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Dave Brubeck : time out

Le compositeur américain Dave Brubeck a trouvé la mort hier, dans un hôpital de la ville de Norwalk (Connecticut). À moins que ce soit la mort qui l’ait trouvé. Il avait 92 ans, ce qui est encore trop prématuré pour un artiste. Dave Brubeck avait connu une notoriété mondiale à partir de la fin des années 50 avec son jazz élégant, accessible, et son swing original marqué par un sens de la rythmique très diversifié. Au début des années 50 il fonde son fameux « Dave Brubeck Quartet » avec notamment le saxophoniste Paul Desmond, et en 1958 sort son plus grand succès discographique « Time out », comportant les tubes internationaux Blue rondo a la Turk (adapté par Claude Nougaro en À bout de souffle) et surtout Take Five. S’en suivront une pléiade d’albums jazz et de concerts du même métal tout autour du monde pendant plusieurs décennies.

Ce que l’on sait moins du White-jazzman Dave Brubeck, c’est qu’il n’a pas appris la musique sur le piano désaccordé d’un tripot clandestin de Chicago, mais en France, auprès de Darius Milhaud et brièvement auprès d’Arnold Schoenberg. On peut surtout mesurer avec le recul l’influence de l’univers du Milhaud de La création du monde, plein de syncopes et de rythmes furieux, sur l’imaginaire musical du jeune Brubeck. Ce dernier, outre son abondante production dans le jazz ( plus d’une centaine d’albums), a construit au fil des ans un catalogue de musique classique plutôt consistant, mais assez peu représenté au disque et au concert, dont une douzaine de messes, cantates, oratorios divers ; une pléiade de pièces pour piano seul ; plusieurs musiques de ballet et une étrange relecture du West Side Story de Leonard Bernstein.

Dave Brubeck a écrit de très nombreuses chansons méconnues aux styles très variés qui révèlent un compositeur touche-à-tout, capable d’évoluer dans des univers classiques complexes (à la limite de l’atonal), dans le swing jazzy, comme dans la love-song américaine pour crooner. Un thème sous-jacent se dégage de ces chansons celui de la nostalgie de la jeunesse (le splendide Once when I was very young qui ressemble à une folk-song anglaise à la sauce Britten ou Percy Grainger), ou encore la nostalgie des amours perdus (le très délicat Don’t forget me avec ses accents discrets d’Erroll Garner ou encore So Lonely cri de douleur de l’homme solitaire et le très doux There’ll be no Tomorrow à la longue introduction pour piano qui peut faire songer à Chopin). Il faut aussi écouter la majestueuse All my love, déclaration d’amour simple et généreuse sur un tapis de musique originale ne voulant ou ne sachant se décider entre classique et jazz. Voici une captation live de ce morceau en 2001 ; la ligne de la voix est confiée au saxophone, et le compositeur est au piano.

C’est à ce Brubeck rare et méconnu que nous voulions tirer notre chapeau. C’est celui-là qu’il faut se hâter de (re)-découvrir. Adieu l’artiste.

Décomplexé, ma non troppo

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droite gauche liberalisme

Même quand il ne ressemble pas aux caricatures faites par les bien-pensants, l’homme qui n’est pas « de gauche » y réfléchira à deux fois avant de se dire « de droite ».
La droite varie en même temps que la gauche ? Normal, elle n’est à droite que de la gauche.
D’ailleurs, la droite est plus souvent définie par la gauche que par elle-même.
Que dirait-elle, la droite, si elle était vraiment décomplexée ?
Elle dirait : « Je ne suis pas de gauche, et ça ne m’oblige pas à soutenir l’extrême contraire en tout point. »[access capability= »lire_inedits »]

Car la gauche d’aujourd’hui n’est pas la droite de l’extrême gauche, et la droite d’aujourd’hui n’est pas la gauche de l’extrême droite. Vu le socle de valeurs communes, sans lequel l’Europe n’existerait pas, on doit parler de « centre gauche » et de « centre droit ».
Pour moi, en tout cas, qui ne connais que des gens nés « de gauche », mieux vaut se définir comme « pas de gauche » que « de droite ».
Je m’explique. Comme « de gauche » prétend vouloir dire « généreux et ayant du cœur », se dire « de droite » voudrait dire : « Je suis un salaud cynique. »
Comme « de gauche » prétend vouloir dire « ne supportant pas la misère, dont les pauvres ne sont jamais responsables », se dire « de droite » voudrait dire : « Tant pis pour les pauvres, ces cons, qui n’ont qu’à s’en prendre qu’à eux-mêmes. »
Comme « de gauche » prétend vouloir dire « Vive le progrès et à bas tous les tabous ! », se dire « de droite » voudrait dire : « On ne touche jamais à rien. »

En un mot, comme la gauche, c’est bien, se dire « de droite » serait mal.
Cette alternative est complètement de gauche.

Elle est débile, et c’est pourquoi je suis franchement « pas de gauche » sans être « de droite ».
Car sans être un salaud cynique, je méprise le discours politique commandé par les bons sentiments et par la bonne conscience de gôche. Je lui préfère une politique qui est bonne par son intelligence des causes et par l’efficacité de ses mesures.

Cependant, certains principes font office de marqueurs. La gauche pense a priori que le fond de la société existante est mauvais, foncièrement mauvais, et que plus on le change et mieux c’est ; plus on égalise les conditions, et plus c’est juste.
Le « pas de gauche » que je suis pense que l’ordre existant n’est pas foncièrement mauvais quand il repose sur la liberté de l’individu. Mais il pense aussi que cet ordre est imparfait, et perfectible.
Le « pas de gauche » que je suis pense que tout changement n’est pas forcément bon, mais il pense aussi qu’on doit parfois bouger les bornes, sans les détruire.
Le « pas de gauche » que je suis pense que l’égalité des conditions n’est pas synonyme de justice, mais il estime qu’on peut donner à ceux qui sont nés sans beaucoup d’atouts des moyens d’être le plus autonome possible.

Mais comment vote-t-on quand on n’est pas « de gauche » ni « de droite » ? Pourquoi pas pour le centre ? Pour deux raisons.
La première est que le centre est de toute façon au pouvoir en France (et à Bruxelles), que ce soit avec une coloration de droite ou avec une légère teinture de gauche.
La deuxième, c’est que le clivage le plus pertinent oppose, de mon point de vue, le libéralisme à l’État paternaliste.

Mais comme je suis favorable aux salles de shoot et hostile à l’ISF, favorable à l’égalité absolue de droits et de dignité entre les femmes et les hommes, et favorable à la reconnaissance de la différence entre les deux sexes, je suis réduit à me définir par des principes plutôt que par une affiliation en forme d’alternative. La seule alternative qui vaille à mes yeux détermine si l’on est pour ou contre la primauté de la liberté individuelle. Et j’aimerais qu’on ne juge les solutions opposées des libéraux et des étatistes que sur leurs résultats.[/access]

*Photo : G!zM() 17.

Nizan, reviens, ils sont sans le sou !

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PAUL NIZAN PAUVRETE

Dans Aden Arabie, Paul Nizan écrivait en guise de premières phrases : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. »  Dans ce pamphlet de 1931, violemment antibourgeois et anticolonialiste, le jeune normalien surdoué, communiste, qui devait mourir héroïquement au feu en 40 après avoir rompu avec le Parti à la suite du pacte germano-soviétique, racontait son expérience de précepteur dans les années 20 au Moyen-Orient mais aussi et surtout analysait cette caractéristique particulière du capitalisme qui est de confisquer à la jeunesse les moyens d’une révolte légitime, soit en la transformant en chienne de garde, soit en l’excluant sans façon du festin.

On attend donc un nouveau Paul Nizan à la lecture du premier rapport de l’Observatoire de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), destiné au gouvernement et révélé par la presse ces jours-ci. Le taux de pauvreté des 18-24 ans atteint aujourd’hui 22,5%, selon le rapport de l’Injep alors qu’il est de 14% dans l’ensemble de la population. Cette pauvreté a progressé de 5 points depuis 2004. 16% des moins de 25 ans n’ont aucune perspective : pas de formation, pas d’études, pas d’emploi en vue. Et chaque année, cela s’aggrave. Le CDI est devenu pour le jeune aussi rare qu’un militant UMP serein ou un socialiste de gauche tandis que les étudiantes se prostituent de plus en plus fréquemment.

Donnés comme cela, ces chiffres occultent à quel point il peut y avoir quelque chose de sordide et de révoltant à vivre au jour le jour ses plus belles années dans un pays où jamais les richesses n’ont été aussi mal redistribuées et où la jeunesse n’est plus un atout pour les décideurs mais une simple variable d’ajustement.

Effectivement, vingt ans n’est toujours pas le plus bel âge de la jeunesse.

Mais il semblerait pourtant, malgré une discrétion de violette de la part des grands médias, que cette jeunesse précarisée, déboussolée, humiliée, prostituée… bande encore. On le voit du côté de Notre Dame-des Landes où la police de gauche défigure autant que la police de droite comme le raconte au célèbre organe anarcho-trotskiste Le Quotidien du Médecin cette doctoresse qui était sur les lieux et qui a eu du mal à s’en remettre.

Mais aussi du côté de Lyon, quand dans un grand silence médiatique, la manifestation franco italienne anti-Tgv Lyon –Turin, qui détruira la magnifique vallée de Suze, se déroule le 3 décembre alors que Monti et Hollande signent un énième accord sur la question, accord toujours déjugé par des opposants résolus qui résistent depuis de nombreuses années et empêchent les travaux de progresser. À Lyon, la police retrouva la méthode d’encerclement expérimentée lors du CPE et enferma les manifestants toute une journée dans une véritable nasse en alternant tirs de grenades lacrymogènes et charges à la matraque. Les caméras, évidemment, n’avaient d’yeux que pour Mario Monti, chef d’état non élu mais nommé comme à l’époque où il bossait pour Goldman Sachs et François Hollande chef d’état élu mais décidé à être un des meilleurs élèves du social-libéralisme.

On incitera donc cette jeunesse, à l’occasion, à voler dans une librairie Aden Arabie et à le lire en entier. Ils verront qu’il ne s’agit pas d’une simple déploration mélancolique comme le laisserait penser le début. Au contraire, ils trouveront dans les dernières lignes un programme d’action très clair : « Ils ne faut plus craindre de haïr. Il ne faut plus rougir d’être fanatique. Je leur dois du mal : ils ont failli me perdre. »

*Photo : saigneurdeguerre.

