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Éloge de la vieillesse

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À quelques jours de l’ouverture du 49ème Rétromobile, le salon des automobiles anciennes de la Porte de Versailles, Monsieur Nostalgie perçoit comme un changement d’air dans les médias conventionnels. L’Histoire des voitures n’est plus cachée ou ostracisée. Serait-ce un retour de l’auto dans le cercle de la raison ?


J’ai cru avoir la berlue, un dimanche de janvier, dans les rues de Paris. Elles étaient des centaines, en liberté, allant de la Place Vendôme à la Butte de Montmartre, une faune métalleuse, sans restriction, sans zone d’exclusion, sans péage, sans déchéance d’identité, à la vue des passants et des touristes, accueillant banlieusards en utilitaires anciens et gentlemen drivers des banlieues huppés en italiennes dévergondées. La Concorde recevait en son sein, ce jour-là, toutes les nationalités et toutes les carrosseries, toutes les opinions, dans la communion d’une « mobilité » heureuse. Dans ce parking improvisé et soi-disant « viriliste », abject aux yeux de nos nouveaux inquisiteurs, on parlait très peu de boulons et de ferraille, plutôt de cette onde nostalgique qui drape les Hommes de bonne volonté. La mémoire était vive, aucunement rabougrie, aucunement passéiste, elle était pacifique et partageuse. On parlait, entre les pare-chocs, de cinéma, d’architecture, de sculpture, de sports mécaniques, des mots interdits comme « miracle économique italien », « trente glorieuses », « île Seguin », « carrossiers », « Monte-Carlo 1965 », « Connolly » ou « l’épicier ambulant de mon village » venaient fouetter les idées reçues.

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L’hibernation de notre patrimoine a assez duré ; les génuflexions victimaires aussi. La peur va bientôt changer de camp. L’auto est plus qu’un art de vivre, c’est un art de penser la société industrielle avec l’œil d’un esthète et le souvenir d’un enfant. Comme dirait l’humaniste Patrick Sébastien, c’est que de l’amour. Est-ce l’effet Trump ? La libération de la parole du pick-up et des « muscles cars » dans une société oublieuse de son passé. Un retour de flamme du moteur à explosion, après vingt ans de purgatoire où il fut accusé de tous les maux et de toutes les vilénies. Selon la formule célèbre, « un barbu, c’est un barbu, trois barbus, c’est des barbouzes », « Une DS, c’est une DS, trois DS auxquels j’ajoute une Jaguar MK II, une Pagode, une R18 break et, entre autres, une Estafette, c’est une révolution ». Les mentalités ne sont plus figées dans la vieille « agit-prop » qui faisait jusqu’à très récemment de l’auto, la mascotte de notre culpabilité. Car nous étions forcément coupables d’avoir aimé les autos, leur imaginaire et leur style, de nous être complus dans un consumérisme effréné qui apportait jadis de l’emploi, du progrès, du confort, de la sécurité, des échanges et des voyages. Nous étions des salauds attachés à leur petite auto individuelle qui n’avaient pas le droit de s’émouvoir des départs en vacances sur la Nationale 7 et de pépé au volant de son Renault Galion, je ne serai pas cet homme-là, celui du renoncement. Je croyais être seul, je me rends compte que nous sommes des milliers à ne pas rejeter la voiture car elle était l’expression de notre humanité triomphante. Nous pourrons constater, dans quelques jours, du 5 au 9 février sur le salon Rétromobile, que les amoureux de toutes les locomotions anciennes ne sont pas des tortionnaires, mais des passeurs, des entremetteurs, des éclaireurs de nos richesses mécaniques d’antan. Le programme de cet événement qui annonce le top départ de la saison car, dès le printemps, ce sera une déferlante dans tout l’hexagone, de manifestations, sorties de clubs, rallyes et concours d’élégance.

Le pilote automobile monégasque Charles Leclerc lors de l’édition 2024 du Salon « Rétromobile » à Paris (c) Photo André Ferreira / DPPI

À la Porte de Versailles, il y a aura cette année des blindés en provenance de Saumur, des « avant-guerre », des Formule 1 « Made in France », l’anniversaire des 70 ans de la Citroën DS, des ventes aux enchères et des petits papiers, livres, documentations d’époque et autres affiches. L’auto, la belle auto, populaire et élitiste, est le canevas de nos émotions. Ne la trahissons pas ! Quand je vous parlais de changement de paradigme, il suffit de voir la programmation d’Arte. En ce moment, sur la plateforme de la chaîne culturelle franco-allemande, sont diffusées les trois parties du documentaire « Une brève histoire de l’automobile »[1] et si cela ne suffisait pas, les programmateurs ont ressorti en ligne le reportage « Bugatti, l’ivresse de la vitesse »[2] datant de 2016. Comme quoi au royaume de la bien-pensance, il y a du flottement dans le volant. Après avoir vu une Bugatti 35 sur les routes de Molsheim en action, en mouvement, je connais peu d’hommes qui peuvent résister à cet appel « Bleu de France » !

Informations pratiques : https://www.retromobile.com/fr-FR/infos-pratiques/dates-horaires-plan

Tendre est la province

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[1] https://www.arte.tv/fr/videos/RC-026050/une-breve-histoire-de-l-automobile/

[2] https://www.arte.tv/fr/videos/069103-000-A/bugatti-l-ivresse-de-la-vitesse/

Le cri d’Olivia Maurel contre la marchandisation des corps

À travers un récit autobiographique poignant, Olivia Maurel livre son expérience d’enfant né par gestation pour autrui (GPA) et pose un regard critique sur cette pratique, appelant même à son abolition universelle. Cependant, une question persiste pour le lecteur une fois le livre refermé : peut-on réellement attribuer toutes ses difficultés personnelles aux conditions de sa naissance?


Une voix pour les enfants nés de la GPA

Olivia Maurel, née en 1993 par GPA aux États-Unis, entend être le porte-voix des enfants issus de cette pratique. Dans son ouvrage, elle critique fermement ses implications éthiques et sociales. Active sur les réseaux sociaux, notamment TikTok où elle sensibilise sur ces questions de bioéthique, Olivia Maurel s’est fait connaître des conservateurs en avril 2024 après avoir fait la Une du Journal du Dimanche. Ses détracteurs, toutefois, cherchent parfois à minimiser son discours, arguant qu’elle est en réalité issue d’une procréation pour autrui (où l’ovule et la gestation proviennent de la mère porteuse) et non d’une gestation pour autrui (où seule la gestation est assurée par la mère porteuse). Une distinction qui ne change rien à l’enjeu fondamental de l’exploitation des corps.

Dans Où es-tu maman ?, Olivia retrace son parcours : de la découverte tardive de ses origines, grâce à un test ADN offert par sa belle-mère en 2022, jusqu’à son combat militant actuel. Ce test, reçu quelques mois après la naissance de son troisième enfant, a bouleversé sa vie en révélant des vérités longtemps dissimulées.

Aurait-elle préféré ne pas naître ?

La GPA, sujet très débattu et pratique qui reste interdite en France, est légale dans de nombreux pays comme les États-Unis, la Russie, l’Ukraine ou l’Inde. Elle permet à des couples infertiles, des femmes seules ou des couples homosexuels de devenir parents en ayant recours à une femme qui porte l’enfant pour eux.

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Olivia Maurel met en lumière le modèle économique qui sous-tend cette industrie. Dans de nombreux cas, les mères porteuses proviennent de milieux précaires et leurs corps sont utilisés comme des outils pour répondre à la demande de couples désireux d’avoir un enfant. Olivia dénonce cette marchandisation de la maternité, qu’elle qualifie de déshumanisante. Elle décrit un univers où « derrière la vitrine rose et bleue des cliniques spécialisées, se cache une réalité mercantile, sans frontières ni lois, exploitant le désespoir des couples en quête d’enfant ».

