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Républicain, moi-même!

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Le grognard du gouvernement a encore frappé. Interrogé ce matin sur Sud Radio, le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement s’en est vivement pris à l’UMP. Pour une fois, ce ne sont pas les frondeurs socialistes qui sont l’objet de son courroux social-démocrate n’admettant pas d’autre ligne à la gauche du vallsisme. Non, la pomme de discorde entre cet ex-strauss kahnien et ses adversaires de droite porte sur une simple expression, en l’occurrence « Les Républicains », nouveau nom que Nicolas Sarkozy voudrait proposer à l’UMP. Verdict du ministre : « C’est évidemment un abus de pouvoir. Non pas qu’il n’y ait pas une droite qui ne soit pas républicaine, moi personnellement je sais faire la différence entre des idées d’extrême-droite et la droite » mais « ce qui est vrai – on l’a vu avec cette affaire du ni-ni -, c’est qu’elle n’est pas toujours au clair », a-t-il expliqué en désignant la droite avec la répétition du sujet si chère à François Hollande. Et la sentence de tomber : « Donc il y a à mon avis un abus de position que de vouloir se réclamer républicain de la part de l’UMP ». Certes, on ne sache pas que la hargne de l’ancien médecin, très engagé dans la lutte contre l’obésité, ait fait dégrossir les scores mirobolants du Front national, mais seule l’intention compte…

Explication de texte. L’UMP refusant de faire barrage au Front national par tous les moyens, y compris d’appeler à voter pour un candidat de gauche au second tour, le parti post-gaulliste ne peut se prévaloir de l’épithète de « républicain ». Clair comme de l’eau de roche : pour avoir droit au label AOC, encore faut-il respecter le sacrosaint « pacte républicain » et passer avec succès l’inspection des troupes qu’impose le brigadier chef Le Guen. Qu’un parti socialiste, dont le slogan était encore « pas un canton pour le FN » en 2011 puisse poser en arbitre des élégances républicaines surprendra les naïfs. Mais quoi, comme son n+1 Valls, Jean-Marie Le Guen a toute légitimité pour distribuer les bons points et décider qui est républicain et qui ne l’est pas. Je me répète ? C’est que vous n’avez pas saisi l’axiome de base du leguénisme : la République, c’est moi !

Le piquant de cette affaire, c’est que Sarkozy n’a évidemment pas choisi ce label par hasard. Las de s’entendre amalgamés à l’intérieur du monstre « UMPS », ses militants le pressaient de changer de nom, afin d’échapper aux imprécations verbales de Marine Le Pen. Voilà pour le flanc droit du parti, que l’association avec le PS insupporte. Mais Sarkozy, qui n’a rien d’un idéologue et tout du parfait opportuniste, avait également pour souci de satisfaire son hémisphère gauche en apposant un brevet de républicanisme au logo de l’UMP. La République comme ADN, nom et prénom, avec comme supplément d’âme un clin d’œil à l’Amérique, que demander de plus ? « Je suis républicain parce que je le dis » : horreur, malheur, le principe élémentaire du leguénisme a infusé à droite !

République, république, république : une telle avalanche de mot-valise vide de sens finit par épuiser ce qu’il reste de citoyens. Pendant ce temps, un petit parti qui monte, qui monte, qui monte capitalise sur le projet d’une république sociale, à la laïcité intransigeante, malgré ses casseroles et son passé de cancre de la classe politique. Sarkozy et Le Guen auront beau faire tourner les tables en tous sens, j’en connais une qui a le front de se définir comme la seule femme politique républicaine, nationale et sociale. Diable, le leguénisme aurait-il contaminé le FN ?

*Photo : ZIHNIOGLU KAMIL/SIPA. 00705510_000031.

Charlie Hebdo : Booba s’embourbe

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« J’étais ni Charlie ni pas Charlie » : patatras, le rappeur Booba a enfin fait son coming-out de normand ! À la consternation générale, le bad boy de Boulogne a expliqué au Parisien que les dessinateurs de Charlie Hebdo auraient dû s’attendre à la boucherie du 7 janvier. « Quand on joue avec le jeu, faut pas s’étonner de se brûler » argue-t-il sans aucun flow, en comparant les djihadistes courroucés par les caricatures de Mahomet à un banc de « requins ». Et l’exilé fiscal bling-bling d’expliquer qu’on ne se baigne pas impunément dans la mer d’Australie : « Il y a une différence entre la liberté d’expression et l’insulte. Tu peux me critiquer, critiquer mon disque. Mais si tu me dis «T’es qu’une merde», attends-toi à te prendre une tarte. Et là, ils ont dit «Le Coran c’est de la merde».

Hier soir, sur iTélé, la présidente des Jeunes socialistes Laura Slimani ne savait quoi répondre au débat lancé par Audrey Pulvar. L’idole des djeunes a-t-il dérapé comme un vulgaire Jean-Marie Le Pen au bord de la retraite ? Slimani s’afflige de tels propos chez quelqu’un « qui est si écouté parmi les jeunes ». Ah si seulement Booba avait parlé « des discriminations dans les quartiers populaires », de la souffrance du peuple des banlieues et de tout le bazar victimaire que le MJS exhibe comme un totem, a regretté sa jeune présidente.

Tout bien réfléchi, c’est surtout la métaphore animalière de Booba qui choque le citoyen vigilant que je suis : en assimilant tous les requins à des prédateurs, et les djihadistes à ces bêtes assoiffées de sang, Booba stigmatise deux communautés objets des pires stéréotypes. On avait pourtant dit « pas d’amalgame »…

 

Dreux aux avants-postes du malaise français

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Porcs-épics, belettes et renards écrasés, vous êtes bien sur la route de Dreux. Nationale 12. En pleine campagne. Les champs se succèdent quand, soudain, trois tours HLM couronnent la cime des arbres. Ci-gît une ville de banlieue à 100 kilomètres de Paris. Ancienne cité gauloise, Dreux a longtemps été un point d’accès au royaume de France, mais la porte a cédé, et la ville est aujourd’hui peuplée à 40 % d’étrangers. « C’est Sarcelles », « Fais attention à toi ! », tels sont les encouragements prodigués à quiconque projette de s’y aventurer. La ville de 31 000 habitants est aujourd’hui plus connue pour être l’une des plaques tournantes nationales du trafic de drogue que pour la chapelle royale qui la domine du haut d’une colline. Entourée de plateaux, Dreux est un creux, pas seulement géographique. Près d’un habitant sur quatre est au chômage, et l’écart entre les revenus les plus hauts et les plus faibles y est presque deux fois plus important que dans l’ensemble du pays. En 2010, elle était même classée dixième ville la plus pauvre de France.

Si la France entière connaît le nom de Dreux, c’est parce que, il y a trente ans, le Front national y réalisait sa première véritable percée. Nous sommes le 4 septembre 1983, et à Dreux, c’est jour d’élection municipale, celle du printemps précédent ayant été invalidée. Le « tonnerre de Dreux » résonne sur la France : la liste menée par Jean-Pierre Stirbois, numéro 2 du FN, recueille plus de 16 % des voix – un score qu’on trouverait aujourd’hui faiblard ! [access capability= »lire_inedits »] C’est assez pour inquiéter la droite classique et inaugurer une alliance RPR-FN qui emporte la mairie, dix élus FN intégrant la majorité municipale. Premier avertissement. La gauche n’a pas encore fait du FN son principal fonds de commerce électoral – ni congédié le prolo. Un an avant la création de SOS Racisme, l’antifascisme d’opérette que l’on connaîtra ensuite est à peine balbutiant. Certes, à Paris, les people commencent à s’offusquer : Yves Montand, Simone Signoret, Simone de Beauvoir… À Dreux, quelques enjoués brisent des vitres à coups de « Stirbois salaud, le peuple aura ta peau ». Un accident suffira : en 1988, Jean-Pierre Stirbois, 43 ans, meurt au volant.

Deuxième avertissement seize ans plus tard, en 1999 : invitée par le maire RPR de la ville, Gérard Hamel, à enquêter sur place, Michèle Tribalat, démographe à l’INED (Institut national d’études démographiques), publie son bilan. Dans Dreux, voyage au cœur du malaise français, elle décrit une ville en proie au morcellement ethnique où le racisme « antiarabe » et son double mimétique, le racisme « antifrançais », organisent la vie sociale. Vexé, le maire et commanditaire rejette férocement des conclusions « partisanes » qui, selon lui, « remettent en cause la crédibilité de l’étude ». « Nous avons  affaire, là, à des affirmations gratuites qui ne reposent sur aucun fondement », écrit-il dans la postface. Il est même convaincu que Dreux sera « l’Exemple français ». Avec un grand « E ». Il est toujours maire de Dreux, mais on ne saura pas s’il pense toujours que sa ville est un modèle pour la France, nos demandes de rendez-vous n’ayant pas reçu de réponse, même négative.

Dreux , c’est la grenouille qui voulait être aussi grosse que le bœuf. En 1943, quand Christian Lévêque, 77 ans, agent d’assurances en retraite, s’y installe, ce n’est qu’ « une petite ville de province, qui ne compte pas plus de 14 000 habitants », se souvient-il. Mais à partir des années 1950, elle s’étend, et s’enfle, et se travaille. Les maires successifs œuvrent à transformer la ville, qui n’abritait que quelques fonderies, en zone industrielle spécialisée dans ce qu’on n’appelle pas encore le high-tech. Philips et Radiola s’y installent, suivies par une cinquantaine d’usines. Dreux se rêve en métropole. Alors il faut des bras, et les maires radicaux en font venir par milliers. En une quinzaine d’années, la population double, pour atteindre 30 000 habitants en 1968. Et elle change de visage, comme le raconte Christian Lévêque : « À Marseille, quand les mecs débarquaient sur le port, il y avait des pancartes : “Dreux, 900 kilomètres, ville ouverte” . Si bien que les Nord-Africains sont arrivés en masse… » Pour loger tout ce monde, il faut construire. Construire à tout-va. Les mots « banlieue » et « cité » ont encore un parfum de modernité et de Trente Glorieuses. Prod’homme, Les Chamards, Les Bâtes, le Lièvre d’or : sur les hauteurs de la ville, des cités champignons poussent à grande allure. Christian se souvient de leur apparition : « Ils ont construit des immeubles le plus vite possible. Niveau logement, ce n’était pas si mal en apparence, mais ce n’était absolument pas isolé : au premier, on entendait ce qui se disait au douzième. Bref, c’était une cata ! » Arrivent les années 1980, la crise, la rigueur, la fin des ambitions – ou des illusions – socialistes. L’une après l’autre, les entreprises licencient puis ferment, à l’image de Philips EGP, qui disparaît définitivement en février 2010.

Ces rêves de gloire industrielle sont bien révolus. « Il n’y a plus d’usine digne de ce nom, il ne reste que des bricoles. » Au volant de son Duster, Dominique Maillot, la soixantaine désabusée, secrétaire de l’union locale du syndicat Force ouvrière, pratique « l’archéologie industrielle ». « Ici, il y avait deux usines, là trois, et sur votre droite c’était Renault. » À travers le pare-brise, on voit défiler des aires de stockage, des parkings vides, des bâtiments délabrés. Gris, déserts, bétonnés. Sur les façades, on déchiffre encore les noms des entreprises effacés par le temps et par la crise. Dominique Maillot les suit du bout des doigts, égrenant le nombre d’emplois détruits par chacune d’elles. « L’espèce de restau asiatique, là, c’était Floquet, 600 emplois ; ici, Rosi, 300 emplois… » La même histoire se répète sur des kilomètres. « Avant, ici, il y avait la queue pour aller à l’usine, regrette ce militant acharné. Le matin, on distribuait 5 000 tracts sans problème. Toutes les boîtes, sans exception, qui ont fermé à Dreux gagnaient beaucoup d’argent, mais pas assez pour les marchés. Tout a été purement et simplement liquidé… »

Un peu plus loin, Dominique tourne dans une petite rue où des maisons sans étage sont alignées sur plusieurs centaines de mètres. L’expression « au milieu de nulle part » n’a jamais eu autant de sens pour moi. C’est ici que vit le « lumpen » blanc, la population « la plus délaissée » de la ville, observe Dominique, avant de préciser qu’il y a « beaucoup de gitans » : « Moi, je suis connu, alors ça va, mais, ici, on prend un coup de fusil vite fait. » Bienvenue aux Prod’homme, l’un des premiers quartiers construits dans l’urgence pour loger les ouvriers. Des passants semblent étonnés de voir une voiture circuler dans un décor dont plusieurs façades murées accentuent la désolation. Comme pour apporter sa contribution à l’absurdité ambiante, un bus garé le long d’un trottoir affiche un implacable « sans voyageurs ».

De l’autre côté de la ville, sur le plateau Est, s’étend le domaine du « lumpen » noir, ou beur, comme vous voudrez. La cité des Chamards, rebaptisée « Les Oriels », sans doute par des experts de la politique de la ville, est l’un des quartiers « immigrés ». Trois tours, une grande place et des dizaines de petits immeubles jaune et blanc. Nora Immeradan, environ 30 ans, en parle avec fierté. Elle y est née et y habite encore avec son fils de 8 ans, qui gambade à toutes jambes sur les trottoirs. C’est pourtant là que prospère le trafic de drogue. « On vit avec, ça ne dérange pas. Et quelque part, on les comprend », déclare Nora. Responsable de l’association Les Drouaises, qui promeut le vivre-ensemble dans le quartier, elle parle d’un jeune qui a vraiment tout fait pour s’en sortir, réussir, trouver du travail. C’était « trop dur », il a fini « dans la vente » – de produits illicites, pas de polices d’assurance. Les derniers chiffres de l’Insee, publiés fin 2012, sont accablants : le plateau Est concentre à lui seul 39 % des chômeurs de la ville. « Il n’y a plus d’emploi à Dreux, confirme Nora. Vers 5 heures du matin, on voit les gens qui travaillent à Paris descendre vers la gare en file indienne. » Une heure de transports à l’aller, une heure au retour. Quand il n’y a pas de grève.

Les autres doivent rester chez eux : entre les tours, il n’y a presque personne. Sur la place des Oriels, une boulangerie propose des jus de fruits turcs et des galettes des rois, en plein mois de mars. Juste à côté, chez At’Tawbah (littéralement « le désaveu »), on vend des voiles intégraux, couleur au choix, qui ne laissent voir qu’un bout de visage. Dreux est une ville très pieuse – on l’aura compris, c’est de piété islamique qu‘il est question. Six mosquées, sans compter celle de Vernouillet. Marocains, Algériens, Turcs…, chacun a la sienne. Y compris les fondamentalistes : la mosquée Es-Sunna accueille la communauté tabligh, mais pas les journalistes, ces mécréants qui pourraient être rebutés par l’interprétation littéraliste de l’islam qui y a cours. Le père Jean-Eudes Coulomb, 32 ans, est à la fois malicieux et prudent : « Ce n’est pas forcément négatif, mais il y a un prosélytisme important de la part des musulmans à Dreux. Il y a des tractages dans les rues pour appeler à financer la construction de mosquées. Et, parfois, des groupes de deux ou trois personnes qui font du porte-à-porte. » Ce n’est pas le plus grave. « À l’aumônerie, poursuit le prêtre, je rencontre des collégiens qui ont un mal fou à dire qu’ils sont chrétiens. » Quand, dans la rue, des Arabes lui crient « Allahou akbar » ou « Inch’Allah », il n’hésite pas à répliquer : « En Français, on dit à Dieu vat ! » D’après lui, les musulmans constituent 40 % de la population de sa ville : « C’est un chiffre qui court. » Contre « seulement 2 à 3 % » de catholiques pratiquants. Je me demande si les mosquées pleines suscitent une vague jalousie chez ce prêtre qui voit les églises se vider.