Fallait-il exhumer l’Etat palestinien fantôme ?

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mahmoud abbas israel palestine

Le 29 novembre dernier, l’Assemblée générale des Nations Unies, faute de majorité au Conseil de Sécurité, a été appelée à la demande de Mahmoud Abbas à conférer à la Palestine un statut d’Etat observateur non membre. Nous ne commenterons pas ici le côté ubuesque de la sacralisation d’un Etat dépourvu de frontières, de capitale reconnue, coupé en deux fractions ennemies sur deux territoires géographiquement séparés (Cisjordanie et Gaza) en état de belligérance permanent et représenté en Cisjordanie par une « Autorité » dotée d’un Président dont le mandat est expiré depuis plus de trois ans !

Voyons où en sont rendus les Arabes de Palestine soixante-cinq ans après le vote des Nations Unies du 29 novembre 1947 qui avait permis l’adoption de la résolution 181 afin de partager la Palestine mandataire en deux Etats : un Etat arabe et un Etat juif. En ce jour anniversaire de la résolution 181 qu’ils avaient rejeté et qui leur conférait pourtant un véritable Etat palestinien avec une continuité territoriale et une reconnaissance pleine et entière de la communauté internationale, les dirigeants palestiniens se sont retrouvés devant cette même institution à mendier, pour deux territoires irréconciliables, un statut d’Etat observateur.

Si la résolution 181 fut acceptée par les sionistes qui s’y référèrent lors de la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948, celle-ci fut aussitôt rejetée par les dirigeants arabes proche-orientaux. Sinistre présage des événements qui allaient sceller le destin de la région : le 29 novembre 1947, l’un des représentants arabes fit une déclaration sans équivoque devant l’Assemblée générale : « Toute ligne tracée par les Nations Unies ne sera rien d’autre qu’une ligne de sang et de feu. »[1. Abba Eban, Mon pays. L’épopée d’Israël moderne, Paris, Editions Buchet-Chastel, 1975.] Repoussant toute idée de partage territorial avec les sionistes, les Etats arabes (Irak, Egypte, Syrie, Liban, Transjordanie) et les leaders de Palestine, dont le célèbre grand mufti de Jérusalem Hadj Amin el-Husseini (allié d’Hitler pendant la guerre) entrèrent en guerre contre Israël le 15 mai 1948, c’est-à-dire le lendemain de sa création. Pour quelle raison l’appel pacifique lancé par David Ben Gourion lors de la déclaration d’indépendance de l’Etat hébreu fut-il ignoré par les dirigeants arabes ainsi que sa reconnaissance par les Etats-Unis et l’URSS ?[2. La déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël se termine comme suit : « Nous tendons la main de l’amitié, de la paix et du bon voisinage à tous les Etats qui nous entourent et à leurs peuples. Nous les invitons à coopérer avec la nation juive indépendante pour le bien commun de tous. L’Etat d’Israël est prêt à contribuer au progrès de l’ensemble du Moyen Orient. »]

Le refus d’accepter la résolution 181 dès son adoption en 1947 et le déclenchement de la première guerre contre Israël en 1948 démontrent que la motivation profonde des chefs arabes n’était pas d’établir un Etat palestinien mais d’empêcher par tous moyens la fondation et l’existence de l’Etat hébreu, nation non musulmane créée au cœur d’une région islamisée. En atteste également la création de l’OLP en 1964 pour « libérer la Palestine », conformément à son appellation. De quelle Palestine s’agissait-il sinon d’une Palestine « libérée d’Israël » tel qu’établi dans les lignes de 1948, c’est-à-dire avant les conquêtes de 1967 ? Le refus arabe de reconnaître l’existence du nouvel Etat avait été à l’origine de la première guerre israélo-arabe de 1948-1949, ouvrant le conflit israélo-arabe et le drame des réfugiés palestiniens.

La première victoire israélienne en 1949 permit à cet Etat, avec l’aide des Nations-Unies, d’agrandir le territoire qui lui avait été alloué en annexant la zone occidentale de Jérusalem, le Néguev et la Galilée. Pour sa part, la Cisjordanie fut annexée à la Transjordanie qui ne lui permit jamais d’espérer accéder à l’indépendance puisque l’émir Abdallah voulait établir un royaume hachémite palestinien. Depuis 1949, les guerres se sont succédé : 1956 (crise du canal de Suez), 1967 (guerre des Six Jours), 1973 (guerre du Kippour), 1982 (guerre du Liban). Puis ce furent les intifadas (1987 et 2000) et les opérations militaires israéliennes contre le Hezbollah (2006) et le Hamas (2008-2009 et 2012).

En dépit de certaines offres généreuses proposées par les Israéliens que Yasser Arafat, ancien chef de l’OLP, et Mahmoud Abbas crurent bon de repousser, combien de victimes, combien de souffrances, combien de destructions sans espoir à terme d’une solution au conflit ? En juillet 2000 lors du Sommet de Camp David II et en septembre 2008 à la suite de la proposition d’Ehud Olmert, alors Premier ministre d’Israël, les dirigeants de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat (en 2000) et Mahmoud Abbas (en 2008), rejetèrent tout compromis. Considérée par la communauté internationale comme étant la solution du conflit, la proposition israélienne de 2008 garantissait pourtant l’établissement d’un Etat palestinien sur la quasi-totalité des territoires, l’internationalisation du Mont du Temple, le partage de Jérusalem et l’acceptation de réfugiés palestiniens en Israël sur la base de réunifications familiales. Mahmoud Abbas repoussa catégoriquement cette proposition et déclara « en mai 2009 au journal américain Washington Post que le fossé entre ce qu’a proposé Ehud Olmert et ce que les Palestiniens sont prêts à accepter est (…) énorme.» Ainsi, malgré les gestes de bonne volonté d’Israël et certains efforts diplomatiques, les actions armées comme les tirs de roquettes sur Israël continuent et aggravent la situation (crise économique, morcellement des territoires palestiniens, guerre civile…), enfonçant la population palestinienne dans une plus grande détresse.

L’unilatéralisme d’Abbas, partagé cette fois par le Hamas, ne contribuera guère à améliorer la situation sur le terrain. Les Etats-Unis, Israël et d’autres nations non inféodées aux pays arabes (Canada, République Tchèque par exemple) estiment d’ailleurs qu’un véritable Etat palestinien ne pourra résulter que de négociations directes entre Palestiniens et Israéliens. Mais les dirigeants palestiniens sont-ils profondément animés par cette volonté ? Pour Abbas, l’objectif de cette reconnaissance consistera, entre autres, à saisir les instances pénales internationales afin de poursuivre Israël contre l’occupation des territoires. Territoires conquis en 1967 par l’Etat hébreu et qui constituent une monnaie d’échange contre la paix.

Pour la première fois dans l’histoire de l’ONU, un peuple, dont le but déclaré dans les chartes du Hamas et de l’OLP est d’anéantir un Etat, vient d’être reconnu en tant qu’Etat observateur. Au moment où la dépouille de Yasser Arafat est exhumée, le vote par la majorité automatique d’une résolution de l’Assemblée générale créant un Etat palestinien fantôme prend un sens macabre. Aussi qu’il soit permis de dire avec tristesse pour les victimes d’un conflit fratricide : tout ça pour ça !

*Photo : h2onews.

Royaume-Uni : Dieu et ma droite

tories david cameron UE

Las, si seulement René Rémond s’était penché sur les Tories, ce marigot d’ultras, partisans d’une monarchie musclée, éclipsés sous Cromwell, revenus au galop après la chute du « tyran » ! Les Tories sont nés traditionalistes et conservateurs. Leur devise : « God, King and Country ». En revanche, jusqu’au début du XXe siècle, ces défenseurs des grands propriétaires terriens luttent avec passion contre l’ouverture de la succession monarchique aux catholiques, l’indépendance des colonies américaines et le libre-échange.

En fait, si René Rémond s’était penché sur la droite britannique, il y aurait sûrement vu la Révolution française.[access capability= »lire_inedits »] Quand les Tories fondent le Parti conservateur, en 1832, ils se définissent en réaction contre tout ce qui pourrait rappeler de près ou de loin l’héritage de 1789 et, plus théoriquement, contre toute idée abstraite érigée en principe de gouvernement. À ce titre, leur maître à penser se nomme Edmund Burke, dont les écrits influencent encore aujourd’hui l’idée que les Britanniques se font de notre glorieuse Révolution. Considéré comme le fondateur du conservatisme politique anglo-saxon moderne, Edmund Burke est l’un des premiers philosophes à ériger la propriété privée comme fondement du progrès humain et la réforme, ordonnée d’en haut et aussi lente que possible, comme seul processus légitime du changement social. Il exècre toute forme de révolution qu’il laisse à ces sauvages de Français. Mais ce libéral ne partage pas l’absolutisme intransigeant d’un Joseph de Maistre à qui on l’a souvent comparé, ce qui explique peut-être qu’il ait toujours des lecteurs fervents.

Aujourd’hui, le repoussoir préféré de la droite britannique, mais aussi celui qui fait clivage en son sein, ne se trouve plus à Paris mais à Bruxelles. Tout conservateur doit se définir pour ou contre l’UE et les tabloïds conservateurs, du Daily Mirror au Daily Mail, ont fait de celle-ci leur souffre-douleur favori. Selon eux, la plupart des maux britanniques peuvent s’expliquer par les règles établies par Bruxelles et le grignotage de la souveraineté nationale.

Depuis la crise de l’euro et l’arrivée de la coalition conservatrice-libérale-démocrate au pouvoir en Grande-Bretagne, le Premier ministre, David Cameron, n’a cessé de batailler avec son aile eurosceptique. Quand, le 5 décembre 2011, il fait usage de son veto lors d’un sommet à Bruxelles, en présence de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel, à son retour à Londres, il est fêté en héros. Un an plus tard, le voici à nouveau l’otage de 53 députés conservateurs rebelles le sommant de négocier des coupes drastiques dans le budget européen pour mieux faire passer la pilule de mesures d’austérité draconiennes auprès de leurs ouailles.