Le témoignage sans fard d’une descente aux enfers

Dans son livre, Olivia Maurel partage les impacts psychologiques qu’elle associe à la GPA. Elle raconte son enfance marquée par une atmosphère de silence et de secrets. Sa mère biologique, une Américaine, l’a portée et mise au monde « pour de l’argent ». Olivia évoque des moments troublants, comme lorsque, enfant, elle interroge sa mère sur son âge et obtient pour réponse : « – J’ai tuitan, – Ça veut dire quoi maman ? – Je n’ai pas d’âge »… Elle se souvient également de l’absence totale de photos d’elle bébé, de sa mère enceinte, ou de moments partagés à la clinique : « J’adore les albums photos. Et là encore, rien ne va. Il n’y a pas de clichés de ma mère enceinte, d’elle et moi à la clinique – bizarre. »

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Ce silence a contribué à un mal-être profond, exacerbé par un cadre familial dysfonctionnel. Olivia confie avoir traversé des épisodes autodestructeurs : alcoolisme, peur de l’abandon, et même une tentative de suicide après avoir été victime d’un viol. Grâce à une thérapie avec une psy et au soutien de son nouveau compagnon et de sa famille, elle entame une quête identitaire salutaire. Mais elle s’interroge : ce lourd secret familial pèsera-t-il aussi sur la relation qu’elle entretient avec ses propres enfants ?

Un appel à l’abolition universelle de la GPA

Le témoignage d’Olivia Maurel interpelle sur les conséquences psychologiques de la GPA pour les premiers concernés : les enfants nés de cette pratique. Elle fait partie des premières générations à témoigner et invite la société à écouter ces voix pour en tirer des leçons. Est-elle un cas isolé, ou ce modèle conduit-il systématiquement à des quêtes identitaires douloureuses ?

Pour Olivia, la réponse est claire. Elle milite pour une abolition universelle de la GPA. Elle republie enfin à la fin de son ouvrage la déclaration de Casablanca de 2023 appelant les États à s’engager pour une convention internationale interdisant cette pratique. Elle propose des alternatives comme l’adoption ou une révision des lois sur la parentalité, pour permettre à tous ceux qui souhaitent fonder une famille de le faire sans marchandiser la vie humaine. « Il existe aujourd’hui 36 millions d’esclaves dans le monde. Devrions-nous pour autant rétablir des lois encadrant l’esclavage ? Non. Jamais. Même chose pour la GPA », conclut-elle.

Guerilla Song

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Sylvain Charat retrace l’histoire du « Chant des Partisans », notre seconde Marseillaise…


Genèse d’un hymne de résistance

Guerilla Song, tel fut le titre d’une chanson composée sous les bombes à Londres vers 1943 et qui, traduite et largement adaptée par deux écrivains français, futurs académiciens, allait devenir Le Chant des Partisans – la seconde Marseillaise – appelée à un succès phénoménal.

Qui ne connaît au moins l’entraînante première strophe : « Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?
Ohé partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme !
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes » ?

Sylvain Charat, un jeune docteur en histoire de Paris-IV, a eu la bonne idée de retracer l’histoire de ce chant mythique. Son essai paraît dans la nouvelle collection de poche de La Renaissance française, vénérable institution fondée en 1915 par le président Poincaré, et dont le premier objectif était d’apporter la culture française aux régions alors en voie de reconquête, l’Alsace et la Lorraine. Après la Grande Guerre, l’autre objectif fut aussi d’édifier la paix en prônant le dialogue culturel et de défendre la culture française urbi et orbi.

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Bref et dense, l’essai retrace avec clarté la genèse du Chant des Partisans, composé à l’origine par une Russe blanche, Anna Marly, qui s’inspira d’une mélodie russe à l’origine dédiée aux combattants de l’Armée rouge. Dans un second temps, Guerilla Song, qui plut d’emblée aux soldats alliés, fut modifié et pour finir interprété, pour la BBC, par Germaine Sablon, célèbre chanteuse des années 30. Le texte est dû à la plume de deux Français d’origine juive, le torrentiel Joseph Kessel, l’ami de Mermoz, écrivain à succès depuis les années 20, et son jeune neveu, Maurice Druon, le futur auteur des Rois maudits, aidés des conseils d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, chef d’un des plus importants réseaux de résistance, proche du Parti communiste (et même lié de près à l’URSS) et éphémère ministre du Général de Gaulle à la Libération. La petite histoire nous apprend que Kessel et d’Astier avaient en commun un goût prononcé… pour l’opium.

« On ne gagne les guerres qu’avec des chansons »

Ces trois hommes se retrouvent à Londres peu après l’occupation de la zone libre en novembre 1942. À leur grand désespoir, Kessel et Druon ne sont pas envoyés au combat comme ils le demandaient, mais priés de mettre leur talent littéraire au service de la France libre. Sage décision du Général, qui nous donne L’Armée des ombres, magnifique épopée de la résistance, que le génial Jean-Pierre Melville, un autre résistant (lui aussi d’origine juive) transposera avec un réel génie à l’écran avec les prodigieux Lino Ventura et Paul Meurice, sans doute l’un des plus beaux films sur la Résistance. Druon, le cadet, se contente d’éditer en le préfaçant un texte clandestin parvenu à Londres, Le Silence de la mer, que Melville traduira également en images inoubliables.

Sylvain Charat met bien en évidence le lien entre ce chant et l’unification progressive des mouvements de résistance, qui allait donner naissance au Conseil National de la Résistance, faisant, après la mort providentielle de l’Amiral Darlan, du Général de Gaulle le chef incontesté de la France combattante et l’unique interlocuteur des Anglo-Saxons comme des Russes.

Au moment où tout concorde, quand les Anglo-Américains débarquent en Afrique du Nord et que la Résistance s’unifie formellement sous l’égide de Jean Moulin, naît ce chant, composé en une après-midi de mai 1943 par Kessel, Druon et d’Astier, qui en est le concepteur, lui qui avait compris que « l’on ne gagne les guerres qu’avec des chansons ». Le mythe est né, et dès les premières radiodiffusions, qui traversent le brouillage allemand grâce au fait qu’une partie de l’air, par un coup de génie, en est sifflée, le Chant des Partisans cesse d’appartenir à ses créateurs pour devenir l’hymne d’un peuple en armes.

Sylvain Charat, Le Chant des Partisans, Éditions de la renaissance française, 156 pages

Coco perdu dans sa vieille solitude

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Folio réédite en poche Coco perdu, l’un des derniers livres de Louis Guilloux. Un texte étrange, surprenant et pas facile au premier abord, mais un opus bouleversant sur la vieillesse et l’absurdité de l’existence.


