Bagration !

Légasse se lance parfois dans ce qui est pour moi de la poésie pure — le moment où le plaisir musculaire de l’énoncé sonore fait absolument sens au-delà de notre exigence analytique de signification. Il énumère ainsi des plats aux noms enchanteurs, dont la vibration seule fait saliver l’amateur : « bouillabaisse, bourride sétoise, revesset toulonnais, cotriade bretonne, marmite dieppoise, chaudrée charentaise, waterzoi flamand, ttoro basque »« Blanquette de veau, navarin d’agneau, poulet chasseur, lapin à la moutarde ou bœuf en daube »« tourin sarladais, caillette ardéchoise, farcidure limousine, pauchouse bressanne, crapiau morvandiau, garbure béarnaise, grenier médocain, beuchelle tourangelle, pounti cantalou, pithiviers poyaudin, tripoux auvergnats, piquenchâgne bourbonnaise, flognarde limagnole » — et autres plats aux intitulés exotiques.

Et de déplorer la disparition des cartes de la cuisine bourgeoise, au profit (le mot dit bien ce qu’il veut dire) de la « cuisine révolutionnaire des bobos décérébrés de la papille ». Je serais presque tenté d’établir une équivalence entre la tyrannie de la mode chez les bobos tentés par le moléculaire et l’impérialisme du diktat didactique chez les pédagogos ivres de compétences. Les uns et les autres fulminent contre ce qu’ils ignorent — cuisine traditionnelle ou savoirs exacts, dans tous les cas une culture « bourgeoise » dont Marx a expliqué, bien avant moi, qu’en attendant la problématique dictature du prolétariat elle était la seule.

La cuisine/la culture est un tout, non un conflit d’antagonismes et de coteries, elle est une addition de traditions et d’inventions, de particularismes dont la gamme complète élabore une harmonie des sens — dans toutes les acceptions du terme. Les régionalismes, qui ont donné à nos palais tant de délectations variées, sont complémentaires (et non rivaux) et forment tous ensemble la grande République du goût. « La cuisine bourgeoise, dit Périco, c’est celle qui est la plus près du peuple ». Eh bien, l’enseignement que je défends, c’est aussi celui qui s’adresse au peuple, à tout le peuple, étant entendu que tous ont droit aux mets les plus roboratifs et aux plus raffinés — et non à la lavasse du socle commun et au fast food des (in)compétences.

Dictionnaire impertinent de la gastronomie, Périco Légasse (Bourin éditeur)

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Hugo, ou rien

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victor hugo mcihel marmin

victor hugo michel marmin

Que reste-t-il encore à dire sur Victor Hugo ? Considéré par les Français, qui pourtant lisent de moins en moins, comme leur plus grand écrivain, porte-parole fiévreux de tant de causes humanistes dont la défense ne souffre plus aujourd’hui la moindre discussion, l’auteur des Contemplations et de L’Homme qui rit est sans aucun doute le champion des hommages, des révérences et des commémorations.

Le livre que Michel Marmin lui consacre aux Editions Chronique fait cependant le pari de le révéler autrement, en plaçant les péripéties de l’intime dans la chambre d’échos de l’Histoire, en détaillant scrupuleusement les contextes artistique, sentimental et politique des poèmes, pièces et romans de celui qui voulait être « Chateaubriand ou rien ». Il a pour cela recours à une remarquable profusion de témoignages d’époque (correspondances et critiques, croquis et gravures, photographies et caricatures, affiches circonstancielles et tableaux de maîtres) qui se révèlent non seulement informatifs et éclairants, mais également d’une grande beauté formelle, avec une mention particulière aux médaillons de David d’Angers, aux portraits d’Auguste de Châtillon, à un fusain d’Emile Bayard et surtout aux dessins superbes et bouleversants de Hugo lui-même.

Voici certainement une manière hugolienne d’appréhender la vie et l’oeuvre de ce géant littéraire, lui qui n’a cessé justement, dans ses romans monumentaux, de mêler à ses intrigues quantité de parenthèses sociologiques et d’apartés métaphysiques, sans négliger jamais de nous les conter avec ce même style empreint de sensibilité solennelle et de fougue qu’il accordait à la fiction, parvenant ainsi à relier le particulier à l’universel et non comme il est aujourd’hui d’usage, le singulier à la norme. En explorant de la sorte ce qui a pu nourrir ces textes à la fois profonds et extravagants, mélodramatiques et cependant incisifs, jamais manichéens mais toujours violemment idéalistes, Michel Marmin dresse alors le portrait d’une figure tutélaire : au travers d’une existence qui en épousa les soubresauts contradictoires, il rend en effet justice à ce XIXème siècle qui ne fut autre que la matrice de nos velléités et de nos aspirations, de nos errements aussi, nous les modernes qui cherchons partout, dans le paradoxe et le désordre, à ne pas succomber à la tentation du nihilisme.

De la naissance du Romantisme à l’agonie de la Restauration, de Ruy Blas à L’Art d’être grand-père, de l’espoir des Trois Glorieuses aux crimes de la Commune, d’Adèle Hugo l’épouse infidèle et attentionnée à Juliette Drouet, la maîtresse éperdue cinquante années durant, de l’exil à Guernesey aux grandioses funérailles parisiennes, il faut lire ce très bel hommage à l’un de nos bons géants nationaux, lequel demeure certainement, comme l’affirme Michel Marmin dans sa préface, « le meilleur antidote au doute, au désespoir et à l’ennui ».

*Photo : wiki commons.

Michel Marmin, Victor Hugo pour l’éternité (Editions Chronique),2012.

Kropotkine et ses potes

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kropotkine faure anarchie

kropotkine faure anarchie

Souvent, l’anarchisme passe pour une sorte de révolte juvénile liée à une crise d’adolescence prolongée. On arbore le A rouge et cerclé, éventuellement quelques attributs hérités de la contre-culture punk (bracelet clouté, bottines à lacets rouges, coiffure hérissée…), on chantonne l’éternel refrain des Sex Pistols, on confond Bakounine et Potemkine, et puis on passe à autre chose à moins de finir punk à chien… La petite anarchie pubertaire, passée à la moulinette de la culture publicitaire, n’est que le rite de passage à l’âge adulte.