De nombreux commentateurs politiques britanniques, comme Will Hutton, s’arrachent les cheveux : « Les Tories forment l’un des plus vieux partis politiques du monde mais leur longévité se fonde sur leurs relations avec une certaine bourgeoisie anglaise, celle des propriétaires terriens, et non sur des jugements politiques judicieux. Leurs positions, notamment en matière de politique étrangère, se sont pratiquement toutes avérées effroyablement idiotes. S’opposer aux Révolutions française et américaine, essayer de ralentir l’inéluctable fin de l’esclavage, prôner l’apaisement dans les années trente, résister à la décolonisation en Inde fut mal venu, pour ne pas dire pire. Les instincts de la droite britannique  − chauvine, impérialiste, isolationniste, anti-progressiste − ont toujours conduit à des calamités pour le pays. Aujourd’hui, encore une fois, notre droite nous conduit à la Bérézina. »

En attendant les prochaines élections générales, au printemps 2014, l’Europe restera  le cache-misère national et, puisque les Tories jouent à « Quittera, quittera pas ? », l’objet de tous les paris des bookmakers du royaume.[/access]

*Photo : conservativeparty.

En revenant du catéchisme

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À Versailles, deux événements suffisent à mettre les jeunes en émoi: l’arrivée du Pape et la défense du couple traditionnel. Un couple est dit traditionnel lorsqu’un homme épouse une femme et lui fait six enfants ; c’est dire si le projet socialiste du mariage pour tous – autrement dit du mariage homosexuel – agace la petite communauté chrétienne à laquelle, que je le veuille ou non, j’appartiens.

L’autre jour, comme je me trouvais au catéchisme, je me suis permis une petite fantaisie. Alors que le père Brûlard nous entretenait des voeux d’amour qui unissent un homme et une femme sous le regard attendri du Très Haut, je lui ai rappelé que, chez les Baruyas de Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’hétérosexualité était considérée comme une erreur. « Comment ça ? » m’a-t-il demandé. « Eh bien oui, ai-je insisté avec un petit rire probablement diabolique, le fait qu’un homme fasse l’amour à une femme n’est pas du tout bien vu chez eux. C’est une perte de temps qui éloigne l’homme de son travail, et, par voie de conséquence, met en péril la société ». Ma voisine Marie-Ange s’est aussitôt enquise du rôle de la femme chez ces sauvages, alors je lui ai répondu ceci : « On considère que l’enfant a deux pères : le sperme, et le Soleil. Certes, la femme est utile à titre de réceptacle, mais ce n’est pas d’elle que l’on attend vigueur et santé. Et c’est d’ailleurs pourquoi le mari lui fait boire son sperme de la même manière que nous prenons de la vitamine C avant de partir au bureau ». « Lui fait quoi ? », m’a-t-elle demandé. « Boire son sperme », lui ai-je répondu. « C’est dégueulasse », a-t-elle conclu sèchement.

Sans me démonter, j’ai ajouté que, dans cette société si prompte à voir dans les relations hétérosexuelles la cause de tous ses malheurs, rien n’était plus important que de sodomiser les jeunes garçons. « Ça suffit », a rétorqué le père Brûlard en faisant claquer son missel. Puis il a repris le fil de son exégèse, ce qui fait que je n’ai pas pu entretenir Marie-Ange des principes intangibles de l’homosexualité chez les Baruyas.

Affaire Cahuzac. Pourquoi tant de haine chez Médiapart ?

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jerome cahuzac mediapart

Aujourd’hui, les socialistes s’indignent (et peut-être à juste titre) des « révélations » de Médiapart sur le supposé compte suisse de Jérôme Cahuzac. « Propos diffamatoires », « affirmations délirantes », «  faux grossiers » dit le ministre, qui a immédiatement annoncé son intention de porter plainte.

Pourtant, il fut un temps où l’on n’était pas si regardant sur les allégations, forcément véridiques, du site d’Edwy Plenel. Souvenons-nous de l’affaire Woerth-Bettencourt où le site accusait (et peut-être à juste titre) le ci-devant ministre du budget (décidément, c’est un poste à hauts risques) des pires turpitudes. À l’époque, le PS avait avalisé en bloc toutes les accusations du site, allant jusqu’à demander, sur cette base, la démission de Woerth, voire celle de Sarkozy.

Cette propension à considérer que tout ce qui s’écrit sur Médiapart vaut d’être gravé dans le marbre est valable quel que soit le sujet, pour peu que le méchant soit de droite, et ça tombe bien, en général, c’est le cas.
Voilà ce qu’on pouvait lire par exemple il y a peine plus d’un un an sur le site national du PS : « Dans un article publié ce jour, le site d’information en ligne  Mediapart dévoile un document évoquant à nouveau la possibilité du financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, par l’abject régime de Kadhafi. Face à des éléments aussi graves, étayés par des documents nouveaux émanant de l’entourage du dictateur libyen lui même, Nicolas Sarkozy doit s’expliquer devant les Français. Si les faits révélés par Mediapart étaient définitivement confirmés  par d’autres documents ou les instructions judiciaires en cours, il serait alors établi que le président sortant a menti aux Français, pour dissimuler la réalité d’une très grave affaire d’Etat »

Parfois, cette admiration généralisée des militants socialistes pour Edwy, sa vie, son œuvre tourne carrément au panégyrique, un domaine où excelle l’inimitable Christophe Girard, maire adjoint de Paris en charge de la culture. Voilà ce qu’on pouvait lire sur son blog : « En quelques mois Médiapart est devenu un des nouveaux médias incontournables car courageux et professionnel, dans le droit fil d’une certaine presse américaine et je pense là en particulier au Washington Post et au New York Times avec un zeste de New Yorker. Pour que la démocratie fonctionne, la diversité des opinions est essentielle et elle ne peut vivre sans une large panoplie d’investigations et d’enquêtes. La France a tendance à se rétrécir et fonctionner de plus en plus en réseaux, clubs et lobbies et pratiquer l’endogamie et le népotisme. C’est inquiétant car la France avait pour habitude d’être un exemple de démocratie et de donner des leçons au monde entier. Merci Médiapart d’être si adulte et sérieux en étant si jeune et pourtant si fragile… »

Alors, on pourra s’interroger : comment se fait-il que Médiapart soit si ingrat envers ses amis socialistes -et ce d’autant plus que maintes collectivités locales PS contribuent au financement du site en souscrivant chaque année un ou plusieurs abonnements ?

Si ça se trouve, c’est parce que le PS est une grande maison. Et si ça se trouve, la réconciliation entre Aubry et Hollande (dont Cahuzac est très proche), c’était du pipi de chat. Et si ça se trouve Médiapart penche plutôt pour Martine que pour François. Si ça se trouve, j’ai même en ma possession des enregistrements qui le prouvent. Ou pas…

Mali : le trouble jeu d’Alger

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algerie mali bouteflika

Au milieu des va-et-vient et des soubresauts complexes de l’affaire malienne, l’Algérie semble, vaille que vaille, maintenir une position ferme et constante : celle du double (ou du trouble) jeu. C’est en tout cas l’impression que confirme la presse algérienne lorsque, dans plusieurs articles parus début décembre, elle reproche au gouvernement malien d’avoir refusé de venir à Alger rencontrer les représentants d’Ançar Eddine et du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) – et d’avoir ainsi torpillé « les négociations entamées par l’Algérie pour mettre en échec la recherche d’une solution pacifique à la crise au nord du Mali »[1. Mounir Abi, Le Temps d’Algérie, 3 décembre 2012]. Une crise dans laquelle l’Algérie, bien qu’elle se prétende soucieuse du seul intérêt collectif, apparaît sous les traits peu flatteurs du pompier pyromane – ou plus exactement, du gendarme qui pactise avec les voleurs, et refuse obstinément que d’autres interviennent à sa place.

« Jusqu’à présent », soulignait l’été dernier un observateur bien informé, « le régime algérien a prétendu s’autoproclamer le gendarme du Sahel et être le chef de file d’une structure régionale de lutte contre le terrorisme. » Mais un gendarme qui paraît s’entendre comme larron en foire avec les voleurs.

À cet égard, on peut évoquer deux faits bien connus. D’abord, les négociations que l’État algérien a entrepris en sous main avec certains groupes jihadistes : « De source proche des services de sécurité algériens », signalait ainsi l’agence Reuters le 15 octobre dernier, « on rapporte que les autorités d’Alger ont eu des discussions ce mois-ci avec le groupe islamiste Ansar Dine, également présent au Mali et proche d’Aqmi ». Le même article citait la remarque d’un ambassadeur en poste à Alger avouant ne pas comprendre « pourquoi (l’Algérie) refuse d’agir »

Négociations d’un côté, mais tolérance hautement  suspecte de l’autre, à l’égard du Polisario, dont les camps sont situés sur le territoire algérien – y compris lorsque ce dernier participe plus ou moins directement à la déstabilisation de la région. C’est ce que soulignait un article largement repris par la presse malienne fin octobre 2012 : après avoir évoqué le renforcement des groupes islamistes sévissant au nord Mali par des combattants du Polisario, l’auteur  y pointait du doigt la responsabilité de l’Algérie, tant dans le contrôle de ses territoires et des camps du Polisario, que dans « le pourrissement de la situation sécuritaire dans toute la région sahélo-saharienne »[2. Farid Mnebhi, « Danger au Mali : le polisario renforce les terroristes islamistes », Mali actu, 26 octobre 2012.]

Le 15 octobre, deux semaines après la réunion sur le Sahel au cours de laquelle le président Hollande avait souligné la gravité de la menace terroriste au Nord-Mali, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l’unanimité la résolution 2071 – présentée par la France et co-parrainée par les trois membres africains du Conseil de sécurité (Afrique du Sud, Maroc, Togo). Cette résolution, qui appelle les autorités maliennes à engager un dialogue politique avec les groupes rebelles, demande au Secrétaire général des Nations unies de présenter un rapport sur la base duquel le Conseil de sécurité pourra autoriser le déploiement d’une opération africaine au Mali, avec pour objectif de permettre aux Maliens de recouvrer leur souveraineté et l’intégrité de leur territoire et de lutter contre le terrorisme international.

De leur côté, pourtant, les autorités d’Alger semblent ne vouloir laisser aucune marge de manœuvre significative à la France, et refusent d’accorder la moindre place au Maroc – en bref, elles ferment la porte au pays qui est à l’origine de la résolution 2071, et à l’un des trois pays africains qui l’a parrainée, qui ont en commun d’être, avec elle, les plus susceptibles de mener une intervention efficace. Là encore, la position algérienne se caractérise donc par son ambiguïté, voire, par sa duplicité.