Les éditions Folio ont la bonne idée de rééditer Coco perdu, de Louis Guilloux, avec une préface inédite d’Annie Ernaux. Non pas qu’il s’agisse du meilleur ouvrage du Breton de Saint-Brieuc (difficile de dépasser la densité et la puissance de Sang noir) ; mais il s’agit très certainement du plus étonnant, du plus singulier, en particulier dans la forme. Cette forme, justement, au début déroute, voire rebute ou, en tout cas, agace : un style parlé ou les formes négatives sont rognées, amputées, de l’argot à tire-larigot, des néologismes ; on se croirait chez Céline à part que Guilloux ne nous a point habitués à ça. C’est certainement pour cela qu’il a sous-titré de la formule « Essai de voix ». Et puis on s’habitue ; on se laisse faire ; on se laisse prendre, presque envoûter. Comme le rappelle Annie Ernaux dans son impeccable et efficace préface, « Sitôt paru, Coco perdu est unanimement salué par la critique comme un récit d’une étonnante modernité. On évoque Beckett, Joyce (…) Au vrai, on ne peut concevoir trame à la fois plus dépouillée et plus savante que celle de Coco perdu. »

Imbibé de désespoir

En fin de matinée, un retraité, Coco, accompagne Fafa, son épouse, à la gare. Avant de monter dans le train pour Paris, elle poste une lettre ; elle a préalablement refusé qu’il la dépose dans la boîte. Cela le tourmente, d’autant que le facteur, Charlot, ne passera pas avant lundi. Il est persuadé que la missive lui est destinée et qu’elle va lui annoncer un départ définitif. Il angoisse ; deux jours à tuer. C’est affreux cette impression de vide existentiel. Il ne sait pas quoi faire ; alors, il traîne dans la ville, tente de parler à ceux qu’il rencontre, ceux qu’il connaît parfois, ou qu’il ne connaît pas. Il y a là un ancien moine, vendeur de billets de loterie ; ici, M. Pradel, gros patron de bistrot débonnaire ; un peu plus loin, les sidis, les Algériens. Des gens du peuple, du vrai peuple passent, discutent, s’engueulent, fraternisent. L’action se déroule en 1977, l’année de l’arrivée de la musique punk en France ; le moment où le monde d’avant commence à ficher le camp. La télévision fait mal au cinéma ; au théâtre, Brecht nuit aux tournées Baret. Coco se sent vieillir ; il se sent vide. Ce livre est fort tant il est imbibé de désespoir. Lecteur au bord de la déprime, abstiens toi.

Coco perdu, Louis Guilloux ; folio ; 123 p.

Pourritures de publicités ou la colère d’un vieux con !

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Cela fait près de cinquante ans que j’écoute France Inter ; j’aime cette radio publique. J’aime même passionnément certaines de ses émissions dont Very Good Trip, de Michka Assayas, moment musical de qualité intense. Mais depuis quelque temps, j’avoue, je n’en peux plus.

Marre de ces publicités incessantes, indécentes, odieuses, puantes, jaunâtres comme la rate d’une des plus grosses fortunes de France. Je hais ces incitations bruyantes, vulgaires, ordurières, à la basse consommation. C’est carrément répugnant de la part d’une radio dite publique. On tente de nous vendre du « Grand frais », de l’assurance, de la mutuelle, et même de grosses voitures allemandes. Oui, ces espèces de tanks de nos bons amis d’outre-Rhin, tanks qu’on a du mal à doubler sur les routes départementales ; tanks blindés qui donnent l’impression qu’ils foncent vers la Pologne pour l’envahir ; tanks teutons aux incroyables cylindrées, plus polluantes que les fûts de Seveso. C’est Mathieu Vidard et sa Terre au carré qui doivent être contents !

On se fiche de qui ? Résultat : je coupe et vais me balader du côté de France Culture, de France Musique ou de France Info généralement moins infectées par ces pourritures de publicités. Je traîne aussi l’oreille du côté d’Europe 1. Là, des pubs, il y en a à la pelle ; on le sait. C’est bien sûr aussi insupportable, sauf qu’au moins, Vivendi et Vincent Bolloré, eux, annoncent la couleur. Ils ne se disent pas de gauche ; ils ne gueulent pas à tout bout de champ contre le capitalisme et contre la société ultralibérale.

Je hais les publicités de France Inter. Je ne supporte plus non plus le fait d’être harcelé sur mon téléphone portable par des commerciaux qui tentent de me vendre des panneaux solaires, ou des baisses d’énergie, ou des soi-disant programmes d’isolations de maisons. Parfois ce sont des voix humaines qui proviennent de vrais humains. J’ai tout essayé : les menacer de porter plainte, leur expliquant qu’ils appelaient sur un téléphone professionnel et que c’était interdit, que j’allais les balancer au procureur de la République ; je les ai déjà traités de tous les noms ; je leur ai fait croire que M. Lacoche était mort depuis plusieurs mois ; j’ai tenté de les faire rire en leur parlant dans une langue inventée, imprégnée de « Barek ! Barek », « Crapougnette ! », « Istoule ! Istoule ! » Certains rigolent ; d’autres me raccrochent au nez. Au final, rien n’y fait ; ils continuent. Nouveauté : la voix artificielle qui réagit à vos intonations, à vos silences ; à vos refus. Comme un crétin, je me suis fait avoir au début ; j’essayais de discutailler, jusqu’au moment où un proche m’a éclairé sur la supercherie. J’ai gueulé : « Pauvre France ! » et me suis niché dans des rêves de bakélite et de cadrans en relief et tout en trous dans lesquels mes gros doigts s’enfonçaient avec sensualité. C’était au temps du monde d’avant, mon préféré. Pauvre France, oui.

Je veux être Château Briand, ou rien!

L’Éducation nationale prétend lutter contre les inégalités, mais c’est le plus souvent en nivelant par le bas, malheureusement. Grâce au pédagogisme, dans nos écoles, l’égalité arrive, mais pas comme on l’attendait…


Château Briand : millésime 2025, grand cru de l’Éducation nationale. J’avais fini 2024 avec un paquet de copies sur Rimbaud, au programme de français de première. « Un homme pas très sein, mort du cancer des eaux, il nous laisse sur notre fin, après avoir vécu sous le règne d’un tirant… ». Le crépuscule, la phase terminale.
C’est en compagnie de Victor Hugo et de quelques morceaux choisis que j’attaquai avec optimisme 2025: « Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne », « Tout homme coupable est une éducation manquée qu’il faut refaire », « Je voulais résorber le bagne par l’école », tout ça, tout ça…

Décomposition française

Alors lire, en état de décomposition avancé et dans une « bonne copie » de seconde, cette phrase d’anthologie – « Je veux être Château Briand ou rien » – m’a convaincue de trois choses : être un « classique » vous expose, au sens suppliciant du terme ; Élisabeth Borne aurait pu s’épargner cette palinodie sur la question du brevet ; l’Éducation nationale est en passe de remporter la lutte contre les inégalités.
Dans l’ancien monde, avant que l’exception ne devînt la règle, on appelait ces bourdes des perles. Le professeur les relevait – non sans délectation – et en faisait une lecture goguenarde à la classe. Les auteurs en avaient le rouge au front. C’était le temps des maîtres harcelants. Aujourd’hui, ces fautes se retrouvent dans toutes les copies (hormis à Stan et à l’École Alsacienne, chez les petits Oudea, N’Diaye, Chatel, Ferry, Bayrou …), signe d’un effondrement lexical et syntaxique, d’une incapacité à élaborer un raisonnement, du néant culturel. Le pédagogisme sévit depuis longtemps ; Covid et TikTok ont fait le reste. L’égalité dans l’ignorance.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli: « Cramés », de Philippe Pujol: ceux que vous appelez racailles

Alors pourquoi avoir renoncé à rendre le brevet obligatoire pour accéder à la classe de seconde ? Cette mesure aurait-elle, comme le soutient Anne Genetet, ex-ministre, sur son compte X, « élevé le niveau d’exigence et celui de nos élèves » ? Aucun risque ! Le bruit que faisaient le SNES-FSU et ses satellites autour de cette « régression historique » (comprendre : des têtes qui pensent et qui dépassent) n’était qu’agit-prop. Mes élèves de filière générale, Hugolâtres et Rimbaulogues, sont tous titulaires de ce diplôme, le plus souvent avec mention. Et s’il y a des trous dans la raquette, il faut faire confiance aux professeurs. Ils truquent déjà les notes pour les épreuves finales, pourquoi pas le contrôle continu? Ça fonctionne pour le baccalauréat, ça devrait marcher pour le brevet. On convoque les professeurs en début d’année pour une réunion sur l’harmonisation. On projette les moyennes (générale et par discipline) de l’examen de l’année précédente : celles de l’établissement, de l’académie, puis les moyennes nationales. On voit où on se situe par rapport à la courbe : au-dessus, très bien ; au-dessous, pas bien. Le tour est joué.