Chômage, immigration, islamisation : Dreux devrait être un eldorado pour le FN. Pourtant, trente ans après le « coup de tonnerre », le parti lepéniste est loin d’avoir raflé la mise, et si ses scores sont en hausse, ils restent inférieurs à la moyenne nationale. Julien Auer, 33 ans, principal responsable local et candidat aux départementales, l’explique très simplement : « Il est vrai qu’après la mort de Stirbois, le parti a été miné par des conflits et des problèmes d’ego, mais notre faiblesse tient surtout à la démographie : la ville est devenue un vrai fourre-tout, plus de la moitié des habitants sont d’origine étrangère et, malheureusement, les médias leur ont tellement inculqué que le FN ne voulait pas d’eux que, même avec les meilleurs militants du monde… » De toute façon, ces militants, Julien Auer ne les a pas. Dans le Drouais, ils sont au plus « une trentaine ».

Julien Auer marche avec sa colistière, Emmanuelle Letellier, dans le centre-ville historique qu’il fréquentait enfant. Ils désignent un commerce désaffecté avec une mine désolée : « Vous voyez, cette rue, la rue Rotrou. Il y a encore cinq ans elle était très commerçante. Il y avait même une galerie qui la reliait à la grande rue Maurice-Violette. » Ce vendredi après-midi, les voix résonnent dans le quasi-silence de la principale artère piétonnière et le couple de candidats y croise au mieux une trentaine de personnes. « Un commerçant sur deux ferme au bout d’un an, soupire le jeune homme en désignant un magasin de vêtements pour jeunes. Celui-là, je ne lui donne pas six mois. » La fin de sa phrase est couverte par le vacarme d’un cortège nuptial qui passe à proximité, annoncé par force coups de klaxon et nombre de drapeaux marocains.

Il faut dire que les jeunes des « quartiers » ne vont pas spontanément au centre-ville. « Rien n’est adapté pour nous là-bas, tempête Myriam Dieye, la trentaine, accompagnatrice sociale aux Oriels. Ce n’est pas une expo de peinture qui va nous attirer… » De même, ceux du centre-ville n’ont « rien à faire » dans les « quartiers » – sinon y acheter de la drogue. Mais on ne circule pas plus entre les « quartiers ». « On a des codes, des façons d’être et un ressenti différents, selon qu’on est des Oriels ou des Bâtes, explique Nora. Quand il m’arrive d’aller ailleurs, j’attire les regards, je ne me sens pas à l’aise. » Si les « quartiers », à Dreux et ailleurs, n’ont ni le charme ni la tranquillité des villages d’antan, la contrainte sociale y est au moins aussi pesante – bien plus en vérité.

Sur le site officiel de la Mairie, on ne se donne pas la peine de repeindre la réalité en rose, on l’efface. Aucune image des fameux « quartiers », où vivent la moitié des Drouais, mais le centre historique sous tous les angles – son beffroi, son église, ses rues presque bondées, sa rivière et ses quelques ponts : un petit bout de France d’avant, aussi kitsch qu’une boule à neige.

D’accord, tout le monde le reconnaît, depuis dix ans Dreux va « un peu mieux ». Les rues sont moins dangereuses – heureuse influence des « barbus » ? – et la ville « s’est embellie » : une nouvelle médiathèque, quelques pots de fleurs et beaucoup d’immeubles détruits. « On n’a plus besoin des ouvriers, alors on rase leurs logements », rouspète le syndicaliste Dominique Maillot, qui accuse le maire UMP, Gérard Hamel, de vouloir attirer des Parisiens pour faire de Dreux « un petit Rambouillet ». Aussi baroque paraisse ce rêve de gentrification, vu des cités du plateau Est, un grand chantier – parmi d’autres – a bien démarré, dans une zone limitrophe de la ville voisine de Vernouillet. Les grues ont fait place nette, réduisant littéralement en poussière les grands ensembles que le temps et l’abandon avaient ruinés depuis longtemps, comme la cité des Mille.

Christian Lévêque, qui habite dans le quartier proche des Oriels, a éprouvé un petit soulagement. « Avant, ici, c’était l’horreur, c’était très dangereux, déclare le retraité, fronçant ses sourcils broussailleux. Nous avons été cambriolés plusieurs fois. Certaines personnes ont quitté la ville, et ça n’a pas fait de mal. » Assis dans sa véranda, il jette un regard derrière lui : « Dans la cité des Mille, il y avait toutes les nationalités, européennes et, surtout, pas européennes. Il y avait trop de promiscuité, c’était la faune ! » Lévêque raconte avec ses mots à lui la perte d’identité, le sentiment de ne plus être chez soi. Il s’énerve un peu. « Certains me l’ont dit carrément : maintenant ce n’est plus chez vous mais chez nous. La plupart des Français de souche se sont barrés, on n’est plus que quatre. Mais je ne partirai pas. On a installé à côté de moi des gens que je n’avais pas du tout envie de voir. S’ils s’adaptent, aucun souci, sinon ça va pas gazer. » À l’entendre, on jurerait que Christian est un électeur enthousiaste de Marine. Il jure pourtant qu’il ne votera jamais FN. La presse qui souligne avec épouvante que les idées frontistes voyagent ne se trompe pas complètement…

Pas une rue de Dreux n’échappe aux panneaux « à vendre ». Et quand on demande aux jeunes ce qu’ils font pour s’occuper, c’est toujours la même réponse, déprimante, lancinante : « Rien. » « On se pose au McDo, on boit, on fume », confesse Mathilde Lefrançois, 20 ans, employée à l’office du tourisme.

Christian ne partira pas. Ou peut-être que si, finalement. Après tout, il peut fuir la banlieue sans s’exiler dans la France périphérique, puisqu’il y est déjà. En fait de Rambouillet, les dizaines de pavillons qui ont surgi à la place de la cité des Mille font plutôt penser aux zones grises décrites par Christophe Guilluy. Alors on prend de la hauteur et, depuis la chapelle royale qui surplombe la ville, on comprend que le partage du territoire progresse inexorablement. Ici, les « quartiers » et les  zones périurbaines vivent ensemble sans jamais se croiser : Dreux, c’est la France, et la France ressemble de plus en plus à Dreux.

 La ville de toutes les expérimentations 

Ça ne saute pas aux yeux, mais Dreux est un vrai laboratoire.

Elle a d’abord été ville-pilote pour l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), créée en 2003, et dont le président de 2007 à 2013 n’était autre que son maire UMP Gérard Hamel. Dès 2004, plus de 115 millions d’euros sont investis dans des quartiers comme Les Bâtes ou Les Oriels pour tenter de les désenclaver et d’y introduire une certaine mixité sociale. Aujourd’hui, l’ANRU concerne près de 500 quartiers en France pour un coût total de plus de 40 milliards d’euros.

Dreux et ses 23 % de chômeurs ont aussi été choisis pour expérimenter l’Action de formation préalable au recrutement (AFPR), inventée en 2009. Elle permet à une entreprise d’employer un demandeur d’emploi, rémunéré par Pôle emploi, en échange d’une période de formation et d’une promesse de CDI à la fin de ladite période. Elle a été généralisée à l’échelle nationale mais a fait l’objet d’abus : certains employeurs, comme le Leclerc d’Évry en novembre dernier, se débarrassant finalement des personnes accueillies au terme de leur formation.

Début 2013 enfin, Dreux a été l’éphémère capitale du « made in France » d’Arnaud Montebourg. Le ministre du Redressement productif s’était rendu sur place pour « rendre hommage » à la fonderie Loiselet, l’une des premières à relocaliser sa production en France après un exil en Chine. La robotisation de l’usine, installée dans les locaux désertés par Philips en 2010, devait permettre de produire « à un prix meilleur que le prix chinois » tout en favorisant l’embauche. Mais, moins d’un an après son ouverture, l’entreprise, qui a bénéficié d’une avance publique remboursable à taux zéro de 6,5 millions d’euros, était placée en redressement judiciaire.[/access]

*Photo : Vincent Lhuillier.

Maréchal, me voilà!

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petain vichy zemmour

Selon la formule d’Henry Rousso, Vichy est « un passé qui ne passe pas ». Un nouveau livre – encore un – revient sur ce qui s’est joué à Vichy en juillet 1940 : Voter Pétain ? de François-Marin Fleutot. Il s’en explique dans une excellente et précise interview accordée à Causeur.

De Pétain on ne se lasse pas. Pas plus que des films vus et revus et revus qui évoquent cette intéressante période : La Traversée de Paris, La Vache et le Prisonnier, Papy fait de la résistance, La Grande Vadrouille. C’est que Vichy fait toujours salle comble.

À gauche, on s’en sert pour déplorer le « retour aux heures les plus sombres de notre Histoire », formule servie ad nauseam dès le moindre accroc au politiquement correct. Ça permet aussi des raccourcis sans appel, du genre : « Sarkozy c’est Pétain », ce qui dispense les vociférateurs de penser par eux-mêmes. À l’autre bout du spectre politique, il constitue un élixir de jouvence pour Jean-Marie Le Pen. Ce dernier retrouve – avec émotion, n’en doutons pas – les moments délicieux qu’il a passés sur les genoux de tonton Tixier-Vignancour en ânonnant « Vichy pour les nuls ».

Incontestablement, la France a un problème avec Vichy. Comme on le dit souvent, l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Et depuis soixante-dix ans ce sont les vainqueurs – la gauche, l’extrême gauche, avec le renfort indispensable des gaullistes – qui ont dit ce qu’on pouvait dire sur Vichy. Une période noire de notre Histoire. Il arrive que les vainqueurs aient raison…

Mais comme la pensée de gauche de dominante qu’elle était est devenue sclérosée, arrogante et suffisante, la tentation est grande chez certains de ceux qu’elle insupporte de s’attaquer à cet édifice vermoulu. La période de Vichy ouvre à cet égard des perspectives insoupçonnées.

Pour commencer on va y aller mollo. On s’extasiera sur le style (ils en avaient certes) de Drieu, de Marcel Aymé, de Morand et leurs héritiers de l’immédiate après-guerre Jacques Laurent, Blondin, Nimier, Perret. C’est qu’ils écrivaient bien, les bougres ! On versera une larme en lisant les poèmes écrits à Fresnes par Brasillach dans l’attente du peloton d’exécution. Et hop, la gauche se mettra à hurler, ce qui confortera nos irrespectueux Hussards dans leur belle posture de révoltés.

La question juive – élément central de l’idéologie pétainiste – est plus délicate à manier. Mais y toucher est d’un bon rapport qualité-prix. Ainsi, pour son Suicide français, Eric Zemmour s’est transformé en expert-comptable, dénombrant les Juifs « sauvés » par Vichy, bien plus nombreux, selon lui, que ceux qui furent sacrifiés. Sans ça, et sans la polémique qui s’est ensuivie, il n’est pas sûr que son livre eût atteint les tirages qu’il a eus. Un concert d’indignation n’est pas à dédaigner pour booster les ventes. Une autre hypothèse, moins intéressée, est envisageable. Zemmour aurait quelques problèmes avec ses origines (pour ne pas me faire écharper par les zemmouriens de base je m’empresse de préciser qu’elle est de Finkielkraut).

Une précision sur ce point-là. Dans un simple souci de vérité et non pas de polémique. Avant la guerre, le maréchal Pétain avait des amis israélites, « des bons Juifs français » comme il aimait le dire. À ne pas confondre avec les pouilleux débarqués des ghettos d’Europe centrale. Un de ses amis s’appelait Jacques Helbronner. Avec Pétain il avait fait la guerre 14-18 et était devenu un notable important de la IIIe République. Un jour, les Allemands l’arrêtèrent. Un geste de Pétain eût suffi à le sauver ; le maréchal n’en fit rien. Et Helbronner alla à la chambre à gaz comme n’importe quel polak ou moldo-valaque.

Laissons maintenant les Juifs de côté. Vichy est justiciable de bien d’autres infamies. Jamais dans notre Histoire un régime n’avait accepté de livrer au vainqueur des réfugiés politiques. Vichy le fit en offrant aux nazis les exilés antifascistes allemands qui avaient trouvé refuge chez nous : la hache du bourreau les attendait. Pétain procéda de la même façon avec les républicains espagnols. Des gendarmes français les entassèrent par milliers dans des trains en partance pour Buchenwald.

Jamais dans notre Histoire, un régime n’avait fabriqué des lois rétroactives. Après un attentat, les Allemands avaient exigé des représailles. On confectionna à la hâte une loi immonde punissant de mort des activités communistes pour lesquelles des militants purgeaient déjà des peines de prison. On trouva des magistrats serviles qui prononcèrent la peine capitale. La guillotine fit son travail. Comble de l’abjection, Vichy proposa que les exécutions aient lieu en public. Les Allemands, un peu estomaqués quand même, déclinèrent cette offre alléchante. Voilà. Vichy c’était ça. Et le statut des Juifs ne fut que la cerise mise sur un gâteau pourri.

Pour la suite, mais sans trop d’impatience, nous attendons qu’on nous parle enfin des faces oubliées ou tues du maréchal. Ce qu’il a fait pour les femmes à qui il a dédié une fête. Ses lois sociales (il y en a eu) dont certaines sont encore en vigueur aujourd’hui. Dans la même veine on serait en droit d’espérer qu’on vienne nous rappeler les efforts consentis par le chancelier Hitler en faveur des femmes allemandes. Sans oublier les belles autoroutes qu’il a construites. Et la voiture du peuple, la Volkswagen. Manifestement, ça n’en prend pas le chemin. Ils sont bizarres, ces Allemands…

*Photo : SIPAHIOGLU/SIPA. 00224662_000004.

Stupre et lucre en Chine

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Tang Can

Deux photos tournent certainement en boucle dans les cauchemars des dirigeants communistes chinois : celle de Gorbatchev, qui, afin de survivre, fait de la pub pour les sacs Vuitton en dernière page du NY Times. Et celle du couple Ceaușescu arrivé au terme de sa gloire.

GorbatchevCeaușescu

Ces dirigeants ont donc résolu de ne pas s’appauvrir comme Gorbatchev (et sont donc devenus immensément riches) et de ne pas perdre le pouvoir comme les Ceaușescu (d’où les luttes violentes au sommet de l’appareil post-maoïste).

Ces deux cauchemars ont entrainé la chute de très nombreux dirigeants suprêmes du régime pour délits de (gigantesque) corruption. La presse occidentale s’est fait l’écho des médias chinois sur ce sujet, et je n’ai rien à ajouter pour l’information des lecteurs de Causeur.

Mais ce dont la presse parisienne a peu parlé, ce sont les flots de stupre qui se sont mêlés aux fleuves de lucre. Sur le lucre, la presse officielle chinoise regorge de détails et de chiffres. Quant au stupre, cette même presse en sert de bonnes portions, mais le relais principal est pris par Weibo (le Twitter chinois) et autres réseaux sociaux.

Afin de ne pas lasser avec des répétitions sur les horreurs de la révo. cul et les quarante millions de morts de faim du Président Mao, je me suis donc plongée, un peu, dans le web chinois, plus précisément dans l’intense information commerciale, politique, culturelle, et privée, assurée par des réseaux sociaux très développés, beaucoup plus que Facebook en France.

Six cent millions de Chinois, de toutes conditions, vivent accrochés à leurs smartphone et tablettes et font circuler d’une manière inconnue en Europe des quantités infernales de nouvelles. La censure veille, bloque et débloque certains mots et manipule en rémunérant des « WuMaoYuan », des « singes à cinq sous », un calembour sur l’homophonie de « singe » avec « employé » dans l’expression 「網評猿」 ou 「五毛員」. On ne sait pas combien il y en a précisément, mais assurément beaucoup.

« 5 maos », c’est un demi RMB, soit 0,08€. C’est la rémunération, modeste, des étudiants et chômeurs travaillant littéralement « à la pièce », pour faire la claque sur certains sujets favorables au pouvoir mais aussi lancer des rumeurs, ou en combattre d’autres, diffuser les infos les plus salaces sur les dirigeants déchus, ou qui vont bientôt choir.