Fin septembre, lors d’une audience accordée au ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius, Abdelaziz Bouteflika aurait ainsi admis qu’il faut agir militairement au Mali tout en refusant « officiellement— toute ingérence étrangère en Afrique»[3. Slate Afrique 28 septembre 2012]. L’Algérie, notait à ce propos Frédéric Pons, demeure ainsi « fidèle à ses habitudes d’opacité », se déclarant « hostile à toute intervention internationale dans son arrière-cour sahélienne, à plus forte raison en cas de présence française affichée. »[4. F. Pons, Valeurs actuelles, 4 octobre 2012.]

Dans le même sens, l’Algérie se montre hostile à toute intervention du Maroc – malgré la bonne volonté montrée par le royaume chérifien dans ce dossier-, et cherche à l’exclure de toutes les structures régionales de coopération en matière de sécurité dans la région.  Un ostracisme strict, dont la presse se fait écho : pour le quotidien algérois La Tribune, par exemple, une alliance maroco-malienne constituerait « un élément de blocage pour toute solution politique aux problèmes qui surviennent dans la sous-région. Vouloir faire de militants indépendantistes des terroristes ne peut qu’ouvrir la voie à des guerres dures et longues. Un pas que les Maliens et leurs alliés marocains semblent avoir franchi pour mettre la région dans une sorte de fait accompli et une impasse qui risque de durer longtemps et porter les germes d’une instabilité contagieuse »[5. A. Echikr, La Tribune, 5 octobre 2012.]

Une fois ce double jeu constaté, on peut s’interroger sur ses raisons (et de là, sur sa pérennité). À son propos, de nombreuses explications ont été avancées.
D’abord, la persistance des ambitions hégémoniques de l’Algérie dans la région – en contradiction avec une action qui consisterait à favoriser la coopération, et au-delà, l’intégration maghrébine. D’où le refus opiniâtre de toute intervention marocaine dans le dossier malien – en utilisant l’argument controuvé selon lequel le Maroc ne serait pas un « pays du champ », c’est-à-dire, un pays en contact frontalier avec la zone en question : ce qui n’est vrai que si l’on dénie au Maroc, et c’est bien là tout le problème, la possession de la zone saharienne reconquise en 1975 mais que l’Algérie, derrière le masque du Polisario, aimerait tant s’adjuger à elle-même. Pas de concurrence.

Seconde raison, le soutien que l’Algérie apporte au Polisario pour des raisons idéologiques (le bon vieux droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, décidément accommodable à toutes les sauces) et surtout géostratégiques (dans le but de se ménager une fenêtre sur l’Atlantique grâce à la création d’un État tampon Sahraoui), la place dans une situation de porte-à-faux. Un situation  qui a d’ailleurs été très précisément décrite par le premier ministre du Mali, cheikh Modibo Diarra, dans son discours aux Nations Unies du 27 septembre : « C’est le lieu de réaffirmer la détermination du Gouvernement du Mali à poursuivre l’œuvre entamée avec les autres pays du champ dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale organisée et les velléités irrédentistes et subversives dans la bande sahélo-saharienne. » Même si le régime récuse tout parallélisme entre le séparatisme malien et le séparatisme sahraoui, comment l’Algérie se sentirait-elle à l’aise dans ce dossier, elle qui soutient depuis l’origine l’une de ces rebellions irrédentistes ?

Enfin, dernière raison plausible, la peur panique d’une déstabilisation interne en cas d’intervention : épargnée jusqu’ici, grâce à l’utilisation de moyens plus ou moins avouables, par les effets du « printemps arabe », l’Algérie pourrait, en intervenant dans une telle entreprise, être secouée à son tour par le vent de la rénovation – d’autant qu’elle présente objectivement les mêmes défauts qui ont fait flamber les révolutions en Égypte ou en Tunisie.
Dans ces conditions, comment l’Algérie pourrait-elle jouer sincèrement le jeu de la stabilisation, alors qu’elle a, sinon intérêt à l’instabilité, du moins de fortes raisons de faire prévaloir l’immobilisme, aussi bien interne que régional ? Et comment croire qu’elle acceptera de changer son fusil d’épaule ?

*Photo : United Nations Photo.

L’ex-commissaire Michel Neyret préfère le pâté en croûte aux bœuf-carottes

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L’excellent quotidien régional Le Dauphiné nous informe, photo à l’appui, que la première apparition publique de l’ex numéro deux de la PJ lyonnaise Michel Neyret, tout juste sorti de détention préventive et définitivement révoqué, a eu lieu le 2 décembre dernier à Tain-l’Hermitage, dans la Drôme, à l’occasion du traditionnel championnat du monde du pâté en croûte. Cette manifestation de haute tenue gastronomique rassemblait des cuisiniers venus du monde entier venus présenter leurs créations à un jury composé des plus prestigieux chefs étoilés Michelin de la région Rhône-Alpes comme Anne-Sophie Pic, Régis Marcon, Christian Têtedoie ou Mathieu Viannay.

Michel Neyret, membre de la Confrérie du pâté en croûte, organisatrice de la manifestation, avait fait l’objet, en 2011 d’une enquête serrée de l’inspection générale des services de la PJ, familièrement appelés boeuf-carottes dans le milieu policier, en raison de leur propension à faire mijoter dans leur jus ceux qui tombent entre leurs griffes. Neyret, qui a passé huit mois  en détention provisoire est mis et examen pour corruption, trafic de stupéfiants et autres chefs d’accusation liés à son activité de flic à l’ancienne, n’hésitant pas à se salir les mains pour faire tomber des cadors du grand banditisme. Le 7 septembre 2012, il avait été chassé comme un malpropre de la Grande Maison par l’impitoyable Manuel Valls. Mais que peut bien cacher la passion affichée de Neyret pour le pâté en croûte ?

La lecture des roman feuilletons du XIXème siècle serait fort utile aux responsables de l’administration pénitentiaire qui auront, peut-être, l’honneur d’accueillir Neyret en pension pour quelques années à l’issue de son procès : les pâtés en croûte envoyés  par leur famille aux prisonniers cachaient souvent les limes indispensables au succès d’une évasion.

Cécile Duflot veut excommunier l’Eglise

cecile duflot eglise mariage gay

Alors qu’on attendait un acte de contrition de la majorité à l’endroit de l’Eglise Catholique, interpellée un peu rudement sur un sujet où on ne saurait lui reprocher son inactivité, le Président du groupe PS à l’Assemblée en a remis une couche, ce mardi matin : « Je pense qu’elle peut faire encore plus », a dit Bruno Le Roux sur RFI.

La sortie du ministre du logement Cécile Duflot demandant à l’archevêché de Paris de mettre à disposition certains de ses bâtiments inoccupés pour les mal logés ou les sans abris, provoque depuis quelques heures de vives réactions. Il est vrai que l’institution n’a pas à rougir de ses nombreuses actions dans ce domaine, mais que fidèle à l’évangile de Saint Matthieu, elle ne fait pas sonner la trompette et ne se donne pas en spectacle pour obtenir la gloire des hommes.

Mais plus intéressant que ces propos vexatoires et réitérés (sed perseverare diabolicum…) auxquels l’Eglise répondra en tendant l’autre joue, c’est le curieux jeu qu’entretient le gouvernement actuel avec les autorités ecclésiastiques. Car il ne fait nul doute que la salve orchestrée depuis le début de la semaine reproche moins à l’Eglise son prétendu manque de solidarité pour les plus démunis que sa farouche opposition de « mariage pour tous » qui agite de plus en plus la société, comme l’a d’ailleurs évoqué Monseigneur Dubost, invité sur RTL lundi matin.

Jeudi dernier, lors de l’audition à l’assemblée nationale des responsables des grandes religions sur la question du mariage homosexuel et de l’adoption, on entendait des militants arguer que les députés n’avaient pas à écouter le cardinal, que ce dernier devait surtout s’occuper de son culte (sic), tandis que dans les sous-sols du palais Bourbon, Monseigneur Vingt-trois se voyait expliquer non seulement ses erreurs d’appréciation mais aussi l’illégitimité qu’il avait à intervenir sur le débat. In fine, les responsables religieux disposeront de quatre minutes chacun pour s’expliquer sur le sujet, une broutille lorsque l’on sait à combien de reprises et lors d’entretiens à rallonges, furent reçues les associations partisanes du « mariage pour tous ».

On n’y comprend plus rien. D’un côté, l’Eglise devrait se taire sur un sujet anthropologique majeur et qui la concerne au même titre que tout un chacun, d’un autre côté, elle est sommée d’agir pour l’Etat –ce qu’elle fait déjà- alors qu’on remet en cause sa légitimité, à intervenir dans un débat épineux qui agite la société civile. « Je ne comprendrais pas que l’Eglise ne partage pas nos objectifs de solidarité. Pour moi, ce n’est pas une simple question légale, c’est un choix de société » assène le ministre du logement. Et pas le mariage pour tous ? « Que ta main gauche ignore ce que fais ta main droite » ce coup-ci ? Cécile Duflot, qui tente de minimiser la polémique, croit tout de même bon d’ajouter que « sur le mariage des prêtres, par exemple: il est légitime que certains souhaitent vivre en couple et avoir des enfants. D’ailleurs, beaucoup l’ont fait, et il y en a probablement un parmi [ses] ancêtres. ». Vous avez bien lu : l’Eglise n’a pas son mot à dire quant aux mutations anthropologiques décisives que le législateur va introduire et encourager en bouleversant le droit du mariage et de la famille, et il revient de surcroît aux représentants de l’Etat de se faire les arbitres des élégances rituelles.

En matière de laïcité, de neutralité, de séparation, de vivrensemble, bref de tout ce que nos représentants nous abreuvent à longueur de déclarations en se faisant les chevaliers du Bien, on a déjà vu mieux. Comme la stigmatisation de la paille oublie la poutre, le discours sur la sécularisation s’avère unilatéral, l’Eglise étant fonctionnaire dès lors que l’Etat en décide, et doit fermer sa gueule ou bien démissionner en cas de débat sociétal qui fâche. Un peu comme un ministre finalement.

*Photo : philipperouget.