L’anarchisme historique, le vrai, le pur, le dur, c’est une autre histoire ! C’est du sérieux, et ça ne rigole pas ![access capability= »lire_inedits »] Mais son rire est autrement virulent que les ricanements adulescents des anarchistes en herbe. Depuis Proudhon, l’anarchiste originel est plutôt barbu, puritain et grave, et surtout son passage à l’anarchisme signale une pensée devenue adulte − une fois sortie des illusions du pouvoir, de la richesse, de la (bonne) société…

Pour s’en convaincre, il faut relire les Mémoires d’un révolutionnaire de Pierre Kropotkine, récemment édités en français. Né en 1842 dans une famille de la haute et vieille aristocratie moscovite, le prince Kropotkine est très tôt un familier des plus hautes sphères du pouvoir. Élève de la prestigieuse École des pages, il devient intime du tsar Alexandre II, le libérateur des serfs, qui sombra ensuite dans une autocratie de plus en plus paranoïaque. Kropotkine, qui vécut en 1862 l’abolition du servage sur ses propres terres familiales, vit aussi la réaction nobiliaire se faire de plus en plus dure envers toute aspiration, même timide, à plus de justice et de liberté. Kropotkine fait partie de ces officiers émancipés et émancipateurs dont les efforts sincères seront étouffés dans l’œuf. Cosaque de l’Amour, géographe et explorateur, ses longues années sibériennes seront la matrice de sa maturité − passée au feu du désenchantement envers tout pouvoir, quel qu’il soit, de toute façon corrompu et corrupteur. Face à la centralisation croissante et à la mise en coupe réglée du pays par une nouvelle oligarchie, Kropotkine se penche avec passion sur les communes libres médiévales et le communisme rural pré-moderne.

En 1872, lors d’un séjour en Suisse, il adhère à l’Association internationale des travailleurs et se lie à la déjà mythique Fédération jurassienne marquée par la figure de Bakounine. C’est là, à trente ans, qu’il se convertit au « communisme libertaire » dont il sera l’un des grands théoriciens. Revenu en Russie, il se consacre à la diffusion du socialisme, en habit princier dans les salons et à la cour, en costume paysan dans les réunions clandestines. Cette double vie dure deux ans. Arrêté sur ordre d’Alexandre II, il est enfermé dans la vieille forteresse Pierre-et-Paul. Ce sera la première de ses prisons, qui lui inspireront de riches réflexions sur le système carcéral. Au bout de deux ans, une évasion rocambolesque lui permet de se réfugier en Grande-Bretagne, puis en Suisse où il fonde Le Révolté, se lie à Louise Michel, aux frères Reclus (Élie et Élisée). Expulsé en Angleterre, emprisonné en France, entre exils et prisons, manifestations et publications, toute sa vie se confond avec cet âge épique de l’anarchisme, ébullition d’où sortiront aussi bien la « propagande par le fait » d’Auguste Vaillant que le « nudisme révolutionnaire » d’Émile Armand.

Pendant ce temps, en Russie, la pression se fait de plus en plus forte, et les réformateurs acculés, les libéraux rentrés dans le rang, les populistes persécutés laissent la place aux nihilistes et socialistes révolutionnaires, dans un jeu pervers de terreur contre terreur entre cellules terroristes et agents tsaristes. La révolution sera confisquée par ses éléments les plus radicaux, les plus violents. Après quarante ans d’exil, Kropotkine rentre en 1917 en Russie à la faveur de la Révolution de février, qui l’enthousiasme. Il reçoit un accueil triomphal, et refuse un poste de ministre que lui propose Kerenski. Il s’oppose aux bolcheviks, rencontre Makhno, Voline, Shapiro, les grands noms de l’anarchisme russe que le nouveau pouvoir pourchassera et écrasera bientôt. Mis à l’écart après la Révolution d’octobre, il voit sa santé décliner et meurt en 1921. Cent mille personnes accompagnent son cercueil jusqu’au cimetière. La Tchéka surveille de près : c’est la liberté russe qu’on enterre.

Peu avant sa mort, il avait déclaré : « Les communistes, avec leurs méthodes, au lieu de mener le peuple vers le communisme, finiront par lui en faire détester même le nom. » Kropotkine avait près de 80 ans. Anarchiste jusqu’au bout.

Il laisse derrière lui une œuvre riche qui influencera durablement la pensée anarchiste et anarchisante, comme La Conquête du pain (1892), L’Entraide (1902) ou La Grande Révolution (1909) − ainsi qu’une étonnante somme posthume, L’Éthique (1922), hélas inachevée, qui marque un aboutissement théologique de sa pensée et un retour au christianisme.

C’est ce bouillonnement de la grande époque libertaire, auquel il a très activement participé, que tentera de mettre − intellectuellement − en ordre Sébastien Faure (1858-1942) avec des centaines de collaborateurs dans son Encyclopédie anarchiste publiée en 1934 − aujourd’hui en cours de réédition. Sébastien Faure est un des grands noms de la Belle Époque de l’anarchie française. Candidat du Parti ouvrier français de Jules Guesde aux législatives de 1885, l’ancien séminariste se convertit à l’anarchisme en 1888. À partir des années 1890, il devient un véritable tribun de la cause, enchaînant meetings houleux et conférences homériques dans tout le pays. C’est aussi l’ère des attentats, que cristallise la sombre figure de Ravachol. En 1894, Sébastien Faure est jugé lors du fameux « procès des Trente », qui suit l’assassinat du président de la République, Sadi Carnot, par l’anarchiste italien Caserio. Batteur d’estrade, inlassable prédicateur, il sera aussi un infatigable journaliste et éditeur : collaborant aux grands titres de la presse anarchiste, il fonde notamment, en 1895, le journal mythique Le Libertaire. Entre 1904 et 1917, il fonde et dirige l’école libertaire « La Ruche » qui offre un enseignement alternatif à des enfants démunis ou orphelins. Durant la Grande Guerre, il demeure un pacifiste intégral, contrairement à Kropotkine qui, avec le Manifeste des Seize prône, contre le « zimmerwaldisme » de Lénine et consorts, la guerre contre l’autocratie allemande. Faure lance, en 1915, le journal Vers la paix. Convoqué par le ministère de l’Intérieur, il doit jouer en sourdine mais, militant increvable, restera l’anarchiste le plus surveillé de France. C’est pour répondre au caractère scientifique de l’appareil marxiste qu’il lance, en 1930, sous forme de fascicules, l’Encyclopédie anarchiste. Sur les cinq volumes prévus, un seul volume de quatre tomes, le Dictionnaire anarchiste, sortira en livre en 1934.

En 1936, une centurie de la Colonne Durruti portera son nom dans les combats d’Espagne. Pendant l’Occupation, les Renseignements généraux notent qu’il est « déprimé physiquement et surtout moralement ». Il meurt discrètement en 1942. L’anarchie Belle-Époque, en col amidonné et moustaches Napoléon III, a vécu.[/access]

Pierre Kropotkine, Autour d’une vie. Mémoires d’un révolutionnaire, Éditions du Sextant, 2012, 476 pages, 26 euros.

Sébastien Faure (dir.), Encyclopédie anarchiste. A-C, Éditions des Équateurs, 2012, 606 pages, 29,90 euros.