Un exemple : une jolie dame chinoise a la réputation d’avoir transmis une maladie à ses nombreux amants. Les réseaux sociaux bourdonnent abondamment sur le sujet. Pourquoi parler de cette « histoire de fesses » dans Causeur, qui n’est pas un tabloïd londonien ?

Parce que la dame en question, Tang Can 湯燦, est une chanteuse très célèbre en Chine. Elle a même été quelque chose comme colonel-chanteuse au ministère de la Défense.

Tang Can

Quand ce n’était pas en uniforme [photo ci-dessus], elle passait sur les chaînes de TV dans des mises en scène grandioses.

Les amants auxquels elle aurait transmis le SIDA ne sont pas n’importe qui : Bo XiLai 薄熙來 qui voulait devenir Président de la République (mais vient d’être condamné à la prison à vie), Zhou YongKang 周永康, membre du comité permanent du Bureau politique du PCC, chef suprême des services de justice et de police (qui va être prochainement condamné à la même peine, et peut-être plus), Xu CaiHou 徐才厚, l’ancien n°1 des forces armées chinoises (qu’une mort opportune a fait échapper à la prison), Li DongSheng 李東生, devenu ministre de la sécurité publique pour avoir glissé Mme Tang dans le lit de l’un de ses patrons, etc.

Bo XiLaiZhou YongKangXu CaiHouLi DongSheng

Cette séduisante chanteuse serait en détention à WuHan, sinon déjà libérée en échange de confidences sur ses amants et leurs juteuses combines. Il est plus certain que plusieurs de ses imposants amants sont bien en prison : ce sont les « tigres » que vise la campagne anti-corruption en cours et fortement médiatisée.

Parmi le million de Chinois installés en France (sans compter les Taiwanais), y compris les étudiants que je fréquente, les discussions vont bon train sur les affaires de sexe du pouvoir pékinois ; celles-ci suscitent des clics nombreux, par millions, sur le web chinois hors de Chine, en  plus de la fermentation des réseaux sociaux en Chine même.

Nous voilà donc au cœur d’une indéniable réalité, mais aussi suspecte que les gens qui la propagent et dont discutent tous les Chinois. Quoi qu’il en soit, en Chine et en chinois, Tang Can est l’une des plus célèbres femmes fatales, un sujet pour un feuilleton TV.

Des universitaires ont déjà rédigé des thèses sur ce thème. Pour n’en citer qu’une, disponible sur Google books : Social Issues in China : Gender, Ethnicity, Labor, and the Environment, par Hao ZhiDong & autres. Un chapitre donne, de manière très académique, les noms de plusieurs officiels, policiers, gouverneurs, etc. qui avouent tous plus de cent maîtresses.

Parmi les nombreuses célébrités politico-sexuelles qui défraient la chronique, citons également Li Wei 李薇, d’origine franco-vietnamienne, milliardaire elle aussi grâce à une ribambelle d’amants puissants – donc riches – qu’elle a d’abord recrutés dans la province du YunNan, avant de gagner la capitale, en passant par la province du ShanDong. Elle a droit sur le web chinois à une longue notice biographique, détaillant une impressionnante liste de hiérarques industriels et administratifs comme amants homologués.

Elle est au centre de livres pas encore traduits en français, dont Tiger Head, Snake Tails : China today, how it got there and why it has to change de Jonathan Fenby.

Détenue quelque temps, Li Wei aurait été libérée après avoir livré tout toutes sortes de détails sur la manière dont ses anciens amants, tout en s’enrichissant, l’auraient considérablement enrichie. C’est la revue CaiJing, le très sérieux magazine économique publié à Pékin, qui a débusqué et dévoilé en 2011 les scandaleuses maîtresses des dirigeants corrompus et leurs performances financières, sous la plume de deux journalistes, Rao Zhi 饒智 et Luo ChangPing 羅昌平. Ils n’ont pu le faire sans avoir reçu des encouragements précis d’une autre faction, plus puissante encore, les « tueurs de tigres » au sein de la haute direction du PCC.

Couverture de la revue CaiJing
Couverture de la revue CaiJing

Bo XiLai et Zhou YongKang, son protecteur, sont crédités d’avoir connu ou entretenu 800 maîtresses, dont de nombreuses présentatrices des chaînes de télévision nationales, provinciales et municipales (les réseaux câblés).

Pour être équitable, et respecter la parité, le web chinois donne aussi le nom et les photos de jeunes hommes vigoureux, célèbres en Chine pour savoir consoler les épouses des dirigeants communistes déchus. Le plus célèbre : Rui ChengGang 芮成鋼 aurait avoué à la police avoir rendu heureuses une vingtaine de « cougars », épouses de potentats corrompus en manque d’orgasmes. La plus célèbre de ses abonnées serait l’épouse de Ling JiHua 令計劃, qui fut le directeur de cabinet de l’ancien président de la République Hu JinTao 胡錦濤. La chute de Ling (et de sa famille) est survenue après que son fils eut trouvé la mort en percutant sa Ferrari sur une pile de pont avec deux jeunes cover girls nues à ses côtés.

Rui ChengGang
Rui ChengGang

Rui ChengGang était une star du paysage audiovisuel chinois. Au forum de Davos, il avait interpellé en très bon anglais, de manière cavalière, l’ambassadeur américain à Pékin, Garry Locke (un Californien d’origine chinoise, connu pour la modestie de son train de vie). Il avait fait de même avec le Président Obama à Séoul, scandalisant la presse coréenne par son arrogance.

Je plonge dans ces flots de stupre et de lucre, spectaculairement étalés, pour ne rien ignorer des réalités chinoises, mais également pour interpeller les lecteurs sur un point majeur de la perception de la Chine en France.

L’adoration de la Chine y semble perpétuelle. Il n’y a pas si longtemps, droite et gauche rivalisaient de complaisance envers les crimes du maoïsme, en particulier le « grand bond en avant » et ses 40 millions de morts de faim, avant que Pol Pot, soutenu par Pékin au plus fort du génocide cambodgien, ne trouve à Paris de nombreux admirateurs.

Maintenant, c’est de la Chine capitaliste-maoïste et de ses capitaux-post-maoïstes  que les Français sont énamourés. C’est pour cela qu’il faut un peu explorer la sexualité politique du post-maoïsme, capitaliste mais toujours maoïste, même si le régime se réclame aussi aujourd’hui du confucianisme.

Après cette tribune, à qui pourrais-je réclamer mes 5 sous (5 maos de RMB) pour avoir répandu auprès des lecteurs français la version soufflée par le « ministère chinois de la Vérité », appellation orwellienne des trois départements officiels de la propagande qu’ont adoptée les internautes Chinois : « Tang Can a-t-elle passé le virus du SIDA à Bo XiLai ? Ou simplement les morpions de Zhou YongKang ? ». On imagine l’inquiétude des malheureux corrompus.

A suivre…

Valls? Un «crétin» utile

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manuel valls fn departementales immigration

« Endormissement : passage de l’état de veille à l’état de sommeil », dit le Larousse. Pour avoir cherché à ramener la classe politique et, au-delà, les Français, à un « état de veille » vis-à-vis du FN, Manuel Valls a été désigné à la vindicte générale. De Marion Maréchal-Le Pen à Michel Onfray, le diagnostic a été unanime : l’hôte de Matignon serait un « crétin ».

Naturellement, le Premier ministre est parti en guerre contre le FN avant une échéance électorale qui s’annonçait redoutable pour le PS : il s’agissait d’abord pour lui de remobiliser un électorat socialiste déçu, pour ne pas dire navré, par la première partie du quinquennat de François Hollande. Depuis sa nomination à Matignon, Manuel Valls se signale par ailleurs de manière récurrente par des outrances verbales qui desservent les causes qu’il prétend servir : comme l’usage récent, et décalé, du mot « apartheid ». Mais en dénonçant l’« endormissement » de l’Hexagone devant la montée du FN, le Premier ministre a au contraire trouvé le mot juste : Marine Le Pen est désormais aux portes du pouvoir, son élection à l’Élysée en 2017 reste improbable, mais elle n’est plus inconcevable, et chacun continue de vaquer à ses petites occupations.[access capability= »lire_inedits »]

Mieux, ou plutôt pire : on assiste à une « marinisation » des esprits, la dénonciation permanente par la présidence du FN de « l’ultralibéralisme » n’étant pas sans effet sur certains grands esprits à la gauche de la gauche. En 2012, Jean-Luc Mélenchon s’était autoproclamé ennemi numéro un de Marine Le Pen : cela ne l’a pas empêché depuis de refuser de choisir dans certaines élections partielles entre l’UMP et le FN quand ces deux formations restaient seules en lice au second tour. Que fera-t-il en 2017 si Marine Le Pen se retrouve au second tour face au candidat UMP ? Personne aujourd’hui n’a la réponse. Philosophe vétilleux sur son rang, Onfray a le droit de reconnaître Alain de Benoist comme un de ses pairs, et pas Bernard-Henri Lévy. Reste que, sur le terrain politique, Alain de Benoist apporte à Marine Le Pen un soutien certes « critique » mais revendiqué. Ce qui n’est pas un… « détail » !

Sonner le tocsin devant le « danger FN » ne sert bien sûr strictement à rien : nous avons déploré dans plusieurs ouvrages la propension de la gauche à camper sur une posture morale parfaitement inefficiente. Allons-y à notre tour d’une petite provocation. Depuis l’irruption du FN dans le paysage politique français, il y a maintenant trente ans, mis à part Bruno Mégret, une seule personne a réussi à entamer le magot de la famille Le Pen : Patrick Buisson, ancien directeur de Minute, et scénariste de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. C’est en se salissant les mains, en venant en particulier sur le terrain de l’immigration, l’interdit des interdits, que l’on peut faire reculer le FN.

Mais, justement, Valls ne s’est pas contenté de paroles. Si son usage inapproprié du mot « apartheid » paraissait induire une sollicitude exclusive en faveur des « quartiers », où sont regroupées les populations d’origine immigrée, le Premier ministre a décidé d’une série de mesures en faveur de la « France périphérique » chère au géographe Christophe Guilluy, où sont regroupées les catégories populaires plus anciennement françaises. Des catégories ignorées depuis longtemps par toutes les gauches, et chez lesquelles Marine Le Pen cartonne.

On peut se moquer du barnum gouvernemental dans l’Aisne, où le Premier ministre s’est transporté pour faire ses annonces. Ça vient bien tard. Mais c’est un pas dans la bonne direction. Dans ces conditions, on nous permettra de préférer ce « crétin » de Valls à l’idiot utile qu’est devenu Michel Onfray ; plutôt Valls aussi que les simplets de l’UMP, du type Sarkozy, qui continuent de se délecter dans la tambouille politicienne.[/access]

*Photo : ZIHNIOGLU KAMIL/SIPA. 00705510_000017.

Günter Grass, grand écrivain, hélas!

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Günter GrassGünter Grass était de l’espèce, en voie de disparition, des « grands écrivains ».  

Un de ceux dont même Fleur Pellerin  serait capable de citer le nom si on lui demandait d’évoquer une grande figure de la littérature allemande contemporaine. Ce qui distingue un grand écrivain d’un bon écrivain, ce n’est pas l’attribution du prix Nobel – les littérateurs estimables, mais mineurs, couronnés par l’Académie suédoise sont légion – mais la rencontre d’un homme de lettres avec son peuple, l’Histoire et l’universelle humanité. Ecrire dans une langue majeure, appartenir à une nation porteuse de tragique historique est, certes, un avantage pour accéder à ce statut, mais il existe, heureusement, des exceptions : Knut Hamsun et Milan Kundera en sont la preuve. On peut être, également, un grand écrivain en dépit de ses errements politiques ou mêmes éthiques dans le domaine extra littéraire : Jean Paul Sartre et Louis Ferdinand Céline en attestent.

Günter Grass était un grand écrivain de l’espèce roublarde, gestionnaire avisé de son image publique, sachant à merveille ne pas se faire oublier par quelque sortie scandaleuse quand sa production littéraire faiblissait : son  coming out  en 2006, révélant qu’il avait rejoint volontairement, en octobre 1944, une Panzerdivision SS à l’âge de 17 ans, était un modèle dans le genre bras d’honneur à ses admirateurs politiquement corrects de l’Allemagne petite-bourgeoise. Il avait jusque-là prétendu n’avoir servi, comme beaucoup d’adolescents de son âge, que dans la défense anti-aérienne. Menteur ? Et alors ? Qui ne l’est pas dans cette génération ?

Un seul livre, suivi d’un film culte, «  Le Tambour », publié en 1959 et tourné en 1979 par Volker Schlöndorff, suffit à installer Grass dans le panthéon de la littérature mondiale du XXe siècle. On oublie, en général, que ce chef d’œuvre, transcription picaresque de ses souvenirs d’enfance à Dantzig touchée par la fureur nazie, fut élaboré à Paris, lors d’un séjour de quatre ans de Grass dans la capitale française. C’est ainsi qu’il parvint à sortir du provincialisme germanique d’après-guerre et à ne pas se laisser enfermer, comme la plupart des écrivains de sa génération, dans la « Trümmerlitteratur » (littérature des ruines), ressassant l’effondrement physique et moral de la nation allemande. Son œuvre doit autant à Rabelais qu’à Goethe ou Thomas Mann, un coup de génie d’autodidacte sorti du peuple et n’ayant aucun surmoi hégélien ou heideggérien : il importe insolemment dans le sérieux germanique des folies venues d’ailleurs. On ne saurait mieux sentir cette imprégnation que dans le dialogue, enregistré en 1999 par la télévision allemande, entre Pierre Bourdieu et Günter Grass. Ce dernier venait de recevoir le prix Nobel, et Bourdieu avait fait un succès éditorial outre Rhin avec son livre La misère du monde. Ce qui devait être un duo d’admiration mutuelle entre deux auteurs regardant le monde du point de vue des « dominés » fut d’emblée perturbé par un Grass s’étonnant du pesant manque d’humour de Bourdieu…

Autre filouterie : Günter Grass passe aujourd’hui, en Allemagne et ailleurs, pour une « grande conscience de gauche », au motif qu’il s’engagea aux côtés de Willy Brandt, puis de Gerhard Schröder dans leur combat politique pour la conquête de la chancellerie. En fait, Grass n’avait pas d’idées politiques bien élaborées, et seule la détestation de la petite bourgeoisie étriquée – qu’elle s’incarne dans un parti chrétien-démocrate vulgairement économiste, ou dans des fonctionnaires sociaux-démocrates embourgeoisés – guidait son action politique. Son allégeance allait à ses semblables : des dirigeants venus « d’en bas », travaillés par des passions de tous ordres, celle du pouvoir, bien sûr, mais aussi la bouffe et le sexe. L’unification allemande, en 1990, le désola : il y vit la déferlante du consumérisme occidental sur la partie du pays qui en avait été préservée, ce qui faisait de la RDA un conservatoire muséal de l’Allemagne de son enfance. Il fit également scandale en publiant un poème accusant Israël de mettre en danger la paix du monde avec son armement nucléaire, au moment même où Ahmadinejad prônait l’éradication du « cancer sioniste ». Que Grass soit  né quelques mois seulement avant Jean-Marie Le Pen n’est peut-être pas tout à fait étranger à ce type de comportement lorsque survient le grand âge…

Günter Grass, jusqu’à sa mort, vécut dans un petit village près de Lübeck, en Allemagne du nord. Il me fut donné de le rencontrer, en 1983, lorsque la campagne électorale du SPD fit halte dans son domaine. Pendant que l’assistance se régalait de l’anguille à la sauce à l’aneth, spécialité locale, je ne pus m’empêcher de constater l’étonnante ressemblance de Günter Grass avec Francis Blanche : même morphologie trapue et massive, même yeux pétillants dans un visage lunaire, même humour ravageur… C’est Blanche, et non Bourdieu, qui eut été son interlocuteur idéal.