Dave Brubeck : time out

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Le compositeur américain Dave Brubeck a trouvé la mort hier, dans un hôpital de la ville de Norwalk (Connecticut). À moins que ce soit la mort qui l’ait trouvé. Il avait 92 ans, ce qui est encore trop prématuré pour un artiste. Dave Brubeck avait connu une notoriété mondiale à partir de la fin des années 50 avec son jazz élégant, accessible, et son swing original marqué par un sens de la rythmique très diversifié. Au début des années 50 il fonde son fameux « Dave Brubeck Quartet » avec notamment le saxophoniste Paul Desmond, et en 1958 sort son plus grand succès discographique « Time out », comportant les tubes internationaux Blue rondo a la Turk (adapté par Claude Nougaro en À bout de souffle) et surtout Take Five. S’en suivront une pléiade d’albums jazz et de concerts du même métal tout autour du monde pendant plusieurs décennies.

Ce que l’on sait moins du White-jazzman Dave Brubeck, c’est qu’il n’a pas appris la musique sur le piano désaccordé d’un tripot clandestin de Chicago, mais en France, auprès de Darius Milhaud et brièvement auprès d’Arnold Schoenberg. On peut surtout mesurer avec le recul l’influence de l’univers du Milhaud de La création du monde, plein de syncopes et de rythmes furieux, sur l’imaginaire musical du jeune Brubeck. Ce dernier, outre son abondante production dans le jazz ( plus d’une centaine d’albums), a construit au fil des ans un catalogue de musique classique plutôt consistant, mais assez peu représenté au disque et au concert, dont une douzaine de messes, cantates, oratorios divers ; une pléiade de pièces pour piano seul ; plusieurs musiques de ballet et une étrange relecture du West Side Story de Leonard Bernstein.

Dave Brubeck a écrit de très nombreuses chansons méconnues aux styles très variés qui révèlent un compositeur touche-à-tout, capable d’évoluer dans des univers classiques complexes (à la limite de l’atonal), dans le swing jazzy, comme dans la love-song américaine pour crooner. Un thème sous-jacent se dégage de ces chansons celui de la nostalgie de la jeunesse (le splendide Once when I was very young qui ressemble à une folk-song anglaise à la sauce Britten ou Percy Grainger), ou encore la nostalgie des amours perdus (le très délicat Don’t forget me avec ses accents discrets d’Erroll Garner ou encore So Lonely cri de douleur de l’homme solitaire et le très doux There’ll be no Tomorrow à la longue introduction pour piano qui peut faire songer à Chopin). Il faut aussi écouter la majestueuse All my love, déclaration d’amour simple et généreuse sur un tapis de musique originale ne voulant ou ne sachant se décider entre classique et jazz. Voici une captation live de ce morceau en 2001 ; la ligne de la voix est confiée au saxophone, et le compositeur est au piano.

C’est à ce Brubeck rare et méconnu que nous voulions tirer notre chapeau. C’est celui-là qu’il faut se hâter de (re)-découvrir. Adieu l’artiste.

Décomplexé, ma non troppo

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droite gauche liberalisme

droite gauche liberalisme

Même quand il ne ressemble pas aux caricatures faites par les bien-pensants, l’homme qui n’est pas « de gauche » y réfléchira à deux fois avant de se dire « de droite ».
La droite varie en même temps que la gauche ? Normal, elle n’est à droite que de la gauche.
D’ailleurs, la droite est plus souvent définie par la gauche que par elle-même.
Que dirait-elle, la droite, si elle était vraiment décomplexée ?
Elle dirait : « Je ne suis pas de gauche, et ça ne m’oblige pas à soutenir l’extrême contraire en tout point. »[access capability= »lire_inedits »]

Car la gauche d’aujourd’hui n’est pas la droite de l’extrême gauche, et la droite d’aujourd’hui n’est pas la gauche de l’extrême droite. Vu le socle de valeurs communes, sans lequel l’Europe n’existerait pas, on doit parler de « centre gauche » et de « centre droit ».
Pour moi, en tout cas, qui ne connais que des gens nés « de gauche », mieux vaut se définir comme « pas de gauche » que « de droite ».
Je m’explique. Comme « de gauche » prétend vouloir dire « généreux et ayant du cœur », se dire « de droite » voudrait dire : « Je suis un salaud cynique. »
Comme « de gauche » prétend vouloir dire « ne supportant pas la misère, dont les pauvres ne sont jamais responsables », se dire « de droite » voudrait dire : « Tant pis pour les pauvres, ces cons, qui n’ont qu’à s’en prendre qu’à eux-mêmes. »
Comme « de gauche » prétend vouloir dire « Vive le progrès et à bas tous les tabous ! », se dire « de droite » voudrait dire : « On ne touche jamais à rien. »

En un mot, comme la gauche, c’est bien, se dire « de droite » serait mal.
Cette alternative est complètement de gauche.

Elle est débile, et c’est pourquoi je suis franchement « pas de gauche » sans être « de droite ».
Car sans être un salaud cynique, je méprise le discours politique commandé par les bons sentiments et par la bonne conscience de gôche. Je lui préfère une politique qui est bonne par son intelligence des causes et par l’efficacité de ses mesures.

Cependant, certains principes font office de marqueurs. La gauche pense a priori que le fond de la société existante est mauvais, foncièrement mauvais, et que plus on le change et mieux c’est ; plus on égalise les conditions, et plus c’est juste.
Le « pas de gauche » que je suis pense que l’ordre existant n’est pas foncièrement mauvais quand il repose sur la liberté de l’individu. Mais il pense aussi que cet ordre est imparfait, et perfectible.
Le « pas de gauche » que je suis pense que tout changement n’est pas forcément bon, mais il pense aussi qu’on doit parfois bouger les bornes, sans les détruire.
Le « pas de gauche » que je suis pense que l’égalité des conditions n’est pas synonyme de justice, mais il estime qu’on peut donner à ceux qui sont nés sans beaucoup d’atouts des moyens d’être le plus autonome possible.

Mais comment vote-t-on quand on n’est pas « de gauche » ni « de droite » ? Pourquoi pas pour le centre ? Pour deux raisons.
La première est que le centre est de toute façon au pouvoir en France (et à Bruxelles), que ce soit avec une coloration de droite ou avec une légère teinture de gauche.
La deuxième, c’est que le clivage le plus pertinent oppose, de mon point de vue, le libéralisme à l’État paternaliste.

Mais comme je suis favorable aux salles de shoot et hostile à l’ISF, favorable à l’égalité absolue de droits et de dignité entre les femmes et les hommes, et favorable à la reconnaissance de la différence entre les deux sexes, je suis réduit à me définir par des principes plutôt que par une affiliation en forme d’alternative. La seule alternative qui vaille à mes yeux détermine si l’on est pour ou contre la primauté de la liberté individuelle. Et j’aimerais qu’on ne juge les solutions opposées des libéraux et des étatistes que sur leurs résultats.[/access]

*Photo : G!zM() 17.

Nizan, reviens, ils sont sans le sou !

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PAUL NIZAN PAUVRETE

PAUL NIZAN PAUVRETE

Dans Aden Arabie, Paul Nizan écrivait en guise de premières phrases : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. »  Dans ce pamphlet de 1931, violemment antibourgeois et anticolonialiste, le jeune normalien surdoué, communiste, qui devait mourir héroïquement au feu en 40 après avoir rompu avec le Parti à la suite du pacte germano-soviétique, racontait son expérience de précepteur dans les années 20 au Moyen-Orient mais aussi et surtout analysait cette caractéristique particulière du capitalisme qui est de confisquer à la jeunesse les moyens d’une révolte légitime, soit en la transformant en chienne de garde, soit en l’excluant sans façon du festin.

On attend donc un nouveau Paul Nizan à la lecture du premier rapport de l’Observatoire de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), destiné au gouvernement et révélé par la presse ces jours-ci. Le taux de pauvreté des 18-24 ans atteint aujourd’hui 22,5%, selon le rapport de l’Injep alors qu’il est de 14% dans l’ensemble de la population. Cette pauvreté a progressé de 5 points depuis 2004. 16% des moins de 25 ans n’ont aucune perspective : pas de formation, pas d’études, pas d’emploi en vue. Et chaque année, cela s’aggrave. Le CDI est devenu pour le jeune aussi rare qu’un militant UMP serein ou un socialiste de gauche tandis que les étudiantes se prostituent de plus en plus fréquemment.

Donnés comme cela, ces chiffres occultent à quel point il peut y avoir quelque chose de sordide et de révoltant à vivre au jour le jour ses plus belles années dans un pays où jamais les richesses n’ont été aussi mal redistribuées et où la jeunesse n’est plus un atout pour les décideurs mais une simple variable d’ajustement.

Effectivement, vingt ans n’est toujours pas le plus bel âge de la jeunesse.

Mais il semblerait pourtant, malgré une discrétion de violette de la part des grands médias, que cette jeunesse précarisée, déboussolée, humiliée, prostituée… bande encore. On le voit du côté de Notre Dame-des Landes où la police de gauche défigure autant que la police de droite comme le raconte au célèbre organe anarcho-trotskiste Le Quotidien du Médecin cette doctoresse qui était sur les lieux et qui a eu du mal à s’en remettre.

Mais aussi du côté de Lyon, quand dans un grand silence médiatique, la manifestation franco italienne anti-Tgv Lyon –Turin, qui détruira la magnifique vallée de Suze, se déroule le 3 décembre alors que Monti et Hollande signent un énième accord sur la question, accord toujours déjugé par des opposants résolus qui résistent depuis de nombreuses années et empêchent les travaux de progresser. À Lyon, la police retrouva la méthode d’encerclement expérimentée lors du CPE et enferma les manifestants toute une journée dans une véritable nasse en alternant tirs de grenades lacrymogènes et charges à la matraque. Les caméras, évidemment, n’avaient d’yeux que pour Mario Monti, chef d’état non élu mais nommé comme à l’époque où il bossait pour Goldman Sachs et François Hollande chef d’état élu mais décidé à être un des meilleurs élèves du social-libéralisme.

On incitera donc cette jeunesse, à l’occasion, à voler dans une librairie Aden Arabie et à le lire en entier. Ils verront qu’il ne s’agit pas d’une simple déploration mélancolique comme le laisserait penser le début. Au contraire, ils trouveront dans les dernières lignes un programme d’action très clair : « Ils ne faut plus craindre de haïr. Il ne faut plus rougir d’être fanatique. Je leur dois du mal : ils ont failli me perdre. »

*Photo : saigneurdeguerre.