Passation de pouvoirs entre Anne Genetet et Elisabeth Borne, ministère de l’Education nationale, Paris, 24 décembre 2024 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Aurions-nous, enfin, atteint le Graal, l’Égalité ? Presque ! Il reste quelques consciences à écrêter, à coup d’animations pédagogiques. Par exemple, l’exposition « Tous migrants » qui tourne dans les CDI d’Occitanie, financée par la MGEN et proposée par l’association Cartooning for peace1 – un « réseau international de dessinateurs de presse engagés qui combattent, avec humour, pour le respect des cultures et des libertés » -. L’élève, dessins à l’appui, peut y lire que le migrant « se retrouve devant l’énigme d’une nouvelle identité à façonner, expérience complexe et d’autant plus conflictuelle que le nouvel arrivant est parti à son corps défendant, arraché à son pays », que « les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts », qu’il s’agit « de s’intégrer, malgré les discriminations et les injustices, dans une société de mixité, seul horizon de partage et de développement ». Pour être sûr qu’il ait bien gobé l’info, on l’invite à « donner un préjugé illustré par l’un des dessins de ce panneau » et on lui souffle la bonne réponse : « Les idées reçues, l’ignorance conduisent certaines personnes, voire certains États à des réactions nationalistes ». Le tout, bien sûr, « avec humour » et dans « le respect des cultures et des libertés ». Il y a aussi « Dessine-moi l’écologie », « Dessine-moi la Méditerranée », « Dessine-moi l’égalité des genres »… À l’ISFEC2 où sont formés les professeurs-stagiaires de l’enseignement catholique de Toulouse, on a dépêché, le 23 janvier, une intervenante sur la question du genre et de l’égalité filles-garçons. Les enseignants ont été encouragés à porter des signes distinctifs associés aux mouvements LGBT, à afficher des drapeaux ou accessoires de même nature dans les classes, à favoriser un langage neutre et inclusif pour éviter de « genrer » les élèves.
« Je veux être Château Briand.e.s ou rien ». Quel étendard !


  1. https://www.cartooningforpeace.org/expositions/ ↩︎
  2. Institut Supérieur de Formation de l’Enseignement Catholique de Toulouse ↩︎

Affaire Philippe Carli: comment perdre son job en un clic

Pensée unique. Face à Mediapart et à la meute, il est toujours préférable d’assumer ce qu’on a dit, ou pensé. Parce qu’il s’est excusé pour avoir partagé sur des canaux personnels des idées non politiquement correctes, le patron de presse a finalement dû démissionner. Il aurait mieux fait de dire à ses contradicteurs que ses opinions politiques n’affectaient en rien son travail, estime notre chroniqueur.


Philippe Carli, le président du groupe de presse Ebra (1er groupe de la presse quotidienne régionale, avec les Dernières Nouvelles d’Alsace, Le Dauphiné libéré, L’Est républicain etc.), a démissionné. « Dans l’intérêt du groupe Ebra, j’ai décidé de quitter mes fonctions de président ». Cet homme est bien complaisant.

Son départ résulte d’une lâcheté ordinaire, de sa soumission au médiatiquement correct. Quelle faute gravissime avait-il commise ? Il avait « liké » sur LinkedIn des messages émanant de personnalités comme la députée européenne Sarah Knafo par exemple. Mediapart qui met un acharnement compulsif à détruire la liberté d’expression de ceux qui ne partagent pas ses combats et n’adhèrent pas à sa vision hémiplégique, a évidemment épinglé le président Carli.

Ne jamais s’excuser pour ses idées

La CGT, comme il se doit, a réclamé le lundi 27 janvier son départ « en raison de sa proximité affichée avec des figures d’extrême droite ». Et elle l’a donc obtenu. Philippe Carli avait pourtant à sa disposition d’autres solutions, des réponses plus personnelles et déterminées.

Plutôt que de s’excuser d’abord, pour être en définitive renvoyé ensuite avec la pire des offenses : son consentement apparent. Avec des justifications filandreuses destinées à masquer une déroute.

Il pouvait dire qu’il était certes le président du groupe Ebra mais qu’adulte, il faisait ce qu’il voulait et qu’avoir « aimé », à titre personnel, certains messages de Marion Maréchal, d’Éric Zemmour ou de Sarah Knafo ne le disqualifiait pas pour son activité principale. Il pouvait, au lieu de s’aplatir, réagir vigoureusement. Mettre, sans y être contraint, sa démission dans la balance et défendre des principes auxquels le groupe Ebra aurait dû être sensible autant que lui. Il pouvait élégamment rétorquer à Mediapart que ce n’était pas cette inquisition honteuse qui lui ferait jeter l’éponge. Il pouvait poliment suggérer à la CGT de s’occuper de ce qui la regardait et de ne pas imposer son idéologie syndicale à ce qui relevait de la liberté de pensée et d’expression.

Résistance !!

Il pouvait, en résumé, n’être même pas un résistant mais juste assumer ses idées. Au contraire il a accepté d’être dépouillé de sa liberté, de sa responsabilité. Profondément, au détriment de ceux qui se battent pour ne pas voir sacrifier les valeurs foulées aux pieds par Mediapart, la CGT et les éradicateurs d’opinions et de comportements qui ne leur plaisent pas.

Même si modestement je n’ai rien à voir avec la présidence d’un grand groupe de presse et que mes écrits ou mes paroles n’ont évidemment pas la même incidence, il ferait beau voir qu’on prétendît m’interdire, si j’en avais envie, de dire ponctuellement du bien de Jean-Luc Mélenchon, de certains députés LFI, de tel ou telle écologiste, de personnalités avec lesquelles je ne suis pas naturellement accordé !

Je n’aurais pas proposé ce post si l’attitude de Philippe Carli, poussé par d’autres frileux, n’était pas révélatrice de la perte d’une vertu capitale dont le manque est dévastateur dans beaucoup de domaines : intellectuel, politique, social, judiciaire ou médiatique. On a compris qu’il s’agit du courage. Être courageux ne fait pas de vous un héros mais tout simplement un homme.

Lettre aux présidents de MSF et Médecins du monde

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Paris, le 23 Janvier 2025

À Madame Isabelle DEFOURNY, Présidente de MSF
34 Avenue Jean Jaurès 75019 Paris.

À Monsieur Jean-Francois CORTY, Président de MDM
84 Avenue du Président Wilson 93200 Saint-Denis.

Madame la Présidente,

Monsieur le Président,

Chers confrères,

Les signataires souhaitent attirer l’attention de votre organisation sur la situation de l’écrivain français Boualem Sansal, actuellement emprisonné en Algérie depuis plus de deux mois.

Aucune visite n’est autorisée (ni celle de l’ambassadeur de France ni celle de son avocat). Il est affecté d’un cancer de la prostate dont ni le stade ni les symptômes ne sont connus et dont on ne sait s’il est traité.

Nous vous prions de bien vouloir organiser dès que possible une visite d’une de vos équipes compétentes dans ce domaine car nous sommes très inquiets de son état de santé.

Nous savons que vous aurez à cœur de considérer l’urgence de la situation médicale de cet homme, citoyen français, âgé de 80 ans.