*Photo : FRITZ REISS/AP/SIPA/AP20481874_000003

Chrétiens d’Orient : supplique à l’ONG France

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chretiens orient syrie colosimo iran

La navrante affaire de la RATP aura au moins eu une vertu : nous rappeler l’amnésie collective qui frappe une partie du Vieux continent. Et pas simplement ses élites. La transhumance spirituelle de « gaulois », nés et élevés dans le christianisme, puis brusquement convertis à l’islam version djihadiste, manifeste de façon paroxystique la déshérence culturelle dans laquelle nous baignons. Une France réduite au fameux plébiscite de tous les jours, qui s’apparente de plus en plus à un contrat signé entre colocataires contraints et forcés, ne sait ni d’où elle vient ni où elle va. Il y a une dizaine d’années, les sages membres de la Convention pour l’avenir de l’Europe avaient tranché : l’héritage de l’Europe n’est pas plus gréco-latine que chrétien, l’UE devant borner son identité aux ponts qui ornent nos billets en euros. Même topo pour les chrétiens d’Orient, inspirateurs d’une fraternité supposément identitaire, donc coupable. Heureusement, le Pape François vient de remettre les pendules à l’heure en dénonçant, cent ans après, le « génocide arménien » en écho à l’épuration religieuse en cours sur les rives du Tigre et de l’Euphrate.

Au micro de Jean-Jacques Bourdin la semaine dernière, l’éditeur et philosophe des religions Jean-François Colosimo n’a pas économisé ses critiques à l’encontre de la lâcheté française. Ce sentiment vil et égoïste nous fait abandonner les chrétiens orientaux comme des « petits frères égarés » indignes de notre solidarité :  pas assez exotiques pour enflammer les défenseurs des sans-papiers, moines tibétains et Indiens d’Amazonie, mais sans doute trop arabisés pour susciter le flot de compassion qui submerge nos compatriotes dès que des touristes occidentaux périssent dans un tsunami. Sinistre sort. Les descendants des premiers chrétiens, aujourd’hui livrés à la violence ciblée de l’Etat islamique, sont bel et bien devenus les « hommes en trop » d’un monde arabe qu’ils ont en grande partie façonné, enrichi de leurs apports culturels et révolutionné grâce à leur participation aux mouvements de libération nationale des XIXe et XXe siècles.

Ne dénonçant qu’un vague « génocide culturel » à la tribune de l’ONU, le gouvernement français se comporte « comme une ONG », d’après l’expression qu’a employée Colosimo : 1500 visas accordés, cela ne fait pas une politique. Non qu’il faille ouvrir encore davantage nos frontières à ces pauvres hères déracinés. La France ne peut ni ne doit accueillir toute la misère du monde. Bon sang, ces chrétiens ont un nom, une adresse, une identité irréductibles qu’il s’agit de respecter, au lieu de les entasser à Sarcelles, comme certaines chaisières fort bien intentionnées rêveraient de le faire. Il n’est de grande politique que géostratégique. Aussi, tant que notre diplomatie refusera de se donner les moyens d’agir en faveur des minorités du Levant, Hollande, Valls et Fabius pourront verser toutes les larmes de crocodile du monde sur la tragédie des chrétiens. Au risque de singer Colosimo, j’insiste sur un point sensible : seul l’engagement de troupes militaires au sol, y compris en Syrie, en sus des bombardements au-dessus de l’Irak, pourrait garantir la sécurité des foyers chrétiens de la région et combattre efficacement Daech. Jusqu’ici, ces pauvres chrétiens n’ont d’autre option que l’exil ou la réclusion avant la capitulation, type Fort Chabrol.

Il faut vouloir les conséquences de ce que l’on veut, disait le Général. Evidemment, un tel coup de collier exige une complète refonte de notre politique étrangère. Oubliées les accolades avec l’émir du Qatar, grand mécène du salafisme devant Allah miséricordieux, les contrats d’armements juteux avec l’Arabie Saoudite, et l’alignement systématique sur une OTAN qui, nolens volens, tolère en son sein une Turquie base arrière de l’Etat islamique. Hélas, on imagine mal Fabius tonner contre Ankara avec la même vigueur que les autorités tunisiennes, lesquelles ont légitimement rappelé au gouvernement turc ses devoirs dans la lutte contre le terrorisme . Car, comme l’a brillamment exposé Luc Rosenzweig, nos gouvernants s’entêtent dans le développement d’un axe diplomatique sunnite qui ne signifie plus rien à l’heure de la barbarie da’echiste. Sur le terrain, ce sont les gardiens de la Révolution iraniens, les milices chiites irakiennes et les troupes du Hezbollah qui assurent encore la prééminence de l’armée syrienne sur les djihadistes et font refluer l’Etat islamique en Irak. De larges pans de ces guerriers chiites ne sont sans doute guère fréquentables aux yeux de démocraties légitimement attachées à la sécurité d’Israël et à la stabilité de la région. Mais que dire des pétromonarchies sunnites alliées de l’Occident? Devant Bourdin, Colosimo n’a pas manqué d’énoncer une évidence : les juifs et chrétiens Iraniens peuvent pratiquer leur religion, contrairement aux esclaves philippins qui suent le burnous dans les pays du Golfe sans aucun droit cultuel.

Nos « socialistes » néoconservateurs feraient bien d’y réfléchir à deux fois avant de prononcer de grandes phrases définitives sur l’avenir de la Syrie ou les ambiguïtés (réelles) de l’Iran. La signature – certes, au forceps – de l’accord cadre de Lausanne augure peut-être d’une reconfiguration globale du Moyen-Orient. Même le guide Ali Khamenei, entre deux sorties pessimistes, s’est hasardé à déclarer qu’il n’excluait pas d’aborder les dossiers yéménites, libanais, syrien et irakien avec ses interlocuteurs occidentaux, démentant ainsi les récents propos de son vassal Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah libanais. Téhéran serait-il plus enclin à transiger si la question nucléaire trouvait un règlement définitif ? Il serait bon que le quai d’Orsay se pose au moins la question d’une collaboration avec les mollahs iraniens dans l’échiquier régional. Serions-nous plus dogmatiques que les Kurdes laïcs alliés à la République islamique à la faveur des circonstances ? Quand il s’agit de mettre à bas les coupeurs de mains, on ne devrait pas affecter de garder les mains propres…

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*Photo : DR. Eglise de Hama (Syrie).

Enseigner les religions… sans religiosité ?

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Doubler le nombre de mosquées en France ? Autoriser dans le métro une affiche pour un concert en faveur des chrétiens d’Orient ? Imposer la neutralité religieuse dans les crèches privées ? Interdire le voile islamique à l’Université ? Réformer la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat ? De toutes parts, la question religieuse ne cesse de confronter les fondements de la société française tout en embarrassant ses dirigeants incapables, par souci électoraliste, de définir une ligne cohérente et pérenne en la matière.

A ceux d’aujourd’hui comme à ceux de demain, nous recommanderons donc la lecture des actes du colloque « Enseigner les religions : regards et apports de l’histoire » qui a réuni en mai 2012 à l’Université Laval de Québec des universitaires, des historiens et des théologiens, en provenance de différents pays. Des échanges dont François Moog, de l’Institut catholique de Paris, note dans une postface qu’ils n’auraient jamais pu avoir lieu dans le cadre de l’université française en raison, selon lui, d’un « conflit des idéologies ». Après la « sortie de la religion » énoncée par le philosophe Marcel Gauchet, les responsables de ces actes publiés aux Editions Hermann, Brigitte Caulier et Joël Molinario, respectivement Professeur à l’Université Laval et Professeur à l’Institut catholique de Paris, insistent dans une introduction sur « une nouvelle configuration du religieux » marquée par « la subjectivation », « la désinstitutionalisation » et « la recherche identitaire ». Si une première partie de l’ouvrage, à dominante historique, se consacre « aux entreprises de conversion dans le Nouveau Monde » et aux « ères de colonisation », la seconde s’intéresse plus directement à la place et aux perspectives de l’enseignement des religions dans les systèmes éducatifs contemporains. C’est-à-dire « laïcs ».

Fallait-il à ce titre – et s’en inquiéter signe autant une appartenance culturelle qu’un doute épistémologique – rassembler sous le vocable « enseignement » ce qui appartient peut-être davantage aux missions d’évangélisation et de conversion, c’est-à-dire aux transmissions de la foi entre croyants ? C’est Claude Prudhomme, de l’Université Lumière Lyon 2, qui ébauche le premier cette nécessaire distanciation en rappelant la méfiance entre « l’histoire missionnaire » et « la communauté universitaire » : la seconde reprochant « non sans raison » à la première « de subordonner ses travaux à la promotion de la cause » religieuse, celle d’une visée confessionnelle. Et de proposer, loin d’un enseignement reposant sur un « comparatisme plat » ou un « catalogue des similitudes et des différences », que toute histoire des religions s’écrive « dans une approche croisée » qui s’interroge sur « les effets de la cohabitation et de la compétition religieuse sur chaque confession » car celle-ci « investit toute l’existence individuelle et collective ».

Les « constructions identitaires », notamment la « poussée des radicalismes politico-religieux en islam » en sont, selon l’auteur, « une manifestation spectaculaire ». Il requiert même d’envisager les faits religieux à travers une histoire de « la circulation de leurs modèles », de « leurs allers et retours » et de « leurs emprunts et influences réciproques ». Une véritable contribution, selon lui, à « l’apprentissage d’un pluralisme qui implique la reconnaissance mutuelle ». Mais l’auteur n’ignore pas non plus les résistances des institutions religieuses, inquiètes des conséquences d’une collaboration méthodologique imposée par les sciences sociales en termes de « dilution de la spécificité des religions » et de contestation de leur autorité à « dire le vrai et le bon ». Claude Prudhomme affiche d’ailleurs sa perplexité sur le bilan des trente années des thèses universitaires à doubleau sceau, catholique et laïc.

Si le lecteur s’arrêtera, pour son plaisir intellectuel, sur la présentation de Philippe Martin « Enseigner par le livre vers 1780 » – rappelant implicitement cette remarque de Corneille formulée un siècle plus tôt « Publier un texte, c’est l’avilir » (1633) – il concentrera son attention sur les ultimes chapitres « Enseigner les religions à l’école dans les sociétés occidentales ». Lesquels offrent un riche foisonnement d’expériences et de précieuses réflexions sur un sujet particulièrement sensible dans l’Hexagone. Bram Mellink, de l’Université d’Amsterdam, montre dans The curious survival of dutch parochial schools, les évolutions inattendues des écoles confessionnelles aux Pays-Bas, catholiques ou protestantes, entièrement financées par l’Etat et accueillant encore en 2011 « 70% des écoliers néerlandais » : paradoxe, pour l’auteur, d’une société dont le processus de sécularisation aurait transformé jusqu’aux écoles confessionnelles elles-mêmes. Jean-Dominique Durand, de l’Université Jean Moulin Lyon 3, dresse pour sa part un descriptif des plus éclairants – mais sans en tirer les leçons – sur la variété des expériences européennes d’un enseignement de la religion. Flavio Pajer, de l’Université La Salle de Rome, s’interroge quant à lui, « et à l’exception de la France séparatiste », sur « la typologie » des rapports institutionnels entre chaque Etat et « son » Eglise ainsi que sur les orientations européennes en explorant deux documents majeurs : le Toledo Guiding Principles on Teaching about Religions and Beliefs in Publics Schools (OSCE, 2007) et Le Livre Blanc sur le dialogue interculturel (Conseil de l’Europe, 2008). Une des contributions les plus passionnantes reste néanmoins celle de Mireille Estivalèzes, de l’Université de Montréal, intitulée « La place de la culture religieuse à l’école québécoise : tendances récentes ». Un texte qui rejoint dans ses finalités concrètes celui de Claude Prudhomme. L’auteur y évoque le Programme commun d’éthique et de culture religieuse (ECR) qui propose une « approche socioculturelle » de la religion au moyen de « l’étude des différentes expressions du religieux et d’une maîtrise graduelle de la pratique du dialogue argumenté ». Et d’expliciter : la culture religieuse est appréhendée comme une « compétence qui permet de décoder et de comprendre », selon une approche culturelle, « les signes et les expressions du religieux dans leur environnement » et ce, en « privilégiant la culture québécoise ». Refus net de l’approche historique au profit d’un décryptage phénoménologique. Ce qui n’empêche pas Corinne Bonafoux, de l’Université de Savoie, de soulever in fine cet « impensé dans le système éducatif français qui présuppose que l’élève déduit des valeurs de connaissances et passe de valeurs à des comportements ». Une articulation à questionner car les enseignements reçus à l’école n’auraient pas, selon l’auteur, toute l’influence escomptée sur le comportement de l’adulte. La pédagogie éducative et scolaire par la Charte de la laïcité serait-elle déjà vouée à l’échec ?

Enseigner les religions, regards et apports de l’histoire (Sous la direction de Brigitte Caulier et Joël Molinario), Editions Hermann, Coll. « Religions, Cultures et Sociétés », avril 2015.

Immigration clandestine: la Cour des comptes épingle le droit d’asile

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(AFP) – La politique d’asile en France, dont le coût avoisine les 2 milliards d’euros par an, « est au bord de l’embolie » et n’est « pas soutenable à court terme », selon un document de la Cour des comptes révélé lundi par Le Figaro.

Ce document confidentiel est « une sorte de rapport d’étape », précise Le Figaro, alors que débute mercredi l’examen par la commission des lois du Sénat d’un projet de loi réformant le droit d’asile.

Selon ce document, « la politique d’asile est devenue la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France ».

Le rapport pointe « une hausse de la demande d’asile jusqu’en 2013 pour atteindre 66.251 dossiers déposés », des « délais de procédure qui s’élèvent à deux ans environ » et « une concentration des demandes sur certains territoires, en particulier l’Ile-de-France ».

La Cour des Comptes a « déploré » lundi la publication « prématurée » de ce document, et mis en garde « contre une lecture partielle et partiale d’un rapport non définitif ».

Selon le document révélé par Le Figaro, la Cour des comptes a procédé au calcul des « dépenses totales effectuées pour les demandeurs d’asile » et conclu à une hausse de 60% en cinq ans : « pour les demandeurs d’asile, le coût global s’élèverait à 990 millions d’euros environ en 2013, contre 626 millions d’euros en 2009 », soit un coût par demandeur de 13.724 euros.

Pour les déboutés, le montant des dépenses « serait équivalent à celui consacré aux demandeurs d’asile », à savoir un milliard d’euros par an et un coût moyen par débouté « allant jusqu’à 5.528 euros ». De ces calculs découle une facture globale de 2 milliards d’euros par an.

Le texte souligne également que, « malgré l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui leur est notifiée, seul 1% des déboutés sont effectivement éloignés ». La majorité des déboutés « reste en situation irrégulière en France ».

Le document émet des « recommandations provisoires », notamment de « réduire le montant des allocations mensuelles versées aux demandeurs d’asile », de mettre en place un « guichet unique » de traitement des dossiers et d’« exécuter les obligations de quitter le territoire français pour les personnes déboutées ».

Pour Pascal Brice, le directeur général de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), sur la réduction des délais préconisée par le rapport, « le mouvement est déjà engagé ».

« Le nombre de décisions rendues en 2014 a augmenté de 12% par rapport à 2013 », a-t-il ajouté, en précisant que le rythme allait encore accélérer du fait de l’entrée en fonction des 55 personnes recrutées en janvier.

L’an dernier, le taux d’accord des demandeurs d’asile a atteint 28% dont 17% à l’Ofpra (le reste dépendant de la Cour nationale du droit d’asile). L’Ofpra doit présenter son rapport 2014 jeudi.

Républicain, moi-même!