Fallait-il exhumer l’Etat palestinien fantôme ?

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mahmoud abbas israel palestine

mahmoud abbas israel palestine

Le 29 novembre dernier, l’Assemblée générale des Nations Unies, faute de majorité au Conseil de Sécurité, a été appelée à la demande de Mahmoud Abbas à conférer à la Palestine un statut d’Etat observateur non membre. Nous ne commenterons pas ici le côté ubuesque de la sacralisation d’un Etat dépourvu de frontières, de capitale reconnue, coupé en deux fractions ennemies sur deux territoires géographiquement séparés (Cisjordanie et Gaza) en état de belligérance permanent et représenté en Cisjordanie par une « Autorité » dotée d’un Président dont le mandat est expiré depuis plus de trois ans !

Voyons où en sont rendus les Arabes de Palestine soixante-cinq ans après le vote des Nations Unies du 29 novembre 1947 qui avait permis l’adoption de la résolution 181 afin de partager la Palestine mandataire en deux Etats : un Etat arabe et un Etat juif. En ce jour anniversaire de la résolution 181 qu’ils avaient rejeté et qui leur conférait pourtant un véritable Etat palestinien avec une continuité territoriale et une reconnaissance pleine et entière de la communauté internationale, les dirigeants palestiniens se sont retrouvés devant cette même institution à mendier, pour deux territoires irréconciliables, un statut d’Etat observateur.

Si la résolution 181 fut acceptée par les sionistes qui s’y référèrent lors de la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948, celle-ci fut aussitôt rejetée par les dirigeants arabes proche-orientaux. Sinistre présage des événements qui allaient sceller le destin de la région : le 29 novembre 1947, l’un des représentants arabes fit une déclaration sans équivoque devant l’Assemblée générale : « Toute ligne tracée par les Nations Unies ne sera rien d’autre qu’une ligne de sang et de feu. »[1. Abba Eban, Mon pays. L’épopée d’Israël moderne, Paris, Editions Buchet-Chastel, 1975.] Repoussant toute idée de partage territorial avec les sionistes, les Etats arabes (Irak, Egypte, Syrie, Liban, Transjordanie) et les leaders de Palestine, dont le célèbre grand mufti de Jérusalem Hadj Amin el-Husseini (allié d’Hitler pendant la guerre) entrèrent en guerre contre Israël le 15 mai 1948, c’est-à-dire le lendemain de sa création. Pour quelle raison l’appel pacifique lancé par David Ben Gourion lors de la déclaration d’indépendance de l’Etat hébreu fut-il ignoré par les dirigeants arabes ainsi que sa reconnaissance par les Etats-Unis et l’URSS ?[2. La déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël se termine comme suit : « Nous tendons la main de l’amitié, de la paix et du bon voisinage à tous les Etats qui nous entourent et à leurs peuples. Nous les invitons à coopérer avec la nation juive indépendante pour le bien commun de tous. L’Etat d’Israël est prêt à contribuer au progrès de l’ensemble du Moyen Orient. »]

Le refus d’accepter la résolution 181 dès son adoption en 1947 et le déclenchement de la première guerre contre Israël en 1948 démontrent que la motivation profonde des chefs arabes n’était pas d’établir un Etat palestinien mais d’empêcher par tous moyens la fondation et l’existence de l’Etat hébreu, nation non musulmane créée au cœur d’une région islamisée. En atteste également la création de l’OLP en 1964 pour « libérer la Palestine », conformément à son appellation. De quelle Palestine s’agissait-il sinon d’une Palestine « libérée d’Israël » tel qu’établi dans les lignes de 1948, c’est-à-dire avant les conquêtes de 1967 ? Le refus arabe de reconnaître l’existence du nouvel Etat avait été à l’origine de la première guerre israélo-arabe de 1948-1949, ouvrant le conflit israélo-arabe et le drame des réfugiés palestiniens.

La première victoire israélienne en 1949 permit à cet Etat, avec l’aide des Nations-Unies, d’agrandir le territoire qui lui avait été alloué en annexant la zone occidentale de Jérusalem, le Néguev et la Galilée. Pour sa part, la Cisjordanie fut annexée à la Transjordanie qui ne lui permit jamais d’espérer accéder à l’indépendance puisque l’émir Abdallah voulait établir un royaume hachémite palestinien. Depuis 1949, les guerres se sont succédé : 1956 (crise du canal de Suez), 1967 (guerre des Six Jours), 1973 (guerre du Kippour), 1982 (guerre du Liban). Puis ce furent les intifadas (1987 et 2000) et les opérations militaires israéliennes contre le Hezbollah (2006) et le Hamas (2008-2009 et 2012).

En dépit de certaines offres généreuses proposées par les Israéliens que Yasser Arafat, ancien chef de l’OLP, et Mahmoud Abbas crurent bon de repousser, combien de victimes, combien de souffrances, combien de destructions sans espoir à terme d’une solution au conflit ? En juillet 2000 lors du Sommet de Camp David II et en septembre 2008 à la suite de la proposition d’Ehud Olmert, alors Premier ministre d’Israël, les dirigeants de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat (en 2000) et Mahmoud Abbas (en 2008), rejetèrent tout compromis. Considérée par la communauté internationale comme étant la solution du conflit, la proposition israélienne de 2008 garantissait pourtant l’établissement d’un Etat palestinien sur la quasi-totalité des territoires, l’internationalisation du Mont du Temple, le partage de Jérusalem et l’acceptation de réfugiés palestiniens en Israël sur la base de réunifications familiales. Mahmoud Abbas repoussa catégoriquement cette proposition et déclara « en mai 2009 au journal américain Washington Post que le fossé entre ce qu’a proposé Ehud Olmert et ce que les Palestiniens sont prêts à accepter est (…) énorme.» Ainsi, malgré les gestes de bonne volonté d’Israël et certains efforts diplomatiques, les actions armées comme les tirs de roquettes sur Israël continuent et aggravent la situation (crise économique, morcellement des territoires palestiniens, guerre civile…), enfonçant la population palestinienne dans une plus grande détresse.

L’unilatéralisme d’Abbas, partagé cette fois par le Hamas, ne contribuera guère à améliorer la situation sur le terrain. Les Etats-Unis, Israël et d’autres nations non inféodées aux pays arabes (Canada, République Tchèque par exemple) estiment d’ailleurs qu’un véritable Etat palestinien ne pourra résulter que de négociations directes entre Palestiniens et Israéliens. Mais les dirigeants palestiniens sont-ils profondément animés par cette volonté ? Pour Abbas, l’objectif de cette reconnaissance consistera, entre autres, à saisir les instances pénales internationales afin de poursuivre Israël contre l’occupation des territoires. Territoires conquis en 1967 par l’Etat hébreu et qui constituent une monnaie d’échange contre la paix.

Pour la première fois dans l’histoire de l’ONU, un peuple, dont le but déclaré dans les chartes du Hamas et de l’OLP est d’anéantir un Etat, vient d’être reconnu en tant qu’Etat observateur. Au moment où la dépouille de Yasser Arafat est exhumée, le vote par la majorité automatique d’une résolution de l’Assemblée générale créant un Etat palestinien fantôme prend un sens macabre. Aussi qu’il soit permis de dire avec tristesse pour les victimes d’un conflit fratricide : tout ça pour ça !

*Photo : h2onews.

Royaume-Uni : Dieu et ma droite

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tories david cameron UE

tories david cameron UE

Las, si seulement René Rémond s’était penché sur les Tories, ce marigot d’ultras, partisans d’une monarchie musclée, éclipsés sous Cromwell, revenus au galop après la chute du « tyran » ! Les Tories sont nés traditionalistes et conservateurs. Leur devise : « God, King and Country ». En revanche, jusqu’au début du XXe siècle, ces défenseurs des grands propriétaires terriens luttent avec passion contre l’ouverture de la succession monarchique aux catholiques, l’indépendance des colonies américaines et le libre-échange.

En fait, si René Rémond s’était penché sur la droite britannique, il y aurait sûrement vu la Révolution française.[access capability= »lire_inedits »] Quand les Tories fondent le Parti conservateur, en 1832, ils se définissent en réaction contre tout ce qui pourrait rappeler de près ou de loin l’héritage de 1789 et, plus théoriquement, contre toute idée abstraite érigée en principe de gouvernement. À ce titre, leur maître à penser se nomme Edmund Burke, dont les écrits influencent encore aujourd’hui l’idée que les Britanniques se font de notre glorieuse Révolution. Considéré comme le fondateur du conservatisme politique anglo-saxon moderne, Edmund Burke est l’un des premiers philosophes à ériger la propriété privée comme fondement du progrès humain et la réforme, ordonnée d’en haut et aussi lente que possible, comme seul processus légitime du changement social. Il exècre toute forme de révolution qu’il laisse à ces sauvages de Français. Mais ce libéral ne partage pas l’absolutisme intransigeant d’un Joseph de Maistre à qui on l’a souvent comparé, ce qui explique peut-être qu’il ait toujours des lecteurs fervents.

Aujourd’hui, le repoussoir préféré de la droite britannique, mais aussi celui qui fait clivage en son sein, ne se trouve plus à Paris mais à Bruxelles. Tout conservateur doit se définir pour ou contre l’UE et les tabloïds conservateurs, du Daily Mirror au Daily Mail, ont fait de celle-ci leur souffre-douleur favori. Selon eux, la plupart des maux britanniques peuvent s’expliquer par les règles établies par Bruxelles et le grignotage de la souveraineté nationale.

Depuis la crise de l’euro et l’arrivée de la coalition conservatrice-libérale-démocrate au pouvoir en Grande-Bretagne, le Premier ministre, David Cameron, n’a cessé de batailler avec son aile eurosceptique. Quand, le 5 décembre 2011, il fait usage de son veto lors d’un sommet à Bruxelles, en présence de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel, à son retour à Londres, il est fêté en héros. Un an plus tard, le voici à nouveau l’otage de 53 députés conservateurs rebelles le sommant de négocier des coupes drastiques dans le budget européen pour mieux faire passer la pilule de mesures d’austérité draconiennes auprès de leurs ouailles.