RIP : JR est mort à Dallas

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L’inoubliable Larry Hagman, alias JR Ewing vient de mourir à l’âge de 81 ans des suites d’un cancer. Déjà assez connu dans son pays durant les sixties, suite à ses rôles dans de nombreux feuilletons à succès, il était devenu une star mondiale en 1978 avec son interprétation d’un milliardaire du pétrole dans la série Dallas.

Il faut dire que le personnage de John Ross Ewing était totalement novateur dans cet univers où normalement les méchants meurent dans d’atroces souffrances, ou sont au moins sévèrement punis à la fin de l’épisode ou de la saison (sauf le manchot du Fugitif, hein…)

JR Ewing, non seulement n’était jamais puni de sa fourberie, de ses mensonges et de ses incessantes magouilles politico-sentimentalo-financières, mais il s’en enrichissait sans cesse, et sans remords, ça va de soi.

Est-ce ce réalisme et ce cynisme assumés qui ont rendu JR sympathique, comme je le pense ? Ou bien est-ce parce qu’il était raccord avec l’idéologie des winners des années 80, de cette manière de voir et d’agir incarnée dans la vraie vie par Reagan, Thatcher et Tapie, comme l’expliquaient à l’époque beaucoup de spectateurs sincèrement outrés, tel Renaud qui vers 1985 descendait en flamme la série-culte dans son excellente chanson « J’ai raté Téléfoot »

« Après j’me suis regardé Dallas

Ce feuilleton pourri dégueulasse

Ça fait frémir le populo

De voir tous ces enfants de salauds

Ces ricains véreux pleins aux as

Faire l’apologie du pognon

De l’ordurerie et de la crasse

Y nous prennent vraiment pour des cons
Eh, maintenant qu’on est socialistes

Fini les feuilletons américains
On veut des feuilletons soviétiques

Et même des belges y en a des biens

Y’en a un c’est l’histoire d’une frite

Qu’est amoureuse d’un communiste… »

Toujours est-il que dans la vraie vie, il semblerait que Larry était le prototype du chic type. Linda Gray, qui jouait le rôle de sa femme, Sue Ellen, dans la série l’a veillé jusqu’à son dernier souffle. « Larry Hagman a été mon meilleur ami pendant trente-cinq ans (…) Il apportait la joie à tous ceux qu’il connaissait. Il était créatif, drôle, aimant et talentueux. Il me manquera énormément », a-t-elle déclaré dans un communiqué. On espère que les fans de JR ne seront pas trop déçus par ces révélations.

Dallas, hélas

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LARRY HAGMAN DALLAS

LARRY HAGMAN DALLAS

Larry Hagman est mort à 81 ans des suites d’un cancer. C’était JR, le méchant de Dallas. La série qui s’imposa planétairement de la fin des années 70 aux années 80, racontait les Atrides au Texas, avec ranchs et puits de pétrole à la place des palais mycéniens. Je me souviens que ça passait les samedis soirs sur la première chaîne et que finalement de vrais archétypes s’inscrivaient alors dans un imaginaire désormais mondialisé : le gentil frère, l’avocat revanchard, la femme alcoolique mondaine.
Ah Sue Ellen, qui est la première comparaison qui nous vient encore à l’esprit quand on voit, un peu pompette dans un cocktail, une quadra élégante et désespérée, ce qui est un pléonasme dans la France de 2012 où le féminisme a beaucoup œuvré pour la généralisation du célibat. Moi j’aimais bien, chez les femmes de Dallas, celle de Bobby, Victoria Principal avec sa frange et puis aussi, les jours de régressions mammaires, ce petit boudin blond de Lucy avec ses gros seins et son regard un peu bovin.

JR, c’était le salaud qu’on adorait détester. Il faisait des trucs ignobles pour garder le contrôle de l’entreprise familiale. Ce qui est amusant, c’est que cet ignoble capitaliste, aujourd’hui, apparaîtrait presque comme un humaniste. Il ne voulait pas se soumettre aux actionnaires, il ne voulait pas laisser l’entreprise paternelle aux mains des mous du genoux de sa famille, il se battait pour l’économie réelle et il avait un beau stetson, ce qui finalement était son seul point commun avec George W Bush, faux texan, pétrolier incompétent et président fils à papa.
Oui, JR, aujourd’hui, c’est le genre de gars qui intriguerait pour refuser d’appliquer le plan de compétitivité de Louis Gallois ou les directives européennes sur la concurrence. Parce que ce qui l’intéressait d’abord, JR, c’était de voir jaillir l’or noir de ses puits de pétrole et en tirer assez de pognon pour faire vivre la communauté. Je ne dis pas que JR était un champion de la redistribution mais aujourd’hui, il serait plus proche de Chavez que de Mitt Romney et question protectionnisme et redressement industriel de Montebourg ou Mélenchon que de Ron Paul ou Mario Draghi.
Vous me direz, c’est bien normal, puisque Chavez, tout le monde sait qu’il est très méchant aussi. Mais bon, comme pour beaucoup de choses, le capitalisme façon JR n’est plus qu’un souvenir du monde d’avant.

Pour vous en convaincre, pensez donc à visionner les 357 épisodes de Dallas.
Ça explique aussi bien ce qui s’est passé que Le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Eve Chiapello (Gallimard, 1999) où il n’y a aucune illustration représentant des filles sous la douche espionnées par un homme au sourire sardonique.

*Photo : Dallas Film Society Images.

Sulla strada

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dino risi fanfaron

dino risi fanfaron

C’était un 15 août.

Les rues de Rome désertes et caniculaires dormaient profondément. Nous étions au début des années 60. Vittorio papillonnait au volant de son Aurelia Sport à culasse rabotée. Collé sur le pare-brise, un carton indiquait « Camera Deputati » (Chambre des députés), ultime pied-de-nez aux Carabinieri et minable combine. Risible. À grands coups de klaxon italien et de tête-à-queue artistiques, Vittorio sautait de place en place à la recherche d’un téléphone. Jean-Louis lui ouvrit la porte de son appartement et de cette rencontre insolite naquit une amitié intéressée, sincère, joyeuse et funèbre. Vittorio était grand, 1,87 m pour 82 kg, roublard, scintillant et désabusé comme tous les héros romantiques. Polo blanc, bronzage cuivré, force de la nature et cœur d’enfant. Un fanfaron splendide, d’un naturel aussi désopilant qu’agaçant. La quarantaine triomphante quand elle commence juste à se fissurer pour émouvoir.