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ump leguen republicains fn

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Le grognard du gouvernement a encore frappé. Interrogé ce matin sur Sud Radio, le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement s’en est vivement pris à l’UMP. Pour une fois, ce ne sont pas les frondeurs socialistes qui sont l’objet de son courroux social-démocrate n’admettant pas d’autre ligne à la gauche du vallsisme. Non, la pomme de discorde entre cet ex-strauss kahnien et ses adversaires de droite porte sur une simple expression, en l’occurrence « Les Républicains », nouveau nom que Nicolas Sarkozy voudrait proposer à l’UMP. Verdict du ministre : « C’est évidemment un abus de pouvoir. Non pas qu’il n’y ait pas une droite qui ne soit pas républicaine, moi personnellement je sais faire la différence entre des idées d’extrême-droite et la droite » mais « ce qui est vrai – on l’a vu avec cette affaire du ni-ni -, c’est qu’elle n’est pas toujours au clair », a-t-il expliqué en désignant la droite avec la répétition du sujet si chère à François Hollande. Et la sentence de tomber : « Donc il y a à mon avis un abus de position que de vouloir se réclamer républicain de la part de l’UMP ». Certes, on ne sache pas que la hargne de l’ancien médecin, très engagé dans la lutte contre l’obésité, ait fait dégrossir les scores mirobolants du Front national, mais seule l’intention compte…

Explication de texte. L’UMP refusant de faire barrage au Front national par tous les moyens, y compris d’appeler à voter pour un candidat de gauche au second tour, le parti post-gaulliste ne peut se prévaloir de l’épithète de « républicain ». Clair comme de l’eau de roche : pour avoir droit au label AOC, encore faut-il respecter le sacrosaint « pacte républicain » et passer avec succès l’inspection des troupes qu’impose le brigadier chef Le Guen. Qu’un parti socialiste, dont le slogan était encore « pas un canton pour le FN » en 2011 puisse poser en arbitre des élégances républicaines surprendra les naïfs. Mais quoi, comme son n+1 Valls, Jean-Marie Le Guen a toute légitimité pour distribuer les bons points et décider qui est républicain et qui ne l’est pas. Je me répète ? C’est que vous n’avez pas saisi l’axiome de base du leguénisme : la République, c’est moi !

Le piquant de cette affaire, c’est que Sarkozy n’a évidemment pas choisi ce label par hasard. Las de s’entendre amalgamés à l’intérieur du monstre « UMPS », ses militants le pressaient de changer de nom, afin d’échapper aux imprécations verbales de Marine Le Pen. Voilà pour le flanc droit du parti, que l’association avec le PS insupporte. Mais Sarkozy, qui n’a rien d’un idéologue et tout du parfait opportuniste, avait également pour souci de satisfaire son hémisphère gauche en apposant un brevet de républicanisme au logo de l’UMP. La République comme ADN, nom et prénom, avec comme supplément d’âme un clin d’œil à l’Amérique, que demander de plus ? « Je suis républicain parce que je le dis » : horreur, malheur, le principe élémentaire du leguénisme a infusé à droite !

République, république, république : une telle avalanche de mot-valise vide de sens finit par épuiser ce qu’il reste de citoyens. Pendant ce temps, un petit parti qui monte, qui monte, qui monte capitalise sur le projet d’une république sociale, à la laïcité intransigeante, malgré ses casseroles et son passé de cancre de la classe politique. Sarkozy et Le Guen auront beau faire tourner les tables en tous sens, j’en connais une qui a le front de se définir comme la seule femme politique républicaine, nationale et sociale. Diable, le leguénisme aurait-il contaminé le FN ?

*Photo : ZIHNIOGLU KAMIL/SIPA. 00705510_000031.

Charlie Hebdo : Booba s’embourbe

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« J’étais ni Charlie ni pas Charlie » : patatras, le rappeur Booba a enfin fait son coming-out de normand ! À la consternation générale, le bad boy de Boulogne a expliqué au Parisien que les dessinateurs de Charlie Hebdo auraient dû s’attendre à la boucherie du 7 janvier. « Quand on joue avec le jeu, faut pas s’étonner de se brûler » argue-t-il sans aucun flow, en comparant les djihadistes courroucés par les caricatures de Mahomet à un banc de « requins ». Et l’exilé fiscal bling-bling d’expliquer qu’on ne se baigne pas impunément dans la mer d’Australie : « Il y a une différence entre la liberté d’expression et l’insulte. Tu peux me critiquer, critiquer mon disque. Mais si tu me dis «T’es qu’une merde», attends-toi à te prendre une tarte. Et là, ils ont dit «Le Coran c’est de la merde».

Hier soir, sur iTélé, la présidente des Jeunes socialistes Laura Slimani ne savait quoi répondre au débat lancé par Audrey Pulvar. L’idole des djeunes a-t-il dérapé comme un vulgaire Jean-Marie Le Pen au bord de la retraite ? Slimani s’afflige de tels propos chez quelqu’un « qui est si écouté parmi les jeunes ». Ah si seulement Booba avait parlé « des discriminations dans les quartiers populaires », de la souffrance du peuple des banlieues et de tout le bazar victimaire que le MJS exhibe comme un totem, a regretté sa jeune présidente.

Tout bien réfléchi, c’est surtout la métaphore animalière de Booba qui choque le citoyen vigilant que je suis : en assimilant tous les requins à des prédateurs, et les djihadistes à ces bêtes assoiffées de sang, Booba stigmatise deux communautés objets des pires stéréotypes. On avait pourtant dit « pas d’amalgame »…

 

Dreux aux avants-postes du malaise français

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dreux fn immigration

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Porcs-épics, belettes et renards écrasés, vous êtes bien sur la route de Dreux. Nationale 12. En pleine campagne. Les champs se succèdent quand, soudain, trois tours HLM couronnent la cime des arbres. Ci-gît une ville de banlieue à 100 kilomètres de Paris. Ancienne cité gauloise, Dreux a longtemps été un point d’accès au royaume de France, mais la porte a cédé, et la ville est aujourd’hui peuplée à 40 % d’étrangers. « C’est Sarcelles », « Fais attention à toi ! », tels sont les encouragements prodigués à quiconque projette de s’y aventurer. La ville de 31 000 habitants est aujourd’hui plus connue pour être l’une des plaques tournantes nationales du trafic de drogue que pour la chapelle royale qui la domine du haut d’une colline. Entourée de plateaux, Dreux est un creux, pas seulement géographique. Près d’un habitant sur quatre est au chômage, et l’écart entre les revenus les plus hauts et les plus faibles y est presque deux fois plus important que dans l’ensemble du pays. En 2010, elle était même classée dixième ville la plus pauvre de France.

Si la France entière connaît le nom de Dreux, c’est parce que, il y a trente ans, le Front national y réalisait sa première véritable percée. Nous sommes le 4 septembre 1983, et à Dreux, c’est jour d’élection municipale, celle du printemps précédent ayant été invalidée. Le « tonnerre de Dreux » résonne sur la France : la liste menée par Jean-Pierre Stirbois, numéro 2 du FN, recueille plus de 16 % des voix – un score qu’on trouverait aujourd’hui faiblard ! [access capability= »lire_inedits »] C’est assez pour inquiéter la droite classique et inaugurer une alliance RPR-FN qui emporte la mairie, dix élus FN intégrant la majorité municipale. Premier avertissement. La gauche n’a pas encore fait du FN son principal fonds de commerce électoral – ni congédié le prolo. Un an avant la création de SOS Racisme, l’antifascisme d’opérette que l’on connaîtra ensuite est à peine balbutiant. Certes, à Paris, les people commencent à s’offusquer : Yves Montand, Simone Signoret, Simone de Beauvoir… À Dreux, quelques enjoués brisent des vitres à coups de « Stirbois salaud, le peuple aura ta peau ». Un accident suffira : en 1988, Jean-Pierre Stirbois, 43 ans, meurt au volant.

Deuxième avertissement seize ans plus tard, en 1999 : invitée par le maire RPR de la ville, Gérard Hamel, à enquêter sur place, Michèle Tribalat, démographe à l’INED (Institut national d’études démographiques), publie son bilan. Dans Dreux, voyage au cœur du malaise français, elle décrit une ville en proie au morcellement ethnique où le racisme « antiarabe » et son double mimétique, le racisme « antifrançais », organisent la vie sociale. Vexé, le maire et commanditaire rejette férocement des conclusions « partisanes » qui, selon lui, « remettent en cause la crédibilité de l’étude ». « Nous avons  affaire, là, à des affirmations gratuites qui ne reposent sur aucun fondement », écrit-il dans la postface. Il est même convaincu que Dreux sera « l’Exemple français ». Avec un grand « E ». Il est toujours maire de Dreux, mais on ne saura pas s’il pense toujours que sa ville est un modèle pour la France, nos demandes de rendez-vous n’ayant pas reçu de réponse, même négative.

Dreux , c’est la grenouille qui voulait être aussi grosse que le bœuf. En 1943, quand Christian Lévêque, 77 ans, agent d’assurances en retraite, s’y installe, ce n’est qu’ « une petite ville de province, qui ne compte pas plus de 14 000 habitants », se souvient-il. Mais à partir des années 1950, elle s’étend, et s’enfle, et se travaille. Les maires successifs œuvrent à transformer la ville, qui n’abritait que quelques fonderies, en zone industrielle spécialisée dans ce qu’on n’appelle pas encore le high-tech. Philips et Radiola s’y installent, suivies par une cinquantaine d’usines. Dreux se rêve en métropole. Alors il faut des bras, et les maires radicaux en font venir par milliers. En une quinzaine d’années, la population double, pour atteindre 30 000 habitants en 1968. Et elle change de visage, comme le raconte Christian Lévêque : « À Marseille, quand les mecs débarquaient sur le port, il y avait des pancartes : “Dreux, 900 kilomètres, ville ouverte” . Si bien que les Nord-Africains sont arrivés en masse… » Pour loger tout ce monde, il faut construire. Construire à tout-va. Les mots « banlieue » et « cité » ont encore un parfum de modernité et de Trente Glorieuses. Prod’homme, Les Chamards, Les Bâtes, le Lièvre d’or : sur les hauteurs de la ville, des cités champignons poussent à grande allure. Christian se souvient de leur apparition : « Ils ont construit des immeubles le plus vite possible. Niveau logement, ce n’était pas si mal en apparence, mais ce n’était absolument pas isolé : au premier, on entendait ce qui se disait au douzième. Bref, c’était une cata ! » Arrivent les années 1980, la crise, la rigueur, la fin des ambitions – ou des illusions – socialistes. L’une après l’autre, les entreprises licencient puis ferment, à l’image de Philips EGP, qui disparaît définitivement en février 2010.

Ces rêves de gloire industrielle sont bien révolus. « Il n’y a plus d’usine digne de ce nom, il ne reste que des bricoles. » Au volant de son Duster, Dominique Maillot, la soixantaine désabusée, secrétaire de l’union locale du syndicat Force ouvrière, pratique « l’archéologie industrielle ». « Ici, il y avait deux usines, là trois, et sur votre droite c’était Renault. » À travers le pare-brise, on voit défiler des aires de stockage, des parkings vides, des bâtiments délabrés. Gris, déserts, bétonnés. Sur les façades, on déchiffre encore les noms des entreprises effacés par le temps et par la crise. Dominique Maillot les suit du bout des doigts, égrenant le nombre d’emplois détruits par chacune d’elles. « L’espèce de restau asiatique, là, c’était Floquet, 600 emplois ; ici, Rosi, 300 emplois… » La même histoire se répète sur des kilomètres. « Avant, ici, il y avait la queue pour aller à l’usine, regrette ce militant acharné. Le matin, on distribuait 5 000 tracts sans problème. Toutes les boîtes, sans exception, qui ont fermé à Dreux gagnaient beaucoup d’argent, mais pas assez pour les marchés. Tout a été purement et simplement liquidé… »

Un peu plus loin, Dominique tourne dans une petite rue où des maisons sans étage sont alignées sur plusieurs centaines de mètres. L’expression « au milieu de nulle part » n’a jamais eu autant de sens pour moi. C’est ici que vit le « lumpen » blanc, la population « la plus délaissée » de la ville, observe Dominique, avant de préciser qu’il y a « beaucoup de gitans » : « Moi, je suis connu, alors ça va, mais, ici, on prend un coup de fusil vite fait. » Bienvenue aux Prod’homme, l’un des premiers quartiers construits dans l’urgence pour loger les ouvriers. Des passants semblent étonnés de voir une voiture circuler dans un décor dont plusieurs façades murées accentuent la désolation. Comme pour apporter sa contribution à l’absurdité ambiante, un bus garé le long d’un trottoir affiche un implacable « sans voyageurs ».

De l’autre côté de la ville, sur le plateau Est, s’étend le domaine du « lumpen » noir, ou beur, comme vous voudrez. La cité des Chamards, rebaptisée « Les Oriels », sans doute par des experts de la politique de la ville, est l’un des quartiers « immigrés ». Trois tours, une grande place et des dizaines de petits immeubles jaune et blanc. Nora Immeradan, environ 30 ans, en parle avec fierté. Elle y est née et y habite encore avec son fils de 8 ans, qui gambade à toutes jambes sur les trottoirs. C’est pourtant là que prospère le trafic de drogue. « On vit avec, ça ne dérange pas. Et quelque part, on les comprend », déclare Nora. Responsable de l’association Les Drouaises, qui promeut le vivre-ensemble dans le quartier, elle parle d’un jeune qui a vraiment tout fait pour s’en sortir, réussir, trouver du travail. C’était « trop dur », il a fini « dans la vente » – de produits illicites, pas de polices d’assurance. Les derniers chiffres de l’Insee, publiés fin 2012, sont accablants : le plateau Est concentre à lui seul 39 % des chômeurs de la ville. « Il n’y a plus d’emploi à Dreux, confirme Nora. Vers 5 heures du matin, on voit les gens qui travaillent à Paris descendre vers la gare en file indienne. » Une heure de transports à l’aller, une heure au retour. Quand il n’y a pas de grève.

Les autres doivent rester chez eux : entre les tours, il n’y a presque personne. Sur la place des Oriels, une boulangerie propose des jus de fruits turcs et des galettes des rois, en plein mois de mars. Juste à côté, chez At’Tawbah (littéralement « le désaveu »), on vend des voiles intégraux, couleur au choix, qui ne laissent voir qu’un bout de visage. Dreux est une ville très pieuse – on l’aura compris, c’est de piété islamique qu‘il est question. Six mosquées, sans compter celle de Vernouillet. Marocains, Algériens, Turcs…, chacun a la sienne. Y compris les fondamentalistes : la mosquée Es-Sunna accueille la communauté tabligh, mais pas les journalistes, ces mécréants qui pourraient être rebutés par l’interprétation littéraliste de l’islam qui y a cours. Le père Jean-Eudes Coulomb, 32 ans, est à la fois malicieux et prudent : « Ce n’est pas forcément négatif, mais il y a un prosélytisme important de la part des musulmans à Dreux. Il y a des tractages dans les rues pour appeler à financer la construction de mosquées. Et, parfois, des groupes de deux ou trois personnes qui font du porte-à-porte. » Ce n’est pas le plus grave. « À l’aumônerie, poursuit le prêtre, je rencontre des collégiens qui ont un mal fou à dire qu’ils sont chrétiens. » Quand, dans la rue, des Arabes lui crient « Allahou akbar » ou « Inch’Allah », il n’hésite pas à répliquer : « En Français, on dit à Dieu vat ! » D’après lui, les musulmans constituent 40 % de la population de sa ville : « C’est un chiffre qui court. » Contre « seulement 2 à 3 % » de catholiques pratiquants. Je me demande si les mosquées pleines suscitent une vague jalousie chez ce prêtre qui voit les églises se vider.