De nombreux commentateurs politiques britanniques, comme Will Hutton, s’arrachent les cheveux : « Les Tories forment l’un des plus vieux partis politiques du monde mais leur longévité se fonde sur leurs relations avec une certaine bourgeoisie anglaise, celle des propriétaires terriens, et non sur des jugements politiques judicieux. Leurs positions, notamment en matière de politique étrangère, se sont pratiquement toutes avérées effroyablement idiotes. S’opposer aux Révolutions française et américaine, essayer de ralentir l’inéluctable fin de l’esclavage, prôner l’apaisement dans les années trente, résister à la décolonisation en Inde fut mal venu, pour ne pas dire pire. Les instincts de la droite britannique  − chauvine, impérialiste, isolationniste, anti-progressiste − ont toujours conduit à des calamités pour le pays. Aujourd’hui, encore une fois, notre droite nous conduit à la Bérézina. »

En attendant les prochaines élections générales, au printemps 2014, l’Europe restera  le cache-misère national et, puisque les Tories jouent à « Quittera, quittera pas ? », l’objet de tous les paris des bookmakers du royaume.[/access]

*Photo : conservativeparty.

En revenant du catéchisme

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À Versailles, deux événements suffisent à mettre les jeunes en émoi: l’arrivée du Pape et la défense du couple traditionnel. Un couple est dit traditionnel lorsqu’un homme épouse une femme et lui fait six enfants ; c’est dire si le projet socialiste du mariage pour tous – autrement dit du mariage homosexuel – agace la petite communauté chrétienne à laquelle, que je le veuille ou non, j’appartiens.

L’autre jour, comme je me trouvais au catéchisme, je me suis permis une petite fantaisie. Alors que le père Brûlard nous entretenait des voeux d’amour qui unissent un homme et une femme sous le regard attendri du Très Haut, je lui ai rappelé que, chez les Baruyas de Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’hétérosexualité était considérée comme une erreur. « Comment ça ? » m’a-t-il demandé. « Eh bien oui, ai-je insisté avec un petit rire probablement diabolique, le fait qu’un homme fasse l’amour à une femme n’est pas du tout bien vu chez eux. C’est une perte de temps qui éloigne l’homme de son travail, et, par voie de conséquence, met en péril la société ». Ma voisine Marie-Ange s’est aussitôt enquise du rôle de la femme chez ces sauvages, alors je lui ai répondu ceci : « On considère que l’enfant a deux pères : le sperme, et le Soleil. Certes, la femme est utile à titre de réceptacle, mais ce n’est pas d’elle que l’on attend vigueur et santé. Et c’est d’ailleurs pourquoi le mari lui fait boire son sperme de la même manière que nous prenons de la vitamine C avant de partir au bureau ». « Lui fait quoi ? », m’a-t-elle demandé. « Boire son sperme », lui ai-je répondu. « C’est dégueulasse », a-t-elle conclu sèchement.

Sans me démonter, j’ai ajouté que, dans cette société si prompte à voir dans les relations hétérosexuelles la cause de tous ses malheurs, rien n’était plus important que de sodomiser les jeunes garçons. « Ça suffit », a rétorqué le père Brûlard en faisant claquer son missel. Puis il a repris le fil de son exégèse, ce qui fait que je n’ai pas pu entretenir Marie-Ange des principes intangibles de l’homosexualité chez les Baruyas.

Affaire Cahuzac. Pourquoi tant de haine chez Médiapart ?

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jerome cahuzac mediapart

jerome cahuzac mediapart

Aujourd’hui, les socialistes s’indignent (et peut-être à juste titre) des « révélations » de Médiapart sur le supposé compte suisse de Jérôme Cahuzac. « Propos diffamatoires », « affirmations délirantes », «  faux grossiers » dit le ministre, qui a immédiatement annoncé son intention de porter plainte.

Pourtant, il fut un temps où l’on n’était pas si regardant sur les allégations, forcément véridiques, du site d’Edwy Plenel. Souvenons-nous de l’affaire Woerth-Bettencourt où le site accusait (et peut-être à juste titre) le ci-devant ministre du budget (décidément, c’est un poste à hauts risques) des pires turpitudes. À l’époque, le PS avait avalisé en bloc toutes les accusations du site, allant jusqu’à demander, sur cette base, la démission de Woerth, voire celle de Sarkozy.

Cette propension à considérer que tout ce qui s’écrit sur Médiapart vaut d’être gravé dans le marbre est valable quel que soit le sujet, pour peu que le méchant soit de droite, et ça tombe bien, en général, c’est le cas.
Voilà ce qu’on pouvait lire par exemple il y a peine plus d’un un an sur le site national du PS : « Dans un article publié ce jour, le site d’information en ligne  Mediapart dévoile un document évoquant à nouveau la possibilité du financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, par l’abject régime de Kadhafi. Face à des éléments aussi graves, étayés par des documents nouveaux émanant de l’entourage du dictateur libyen lui même, Nicolas Sarkozy doit s’expliquer devant les Français. Si les faits révélés par Mediapart étaient définitivement confirmés  par d’autres documents ou les instructions judiciaires en cours, il serait alors établi que le président sortant a menti aux Français, pour dissimuler la réalité d’une très grave affaire d’Etat »

Parfois, cette admiration généralisée des militants socialistes pour Edwy, sa vie, son œuvre tourne carrément au panégyrique, un domaine où excelle l’inimitable Christophe Girard, maire adjoint de Paris en charge de la culture. Voilà ce qu’on pouvait lire sur son blog : « En quelques mois Médiapart est devenu un des nouveaux médias incontournables car courageux et professionnel, dans le droit fil d’une certaine presse américaine et je pense là en particulier au Washington Post et au New York Times avec un zeste de New Yorker. Pour que la démocratie fonctionne, la diversité des opinions est essentielle et elle ne peut vivre sans une large panoplie d’investigations et d’enquêtes. La France a tendance à se rétrécir et fonctionner de plus en plus en réseaux, clubs et lobbies et pratiquer l’endogamie et le népotisme. C’est inquiétant car la France avait pour habitude d’être un exemple de démocratie et de donner des leçons au monde entier. Merci Médiapart d’être si adulte et sérieux en étant si jeune et pourtant si fragile… »

Alors, on pourra s’interroger : comment se fait-il que Médiapart soit si ingrat envers ses amis socialistes -et ce d’autant plus que maintes collectivités locales PS contribuent au financement du site en souscrivant chaque année un ou plusieurs abonnements ?

Si ça se trouve, c’est parce que le PS est une grande maison. Et si ça se trouve, la réconciliation entre Aubry et Hollande (dont Cahuzac est très proche), c’était du pipi de chat. Et si ça se trouve Médiapart penche plutôt pour Martine que pour François. Si ça se trouve, j’ai même en ma possession des enregistrements qui le prouvent. Ou pas…

Mali : le trouble jeu d’Alger

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algerie mali bouteflika

algerie mali bouteflika

Au milieu des va-et-vient et des soubresauts complexes de l’affaire malienne, l’Algérie semble, vaille que vaille, maintenir une position ferme et constante : celle du double (ou du trouble) jeu. C’est en tout cas l’impression que confirme la presse algérienne lorsque, dans plusieurs articles parus début décembre, elle reproche au gouvernement malien d’avoir refusé de venir à Alger rencontrer les représentants d’Ançar Eddine et du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) – et d’avoir ainsi torpillé « les négociations entamées par l’Algérie pour mettre en échec la recherche d’une solution pacifique à la crise au nord du Mali »[1. Mounir Abi, Le Temps d’Algérie, 3 décembre 2012]. Une crise dans laquelle l’Algérie, bien qu’elle se prétende soucieuse du seul intérêt collectif, apparaît sous les traits peu flatteurs du pompier pyromane – ou plus exactement, du gendarme qui pactise avec les voleurs, et refuse obstinément que d’autres interviennent à sa place.

« Jusqu’à présent », soulignait l’été dernier un observateur bien informé, « le régime algérien a prétendu s’autoproclamer le gendarme du Sahel et être le chef de file d’une structure régionale de lutte contre le terrorisme. » Mais un gendarme qui paraît s’entendre comme larron en foire avec les voleurs.

À cet égard, on peut évoquer deux faits bien connus. D’abord, les négociations que l’État algérien a entrepris en sous main avec certains groupes jihadistes : « De source proche des services de sécurité algériens », signalait ainsi l’agence Reuters le 15 octobre dernier, « on rapporte que les autorités d’Alger ont eu des discussions ce mois-ci avec le groupe islamiste Ansar Dine, également présent au Mali et proche d’Aqmi ». Le même article citait la remarque d’un ambassadeur en poste à Alger avouant ne pas comprendre « pourquoi (l’Algérie) refuse d’agir »

Négociations d’un côté, mais tolérance hautement  suspecte de l’autre, à l’égard du Polisario, dont les camps sont situés sur le territoire algérien – y compris lorsque ce dernier participe plus ou moins directement à la déstabilisation de la région. C’est ce que soulignait un article largement repris par la presse malienne fin octobre 2012 : après avoir évoqué le renforcement des groupes islamistes sévissant au nord Mali par des combattants du Polisario, l’auteur  y pointait du doigt la responsabilité de l’Algérie, tant dans le contrôle de ses territoires et des camps du Polisario, que dans « le pourrissement de la situation sécuritaire dans toute la région sahélo-saharienne »[2. Farid Mnebhi, « Danger au Mali : le polisario renforce les terroristes islamistes », Mali actu, 26 octobre 2012.]

Le 15 octobre, deux semaines après la réunion sur le Sahel au cours de laquelle le président Hollande avait souligné la gravité de la menace terroriste au Nord-Mali, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l’unanimité la résolution 2071 – présentée par la France et co-parrainée par les trois membres africains du Conseil de sécurité (Afrique du Sud, Maroc, Togo). Cette résolution, qui appelle les autorités maliennes à engager un dialogue politique avec les groupes rebelles, demande au Secrétaire général des Nations unies de présenter un rapport sur la base duquel le Conseil de sécurité pourra autoriser le déploiement d’une opération africaine au Mali, avec pour objectif de permettre aux Maliens de recouvrer leur souveraineté et l’intégrité de leur territoire et de lutter contre le terrorisme international.

De leur côté, pourtant, les autorités d’Alger semblent ne vouloir laisser aucune marge de manœuvre significative à la France, et refusent d’accorder la moindre place au Maroc – en bref, elles ferment la porte au pays qui est à l’origine de la résolution 2071, et à l’un des trois pays africains qui l’a parrainée, qui ont en commun d’être, avec elle, les plus susceptibles de mener une intervention efficace. Là encore, la position algérienne se caractérise donc par son ambiguïté, voire, par sa duplicité.