Vittorio parlait tout le temps. Il racontait sa vie, ses exploits, ses médiocrités, les femmes, les voitures, les nuits dansantes, l’argent, la vie en somme. Il se rappelait qu’un jour, Antonioni l’avait doublé dans une rapide Flaminia Zagato. Il avait conservé de ce dépassement fugace, une légère meurtrissure teintée d’un éblouissement respectueux pour les mécaniques vigoureuses. Il disait : « je ne connais rien de plus jouissif que de conduire », « je préfère le billard au vélo », « regarde pas le compteur, il retarde », « tu veux me laisser danser, je crée », « à l’assaut des petites teutonnes ! », etc… Il était drôle et désespéré.

Jean-Louis était sinistre, réservé, travailleur, pétri de bons sentiments, amoureux transi, détestable enfant modèle, sans vie en somme. Miracle du destin qui force deux êtres à s’unir vers une issue forcément tragique. Deux hommes lancés plein pot dans un spider sur les routes encombrées et brouillonnes d’une Italie qui étouffe. Des rires qui éclatent, des vérités criées à la volée, des mensonges susurrés, une bouillabaisse partagée, des verres de Campari bus en signe d’amitié, une nuit à la belle étoile sur une plage et cette bande-son, ce twist qui accélère les existences trop molles, trop bien réglées.

Et puis, les femmes, une multitude de femmes. Des visages qui aguichent, des corps qui repoussent, des mots qui blessent. Serveuses au regard sombre, baigneuses appétissantes, mamas replètes aux accents faubouriens. De cette mare nostrum, surnagent quelques beautés inoubliables, Catherine Spaak, la fille, une montagne de pureté et de désir infranchissable, et Luciana Angiolillo, l’ex-femme, d’une froideur incandescente.

Oui, c’était un 15 août. Un 15 août des années 60…

DVD Le Fanfaron de Dino Risi – Collection Les maîtres italiens SNC – Film remasterisé haute définition – Suppléments : Interviews Dino Risi – Vittorio Gassman – Annette Stroyberg – En vente le 28 novembre

Gardarem nos juifs !

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netanyahou hollande merah

netanyahou hollande merah

Je partage avec mes compatriotes juifs le malheur d’être français mais, catholique, je ne jouis point, comme eux, du redoutable privilège d’être juif. Si je me sentais menacé dans mon pays, où irais-je ? Ma misérable personne n’a aucune chance de trouver sous d’autres cieux une nationalité de substitution. Me présenterais-je même au Vatican, hâve et désespéré, tenant dans ma main haut levée les certificats de baptême de mes ascendants directs et indirects sur dix générations qu’on ne m’accorderait guère plus qu’une bénédiction mais, assurément, pas un visa et moins encore un passeport. Quant à Tel Aviv ou Jérusalem, où se déclarer français équivaut presque à se promener dans les rues en uniforme nazi, je ne saurais y espérer autre chose qu’un statut précaire de clandestin ![access capability= »lire_inedits »] Bref, si je quittais la France, désormais honnie du monde entier, je deviendrais un réprouvé de toutes les nations, un clandestin de toutes les frontières, menacé ici et là à cause de ma religion, mal venu partout par la faute de ma nationalité. J’inaugurerais la triste condition du Français universellement réprouvé, du catholique errant !

Mes concitoyens juifs disposent en revanche tout naturellement d’une position de repli, baignée par deux mers, dont une Morte, certes, et très salée, mais presque paisible et garantissant un taux de flottabilité bien supérieur à celui de la mer du Nord ! Il en est qui s’en vont, certains reviennent, d’autres s’établissent. Seront-ils, en grand nombre, sensibles à l’invitation que leur a lancée M. Nétanyahou, à Paris, le 31 octobre, et à son incantation « électorale » lancée le 1er novembre à Toulouse ?
La cérémonie du souvenir qui eut pour cadre l’école Ohr-Torah (ex-Ozar-Hatorah), fut de fort belle tenue. On y évoqua les figures des victimes de Mohamed Merah : les enfants, le directeur de l’école (tués parce qu’ils étaient juifs), et les trois soldats. Les témoignages du père de Myriam, Yaakov Monsonego (bouleversant), du père de Jonathan Sandler, directeur de l’école, exécuté en portant secours à ses deux petits, Gabriel et Aryeh, assassinés eux aussi, d’Eva Sandler, leur mère, veuve de Jonathan, resteront dans nos mémoires. Le président Hollande eut raison d’affirmer que la sécurité des juifs de France « n’est pas l’affaire des juifs mais celle de tous les Français ».

Après lui, M. Nétanyahou prit la parole, d’abord en français, puis en hébreu. Ce politicien roué mais de petite envergure, brutal par calcul plus que par conviction et moins encore par éducation (c’est un bourgeois bien élevé, m’a confirmé un ami, très au fait de la vie politique israélienne), me fit d’abord une excellente impression. Sans atteindre le niveau d’expression de l’homme d’État qu’il ne sera jamais, il sut trouver les mots de compassion vraie pour les victimes, et de sympathie pour notre pays. Puis, soudain, l’ambiance se transforma. Elle devint celle d’un meeting : M. Nétanyahou n’était plus le premier ministre d’un pays ami, mais un candidat en campagne « hors sol », le protecteur autoproclamé des juifs de France qu’il avait, la veille, lors d’une intéressante conférence de presse à l’Élysée (il s’y était déclaré prêt à retrouver les Palestiniens à la table des négociations), invités à rejoindre Israël pour leur sécurité (dont n’a hélas point bénéficié l’infortuné Rabin, assassiné par un « agité du local »), un militant énervé de la cause sioniste, associé, dans son pays, à un personnage aussi détestable que M. Lieberman. L’émouvante cérémonie se changea en réunion électorale, pauvrement scénarisée : des jeunes gens vinrent sagement prendre place derrière la puissante carrure de M. Nétanyahou, formant une frise de soutien presque trop joyeuse dans cette circonstance. La salle, à l’exception des officiels français, reprit en chœur les mots martelés avec une certaine véhémence par Benyamin Nétanyahou : « Am Israel Haï ! » (« Le peuple d’Israël vivra ! »). C’était fini ! Toute l’émotion, profonde, sincère, était brutalement balayée par cette manifestation, que la présence de François Hollande rendait incongrue. M. Nétanyahou prenait le contrôle de la salle, imposait son allure, sa morale, sa vision du monde.