Chômage, immigration, islamisation : Dreux devrait être un eldorado pour le FN. Pourtant, trente ans après le « coup de tonnerre », le parti lepéniste est loin d’avoir raflé la mise, et si ses scores sont en hausse, ils restent inférieurs à la moyenne nationale. Julien Auer, 33 ans, principal responsable local et candidat aux départementales, l’explique très simplement : « Il est vrai qu’après la mort de Stirbois, le parti a été miné par des conflits et des problèmes d’ego, mais notre faiblesse tient surtout à la démographie : la ville est devenue un vrai fourre-tout, plus de la moitié des habitants sont d’origine étrangère et, malheureusement, les médias leur ont tellement inculqué que le FN ne voulait pas d’eux que, même avec les meilleurs militants du monde… » De toute façon, ces militants, Julien Auer ne les a pas. Dans le Drouais, ils sont au plus « une trentaine ».

Julien Auer marche avec sa colistière, Emmanuelle Letellier, dans le centre-ville historique qu’il fréquentait enfant. Ils désignent un commerce désaffecté avec une mine désolée : « Vous voyez, cette rue, la rue Rotrou. Il y a encore cinq ans elle était très commerçante. Il y avait même une galerie qui la reliait à la grande rue Maurice-Violette. » Ce vendredi après-midi, les voix résonnent dans le quasi-silence de la principale artère piétonnière et le couple de candidats y croise au mieux une trentaine de personnes. « Un commerçant sur deux ferme au bout d’un an, soupire le jeune homme en désignant un magasin de vêtements pour jeunes. Celui-là, je ne lui donne pas six mois. » La fin de sa phrase est couverte par le vacarme d’un cortège nuptial qui passe à proximité, annoncé par force coups de klaxon et nombre de drapeaux marocains.

Il faut dire que les jeunes des « quartiers » ne vont pas spontanément au centre-ville. « Rien n’est adapté pour nous là-bas, tempête Myriam Dieye, la trentaine, accompagnatrice sociale aux Oriels. Ce n’est pas une expo de peinture qui va nous attirer… » De même, ceux du centre-ville n’ont « rien à faire » dans les « quartiers » – sinon y acheter de la drogue. Mais on ne circule pas plus entre les « quartiers ». « On a des codes, des façons d’être et un ressenti différents, selon qu’on est des Oriels ou des Bâtes, explique Nora. Quand il m’arrive d’aller ailleurs, j’attire les regards, je ne me sens pas à l’aise. » Si les « quartiers », à Dreux et ailleurs, n’ont ni le charme ni la tranquillité des villages d’antan, la contrainte sociale y est au moins aussi pesante – bien plus en vérité.

Sur le site officiel de la Mairie, on ne se donne pas la peine de repeindre la réalité en rose, on l’efface. Aucune image des fameux « quartiers », où vivent la moitié des Drouais, mais le centre historique sous tous les angles – son beffroi, son église, ses rues presque bondées, sa rivière et ses quelques ponts : un petit bout de France d’avant, aussi kitsch qu’une boule à neige.

D’accord, tout le monde le reconnaît, depuis dix ans Dreux va « un peu mieux ». Les rues sont moins dangereuses – heureuse influence des « barbus » ? – et la ville « s’est embellie » : une nouvelle médiathèque, quelques pots de fleurs et beaucoup d’immeubles détruits. « On n’a plus besoin des ouvriers, alors on rase leurs logements », rouspète le syndicaliste Dominique Maillot, qui accuse le maire UMP, Gérard Hamel, de vouloir attirer des Parisiens pour faire de Dreux « un petit Rambouillet ». Aussi baroque paraisse ce rêve de gentrification, vu des cités du plateau Est, un grand chantier – parmi d’autres – a bien démarré, dans une zone limitrophe de la ville voisine de Vernouillet. Les grues ont fait place nette, réduisant littéralement en poussière les grands ensembles que le temps et l’abandon avaient ruinés depuis longtemps, comme la cité des Mille.

Christian Lévêque, qui habite dans le quartier proche des Oriels, a éprouvé un petit soulagement. « Avant, ici, c’était l’horreur, c’était très dangereux, déclare le retraité, fronçant ses sourcils broussailleux. Nous avons été cambriolés plusieurs fois. Certaines personnes ont quitté la ville, et ça n’a pas fait de mal. » Assis dans sa véranda, il jette un regard derrière lui : « Dans la cité des Mille, il y avait toutes les nationalités, européennes et, surtout, pas européennes. Il y avait trop de promiscuité, c’était la faune ! » Lévêque raconte avec ses mots à lui la perte d’identité, le sentiment de ne plus être chez soi. Il s’énerve un peu. « Certains me l’ont dit carrément : maintenant ce n’est plus chez vous mais chez nous. La plupart des Français de souche se sont barrés, on n’est plus que quatre. Mais je ne partirai pas. On a installé à côté de moi des gens que je n’avais pas du tout envie de voir. S’ils s’adaptent, aucun souci, sinon ça va pas gazer. » À l’entendre, on jurerait que Christian est un électeur enthousiaste de Marine. Il jure pourtant qu’il ne votera jamais FN. La presse qui souligne avec épouvante que les idées frontistes voyagent ne se trompe pas complètement…

Pas une rue de Dreux n’échappe aux panneaux « à vendre ». Et quand on demande aux jeunes ce qu’ils font pour s’occuper, c’est toujours la même réponse, déprimante, lancinante : « Rien. » « On se pose au McDo, on boit, on fume », confesse Mathilde Lefrançois, 20 ans, employée à l’office du tourisme.

Christian ne partira pas. Ou peut-être que si, finalement. Après tout, il peut fuir la banlieue sans s’exiler dans la France périphérique, puisqu’il y est déjà. En fait de Rambouillet, les dizaines de pavillons qui ont surgi à la place de la cité des Mille font plutôt penser aux zones grises décrites par Christophe Guilluy. Alors on prend de la hauteur et, depuis la chapelle royale qui surplombe la ville, on comprend que le partage du territoire progresse inexorablement. Ici, les « quartiers » et les  zones périurbaines vivent ensemble sans jamais se croiser : Dreux, c’est la France, et la France ressemble de plus en plus à Dreux.

 La ville de toutes les expérimentations 

Ça ne saute pas aux yeux, mais Dreux est un vrai laboratoire.

Elle a d’abord été ville-pilote pour l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), créée en 2003, et dont le président de 2007 à 2013 n’était autre que son maire UMP Gérard Hamel. Dès 2004, plus de 115 millions d’euros sont investis dans des quartiers comme Les Bâtes ou Les Oriels pour tenter de les désenclaver et d’y introduire une certaine mixité sociale. Aujourd’hui, l’ANRU concerne près de 500 quartiers en France pour un coût total de plus de 40 milliards d’euros.

Dreux et ses 23 % de chômeurs ont aussi été choisis pour expérimenter l’Action de formation préalable au recrutement (AFPR), inventée en 2009. Elle permet à une entreprise d’employer un demandeur d’emploi, rémunéré par Pôle emploi, en échange d’une période de formation et d’une promesse de CDI à la fin de ladite période. Elle a été généralisée à l’échelle nationale mais a fait l’objet d’abus : certains employeurs, comme le Leclerc d’Évry en novembre dernier, se débarrassant finalement des personnes accueillies au terme de leur formation.

Début 2013 enfin, Dreux a été l’éphémère capitale du « made in France » d’Arnaud Montebourg. Le ministre du Redressement productif s’était rendu sur place pour « rendre hommage » à la fonderie Loiselet, l’une des premières à relocaliser sa production en France après un exil en Chine. La robotisation de l’usine, installée dans les locaux désertés par Philips en 2010, devait permettre de produire « à un prix meilleur que le prix chinois » tout en favorisant l’embauche. Mais, moins d’un an après son ouverture, l’entreprise, qui a bénéficié d’une avance publique remboursable à taux zéro de 6,5 millions d’euros, était placée en redressement judiciaire.[/access]

*Photo : Vincent Lhuillier.

Maréchal, me voilà!

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petain vichy zemmour

petain vichy zemmour

Selon la formule d’Henry Rousso, Vichy est « un passé qui ne passe pas ». Un nouveau livre – encore un – revient sur ce qui s’est joué à Vichy en juillet 1940 : Voter Pétain ? de François-Marin Fleutot. Il s’en explique dans une excellente et précise interview accordée à Causeur.

De Pétain on ne se lasse pas. Pas plus que des films vus et revus et revus qui évoquent cette intéressante période : La Traversée de Paris, La Vache et le Prisonnier, Papy fait de la résistance, La Grande Vadrouille. C’est que Vichy fait toujours salle comble.

À gauche, on s’en sert pour déplorer le « retour aux heures les plus sombres de notre Histoire », formule servie ad nauseam dès le moindre accroc au politiquement correct. Ça permet aussi des raccourcis sans appel, du genre : « Sarkozy c’est Pétain », ce qui dispense les vociférateurs de penser par eux-mêmes. À l’autre bout du spectre politique, il constitue un élixir de jouvence pour Jean-Marie Le Pen. Ce dernier retrouve – avec émotion, n’en doutons pas – les moments délicieux qu’il a passés sur les genoux de tonton Tixier-Vignancour en ânonnant « Vichy pour les nuls ».

Incontestablement, la France a un problème avec Vichy. Comme on le dit souvent, l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Et depuis soixante-dix ans ce sont les vainqueurs – la gauche, l’extrême gauche, avec le renfort indispensable des gaullistes – qui ont dit ce qu’on pouvait dire sur Vichy. Une période noire de notre Histoire. Il arrive que les vainqueurs aient raison…

Mais comme la pensée de gauche de dominante qu’elle était est devenue sclérosée, arrogante et suffisante, la tentation est grande chez certains de ceux qu’elle insupporte de s’attaquer à cet édifice vermoulu. La période de Vichy ouvre à cet égard des perspectives insoupçonnées.

Pour commencer on va y aller mollo. On s’extasiera sur le style (ils en avaient certes) de Drieu, de Marcel Aymé, de Morand et leurs héritiers de l’immédiate après-guerre Jacques Laurent, Blondin, Nimier, Perret. C’est qu’ils écrivaient bien, les bougres ! On versera une larme en lisant les poèmes écrits à Fresnes par Brasillach dans l’attente du peloton d’exécution. Et hop, la gauche se mettra à hurler, ce qui confortera nos irrespectueux Hussards dans leur belle posture de révoltés.

La question juive – élément central de l’idéologie pétainiste – est plus délicate à manier. Mais y toucher est d’un bon rapport qualité-prix. Ainsi, pour son Suicide français, Eric Zemmour s’est transformé en expert-comptable, dénombrant les Juifs « sauvés » par Vichy, bien plus nombreux, selon lui, que ceux qui furent sacrifiés. Sans ça, et sans la polémique qui s’est ensuivie, il n’est pas sûr que son livre eût atteint les tirages qu’il a eus. Un concert d’indignation n’est pas à dédaigner pour booster les ventes. Une autre hypothèse, moins intéressée, est envisageable. Zemmour aurait quelques problèmes avec ses origines (pour ne pas me faire écharper par les zemmouriens de base je m’empresse de préciser qu’elle est de Finkielkraut).

Une précision sur ce point-là. Dans un simple souci de vérité et non pas de polémique. Avant la guerre, le maréchal Pétain avait des amis israélites, « des bons Juifs français » comme il aimait le dire. À ne pas confondre avec les pouilleux débarqués des ghettos d’Europe centrale. Un de ses amis s’appelait Jacques Helbronner. Avec Pétain il avait fait la guerre 14-18 et était devenu un notable important de la IIIe République. Un jour, les Allemands l’arrêtèrent. Un geste de Pétain eût suffi à le sauver ; le maréchal n’en fit rien. Et Helbronner alla à la chambre à gaz comme n’importe quel polak ou moldo-valaque.

Laissons maintenant les Juifs de côté. Vichy est justiciable de bien d’autres infamies. Jamais dans notre Histoire un régime n’avait accepté de livrer au vainqueur des réfugiés politiques. Vichy le fit en offrant aux nazis les exilés antifascistes allemands qui avaient trouvé refuge chez nous : la hache du bourreau les attendait. Pétain procéda de la même façon avec les républicains espagnols. Des gendarmes français les entassèrent par milliers dans des trains en partance pour Buchenwald.

Jamais dans notre Histoire, un régime n’avait fabriqué des lois rétroactives. Après un attentat, les Allemands avaient exigé des représailles. On confectionna à la hâte une loi immonde punissant de mort des activités communistes pour lesquelles des militants purgeaient déjà des peines de prison. On trouva des magistrats serviles qui prononcèrent la peine capitale. La guillotine fit son travail. Comble de l’abjection, Vichy proposa que les exécutions aient lieu en public. Les Allemands, un peu estomaqués quand même, déclinèrent cette offre alléchante. Voilà. Vichy c’était ça. Et le statut des Juifs ne fut que la cerise mise sur un gâteau pourri.

Pour la suite, mais sans trop d’impatience, nous attendons qu’on nous parle enfin des faces oubliées ou tues du maréchal. Ce qu’il a fait pour les femmes à qui il a dédié une fête. Ses lois sociales (il y en a eu) dont certaines sont encore en vigueur aujourd’hui. Dans la même veine on serait en droit d’espérer qu’on vienne nous rappeler les efforts consentis par le chancelier Hitler en faveur des femmes allemandes. Sans oublier les belles autoroutes qu’il a construites. Et la voiture du peuple, la Volkswagen. Manifestement, ça n’en prend pas le chemin. Ils sont bizarres, ces Allemands…

*Photo : SIPAHIOGLU/SIPA. 00224662_000004.

Voter Pétain ?: Députés et sénateurs sous la Collaboration (1940-1944)

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Stupre et lucre en Chine

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Tang Can

Tang Can

Deux photos tournent certainement en boucle dans les cauchemars des dirigeants communistes chinois : celle de Gorbatchev, qui, afin de survivre, fait de la pub pour les sacs Vuitton en dernière page du NY Times. Et celle du couple Ceaușescu arrivé au terme de sa gloire.

GorbatchevCeaușescu

Ces dirigeants ont donc résolu de ne pas s’appauvrir comme Gorbatchev (et sont donc devenus immensément riches) et de ne pas perdre le pouvoir comme les Ceaușescu (d’où les luttes violentes au sommet de l’appareil post-maoïste).

Ces deux cauchemars ont entrainé la chute de très nombreux dirigeants suprêmes du régime pour délits de (gigantesque) corruption. La presse occidentale s’est fait l’écho des médias chinois sur ce sujet, et je n’ai rien à ajouter pour l’information des lecteurs de Causeur.

Mais ce dont la presse parisienne a peu parlé, ce sont les flots de stupre qui se sont mêlés aux fleuves de lucre. Sur le lucre, la presse officielle chinoise regorge de détails et de chiffres. Quant au stupre, cette même presse en sert de bonnes portions, mais le relais principal est pris par Weibo (le Twitter chinois) et autres réseaux sociaux.

Afin de ne pas lasser avec des répétitions sur les horreurs de la révo. cul et les quarante millions de morts de faim du Président Mao, je me suis donc plongée, un peu, dans le web chinois, plus précisément dans l’intense information commerciale, politique, culturelle, et privée, assurée par des réseaux sociaux très développés, beaucoup plus que Facebook en France.

Six cent millions de Chinois, de toutes conditions, vivent accrochés à leurs smartphone et tablettes et font circuler d’une manière inconnue en Europe des quantités infernales de nouvelles. La censure veille, bloque et débloque certains mots et manipule en rémunérant des « WuMaoYuan », des « singes à cinq sous », un calembour sur l’homophonie de « singe » avec « employé » dans l’expression 「網評猿」 ou 「五毛員」. On ne sait pas combien il y en a précisément, mais assurément beaucoup.

« 5 maos », c’est un demi RMB, soit 0,08€. C’est la rémunération, modeste, des étudiants et chômeurs travaillant littéralement « à la pièce », pour faire la claque sur certains sujets favorables au pouvoir mais aussi lancer des rumeurs, ou en combattre d’autres, diffuser les infos les plus salaces sur les dirigeants déchus, ou qui vont bientôt choir.