Fin septembre, lors d’une audience accordée au ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius, Abdelaziz Bouteflika aurait ainsi admis qu’il faut agir militairement au Mali tout en refusant « officiellement— toute ingérence étrangère en Afrique»[3. Slate Afrique 28 septembre 2012]. L’Algérie, notait à ce propos Frédéric Pons, demeure ainsi « fidèle à ses habitudes d’opacité », se déclarant « hostile à toute intervention internationale dans son arrière-cour sahélienne, à plus forte raison en cas de présence française affichée. »[4. F. Pons, Valeurs actuelles, 4 octobre 2012.]

Dans le même sens, l’Algérie se montre hostile à toute intervention du Maroc – malgré la bonne volonté montrée par le royaume chérifien dans ce dossier-, et cherche à l’exclure de toutes les structures régionales de coopération en matière de sécurité dans la région.  Un ostracisme strict, dont la presse se fait écho : pour le quotidien algérois La Tribune, par exemple, une alliance maroco-malienne constituerait « un élément de blocage pour toute solution politique aux problèmes qui surviennent dans la sous-région. Vouloir faire de militants indépendantistes des terroristes ne peut qu’ouvrir la voie à des guerres dures et longues. Un pas que les Maliens et leurs alliés marocains semblent avoir franchi pour mettre la région dans une sorte de fait accompli et une impasse qui risque de durer longtemps et porter les germes d’une instabilité contagieuse »[5. A. Echikr, La Tribune, 5 octobre 2012.]

Une fois ce double jeu constaté, on peut s’interroger sur ses raisons (et de là, sur sa pérennité). À son propos, de nombreuses explications ont été avancées.
D’abord, la persistance des ambitions hégémoniques de l’Algérie dans la région – en contradiction avec une action qui consisterait à favoriser la coopération, et au-delà, l’intégration maghrébine. D’où le refus opiniâtre de toute intervention marocaine dans le dossier malien – en utilisant l’argument controuvé selon lequel le Maroc ne serait pas un « pays du champ », c’est-à-dire, un pays en contact frontalier avec la zone en question : ce qui n’est vrai que si l’on dénie au Maroc, et c’est bien là tout le problème, la possession de la zone saharienne reconquise en 1975 mais que l’Algérie, derrière le masque du Polisario, aimerait tant s’adjuger à elle-même. Pas de concurrence.

Seconde raison, le soutien que l’Algérie apporte au Polisario pour des raisons idéologiques (le bon vieux droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, décidément accommodable à toutes les sauces) et surtout géostratégiques (dans le but de se ménager une fenêtre sur l’Atlantique grâce à la création d’un État tampon Sahraoui), la place dans une situation de porte-à-faux. Un situation  qui a d’ailleurs été très précisément décrite par le premier ministre du Mali, cheikh Modibo Diarra, dans son discours aux Nations Unies du 27 septembre : « C’est le lieu de réaffirmer la détermination du Gouvernement du Mali à poursuivre l’œuvre entamée avec les autres pays du champ dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale organisée et les velléités irrédentistes et subversives dans la bande sahélo-saharienne. » Même si le régime récuse tout parallélisme entre le séparatisme malien et le séparatisme sahraoui, comment l’Algérie se sentirait-elle à l’aise dans ce dossier, elle qui soutient depuis l’origine l’une de ces rebellions irrédentistes ?

Enfin, dernière raison plausible, la peur panique d’une déstabilisation interne en cas d’intervention : épargnée jusqu’ici, grâce à l’utilisation de moyens plus ou moins avouables, par les effets du « printemps arabe », l’Algérie pourrait, en intervenant dans une telle entreprise, être secouée à son tour par le vent de la rénovation – d’autant qu’elle présente objectivement les mêmes défauts qui ont fait flamber les révolutions en Égypte ou en Tunisie.
Dans ces conditions, comment l’Algérie pourrait-elle jouer sincèrement le jeu de la stabilisation, alors qu’elle a, sinon intérêt à l’instabilité, du moins de fortes raisons de faire prévaloir l’immobilisme, aussi bien interne que régional ? Et comment croire qu’elle acceptera de changer son fusil d’épaule ?

*Photo : United Nations Photo.

L’ex-commissaire Michel Neyret préfère le pâté en croûte aux bœuf-carottes

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L’excellent quotidien régional Le Dauphiné nous informe, photo à l’appui, que la première apparition publique de l’ex numéro deux de la PJ lyonnaise Michel Neyret, tout juste sorti de détention préventive et définitivement révoqué, a eu lieu le 2 décembre dernier à Tain-l’Hermitage, dans la Drôme, à l’occasion du traditionnel championnat du monde du pâté en croûte. Cette manifestation de haute tenue gastronomique rassemblait des cuisiniers venus du monde entier venus présenter leurs créations à un jury composé des plus prestigieux chefs étoilés Michelin de la région Rhône-Alpes comme Anne-Sophie Pic, Régis Marcon, Christian Têtedoie ou Mathieu Viannay.

Michel Neyret, membre de la Confrérie du pâté en croûte, organisatrice de la manifestation, avait fait l’objet, en 2011 d’une enquête serrée de l’inspection générale des services de la PJ, familièrement appelés boeuf-carottes dans le milieu policier, en raison de leur propension à faire mijoter dans leur jus ceux qui tombent entre leurs griffes. Neyret, qui a passé huit mois  en détention provisoire est mis et examen pour corruption, trafic de stupéfiants et autres chefs d’accusation liés à son activité de flic à l’ancienne, n’hésitant pas à se salir les mains pour faire tomber des cadors du grand banditisme. Le 7 septembre 2012, il avait été chassé comme un malpropre de la Grande Maison par l’impitoyable Manuel Valls. Mais que peut bien cacher la passion affichée de Neyret pour le pâté en croûte ?

La lecture des roman feuilletons du XIXème siècle serait fort utile aux responsables de l’administration pénitentiaire qui auront, peut-être, l’honneur d’accueillir Neyret en pension pour quelques années à l’issue de son procès : les pâtés en croûte envoyés  par leur famille aux prisonniers cachaient souvent les limes indispensables au succès d’une évasion.

Cécile Duflot veut excommunier l’Eglise

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cecile duflot eglise mariage gay

cecile duflot eglise mariage gay

Alors qu’on attendait un acte de contrition de la majorité à l’endroit de l’Eglise Catholique, interpellée un peu rudement sur un sujet où on ne saurait lui reprocher son inactivité, le Président du groupe PS à l’Assemblée en a remis une couche, ce mardi matin : « Je pense qu’elle peut faire encore plus », a dit Bruno Le Roux sur RFI.

La sortie du ministre du logement Cécile Duflot demandant à l’archevêché de Paris de mettre à disposition certains de ses bâtiments inoccupés pour les mal logés ou les sans abris, provoque depuis quelques heures de vives réactions. Il est vrai que l’institution n’a pas à rougir de ses nombreuses actions dans ce domaine, mais que fidèle à l’évangile de Saint Matthieu, elle ne fait pas sonner la trompette et ne se donne pas en spectacle pour obtenir la gloire des hommes.

Mais plus intéressant que ces propos vexatoires et réitérés (sed perseverare diabolicum…) auxquels l’Eglise répondra en tendant l’autre joue, c’est le curieux jeu qu’entretient le gouvernement actuel avec les autorités ecclésiastiques. Car il ne fait nul doute que la salve orchestrée depuis le début de la semaine reproche moins à l’Eglise son prétendu manque de solidarité pour les plus démunis que sa farouche opposition de « mariage pour tous » qui agite de plus en plus la société, comme l’a d’ailleurs évoqué Monseigneur Dubost, invité sur RTL lundi matin.

Jeudi dernier, lors de l’audition à l’assemblée nationale des responsables des grandes religions sur la question du mariage homosexuel et de l’adoption, on entendait des militants arguer que les députés n’avaient pas à écouter le cardinal, que ce dernier devait surtout s’occuper de son culte (sic), tandis que dans les sous-sols du palais Bourbon, Monseigneur Vingt-trois se voyait expliquer non seulement ses erreurs d’appréciation mais aussi l’illégitimité qu’il avait à intervenir sur le débat. In fine, les responsables religieux disposeront de quatre minutes chacun pour s’expliquer sur le sujet, une broutille lorsque l’on sait à combien de reprises et lors d’entretiens à rallonges, furent reçues les associations partisanes du « mariage pour tous ».

On n’y comprend plus rien. D’un côté, l’Eglise devrait se taire sur un sujet anthropologique majeur et qui la concerne au même titre que tout un chacun, d’un autre côté, elle est sommée d’agir pour l’Etat –ce qu’elle fait déjà- alors qu’on remet en cause sa légitimité, à intervenir dans un débat épineux qui agite la société civile. « Je ne comprendrais pas que l’Eglise ne partage pas nos objectifs de solidarité. Pour moi, ce n’est pas une simple question légale, c’est un choix de société » assène le ministre du logement. Et pas le mariage pour tous ? « Que ta main gauche ignore ce que fais ta main droite » ce coup-ci ? Cécile Duflot, qui tente de minimiser la polémique, croit tout de même bon d’ajouter que « sur le mariage des prêtres, par exemple: il est légitime que certains souhaitent vivre en couple et avoir des enfants. D’ailleurs, beaucoup l’ont fait, et il y en a probablement un parmi [ses] ancêtres. ». Vous avez bien lu : l’Eglise n’a pas son mot à dire quant aux mutations anthropologiques décisives que le législateur va introduire et encourager en bouleversant le droit du mariage et de la famille, et il revient de surcroît aux représentants de l’Etat de se faire les arbitres des élégances rituelles.

En matière de laïcité, de neutralité, de séparation, de vivrensemble, bref de tout ce que nos représentants nous abreuvent à longueur de déclarations en se faisant les chevaliers du Bien, on a déjà vu mieux. Comme la stigmatisation de la paille oublie la poutre, le discours sur la sécularisation s’avère unilatéral, l’Eglise étant fonctionnaire dès lors que l’Etat en décide, et doit fermer sa gueule ou bien démissionner en cas de débat sociétal qui fâche. Un peu comme un ministre finalement.

*Photo : philipperouget.