Avec nos sentiments confraternels

  • Dr Richard ROSSIN, ancien secrétaire général de MSF et cofondateur de MDM
  • Dr Jacky MAMOU, ancien président de MDM
  • Dr Pierre FOLDES,Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes
  • Les chirurgiens urologues : Marc MAIDENBERG, Jean Romain GAUTIER, Aladin GOUT, Frederic VAVDIN,Sebastien NOVELLAS,Didier LEGEAIS, Bruno d’ACREMONT, Jean-Christophe BARON,Alberto DOMINGUEZ, Olivier ROUSSEAU,André BENZAQUIN,François VALENTIN,Alain BESANCENEZ,Philippe HERITIER,Franck DUCHENE,Michel CLARACQ
  • Les 600 membres du comité des blouses blanches
  • Le Comité de soutien international à Boualem SANSAL
    • Présidente : Noëlle LENOIR
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Moix, plongeur de combat

Yann Moix revient avec une « histoire subaquatique du XXe siècle » en alexandrins.


Avec Yann Moix, il faut s’attendre à tout, mais dans la qualité et l’originalité. Pas question de s’endormir sur les lauriers de la renommée littéraire. Le lecteur doit être surpris, malmené parfois. Les dividendes du boursicoteur pépère de la littérature, très peu pour lui. Ici, il nous livre une traversée du XXème siècle, sous l’eau et en alexandrins, excusez du peu. Ce n’est pas Le Bateau ivre de l’éternel gamin turbulent, Rimbaud, avec le regret de « l’Europe aux anciens parapets », c’est direct une plongée parmi de drôles de poissons, un voyage en apnée – titre de l’ouvrage – qui oblige à s’ébrouer efficacement une fois retrouvée la terre ravagée par les multiples fléaux. C’est en quelque sorte une odyssée sous-marine. Le narrateur est accompagné de l’énigmatique Emmanuelle. Ils nagent en eaux troubles, se moquent de celles dites territoriales. Ça bouillonne en permanence, aucun temps mort, au milieu des millions de morts de l’Histoire d’un siècle qui a vu l’effacement de Dieu et la toute-puissance du diable, l’acmé étant la construction des camps d’extermination nazis. Le style de Moix, corseté par le bel alexandrin, prend de la vigueur et de l’allure. Ça tourbillonne, ça éclate, ça pense au bout de la rime jamais trop riche. Poète Moix, vos papiers ! Vous sentez de la tête. Le rythme ne faiblit jamais, avec orgie d’assonances et d’allitérations. On est emportés par ce livre fou, complètement à contre-courant d’une production littéraire qui exhale le poisson crevé.

« Réfugiez-vous dans votre musée imaginaire »

Bien sûr c’est une vision accélérée de l’histoire. Moix ne va pas jouer les profs de collège. On ne rabâche pas, on nage souple et efficace. Le narrateur évoque, mais de quelle façon, les grands événements, comme la Grande guerre, avec la figure de Péguy, un ami de Moix, on évoque 39-45, avec la Collaboration, le duo infernal Pétain/Laval, et tous les vendus au régime hitlérien. Il évoque la Shoah. Extrait de l’évocation de la déshumanisation : « D’un baraquement, dans la lumière/Verte, un squelette voûté, presque horizontal,/Marche, très hagard, dans le monde végétal ;/Il boite. Ses souliers lui font mal ; la pénombre/Cache son visage décharné, son œil sombre. » Puis c’est au tour d’Hiroshima, sans Duras que Moix déteste à cause de son passé collabo durant l’Occupation. C’est encore le débarquement en Normandie en compagnie du photographe Robert Capa. Détail : « Ses pellicules sont stockées – original – /Dans des préservatifs ; cette astuce présente/ L’intérêt de les garder au sec (…) » On croit revivre le débarquement salvateur avec explosions, giclures de sang et cervelles. Ses vers charrient la viande humaine. L’Indochine, l’Algérie, la balle prise par JFK, « le bouquet de fleurs de Jackie » filant vers le néant. Ça s’accélère, crawl, respiration, tension du muscle. On oublie que c’est de la poésie, on lit comme si c’était de la prose survitaminée. Au passage, Moix reprend son souffle avec le présent : « Cet État d’Israël qui vient enfin de naître,/L’État palestinien qu’on doit reconnaître (…) »

Le narrateur n’oublie pas quelques grandes figures du XXème siècle. Citons Sacha Guitry – que Moix révère – Sartre, Raymond Roussel, Simone Weil, et beaucoup d’autres encore parmi les merlus hébétés et les lachnolèmes siamois. Mention spéciale pour l’évocation de Soljenitsyne en taule. Il n’est plus rien alors, réduit à « une mouche de cabinet ». En taule, parce qu’il ne valide pas « cette fausse révolution par le bas. » On le bat parce qu’il a osé cracher sur la faucille et le marteau.

Comme le narrateur, on s’inquiète de devoir remonter à la surface pour retrouver la « société liquide », concept emprunté au sociologue Zygmunt Bauman. Peut-on échapper aux « dimanches d’été et leur horrible foule » ? Sourire, tant les calamités sont légion et autrement plus corrosives. Réponse : « un seul antidote est possible : l’art. » Réfugiez-vous dans votre musée imaginaire et jetez la clé à la mer.

Tombeau de Callas

L’interprétation d’Angelina Jolie ne rend pas justice à la mémoire de Maria Callas. On s’ennuie terriblement dans le film du Chilien Pablo Larraín


Dans un immense salon cossu, trois pandores en uniforme, deux types en blouse blanche, et autres comparses – un médecin, un inspecteur de police ? Personne ne dit mot. Posée sur le tapis au pied des hautes croisées, une civière. On distingue, au centre, derrière un meuble, le corps allongé d’une femme vêtue d’une simple nuisette : c’est la Callas ; elle est morte. Ses deux caniches la pleurent.

Ainsi s’ouvre Maria, sur une séquence muette, dans la lumière mordorée d’un jour parisien. Pablo Larraín s’était employé, en 2016, à démystifier l’épouse du président Kennedy, avec le film Jackie – Natalie Portman dans le rôle-titre. Comme le monde est petit et que la petite histoire rejoint toujours la grande, voilà notre cinéaste chilien qui, cette fois, se retourne sur cette autre icône planétaire, dont les derniers jours nous sont ressuscités, empruntant aux traits d’une autre star : Angelina Jolie.

Anorexique, droguée aux cachets de métaqualone (plus connus sous l’appellation de Mandrax), Maria Callas, en ces années 1970, se survit donc solitairement à elle-même, cloîtrée dans son gigantesque appartement parisien de l’avenue Georges Mandel encombré de bustes gréco-romains et d’antiquités kitsch, d’un mauvais goût ostentatoire. L’attention quotidienne et inquiète de Ferrucio, son chauffeur-majordome (Pierfrancesco Favino) et de Bruna, sa cuisinière-femme de chambre (Alba Rohrwacher) se porte sur la santé physique et mentale déclinante de la capricieuse et instable soprano lyrique : elle fait déplacer son piano à queue dix fois par jour, et s’exhibe à l’occasion sur telle ou telle terrasse de café, mue par le besoin avoué, compulsif, « d’être adulée » encore et toujours. Pas plus qu’elle n’écoute les objurgations du docteur Fontainebleau, son médecin (Vincent Macaigne), elle ne se range aux conseils de Jeffrey, son répétiteur (Stephen Ashfield), lequel accompagne au clavier, dans une salle vide, les cris de crécelle de la cantatrice déchue. Avouons qu’il faut un courage quelque peu masochiste à Angelina Jolie pour endosser cet emploi de diva en bout de course, jusqu’à vous vriller les tympans dans les arias massacrées d’Anna Bolena ou de Tosca.  

En contrepoint des séquences fictionnées – en couleur – alternent authentiques images d’archives, et reconstitutions –  en noir et blanc. Dans cet assemblage, Maria exhume, nappés d’extraits de Norma ou de La Wally, comme une remémoration de sa destinée, quelques « moments forts » de « La Callas »: entre autres, sa rencontre avec Aristote Onassis et, quinze ans plus tard, ses visites à l’armateur lorsqu’il se meurt à l’hôpital américain de Neuilly. Campé ici par le comédien turc Haluk Bilginer dont la moumoute chenue lui assure une ressemblance physique plutôt convaincante avec son modèle, le fameux milliardaire grec nous est ici montré sous l’aspect grotesque d’un vulgaire parvenu se vantant en public de sa fortune, havane au bec, puis comme un sigisbée transi et sentencieux : la caricature est poussée un peu loin.