Un exemple : une jolie dame chinoise a la réputation d’avoir transmis une maladie à ses nombreux amants. Les réseaux sociaux bourdonnent abondamment sur le sujet. Pourquoi parler de cette « histoire de fesses » dans Causeur, qui n’est pas un tabloïd londonien ?

Parce que la dame en question, Tang Can 湯燦, est une chanteuse très célèbre en Chine. Elle a même été quelque chose comme colonel-chanteuse au ministère de la Défense.

Tang Can

Quand ce n’était pas en uniforme [photo ci-dessus], elle passait sur les chaînes de TV dans des mises en scène grandioses.

Les amants auxquels elle aurait transmis le SIDA ne sont pas n’importe qui : Bo XiLai 薄熙來 qui voulait devenir Président de la République (mais vient d’être condamné à la prison à vie), Zhou YongKang 周永康, membre du comité permanent du Bureau politique du PCC, chef suprême des services de justice et de police (qui va être prochainement condamné à la même peine, et peut-être plus), Xu CaiHou 徐才厚, l’ancien n°1 des forces armées chinoises (qu’une mort opportune a fait échapper à la prison), Li DongSheng 李東生, devenu ministre de la sécurité publique pour avoir glissé Mme Tang dans le lit de l’un de ses patrons, etc.

Bo XiLaiZhou YongKangXu CaiHouLi DongSheng

Cette séduisante chanteuse serait en détention à WuHan, sinon déjà libérée en échange de confidences sur ses amants et leurs juteuses combines. Il est plus certain que plusieurs de ses imposants amants sont bien en prison : ce sont les « tigres » que vise la campagne anti-corruption en cours et fortement médiatisée.

Parmi le million de Chinois installés en France (sans compter les Taiwanais), y compris les étudiants que je fréquente, les discussions vont bon train sur les affaires de sexe du pouvoir pékinois ; celles-ci suscitent des clics nombreux, par millions, sur le web chinois hors de Chine, en  plus de la fermentation des réseaux sociaux en Chine même.

Nous voilà donc au cœur d’une indéniable réalité, mais aussi suspecte que les gens qui la propagent et dont discutent tous les Chinois. Quoi qu’il en soit, en Chine et en chinois, Tang Can est l’une des plus célèbres femmes fatales, un sujet pour un feuilleton TV.

Des universitaires ont déjà rédigé des thèses sur ce thème. Pour n’en citer qu’une, disponible sur Google books : Social Issues in China : Gender, Ethnicity, Labor, and the Environment, par Hao ZhiDong & autres. Un chapitre donne, de manière très académique, les noms de plusieurs officiels, policiers, gouverneurs, etc. qui avouent tous plus de cent maîtresses.

Parmi les nombreuses célébrités politico-sexuelles qui défraient la chronique, citons également Li Wei 李薇, d’origine franco-vietnamienne, milliardaire elle aussi grâce à une ribambelle d’amants puissants – donc riches – qu’elle a d’abord recrutés dans la province du YunNan, avant de gagner la capitale, en passant par la province du ShanDong. Elle a droit sur le web chinois à une longue notice biographique, détaillant une impressionnante liste de hiérarques industriels et administratifs comme amants homologués.

Elle est au centre de livres pas encore traduits en français, dont Tiger Head, Snake Tails : China today, how it got there and why it has to change de Jonathan Fenby.

Détenue quelque temps, Li Wei aurait été libérée après avoir livré tout toutes sortes de détails sur la manière dont ses anciens amants, tout en s’enrichissant, l’auraient considérablement enrichie. C’est la revue CaiJing, le très sérieux magazine économique publié à Pékin, qui a débusqué et dévoilé en 2011 les scandaleuses maîtresses des dirigeants corrompus et leurs performances financières, sous la plume de deux journalistes, Rao Zhi 饒智 et Luo ChangPing 羅昌平. Ils n’ont pu le faire sans avoir reçu des encouragements précis d’une autre faction, plus puissante encore, les « tueurs de tigres » au sein de la haute direction du PCC.

Couverture de la revue CaiJing
Couverture de la revue CaiJing

Bo XiLai et Zhou YongKang, son protecteur, sont crédités d’avoir connu ou entretenu 800 maîtresses, dont de nombreuses présentatrices des chaînes de télévision nationales, provinciales et municipales (les réseaux câblés).

Pour être équitable, et respecter la parité, le web chinois donne aussi le nom et les photos de jeunes hommes vigoureux, célèbres en Chine pour savoir consoler les épouses des dirigeants communistes déchus. Le plus célèbre : Rui ChengGang 芮成鋼 aurait avoué à la police avoir rendu heureuses une vingtaine de « cougars », épouses de potentats corrompus en manque d’orgasmes. La plus célèbre de ses abonnées serait l’épouse de Ling JiHua 令計劃, qui fut le directeur de cabinet de l’ancien président de la République Hu JinTao 胡錦濤. La chute de Ling (et de sa famille) est survenue après que son fils eut trouvé la mort en percutant sa Ferrari sur une pile de pont avec deux jeunes cover girls nues à ses côtés.

Rui ChengGang
Rui ChengGang

Rui ChengGang était une star du paysage audiovisuel chinois. Au forum de Davos, il avait interpellé en très bon anglais, de manière cavalière, l’ambassadeur américain à Pékin, Garry Locke (un Californien d’origine chinoise, connu pour la modestie de son train de vie). Il avait fait de même avec le Président Obama à Séoul, scandalisant la presse coréenne par son arrogance.

Je plonge dans ces flots de stupre et de lucre, spectaculairement étalés, pour ne rien ignorer des réalités chinoises, mais également pour interpeller les lecteurs sur un point majeur de la perception de la Chine en France.

L’adoration de la Chine y semble perpétuelle. Il n’y a pas si longtemps, droite et gauche rivalisaient de complaisance envers les crimes du maoïsme, en particulier le « grand bond en avant » et ses 40 millions de morts de faim, avant que Pol Pot, soutenu par Pékin au plus fort du génocide cambodgien, ne trouve à Paris de nombreux admirateurs.

Maintenant, c’est de la Chine capitaliste-maoïste et de ses capitaux-post-maoïstes  que les Français sont énamourés. C’est pour cela qu’il faut un peu explorer la sexualité politique du post-maoïsme, capitaliste mais toujours maoïste, même si le régime se réclame aussi aujourd’hui du confucianisme.

Après cette tribune, à qui pourrais-je réclamer mes 5 sous (5 maos de RMB) pour avoir répandu auprès des lecteurs français la version soufflée par le « ministère chinois de la Vérité », appellation orwellienne des trois départements officiels de la propagande qu’ont adoptée les internautes Chinois : « Tang Can a-t-elle passé le virus du SIDA à Bo XiLai ? Ou simplement les morpions de Zhou YongKang ? ». On imagine l’inquiétude des malheureux corrompus.

A suivre…

Valls? Un «crétin» utile

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manuel valls fn departementales immigration

manuel valls fn departementales immigration

« Endormissement : passage de l’état de veille à l’état de sommeil », dit le Larousse. Pour avoir cherché à ramener la classe politique et, au-delà, les Français, à un « état de veille » vis-à-vis du FN, Manuel Valls a été désigné à la vindicte générale. De Marion Maréchal-Le Pen à Michel Onfray, le diagnostic a été unanime : l’hôte de Matignon serait un « crétin ».

Naturellement, le Premier ministre est parti en guerre contre le FN avant une échéance électorale qui s’annonçait redoutable pour le PS : il s’agissait d’abord pour lui de remobiliser un électorat socialiste déçu, pour ne pas dire navré, par la première partie du quinquennat de François Hollande. Depuis sa nomination à Matignon, Manuel Valls se signale par ailleurs de manière récurrente par des outrances verbales qui desservent les causes qu’il prétend servir : comme l’usage récent, et décalé, du mot « apartheid ». Mais en dénonçant l’« endormissement » de l’Hexagone devant la montée du FN, le Premier ministre a au contraire trouvé le mot juste : Marine Le Pen est désormais aux portes du pouvoir, son élection à l’Élysée en 2017 reste improbable, mais elle n’est plus inconcevable, et chacun continue de vaquer à ses petites occupations.[access capability= »lire_inedits »]

Mieux, ou plutôt pire : on assiste à une « marinisation » des esprits, la dénonciation permanente par la présidence du FN de « l’ultralibéralisme » n’étant pas sans effet sur certains grands esprits à la gauche de la gauche. En 2012, Jean-Luc Mélenchon s’était autoproclamé ennemi numéro un de Marine Le Pen : cela ne l’a pas empêché depuis de refuser de choisir dans certaines élections partielles entre l’UMP et le FN quand ces deux formations restaient seules en lice au second tour. Que fera-t-il en 2017 si Marine Le Pen se retrouve au second tour face au candidat UMP ? Personne aujourd’hui n’a la réponse. Philosophe vétilleux sur son rang, Onfray a le droit de reconnaître Alain de Benoist comme un de ses pairs, et pas Bernard-Henri Lévy. Reste que, sur le terrain politique, Alain de Benoist apporte à Marine Le Pen un soutien certes « critique » mais revendiqué. Ce qui n’est pas un… « détail » !

Sonner le tocsin devant le « danger FN » ne sert bien sûr strictement à rien : nous avons déploré dans plusieurs ouvrages la propension de la gauche à camper sur une posture morale parfaitement inefficiente. Allons-y à notre tour d’une petite provocation. Depuis l’irruption du FN dans le paysage politique français, il y a maintenant trente ans, mis à part Bruno Mégret, une seule personne a réussi à entamer le magot de la famille Le Pen : Patrick Buisson, ancien directeur de Minute, et scénariste de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. C’est en se salissant les mains, en venant en particulier sur le terrain de l’immigration, l’interdit des interdits, que l’on peut faire reculer le FN.

Mais, justement, Valls ne s’est pas contenté de paroles. Si son usage inapproprié du mot « apartheid » paraissait induire une sollicitude exclusive en faveur des « quartiers », où sont regroupées les populations d’origine immigrée, le Premier ministre a décidé d’une série de mesures en faveur de la « France périphérique » chère au géographe Christophe Guilluy, où sont regroupées les catégories populaires plus anciennement françaises. Des catégories ignorées depuis longtemps par toutes les gauches, et chez lesquelles Marine Le Pen cartonne.

On peut se moquer du barnum gouvernemental dans l’Aisne, où le Premier ministre s’est transporté pour faire ses annonces. Ça vient bien tard. Mais c’est un pas dans la bonne direction. Dans ces conditions, on nous permettra de préférer ce « crétin » de Valls à l’idiot utile qu’est devenu Michel Onfray ; plutôt Valls aussi que les simplets de l’UMP, du type Sarkozy, qui continuent de se délecter dans la tambouille politicienne.[/access]

*Photo : ZIHNIOGLU KAMIL/SIPA. 00705510_000017.

Günter Grass, grand écrivain, hélas!

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Günter Grass

Günter GrassGünter Grass était de l’espèce, en voie de disparition, des « grands écrivains ».  

Un de ceux dont même Fleur Pellerin  serait capable de citer le nom si on lui demandait d’évoquer une grande figure de la littérature allemande contemporaine. Ce qui distingue un grand écrivain d’un bon écrivain, ce n’est pas l’attribution du prix Nobel – les littérateurs estimables, mais mineurs, couronnés par l’Académie suédoise sont légion – mais la rencontre d’un homme de lettres avec son peuple, l’Histoire et l’universelle humanité. Ecrire dans une langue majeure, appartenir à une nation porteuse de tragique historique est, certes, un avantage pour accéder à ce statut, mais il existe, heureusement, des exceptions : Knut Hamsun et Milan Kundera en sont la preuve. On peut être, également, un grand écrivain en dépit de ses errements politiques ou mêmes éthiques dans le domaine extra littéraire : Jean Paul Sartre et Louis Ferdinand Céline en attestent.

Günter Grass était un grand écrivain de l’espèce roublarde, gestionnaire avisé de son image publique, sachant à merveille ne pas se faire oublier par quelque sortie scandaleuse quand sa production littéraire faiblissait : son  coming out  en 2006, révélant qu’il avait rejoint volontairement, en octobre 1944, une Panzerdivision SS à l’âge de 17 ans, était un modèle dans le genre bras d’honneur à ses admirateurs politiquement corrects de l’Allemagne petite-bourgeoise. Il avait jusque-là prétendu n’avoir servi, comme beaucoup d’adolescents de son âge, que dans la défense anti-aérienne. Menteur ? Et alors ? Qui ne l’est pas dans cette génération ?

Un seul livre, suivi d’un film culte, «  Le Tambour », publié en 1959 et tourné en 1979 par Volker Schlöndorff, suffit à installer Grass dans le panthéon de la littérature mondiale du XXe siècle. On oublie, en général, que ce chef d’œuvre, transcription picaresque de ses souvenirs d’enfance à Dantzig touchée par la fureur nazie, fut élaboré à Paris, lors d’un séjour de quatre ans de Grass dans la capitale française. C’est ainsi qu’il parvint à sortir du provincialisme germanique d’après-guerre et à ne pas se laisser enfermer, comme la plupart des écrivains de sa génération, dans la « Trümmerlitteratur » (littérature des ruines), ressassant l’effondrement physique et moral de la nation allemande. Son œuvre doit autant à Rabelais qu’à Goethe ou Thomas Mann, un coup de génie d’autodidacte sorti du peuple et n’ayant aucun surmoi hégélien ou heideggérien : il importe insolemment dans le sérieux germanique des folies venues d’ailleurs. On ne saurait mieux sentir cette imprégnation que dans le dialogue, enregistré en 1999 par la télévision allemande, entre Pierre Bourdieu et Günter Grass. Ce dernier venait de recevoir le prix Nobel, et Bourdieu avait fait un succès éditorial outre Rhin avec son livre La misère du monde. Ce qui devait être un duo d’admiration mutuelle entre deux auteurs regardant le monde du point de vue des « dominés » fut d’emblée perturbé par un Grass s’étonnant du pesant manque d’humour de Bourdieu…

Autre filouterie : Günter Grass passe aujourd’hui, en Allemagne et ailleurs, pour une « grande conscience de gauche », au motif qu’il s’engagea aux côtés de Willy Brandt, puis de Gerhard Schröder dans leur combat politique pour la conquête de la chancellerie. En fait, Grass n’avait pas d’idées politiques bien élaborées, et seule la détestation de la petite bourgeoisie étriquée – qu’elle s’incarne dans un parti chrétien-démocrate vulgairement économiste, ou dans des fonctionnaires sociaux-démocrates embourgeoisés – guidait son action politique. Son allégeance allait à ses semblables : des dirigeants venus « d’en bas », travaillés par des passions de tous ordres, celle du pouvoir, bien sûr, mais aussi la bouffe et le sexe. L’unification allemande, en 1990, le désola : il y vit la déferlante du consumérisme occidental sur la partie du pays qui en avait été préservée, ce qui faisait de la RDA un conservatoire muséal de l’Allemagne de son enfance. Il fit également scandale en publiant un poème accusant Israël de mettre en danger la paix du monde avec son armement nucléaire, au moment même où Ahmadinejad prônait l’éradication du « cancer sioniste ». Que Grass soit  né quelques mois seulement avant Jean-Marie Le Pen n’est peut-être pas tout à fait étranger à ce type de comportement lorsque survient le grand âge…

Günter Grass, jusqu’à sa mort, vécut dans un petit village près de Lübeck, en Allemagne du nord. Il me fut donné de le rencontrer, en 1983, lorsque la campagne électorale du SPD fit halte dans son domaine. Pendant que l’assistance se régalait de l’anguille à la sauce à l’aneth, spécialité locale, je ne pus m’empêcher de constater l’étonnante ressemblance de Günter Grass avec Francis Blanche : même morphologie trapue et massive, même yeux pétillants dans un visage lunaire, même humour ravageur… C’est Blanche, et non Bourdieu, qui eut été son interlocuteur idéal.