D’officielle, la cérémonie devenait politique et, d’institutionnelle, elle se faisait, d’une certaine manière, confessionnelle. Tout le monde était ainsi pris en otage, capturé par un politicien en campagne : les juifs de France, le gouvernement, tous les Français. Que faisait alors le Président de la République française ? Venu pour apporter son soutien à des femmes, des hommes, des enfants accablés par le malheur, il se voyait contraint d’en être le spectateur, et de l’approuver. Malaise…

La menace qui pèse sur les juifs, en France, pèse sur tous les Français qui, tous, ont été révulsés par les événements atroces de Toulouse. Le crime de Merah n’était pas un crime français, mais l’acte d’un misérable en proie à ses démons intérieurs, saisi par terrifiante idéologie, vaine, sanguinaire et pleine d’obscurité qui, si elle prospère ici, n’a strictement rien à voir avec notre histoire. Israël est une démocratie dynamique, très sourcilleuse sur la question de la séparation des pouvoirs. Depuis une vingtaine d’années, une (petite) partie de son malheur lui vient de son élite dirigeante : Israël, son peuple, ses institutions n’ont pas une classe politique digne d’eux. Alors, mes chers compatriotes juifs, réfléchissez bien avant de faire votre alya : Israël est certes un beau pays, une nation jeune, vigoureuse, mais n’oubliez pas qu’il y a là-bas plein de Juifs et plein d’Arabes ![/access]

*Photo : Libération/Patrick Peccatte.

Mise à SAC (Capital)

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Dans le monde merveilleux de la finance, comme dans celui de l’olympisme, l’important n’est plus de participer mais de faire tomber des records. Madoff, Kerviel et maintenant qui sait, Steve Cohen. Il est le fondateur d’un des plus grands fonds spéculatifs de Wall Street, SAC Capital et fait l’objet d’une plainte de la part des Etats-Unis eux-mêmes, excusez du peu.

On reproche en effet, du côté de Washington, à SAC Capital un joli délit d’initié record de 276 millions de dollars. L’histoire est simple comme un coup de fil qui permet de remplir son compte en banque. Deux laboratoires pharmaceutiques, Elan et Wyeth qui sont des filiales de l’américain Pfizer, tentent de mettre au point un traitement sur la maladie d’Alzheimer. Les résultats sont très moyennement probants, ce qui va évidemment faire chuter le cours des actions. Mais ils se trouvent que deux conseillers de SAC Finance avaient pris langue avec un des chercheurs qui les a prévenus avant la publication du rapport sur les conclusions négatives. SAC Capital a donc vendu illico presto pour près d’un milliard de dollars d’action des deux labos, histoire d’anticiper et de se faire un peu de pognon sur les espoirs déçus de millions de malades.

Néanmoins, le pot aux roses a été découvert grâce aux remords du professeur Gilmann qui s’est soudain vaguement souvenu du sens du mot déontologie et qui en aussi profité pour négocier son immunité judiciaire. Il a d’ailleurs rendu intégralement les 186 000 dollars qu’il avait perçus lors de la jolie manip. Il a dû se dire qu’en matière de dépassements d’honoraires, il avait vraiment abusé sur ce coup-là.

Pendant le combat de coqs à l’UMP, Hollande fait l’autruche

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hollande ump mariage gay

hollande ump mariage gay

Le pouvoir socialiste ne pouvait espérer mieux. Le spectacle donné par les responsables coqs de l’UMP n’est pas seulement pitoyable; il occulte le reste de l’actualité, et notamment ce qui pourrait vraiment intéresser les Français. Pendant que les médias, réjouis d’une telle aubaine, focalisent notre attention sur la guerre Copé-Fillon, François Hollande et le gouvernement Ayrault s’enfoncent dans l’impopularité, la croissance est en berne, l’agence Moody’s sanctionne l’absence de réformes structurelles et dégrade la note de la France, les taux OAT remontent doucement et, surtout, le président de la République se retrouve empêtré avec son projet de mariage homosexuel.

Pour la gauche, ces derniers jours auront été exemplaires dans l’art d’utiliser la stupidité du camp adverse.

La mobilisation de samedi dernier contre le mariage homosexuel, en réunissant près de 200000 personnes fut indiscutablement un succès. Koltchak et Io Froufrou en ont fait d’excellents compte-rendus, qui soulignent chaque fois la diversité et la courtoisie des manifestants. Comme Corto l’a déploré, les médias ont tu l’ampleur du mouvement et les gauchistes ripostaient, non sans hargne, sur Twitter. Alors qu’ils sont toujours prompts à dénoncer les amalgames, ils n’hésitaient pas à caricaturer les manifestants en catholiques-intégristes-fachos-homophobes. Le lendemain avait lieu la manifestation de Civitas: elle fut perturbée par l’irruption des hystériques du FEMEN , avec un service d’ordre vite débordé et quelques échaufourrées. Les gonzesses qui étaient venues chercher le contact, armées de bombes lacrymogènes, pleurnichèrent aussitôt parce qu’elles avaient été bousculées. Le piège était grossier et on peut regretter, comme l’Amiral Woland, que quelques skinheads soient tombés dedans à pieds joints: des idiots utiles qui ont ainsi confirmé l’image caricaturale, celle des catholiques-intégristes-fachos-homophobes, que les médias et la gauche donnent d’eux. Les FEMEN ont réussi leur coup: on a oublié les 200000 manifestants de la veille. À ce sujet, on lira l’excellente analyse de Fikmonskov.

Ceci dit, les manifestations du week end ont quelque peu ébranlé les certitudes du Camp du Bien. Si bien que le Président de la République a semblé faire marche arrière. Mardi, devant les maires de France , il a expliqué que la loi sur le « mariage pour tous » devrait s’appliquer, si elle est adoptée, dans « le respect de la liberté de conscience ». Aussitôt, furieux, les fanatiques de la cause homosexuelle, ont exigé d’être reçus à l’Élysée et nous avons finalement vu François Hollande se désavouer : il a aussitôt «retiré» l’expression « liberté de conscience » qu’il avait utilisée devant les maires. François Hollande a ainsi apporté la preuve de son absence de conviction. C’est du Hollande typique : mou, toujours prêt à la reculade et au compromis. Il y a du Louis XVI chez ce type là et on ne serait pas étonné d’apprendre qu’il se passionne pour la serrurerie; reste à savoir si l’échafaud se trouve au bout du parcours.

Le revirement du président de la République, que la cacophonie à l’UMP a permis de minimiser, est significatif de notre vie politique : c’est le grand n’importe quoi, et tant mieux, apparemment, si on peut gagner ainsi des élections et en vivre. Or, le grand n’importe quoi, c’est ce qui abaisse la politique. C’est également ce que vit l’UMP. Comme François Hollande, Jean-François Copé et François Fillon n’ont pas de convictions: ils se battent pour des places. Quant à Marine Le Pen, elle ne fait pas mieux quand elle permet l’élection de François Hollande. Aujourd’hui, la droite se déchire parce qu’elle s’est vidée de tout contenu idéologique. Constamment intimidée par une pensée unique venue de la gauche, elle n’a de droite que le nom. D’ailleurs, si elle essaie de revendiquer ses valeurs, ses adversaires montent aussitôt au créneau pour dénoncer une droitisation: comme s’il était honteux, pour la droite, d’avoir des valeurs de droite. Copé et Fillon sont maintenant cramés : espérons que ce suicide politique aura permis de crever les abcès qui s’accumulaient.