© ARP-FilmNation

De même confine au ridicule achevé le passage (toujours en noir et blanc) nous dévoilant « Maria » adolescente, plantureuse et mal attifée, flanquée de sa sœur aînée Yakinthi, et prostituant sa voix plutôt que ses fesses à deux officiers SS hypnotisés, dans la Grèce alors occupée par les nazis. Que dire du petit interviewer américain qui, magnéto en bandoulière et bientôt entraîné par Callas dans ses baguenaudes des beaux quartiers, finira, dans le no man’s land photogénique des jardins du Palais Royal, par lancer – plan serré sur sa frimousse juvénile – un « I love you » à son idole ? Idem, JFK (Caspar Philipson) et Jacky (la future épouse d’Onassis comme l’on sait), effleurent l’écran dans une scène expéditive. Non, franchement, Maria ne rend pas justice à la mémoire de la légendaire prima donna.

Peut-être quelques-uns des lecteurs de Causeur auront-ils vu La Mort de Maria Malibran, œuvre-culte du cinéaste et metteur en scène d’opéra Werner Schroeter (1945-2010), éclos dans la mouvance de ce qu’il est convenu d’appeler le « Nouveau Cinéma Allemand », qui eut son heure de gloire dans les années 1970. C’était quand même autre chose ! Au moins l’idolâtrie lyrique se donnait-elle des ailes.  

Maria, film de Pablo Larraín. Avec Angelina Jolie. États-Unis, couleur/noir et blanc, 2024. Durée : 2h04. En salles le 5 février 2025.

Éloge de la vieillesse

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Salon Rétromobile 2024 © André Ferreira / DPPI

À quelques jours de l’ouverture du 49ème Rétromobile, le salon des automobiles anciennes de la Porte de Versailles, Monsieur Nostalgie perçoit comme un changement d’air dans les médias conventionnels. L’Histoire des voitures n’est plus cachée ou ostracisée. Serait-ce un retour de l’auto dans le cercle de la raison ?


J’ai cru avoir la berlue, un dimanche de janvier, dans les rues de Paris. Elles étaient des centaines, en liberté, allant de la Place Vendôme à la Butte de Montmartre, une faune métalleuse, sans restriction, sans zone d’exclusion, sans péage, sans déchéance d’identité, à la vue des passants et des touristes, accueillant banlieusards en utilitaires anciens et gentlemen drivers des banlieues huppés en italiennes dévergondées. La Concorde recevait en son sein, ce jour-là, toutes les nationalités et toutes les carrosseries, toutes les opinions, dans la communion d’une « mobilité » heureuse. Dans ce parking improvisé et soi-disant « viriliste », abject aux yeux de nos nouveaux inquisiteurs, on parlait très peu de boulons et de ferraille, plutôt de cette onde nostalgique qui drape les Hommes de bonne volonté. La mémoire était vive, aucunement rabougrie, aucunement passéiste, elle était pacifique et partageuse. On parlait, entre les pare-chocs, de cinéma, d’architecture, de sculpture, de sports mécaniques, des mots interdits comme « miracle économique italien », « trente glorieuses », « île Seguin », « carrossiers », « Monte-Carlo 1965 », « Connolly » ou « l’épicier ambulant de mon village » venaient fouetter les idées reçues.

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L’hibernation de notre patrimoine a assez duré ; les génuflexions victimaires aussi. La peur va bientôt changer de camp. L’auto est plus qu’un art de vivre, c’est un art de penser la société industrielle avec l’œil d’un esthète et le souvenir d’un enfant. Comme dirait l’humaniste Patrick Sébastien, c’est que de l’amour. Est-ce l’effet Trump ? La libération de la parole du pick-up et des « muscles cars » dans une société oublieuse de son passé. Un retour de flamme du moteur à explosion, après vingt ans de purgatoire où il fut accusé de tous les maux et de toutes les vilénies. Selon la formule célèbre, « un barbu, c’est un barbu, trois barbus, c’est des barbouzes », « Une DS, c’est une DS, trois DS auxquels j’ajoute une Jaguar MK II, une Pagode, une R18 break et, entre autres, une Estafette, c’est une révolution ». Les mentalités ne sont plus figées dans la vieille « agit-prop » qui faisait jusqu’à très récemment de l’auto, la mascotte de notre culpabilité. Car nous étions forcément coupables d’avoir aimé les autos, leur imaginaire et leur style, de nous être complus dans un consumérisme effréné qui apportait jadis de l’emploi, du progrès, du confort, de la sécurité, des échanges et des voyages. Nous étions des salauds attachés à leur petite auto individuelle qui n’avaient pas le droit de s’émouvoir des départs en vacances sur la Nationale 7 et de pépé au volant de son Renault Galion, je ne serai pas cet homme-là, celui du renoncement. Je croyais être seul, je me rends compte que nous sommes des milliers à ne pas rejeter la voiture car elle était l’expression de notre humanité triomphante. Nous pourrons constater, dans quelques jours, du 5 au 9 février sur le salon Rétromobile, que les amoureux de toutes les locomotions anciennes ne sont pas des tortionnaires, mais des passeurs, des entremetteurs, des éclaireurs de nos richesses mécaniques d’antan. Le programme de cet événement qui annonce le top départ de la saison car, dès le printemps, ce sera une déferlante dans tout l’hexagone, de manifestations, sorties de clubs, rallyes et concours d’élégance.

Le pilote automobile monégasque Charles Leclerc lors de l’édition 2024 du Salon « Rétromobile » à Paris (c) Photo André Ferreira / DPPI

À la Porte de Versailles, il y a aura cette année des blindés en provenance de Saumur, des « avant-guerre », des Formule 1 « Made in France », l’anniversaire des 70 ans de la Citroën DS, des ventes aux enchères et des petits papiers, livres, documentations d’époque et autres affiches. L’auto, la belle auto, populaire et élitiste, est le canevas de nos émotions. Ne la trahissons pas ! Quand je vous parlais de changement de paradigme, il suffit de voir la programmation d’Arte. En ce moment, sur la plateforme de la chaîne culturelle franco-allemande, sont diffusées les trois parties du documentaire « Une brève histoire de l’automobile »[1] et si cela ne suffisait pas, les programmateurs ont ressorti en ligne le reportage « Bugatti, l’ivresse de la vitesse »[2] datant de 2016. Comme quoi au royaume de la bien-pensance, il y a du flottement dans le volant. Après avoir vu une Bugatti 35 sur les routes de Molsheim en action, en mouvement, je connais peu d’hommes qui peuvent résister à cet appel « Bleu de France » !

Informations pratiques : https://www.retromobile.com/fr-FR/infos-pratiques/dates-horaires-plan

Tendre est la province

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[1] https://www.arte.tv/fr/videos/RC-026050/une-breve-histoire-de-l-automobile/

[2] https://www.arte.tv/fr/videos/069103-000-A/bugatti-l-ivresse-de-la-vitesse/

Le cri d’Olivia Maurel contre la marchandisation des corps

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Olivia Maurel © jennys photographies

À travers un récit autobiographique poignant, Olivia Maurel livre son expérience d’enfant né par gestation pour autrui (GPA) et pose un regard critique sur cette pratique, appelant même à son abolition universelle. Cependant, une question persiste pour le lecteur une fois le livre refermé : peut-on réellement attribuer toutes ses difficultés personnelles aux conditions de sa naissance?