*Photo : FRITZ REISS/AP/SIPA/AP20481874_000003

Chrétiens d’Orient : supplique à l’ONG France

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chretiens orient syrie colosimo iran

chretiens orient syrie colosimo iran

La navrante affaire de la RATP aura au moins eu une vertu : nous rappeler l’amnésie collective qui frappe une partie du Vieux continent. Et pas simplement ses élites. La transhumance spirituelle de « gaulois », nés et élevés dans le christianisme, puis brusquement convertis à l’islam version djihadiste, manifeste de façon paroxystique la déshérence culturelle dans laquelle nous baignons. Une France réduite au fameux plébiscite de tous les jours, qui s’apparente de plus en plus à un contrat signé entre colocataires contraints et forcés, ne sait ni d’où elle vient ni où elle va. Il y a une dizaine d’années, les sages membres de la Convention pour l’avenir de l’Europe avaient tranché : l’héritage de l’Europe n’est pas plus gréco-latine que chrétien, l’UE devant borner son identité aux ponts qui ornent nos billets en euros. Même topo pour les chrétiens d’Orient, inspirateurs d’une fraternité supposément identitaire, donc coupable. Heureusement, le Pape François vient de remettre les pendules à l’heure en dénonçant, cent ans après, le « génocide arménien » en écho à l’épuration religieuse en cours sur les rives du Tigre et de l’Euphrate.

Au micro de Jean-Jacques Bourdin la semaine dernière, l’éditeur et philosophe des religions Jean-François Colosimo n’a pas économisé ses critiques à l’encontre de la lâcheté française. Ce sentiment vil et égoïste nous fait abandonner les chrétiens orientaux comme des « petits frères égarés » indignes de notre solidarité :  pas assez exotiques pour enflammer les défenseurs des sans-papiers, moines tibétains et Indiens d’Amazonie, mais sans doute trop arabisés pour susciter le flot de compassion qui submerge nos compatriotes dès que des touristes occidentaux périssent dans un tsunami. Sinistre sort. Les descendants des premiers chrétiens, aujourd’hui livrés à la violence ciblée de l’Etat islamique, sont bel et bien devenus les « hommes en trop » d’un monde arabe qu’ils ont en grande partie façonné, enrichi de leurs apports culturels et révolutionné grâce à leur participation aux mouvements de libération nationale des XIXe et XXe siècles.

Ne dénonçant qu’un vague « génocide culturel » à la tribune de l’ONU, le gouvernement français se comporte « comme une ONG », d’après l’expression qu’a employée Colosimo : 1500 visas accordés, cela ne fait pas une politique. Non qu’il faille ouvrir encore davantage nos frontières à ces pauvres hères déracinés. La France ne peut ni ne doit accueillir toute la misère du monde. Bon sang, ces chrétiens ont un nom, une adresse, une identité irréductibles qu’il s’agit de respecter, au lieu de les entasser à Sarcelles, comme certaines chaisières fort bien intentionnées rêveraient de le faire. Il n’est de grande politique que géostratégique. Aussi, tant que notre diplomatie refusera de se donner les moyens d’agir en faveur des minorités du Levant, Hollande, Valls et Fabius pourront verser toutes les larmes de crocodile du monde sur la tragédie des chrétiens. Au risque de singer Colosimo, j’insiste sur un point sensible : seul l’engagement de troupes militaires au sol, y compris en Syrie, en sus des bombardements au-dessus de l’Irak, pourrait garantir la sécurité des foyers chrétiens de la région et combattre efficacement Daech. Jusqu’ici, ces pauvres chrétiens n’ont d’autre option que l’exil ou la réclusion avant la capitulation, type Fort Chabrol.

Il faut vouloir les conséquences de ce que l’on veut, disait le Général. Evidemment, un tel coup de collier exige une complète refonte de notre politique étrangère. Oubliées les accolades avec l’émir du Qatar, grand mécène du salafisme devant Allah miséricordieux, les contrats d’armements juteux avec l’Arabie Saoudite, et l’alignement systématique sur une OTAN qui, nolens volens, tolère en son sein une Turquie base arrière de l’Etat islamique. Hélas, on imagine mal Fabius tonner contre Ankara avec la même vigueur que les autorités tunisiennes, lesquelles ont légitimement rappelé au gouvernement turc ses devoirs dans la lutte contre le terrorisme . Car, comme l’a brillamment exposé Luc Rosenzweig, nos gouvernants s’entêtent dans le développement d’un axe diplomatique sunnite qui ne signifie plus rien à l’heure de la barbarie da’echiste. Sur le terrain, ce sont les gardiens de la Révolution iraniens, les milices chiites irakiennes et les troupes du Hezbollah qui assurent encore la prééminence de l’armée syrienne sur les djihadistes et font refluer l’Etat islamique en Irak. De larges pans de ces guerriers chiites ne sont sans doute guère fréquentables aux yeux de démocraties légitimement attachées à la sécurité d’Israël et à la stabilité de la région. Mais que dire des pétromonarchies sunnites alliées de l’Occident? Devant Bourdin, Colosimo n’a pas manqué d’énoncer une évidence : les juifs et chrétiens Iraniens peuvent pratiquer leur religion, contrairement aux esclaves philippins qui suent le burnous dans les pays du Golfe sans aucun droit cultuel.

Nos « socialistes » néoconservateurs feraient bien d’y réfléchir à deux fois avant de prononcer de grandes phrases définitives sur l’avenir de la Syrie ou les ambiguïtés (réelles) de l’Iran. La signature – certes, au forceps – de l’accord cadre de Lausanne augure peut-être d’une reconfiguration globale du Moyen-Orient. Même le guide Ali Khamenei, entre deux sorties pessimistes, s’est hasardé à déclarer qu’il n’excluait pas d’aborder les dossiers yéménites, libanais, syrien et irakien avec ses interlocuteurs occidentaux, démentant ainsi les récents propos de son vassal Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah libanais. Téhéran serait-il plus enclin à transiger si la question nucléaire trouvait un règlement définitif ? Il serait bon que le quai d’Orsay se pose au moins la question d’une collaboration avec les mollahs iraniens dans l’échiquier régional. Serions-nous plus dogmatiques que les Kurdes laïcs alliés à la République islamique à la faveur des circonstances ? Quand il s’agit de mettre à bas les coupeurs de mains, on ne devrait pas affecter de garder les mains propres…

Les hommes en trop : La malédiction des chrétiens d'Orient

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*Photo : DR. Eglise de Hama (Syrie).

Enseigner les religions… sans religiosité ?

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religion éducation laïcité

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Doubler le nombre de mosquées en France ? Autoriser dans le métro une affiche pour un concert en faveur des chrétiens d’Orient ? Imposer la neutralité religieuse dans les crèches privées ? Interdire le voile islamique à l’Université ? Réformer la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat ? De toutes parts, la question religieuse ne cesse de confronter les fondements de la société française tout en embarrassant ses dirigeants incapables, par souci électoraliste, de définir une ligne cohérente et pérenne en la matière.

A ceux d’aujourd’hui comme à ceux de demain, nous recommanderons donc la lecture des actes du colloque « Enseigner les religions : regards et apports de l’histoire » qui a réuni en mai 2012 à l’Université Laval de Québec des universitaires, des historiens et des théologiens, en provenance de différents pays. Des échanges dont François Moog, de l’Institut catholique de Paris, note dans une postface qu’ils n’auraient jamais pu avoir lieu dans le cadre de l’université française en raison, selon lui, d’un « conflit des idéologies ». Après la « sortie de la religion » énoncée par le philosophe Marcel Gauchet, les responsables de ces actes publiés aux Editions Hermann, Brigitte Caulier et Joël Molinario, respectivement Professeur à l’Université Laval et Professeur à l’Institut catholique de Paris, insistent dans une introduction sur « une nouvelle configuration du religieux » marquée par « la subjectivation », « la désinstitutionalisation » et « la recherche identitaire ». Si une première partie de l’ouvrage, à dominante historique, se consacre « aux entreprises de conversion dans le Nouveau Monde » et aux « ères de colonisation », la seconde s’intéresse plus directement à la place et aux perspectives de l’enseignement des religions dans les systèmes éducatifs contemporains. C’est-à-dire « laïcs ».

Fallait-il à ce titre – et s’en inquiéter signe autant une appartenance culturelle qu’un doute épistémologique – rassembler sous le vocable « enseignement » ce qui appartient peut-être davantage aux missions d’évangélisation et de conversion, c’est-à-dire aux transmissions de la foi entre croyants ? C’est Claude Prudhomme, de l’Université Lumière Lyon 2, qui ébauche le premier cette nécessaire distanciation en rappelant la méfiance entre « l’histoire missionnaire » et « la communauté universitaire » : la seconde reprochant « non sans raison » à la première « de subordonner ses travaux à la promotion de la cause » religieuse, celle d’une visée confessionnelle. Et de proposer, loin d’un enseignement reposant sur un « comparatisme plat » ou un « catalogue des similitudes et des différences », que toute histoire des religions s’écrive « dans une approche croisée » qui s’interroge sur « les effets de la cohabitation et de la compétition religieuse sur chaque confession » car celle-ci « investit toute l’existence individuelle et collective ».

Les « constructions identitaires », notamment la « poussée des radicalismes politico-religieux en islam » en sont, selon l’auteur, « une manifestation spectaculaire ». Il requiert même d’envisager les faits religieux à travers une histoire de « la circulation de leurs modèles », de « leurs allers et retours » et de « leurs emprunts et influences réciproques ». Une véritable contribution, selon lui, à « l’apprentissage d’un pluralisme qui implique la reconnaissance mutuelle ». Mais l’auteur n’ignore pas non plus les résistances des institutions religieuses, inquiètes des conséquences d’une collaboration méthodologique imposée par les sciences sociales en termes de « dilution de la spécificité des religions » et de contestation de leur autorité à « dire le vrai et le bon ». Claude Prudhomme affiche d’ailleurs sa perplexité sur le bilan des trente années des thèses universitaires à doubleau sceau, catholique et laïc.

Si le lecteur s’arrêtera, pour son plaisir intellectuel, sur la présentation de Philippe Martin « Enseigner par le livre vers 1780 » – rappelant implicitement cette remarque de Corneille formulée un siècle plus tôt « Publier un texte, c’est l’avilir » (1633) – il concentrera son attention sur les ultimes chapitres « Enseigner les religions à l’école dans les sociétés occidentales ». Lesquels offrent un riche foisonnement d’expériences et de précieuses réflexions sur un sujet particulièrement sensible dans l’Hexagone. Bram Mellink, de l’Université d’Amsterdam, montre dans The curious survival of dutch parochial schools, les évolutions inattendues des écoles confessionnelles aux Pays-Bas, catholiques ou protestantes, entièrement financées par l’Etat et accueillant encore en 2011 « 70% des écoliers néerlandais » : paradoxe, pour l’auteur, d’une société dont le processus de sécularisation aurait transformé jusqu’aux écoles confessionnelles elles-mêmes. Jean-Dominique Durand, de l’Université Jean Moulin Lyon 3, dresse pour sa part un descriptif des plus éclairants – mais sans en tirer les leçons – sur la variété des expériences européennes d’un enseignement de la religion. Flavio Pajer, de l’Université La Salle de Rome, s’interroge quant à lui, « et à l’exception de la France séparatiste », sur « la typologie » des rapports institutionnels entre chaque Etat et « son » Eglise ainsi que sur les orientations européennes en explorant deux documents majeurs : le Toledo Guiding Principles on Teaching about Religions and Beliefs in Publics Schools (OSCE, 2007) et Le Livre Blanc sur le dialogue interculturel (Conseil de l’Europe, 2008). Une des contributions les plus passionnantes reste néanmoins celle de Mireille Estivalèzes, de l’Université de Montréal, intitulée « La place de la culture religieuse à l’école québécoise : tendances récentes ». Un texte qui rejoint dans ses finalités concrètes celui de Claude Prudhomme. L’auteur y évoque le Programme commun d’éthique et de culture religieuse (ECR) qui propose une « approche socioculturelle » de la religion au moyen de « l’étude des différentes expressions du religieux et d’une maîtrise graduelle de la pratique du dialogue argumenté ». Et d’expliciter : la culture religieuse est appréhendée comme une « compétence qui permet de décoder et de comprendre », selon une approche culturelle, « les signes et les expressions du religieux dans leur environnement » et ce, en « privilégiant la culture québécoise ». Refus net de l’approche historique au profit d’un décryptage phénoménologique. Ce qui n’empêche pas Corinne Bonafoux, de l’Université de Savoie, de soulever in fine cet « impensé dans le système éducatif français qui présuppose que l’élève déduit des valeurs de connaissances et passe de valeurs à des comportements ». Une articulation à questionner car les enseignements reçus à l’école n’auraient pas, selon l’auteur, toute l’influence escomptée sur le comportement de l’adulte. La pédagogie éducative et scolaire par la Charte de la laïcité serait-elle déjà vouée à l’échec ?

Enseigner les religions, regards et apports de l’histoire (Sous la direction de Brigitte Caulier et Joël Molinario), Editions Hermann, Coll. « Religions, Cultures et Sociétés », avril 2015.

Immigration clandestine: la Cour des comptes épingle le droit d’asile

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(AFP) – La politique d’asile en France, dont le coût avoisine les 2 milliards d’euros par an, « est au bord de l’embolie » et n’est « pas soutenable à court terme », selon un document de la Cour des comptes révélé lundi par Le Figaro.

Ce document confidentiel est « une sorte de rapport d’étape », précise Le Figaro, alors que débute mercredi l’examen par la commission des lois du Sénat d’un projet de loi réformant le droit d’asile.

Selon ce document, « la politique d’asile est devenue la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France ».

Le rapport pointe « une hausse de la demande d’asile jusqu’en 2013 pour atteindre 66.251 dossiers déposés », des « délais de procédure qui s’élèvent à deux ans environ » et « une concentration des demandes sur certains territoires, en particulier l’Ile-de-France ».

La Cour des Comptes a « déploré » lundi la publication « prématurée » de ce document, et mis en garde « contre une lecture partielle et partiale d’un rapport non définitif ».

Selon le document révélé par Le Figaro, la Cour des comptes a procédé au calcul des « dépenses totales effectuées pour les demandeurs d’asile » et conclu à une hausse de 60% en cinq ans : « pour les demandeurs d’asile, le coût global s’élèverait à 990 millions d’euros environ en 2013, contre 626 millions d’euros en 2009 », soit un coût par demandeur de 13.724 euros.

Pour les déboutés, le montant des dépenses « serait équivalent à celui consacré aux demandeurs d’asile », à savoir un milliard d’euros par an et un coût moyen par débouté « allant jusqu’à 5.528 euros ». De ces calculs découle une facture globale de 2 milliards d’euros par an.

Le texte souligne également que, « malgré l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui leur est notifiée, seul 1% des déboutés sont effectivement éloignés ». La majorité des déboutés « reste en situation irrégulière en France ».

Le document émet des « recommandations provisoires », notamment de « réduire le montant des allocations mensuelles versées aux demandeurs d’asile », de mettre en place un « guichet unique » de traitement des dossiers et d’« exécuter les obligations de quitter le territoire français pour les personnes déboutées ».

Pour Pascal Brice, le directeur général de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), sur la réduction des délais préconisée par le rapport, « le mouvement est déjà engagé ».

« Le nombre de décisions rendues en 2014 a augmenté de 12% par rapport à 2013 », a-t-il ajouté, en précisant que le rythme allait encore accélérer du fait de l’entrée en fonction des 55 personnes recrutées en janvier.

L’an dernier, le taux d’accord des demandeurs d’asile a atteint 28% dont 17% à l’Ofpra (le reste dépendant de la Cour nationale du droit d’asile). L’Ofpra doit présenter son rapport 2014 jeudi.