*Photo : François Hollande.

Florange : bon pour la ferraille

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florange arcelor mittal

florange arcelor mittal

Résumé des événements précédents : Florange cité des morts violentes, Mittal d’abord puis une jeune femme noire défigurée, les cadavres nus se suivent, le suspect est en fuite, un ancien ministre semble impliqué et Muller nage comme tout le monde.

Le lendemain était un autre jour, le soleil perçait tant bien que mal les nuages grisonnants. Nos héros étaient confortablement installés dans le bureau de Muller, une pièce spacieuse meublée en design nord-coréen, à des années-lumière des trous à rats que l’on voyait naguère dans les feuilletons. Le poêle ronflait dans son coin, un grand bureau en acajou du Kamtchatka pour le patron, un petit en sapin suédois pour son adjoint et par une baie vitrée avec balcon l’on pouvait admirer l’ancienne usine. Aux murs étaient accrochés des peintures grasses d’un style réaliste ouvrier réalisées par un retraité de la sidérurgie, un italien qui ne pouvait s’empêcher de placer la Madone dans toutes ses toiles. Le commissariat de la Fensch est un bâtiment récupéré sur les friches industrielles, quelque part entre Hayange et Florange, qui fut réhabilité grâce à des fonds alloués pas l’Union Européenne, plus personne ne sait d’ailleurs pourquoi.

La filière liquide fermée en 2013, un repreneur semblant fiable en avait profité pour vendre les hauts-fourneaux à un ferrailleur avant de disparaître sans laisser de traces, le reste avait suivi. Les chinois, déjà installés sur l’autre rive de la Moselle avaient alors racheté le site en entier : centre commercial, complexe sportif, hôtels, casinos, golf, hôpital, école de commerce internationale, une mutation éclair avec l’aide d’investisseurs très divers : Qatar, Luxembourg, Corée du Nord ; sans oublier la grande mosquée et son école coranique payés par le royaume wahhabite.

Gallino versa un café à son chef, celui-ci le remercia et fit de même, puis ouvrant le petit réfrigérateur qui se trouvait dans le coin-cuisine, il en sortit un paquet soigneusement ficelé, et, saisissant une baguette de pain au passage il entreprit de déshabiller le précieux colis.
-Dio Cane ! S’écria Pippo, chef, c’est de la vraie Schmierwurst ? Mais où trouvez-vous ça ? Depuis que la vente de porc est interdite dans la commune…
-En Allemagne mon petit, le dernier boucher-charcutier de la région qui en vendait clandestinement a du s’exiler en Serbie après que les gardiens de la foi aient brûlé sa boutique.
Une forte odeur de purin provenant de la coulée continue voisine vint leur chatouiller les narines, rappelant fort à propos que la « cathédrale » vidée de ses machines à faire des brames était devenue un élevage de poulets industriel, propriété des frères Tang : dix millions de volailles caquetant dans les laminoirs.

La littérature de gare c’est bien joli mais passons aux choses sérieuses : Arcelor Mittal Florange, le malade en attente de décès (dans la dignité?). Les rumeurs commencent à circuler concernant la reprise éventuelle de la filière liquide, l’une d’elle fut même transformée par Les Echos comme une quasi certitude, démentie le surlendemain par le principal intéressé, c’est à dire le géant russe Severstal. Souvenons-nous qu’en 2006, lorsque Mittal lançait son OPA hostile sur le groupe Arcelor, le patron de l’époque Guy Dollé avait appelé son homologue, quoique milliardaire, russe Alexei Mordachov à la rescousse, le führer de Severstal justement. Un jeu de dupes dont les russes étaient sortis vexés et pour cause, il s’agissait de négocier en douce avec l’indien en agitant la « menace » russe, histoire d’arranger les affaires des actionnaires et du père Dollé lui-même avec lesquels tonton Lakshmi sut être reconnaissant… L’on nous ressert le même plat réchauffé 6 ans plus tard, la revanche du milliardaire échaudé, le diplômé de l’institut Togliatti de Leningrad prend sa revanche sur l’indien sans cœur, rions… Le géant russe, il est vrai dispose de grandes quantités de cash (2 milliards de dollars) avec lesquelles il achète à tour de bras de la sidérurgie ; récemment encore une usine dans le Maryland (USA) pour la modique somme de 810 millions de dollars, à Mittal justement ! Il avait déjà investi en Moselle dans une usine qu’il a revendu depuis : les métallos de la Fensch n’ont pas plus d’illusions à propos du caïd de Tcherepovets (oblast de Vologda) que d’un asiatique fantôme ou de la mafia sicilienne. Qui plus est un analyste d’une banque d’investissement, monsieur Galikhanov doute fortement de l’intérêt du site et surtout des hauts-fourneaux de Patural, trop vieux à son goût, Mordachov peut produire de l’acier à moindre coût partout dans le monde, à commencer par son pays natal. Par contre il est probable que tout le reste du site l’intéresse, particulièrement la tôle pour l’automobile et la partie emballage : secteurs que, justement, Mittal ne voudra pas lâcher…

On frappa, le gros, c’est à dire le médecin légiste, entra en trombe comme à son habitude, soufflant et rougeoyant, balançant sa sacoche ventrue sur le premier classeur à sa portée.
-Putain-con de la saucisse à tartiner, et trempée dans le café au lait, on ne se refuse rien, gastronomie locale prohibée mes cochons, j’aurais du amener le Pastis, il y en a pour moi ?
-Assieds-toi Pasqua, sers-toi, Pippo verse une tasse à monsieur le médecin légiste et sors donc la mirabelle pendant que tu y es… Alors quoi de neuf ?
-J’ai les résultats des autopsies, rapide hein le marseillais, comme le mistral, bon, dites-donc vous êtes deux sacrés pervers, aller fourrer votre nez dans la foufoune d’une négresse assassinée ! Mais vous vous êtes carrément gouré les gars !
-Que veux-tu dire ?
-Osez le clito amigo, votre connaissance de l’anatomie féminine laisse à désirer, passe encore pour le petit qui est un agneau de lait, mais toi Derrick ça m’étonne. Bref, son bouton, elle l’a encore, il est bien caché, par contre elle s’est fait faire une plastie des petites lèvres…
-Ma perque? fit Gallino, perdant soudain son français pour retrouver son idiome héréditaire.
-Coquetterie, esthétique, confort, tout est possible mon ami, disons qu’elle a échangé un garage pour 4X4 contre un garage pour une Clio.
-Comme cela est plaisamment et poétiquement dit, vulgaire et sexiste en diable Pasqua, tu es bien marseillais ! Et tous les trois de s’esclaffer bruyamment.
-Ceci étant, je connais la question les mecs, j’ai pratiqué dans une autre vie et je crois aussi savoir d’où vient votre greluche.
-Eclaire-nous phare du Prado s’écrièrent-ils en chœur.
-D’après sa morphologie, la couleur de sa peau, le peu qu’il reste des traits de son visage -snif- cette fille a tout d’une fallasha, une juive d’Ethiopie.
-Comment peux-tu deviner des trucs pareils ?
-Une autre vie, je te dis, j’étais rasta à l’époque cinquante kilos tout mouillé et je vivais en Israël avec une reine de beauté, chirurgie esthétique et culture de ganja dans la vallée du Jourdain. Je sais qui a opéré la bougresse, je reconnais son style, c’est Mordechai Rosenfeld de Tel Aviv, il exerce toujours dans une clinique privée pour milliardaires, et, tenez vous bien, regardez ce que j’ai trouvé sous la peau de son avant-bras :
Il déposa une minuscule capsule dorée sur le bureau.
– ???? dirent-ils de concert
– Un micro émetteur, balise et plaque d’identification à la fois, j’ai déjà contacté un vieux pote reconverti dans le trafic de cocaïne, votre victime n’est autre que « Black Diamond » l’agent 38 du Mossad…