Une voix pour les enfants nés de la GPA

Olivia Maurel, née en 1993 par GPA aux États-Unis, entend être le porte-voix des enfants issus de cette pratique. Dans son ouvrage, elle critique fermement ses implications éthiques et sociales. Active sur les réseaux sociaux, notamment TikTok où elle sensibilise sur ces questions de bioéthique, Olivia Maurel s’est fait connaître des conservateurs en avril 2024 après avoir fait la Une du Journal du Dimanche. Ses détracteurs, toutefois, cherchent parfois à minimiser son discours, arguant qu’elle est en réalité issue d’une procréation pour autrui (où l’ovule et la gestation proviennent de la mère porteuse) et non d’une gestation pour autrui (où seule la gestation est assurée par la mère porteuse). Une distinction qui ne change rien à l’enjeu fondamental de l’exploitation des corps.

Dans Où es-tu maman ?, Olivia retrace son parcours : de la découverte tardive de ses origines, grâce à un test ADN offert par sa belle-mère en 2022, jusqu’à son combat militant actuel. Ce test, reçu quelques mois après la naissance de son troisième enfant, a bouleversé sa vie en révélant des vérités longtemps dissimulées.

Aurait-elle préféré ne pas naître ?

La GPA, sujet très débattu et pratique qui reste interdite en France, est légale dans de nombreux pays comme les États-Unis, la Russie, l’Ukraine ou l’Inde. Elle permet à des couples infertiles, des femmes seules ou des couples homosexuels de devenir parents en ayant recours à une femme qui porte l’enfant pour eux.

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Olivia Maurel met en lumière le modèle économique qui sous-tend cette industrie. Dans de nombreux cas, les mères porteuses proviennent de milieux précaires et leurs corps sont utilisés comme des outils pour répondre à la demande de couples désireux d’avoir un enfant. Olivia dénonce cette marchandisation de la maternité, qu’elle qualifie de déshumanisante. Elle décrit un univers où « derrière la vitrine rose et bleue des cliniques spécialisées, se cache une réalité mercantile, sans frontières ni lois, exploitant le désespoir des couples en quête d’enfant ».

Le témoignage sans fard d’une descente aux enfers

Dans son livre, Olivia Maurel partage les impacts psychologiques qu’elle associe à la GPA. Elle raconte son enfance marquée par une atmosphère de silence et de secrets. Sa mère biologique, une Américaine, l’a portée et mise au monde « pour de l’argent ». Olivia évoque des moments troublants, comme lorsque, enfant, elle interroge sa mère sur son âge et obtient pour réponse : « – J’ai tuitan, – Ça veut dire quoi maman ? – Je n’ai pas d’âge »… Elle se souvient également de l’absence totale de photos d’elle bébé, de sa mère enceinte, ou de moments partagés à la clinique : « J’adore les albums photos. Et là encore, rien ne va. Il n’y a pas de clichés de ma mère enceinte, d’elle et moi à la clinique – bizarre. »

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Ce silence a contribué à un mal-être profond, exacerbé par un cadre familial dysfonctionnel. Olivia confie avoir traversé des épisodes autodestructeurs : alcoolisme, peur de l’abandon, et même une tentative de suicide après avoir été victime d’un viol. Grâce à une thérapie avec une psy et au soutien de son nouveau compagnon et de sa famille, elle entame une quête identitaire salutaire. Mais elle s’interroge : ce lourd secret familial pèsera-t-il aussi sur la relation qu’elle entretient avec ses propres enfants ?

Un appel à l’abolition universelle de la GPA

Le témoignage d’Olivia Maurel interpelle sur les conséquences psychologiques de la GPA pour les premiers concernés : les enfants nés de cette pratique. Elle fait partie des premières générations à témoigner et invite la société à écouter ces voix pour en tirer des leçons. Est-elle un cas isolé, ou ce modèle conduit-il systématiquement à des quêtes identitaires douloureuses ?

Pour Olivia, la réponse est claire. Elle milite pour une abolition universelle de la GPA. Elle republie enfin à la fin de son ouvrage la déclaration de Casablanca de 2023 appelant les États à s’engager pour une convention internationale interdisant cette pratique. Elle propose des alternatives comme l’adoption ou une révision des lois sur la parentalité, pour permettre à tous ceux qui souhaitent fonder une famille de le faire sans marchandiser la vie humaine. « Il existe aujourd’hui 36 millions d’esclaves dans le monde. Devrions-nous pour autant rétablir des lois encadrant l’esclavage ? Non. Jamais. Même chose pour la GPA », conclut-elle.

Guerilla Song

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Maurice Druon (à gauche) et Joseph Kessel (à droite) © MEIGNEUX/SIPA - D.R.

Sylvain Charat retrace l’histoire du « Chant des Partisans », notre seconde Marseillaise…


Genèse d’un hymne de résistance

Guerilla Song, tel fut le titre d’une chanson composée sous les bombes à Londres vers 1943 et qui, traduite et largement adaptée par deux écrivains français, futurs académiciens, allait devenir Le Chant des Partisans – la seconde Marseillaise – appelée à un succès phénoménal.

Qui ne connaît au moins l’entraînante première strophe : « Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?
Ohé partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme !
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes » ?

Sylvain Charat, un jeune docteur en histoire de Paris-IV, a eu la bonne idée de retracer l’histoire de ce chant mythique. Son essai paraît dans la nouvelle collection de poche de La Renaissance française, vénérable institution fondée en 1915 par le président Poincaré, et dont le premier objectif était d’apporter la culture française aux régions alors en voie de reconquête, l’Alsace et la Lorraine. Après la Grande Guerre, l’autre objectif fut aussi d’édifier la paix en prônant le dialogue culturel et de défendre la culture française urbi et orbi.

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Bref et dense, l’essai retrace avec clarté la genèse du Chant des Partisans, composé à l’origine par une Russe blanche, Anna Marly, qui s’inspira d’une mélodie russe à l’origine dédiée aux combattants de l’Armée rouge. Dans un second temps, Guerilla Song, qui plut d’emblée aux soldats alliés, fut modifié et pour finir interprété, pour la BBC, par Germaine Sablon, célèbre chanteuse des années 30. Le texte est dû à la plume de deux Français d’origine juive, le torrentiel Joseph Kessel, l’ami de Mermoz, écrivain à succès depuis les années 20, et son jeune neveu, Maurice Druon, le futur auteur des Rois maudits, aidés des conseils d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, chef d’un des plus importants réseaux de résistance, proche du Parti communiste (et même lié de près à l’URSS) et éphémère ministre du Général de Gaulle à la Libération. La petite histoire nous apprend que Kessel et d’Astier avaient en commun un goût prononcé… pour l’opium.

« On ne gagne les guerres qu’avec des chansons »

Ces trois hommes se retrouvent à Londres peu après l’occupation de la zone libre en novembre 1942. À leur grand désespoir, Kessel et Druon ne sont pas envoyés au combat comme ils le demandaient, mais priés de mettre leur talent littéraire au service de la France libre. Sage décision du Général, qui nous donne L’Armée des ombres, magnifique épopée de la résistance, que le génial Jean-Pierre Melville, un autre résistant (lui aussi d’origine juive) transposera avec un réel génie à l’écran avec les prodigieux Lino Ventura et Paul Meurice, sans doute l’un des plus beaux films sur la Résistance. Druon, le cadet, se contente d’éditer en le préfaçant un texte clandestin parvenu à Londres, Le Silence de la mer, que Melville traduira également en images inoubliables.

Sylvain Charat met bien en évidence le lien entre ce chant et l’unification progressive des mouvements de résistance, qui allait donner naissance au Conseil National de la Résistance, faisant, après la mort providentielle de l’Amiral Darlan, du Général de Gaulle le chef incontesté de la France combattante et l’unique interlocuteur des Anglo-Saxons comme des Russes.