Gourmandises

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Perico Legasse gastronomie

Perico Legasse gastronomie

J’avais, il y a déjà quelques années, fustigé les tendances délétères de certains lycées hôteliers, qui n’enseignent plus les fondamentaux de la vraie cuisine — celle qui se mange — afin de satisfaire la demande de groupes industriels cannibales, et les lubies de chefs adeptes de la cuisine décorative et médiatisés par « des programmes télévisés à l’huile de moi ». Des lycées influencés par la chimie culinaire d’Hervé This (« le meilleur allié de la malbouffe industrielle »), les pitreries d’Adrian Ferra (« caudillo de la ragougnasse intellectuelle mondialisée ») et les étoiles de Bibendum (« en train de se dégonfler »). Ces amabilités, et quelques autres, se trouvent dans le tout récent Dictionnaire impertinent de la gastronomie, écrit par le doux impétueux Périco Légasse, chroniqueur gastronomique si talentueux qu’il finira détesté par toute la profession.

Un écrivain se définit par ses références. Dis-moi qui tu cites, je te dirai qui tu es. Périco Légasse est homme de culture — et au fil de ces 283 pages, les auteurs évoqués dressent le portrait d’un jouisseur de mots qui font sens — bref, il veut du contenu dans son assiette intellectuelle, pas uniquement des virgules de sauce autour d’une supposée quintessence.
Cela commence dès l’exergue, emprunté à Saint-John Perse : « On périt par défaut bien plus que par excès ». Qui d’entre nous, qui voyons chaque jour les ravages du vide dans les jeunes cervelles, ne signerait pas une telle déclaration liminaire ? Suivent bien entendu toutes les fortes pensées des grands gastronomes — puis soudain, à l’article « Classes du goût » (créées par Jacques Puisais en 1975 pour réapprendre à manger à nos enfants — que dirait-il aujourd’hui…), soudain débarque Condorcet : « Sans instruction du peuple, le suffrage universel peut conduire à la dictature des imbéciles ». Ma foi, entre hamburgers mollassons et reddition scolaire, je crois que nous y sommes. La reconquête sera longue, et rude.

Que l’on ne s’imagine pas que je force en imaginant un parallèle entre gastronomie et pédagogie. « Accor est le symbole du « prêt-à-bouffer » [son manager général est l’ancien PDG de McDonald, Denis Hennequin] et participe, en tant que premier employeur dans l’hôtellerie-restauration, à l’effondrement du niveau dans les lycées professionnels. Les restaurateurs de métier et les maîtres d’apprentissage ayant fréquenté ces fabriques à crétins sont unanimes : si la plupart des élèves sont si nuls à l’issue de leur formation, c’est qu’il ne s’agit plus d’une formation mais d’une déformation. Que demande en effet le groupe Accor à l’enseignement hôtelier ? De lui fournir une main d’œuvre sachant manier la technologie alimentaire moderne et suivre une logique industrielle (décongeler, chauffer au micro-ondes, ouvrir les poches en plastique contenant les plats cuisinés) et non plus préparer un potage, monter une béarnaise ou brider un poulet. »  Ne pas en conclure que tous les établissements hôteliers sont tombés dans la même panade : « Même s’ils ne sont pas très nombreux, on trouve encore des établissements où l’on apprend aux jeunes à préparer à manger en respectant le produit, le terroir et la saison. Les autres sont des fabriques à crétins ».
On se demande où l’ami Légasse a trouvé une telle formule…

Des crétins qui des quatre saveurs, n’en retiennent pour la plupart qu’une seule — celle du bonheur lénifiant d’une enfance perpétuée. « Plus l’être humain évolue, plus il est à même d’apprécier l’amertume. Le sucré reste le goût référent de l’enfance, donné par la première goutte de lait. »
L’école n’est pas là pour verser du sirop de sucre dans les jeunes cervelles, mais pour leur apprendre l’amertume (« L’amer libère cependant du sucré et révèle la capacité de l’individu à s’ouvrir sur l’inconnu, l’ailleurs, l’insolite »), ce goût compliqué — l’amertume du pur moka sans sucre, la touche nécessaire d’amertume dans la pâte d’amande, et l’amertume exquise de l’huile d’olive — j’ai produit dix ans durant de l’huile de verdale, et j’en sais quelque chose, de ce qu’il faut d’amer pour exalter les douceurs d’une sucrine — ou d’une salade d’endives, amer sur amer — on dirait à nouveau Saint-John Perse. Souvenir au passage d’un débat avec l’immonde Peter Gumbel, qui veut pour les écoliers le bonheur tout de suite — et cinquante ans d’amertume et de Pôle Emploi derrière. L’Ecole est le lieu du bonheur différé.
Oui, mais voilà : on abreuve ces enfants de sucre, on les abrutit de glucides, on les maintient dans la classe biberon, au lieu de les « instituer », comme disait Montaigne — de les faire tenir debout. « En tant que produit financier, le sucre est devenu l’un des pires fléaux de l’humanité. Il est l’arme absolue de la malbouffe. » Mais mon cher, l’école du bonheur immédiat n’a d’autre but que la satisfaction financière — à court terme, celle des officiels ravis de trouver dans les pédagogies nouvelles des arguments à leurs petites économies (puisque les Savoirs sont désormais diabolisés, coupons dans les plages horaires du Français, des Maths, de l’Histoire), à long terme celle des industriels si contents de recruter des employés sans science ni conscience. Pur sucre.

« Amatrice de gelées et de coulis, d’émulsions et de pulvérisations, la grande cuisine contemporaine aime le mou doux qui se suce, se lèche et s’aspire. Et plus ça va, plus les faiseurs de tendances sont heureux. La dent, qui sert à ciseler, déchirer et mastiquer, est donc condamnée à disparaître du paysage gastrophysiologique humain. Le fameux mâchon lyonnais va bientôt se servir avec une paille… »
Le mou, le pré-maché, se retrouvent à l’identique dans les intentions des pédagos modernes. Rien ne doit causer d’effort, rien ne doit différer le bonheur de l’enfant, qui ne quitte le giron familial que pour retrouver un giron pédagogique. Ce n’est plus Claudine à l’école, entre dictées et problèmes, c’est Ma Chérie dans un lieu de vie, entre savoir-être et savoir-devenir. Ainsi se profile l’« abêtissement sensoriel » qui menace les générations futures — en sus de l’abêtissement tout court.

J’ai dénoncé en son temps ce « protocole de Lisbonne » qui avouait clairement que nous avions besoin de 10% de cadres et de 90% d’ilotes — beau projet qui ne donne guère envie d’être européen. Il faut penser toutes les révolutions pédagogiques effectives dans cette seule perspective — le système génère l’Ecole dont il a besoin. Il se fiche pas mal d’amener chacun au mieux de ses capacités, tant qu’on lui fournit sa livre de chair fraîche à usage immédiat et rentabilité maximale.
Figurez-vous qu’il en est de même de la viande, livrée sur les comptoirs des grandes surfaces bien trop tôt au gré des gastronomes — pour une sordide histoire de rentabilité. « Un aloyau de bœuf demande au moins un mois de mûrisserie avant d’être débité en boucherie » (« idéalement un mois et demi », précise-t-il ailleurs) et d’arriver dans nos assiettes, pour un plaisir gustatif maximal. Or, « attendre que la viande atteigne un niveau satisfaisant de maturation suppose une perte d’eau, donc de bénéfice pour le boucher puisque la bête a été payée au prix de sa pesée le jour de l’abattage ».
Comment ? que dites-vous ? De vulgaires intérêts financiers ne sauraient interférer ni avec l’avenir de nos enfants, ni avec nos papilles ? Nous ne saurions le tolérer ?
C’est pourtant ce que nous faisons lorsque nous achetons du Charal ou que nous professons du Meirieu. Oh, l’emballage brille, mais le contenu flirte avec l’escroquerie. Et c’est par facilité que nous nous adonnons aux plaisirs louches de la malbouffe et du constructivisme. L’école meurt de bonnes intentions mortifères. « La malbouffe, c’est toujours pour les pauvres » —l’école au rabais aussi, savez-vous…

Ultime légitimation pédagogique de la gourmandise : « La cuisine française est un cours d’histoire et de géographie. Elle est dessinée par les paysages, colorée par la saison puis révélée par la main de l’homme (…) La cuisine française, c’est le droit du sol, donc de la terre, en aucun cas le droit du sang. » La culture commence à l’agriculture. La terre ne ment pas, tant qu’on ne la livre pas à Monsanto. « L’agriculture paysanne, c’est le goût de la France ».
Pétainisme ! s’exclament les imbéciles — les mêmes qui pensent que « le vol-au-vent a des relents maurassiens », qu’il est « une bouchée fasciste ». « Il y a les cons qui parlent de la cuisine française en la qualifiant de franchouillarde et les salauds qui la dénigrent pour mieux se vendre à l’étranger. » Il y a une mondialisation noble, quand Joël Robuchon s’exporte et diffuse la France au bout de ses fourchettes, ou qu’un Américain à Paris trouve au beurre un usage inventif — dans Le Dernier tango. Il y a une mondialisation écœurante, quand on remplace le beurre de cacao par de l’huile de palme, quand le poulet de batterie devient aliment pour chiens, tant il est immangeable, et quand on nous bassine avec les résultats scolaires des Finlandais ou des Coréens, nous qui si longtemps avons su nous contenter d’être intelligemment français. Mais voilà : « La xénophobie antifrançaise est un mal à la mode »« il faut donc utiliser le mot terroir avec précaution et de la formule tradition avec parcimonie, sinon plane le risque de dérive lepéniste, vite invoquée par les contempteurs du rata cocardier ». Ou par les ingénieux inventeurs de programmes d’Histoire où le Monomotapa a remplacé les victoires napoléoniennes — exit le veau Marengo et le potage Bagration !

Légasse se lance parfois dans ce qui est pour moi de la poésie pure — le moment où le plaisir musculaire de l’énoncé sonore fait absolument sens au-delà de notre exigence analytique de signification. Il énumère ainsi des plats aux noms enchanteurs, dont la vibration seule fait saliver l’amateur : « bouillabaisse, bourride sétoise, revesset toulonnais, cotriade bretonne, marmite dieppoise, chaudrée charentaise, waterzoi flamand, ttoro basque »« Blanquette de veau, navarin d’agneau, poulet chasseur, lapin à la moutarde ou bœuf en daube »« tourin sarladais, caillette ardéchoise, farcidure limousine, pauchouse bressanne, crapiau morvandiau, garbure béarnaise, grenier médocain, beuchelle tourangelle, pounti cantalou, pithiviers poyaudin, tripoux auvergnats, piquenchâgne bourbonnaise, flognarde limagnole » — et autres plats aux intitulés exotiques.

Et de déplorer la disparition des cartes de la cuisine bourgeoise, au profit (le mot dit bien ce qu’il veut dire) de la « cuisine révolutionnaire des bobos décérébrés de la papille ». Je serais presque tenté d’établir une équivalence entre la tyrannie de la mode chez les bobos tentés par le moléculaire et l’impérialisme du diktat didactique chez les pédagogos ivres de compétences. Les uns et les autres fulminent contre ce qu’ils ignorent — cuisine traditionnelle ou savoirs exacts, dans tous les cas une culture « bourgeoise » dont Marx a expliqué, bien avant moi, qu’en attendant la problématique dictature du prolétariat elle était la seule.

La cuisine/la culture est un tout, non un conflit d’antagonismes et de coteries, elle est une addition de traditions et d’inventions, de particularismes dont la gamme complète élabore une harmonie des sens — dans toutes les acceptions du terme. Les régionalismes, qui ont donné à nos palais tant de délectations variées, sont complémentaires (et non rivaux) et forment tous ensemble la grande République du goût. « La cuisine bourgeoise, dit Périco, c’est celle qui est la plus près du peuple ». Eh bien, l’enseignement que je défends, c’est aussi celui qui s’adresse au peuple, à tout le peuple, étant entendu que tous ont droit aux mets les plus roboratifs et aux plus raffinés — et non à la lavasse du socle commun et au fast food des (in)compétences.

Dictionnaire impertinent de la gastronomie, Périco Légasse (Bourin éditeur)

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