Au moment où tout concorde, quand les Anglo-Américains débarquent en Afrique du Nord et que la Résistance s’unifie formellement sous l’égide de Jean Moulin, naît ce chant, composé en une après-midi de mai 1943 par Kessel, Druon et d’Astier, qui en est le concepteur, lui qui avait compris que « l’on ne gagne les guerres qu’avec des chansons ». Le mythe est né, et dès les premières radiodiffusions, qui traversent le brouillage allemand grâce au fait qu’une partie de l’air, par un coup de génie, en est sifflée, le Chant des Partisans cesse d’appartenir à ses créateurs pour devenir l’hymne d’un peuple en armes.

Sylvain Charat, Le Chant des Partisans, Éditions de la renaissance française, 156 pages

Coco perdu dans sa vieille solitude

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Lécrivain français Louis GUILLOUX (1899-1980) © Famille Guilloux-2025

Folio réédite en poche Coco perdu, l’un des derniers livres de Louis Guilloux. Un texte étrange, surprenant et pas facile au premier abord, mais un opus bouleversant sur la vieillesse et l’absurdité de l’existence.


Les éditions Folio ont la bonne idée de rééditer Coco perdu, de Louis Guilloux, avec une préface inédite d’Annie Ernaux. Non pas qu’il s’agisse du meilleur ouvrage du Breton de Saint-Brieuc (difficile de dépasser la densité et la puissance de Sang noir) ; mais il s’agit très certainement du plus étonnant, du plus singulier, en particulier dans la forme. Cette forme, justement, au début déroute, voire rebute ou, en tout cas, agace : un style parlé ou les formes négatives sont rognées, amputées, de l’argot à tire-larigot, des néologismes ; on se croirait chez Céline à part que Guilloux ne nous a point habitués à ça. C’est certainement pour cela qu’il a sous-titré de la formule « Essai de voix ». Et puis on s’habitue ; on se laisse faire ; on se laisse prendre, presque envoûter. Comme le rappelle Annie Ernaux dans son impeccable et efficace préface, « Sitôt paru, Coco perdu est unanimement salué par la critique comme un récit d’une étonnante modernité. On évoque Beckett, Joyce (…) Au vrai, on ne peut concevoir trame à la fois plus dépouillée et plus savante que celle de Coco perdu. »

Imbibé de désespoir

En fin de matinée, un retraité, Coco, accompagne Fafa, son épouse, à la gare. Avant de monter dans le train pour Paris, elle poste une lettre ; elle a préalablement refusé qu’il la dépose dans la boîte. Cela le tourmente, d’autant que le facteur, Charlot, ne passera pas avant lundi. Il est persuadé que la missive lui est destinée et qu’elle va lui annoncer un départ définitif. Il angoisse ; deux jours à tuer. C’est affreux cette impression de vide existentiel. Il ne sait pas quoi faire ; alors, il traîne dans la ville, tente de parler à ceux qu’il rencontre, ceux qu’il connaît parfois, ou qu’il ne connaît pas. Il y a là un ancien moine, vendeur de billets de loterie ; ici, M. Pradel, gros patron de bistrot débonnaire ; un peu plus loin, les sidis, les Algériens. Des gens du peuple, du vrai peuple passent, discutent, s’engueulent, fraternisent. L’action se déroule en 1977, l’année de l’arrivée de la musique punk en France ; le moment où le monde d’avant commence à ficher le camp. La télévision fait mal au cinéma ; au théâtre, Brecht nuit aux tournées Baret. Coco se sent vieillir ; il se sent vide. Ce livre est fort tant il est imbibé de désespoir. Lecteur au bord de la déprime, abstiens toi.

Coco perdu, Louis Guilloux ; folio ; 123 p.

Pourritures de publicités ou la colère d’un vieux con !

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DR.

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Cela fait près de cinquante ans que j’écoute France Inter ; j’aime cette radio publique. J’aime même passionnément certaines de ses émissions dont Very Good Trip, de Michka Assayas, moment musical de qualité intense. Mais depuis quelque temps, j’avoue, je n’en peux plus.

Marre de ces publicités incessantes, indécentes, odieuses, puantes, jaunâtres comme la rate d’une des plus grosses fortunes de France. Je hais ces incitations bruyantes, vulgaires, ordurières, à la basse consommation. C’est carrément répugnant de la part d’une radio dite publique. On tente de nous vendre du « Grand frais », de l’assurance, de la mutuelle, et même de grosses voitures allemandes. Oui, ces espèces de tanks de nos bons amis d’outre-Rhin, tanks qu’on a du mal à doubler sur les routes départementales ; tanks blindés qui donnent l’impression qu’ils foncent vers la Pologne pour l’envahir ; tanks teutons aux incroyables cylindrées, plus polluantes que les fûts de Seveso. C’est Mathieu Vidard et sa Terre au carré qui doivent être contents !

On se fiche de qui ? Résultat : je coupe et vais me balader du côté de France Culture, de France Musique ou de France Info généralement moins infectées par ces pourritures de publicités. Je traîne aussi l’oreille du côté d’Europe 1. Là, des pubs, il y en a à la pelle ; on le sait. C’est bien sûr aussi insupportable, sauf qu’au moins, Vivendi et Vincent Bolloré, eux, annoncent la couleur. Ils ne se disent pas de gauche ; ils ne gueulent pas à tout bout de champ contre le capitalisme et contre la société ultralibérale.

Je hais les publicités de France Inter. Je ne supporte plus non plus le fait d’être harcelé sur mon téléphone portable par des commerciaux qui tentent de me vendre des panneaux solaires, ou des baisses d’énergie, ou des soi-disant programmes d’isolations de maisons. Parfois ce sont des voix humaines qui proviennent de vrais humains. J’ai tout essayé : les menacer de porter plainte, leur expliquant qu’ils appelaient sur un téléphone professionnel et que c’était interdit, que j’allais les balancer au procureur de la République ; je les ai déjà traités de tous les noms ; je leur ai fait croire que M. Lacoche était mort depuis plusieurs mois ; j’ai tenté de les faire rire en leur parlant dans une langue inventée, imprégnée de « Barek ! Barek », « Crapougnette ! », « Istoule ! Istoule ! » Certains rigolent ; d’autres me raccrochent au nez. Au final, rien n’y fait ; ils continuent. Nouveauté : la voix artificielle qui réagit à vos intonations, à vos silences ; à vos refus. Comme un crétin, je me suis fait avoir au début ; j’essayais de discutailler, jusqu’au moment où un proche m’a éclairé sur la supercherie. J’ai gueulé : « Pauvre France ! » et me suis niché dans des rêves de bakélite et de cadrans en relief et tout en trous dans lesquels mes gros doigts s’enfonçaient avec sensualité. C’était au temps du monde d’avant, mon préféré. Pauvre France, oui.

Je veux être Château Briand, ou rien!

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Résultats du baccalauréat au lycée Masséna à Nice, le 8 juillet 2024 © SYSPEO/SIPA

L’Éducation nationale prétend lutter contre les inégalités, mais c’est le plus souvent en nivelant par le bas, malheureusement. Grâce au pédagogisme, dans nos écoles, l’égalité arrive, mais pas comme on l’attendait…


Château Briand : millésime 2025, grand cru de l’Éducation nationale. J’avais fini 2024 avec un paquet de copies sur Rimbaud, au programme de français de première. « Un homme pas très sein, mort du cancer des eaux, il nous laisse sur notre fin, après avoir vécu sous le règne d’un tirant… ». Le crépuscule, la phase terminale.
C’est en compagnie de Victor Hugo et de quelques morceaux choisis que j’attaquai avec optimisme 2025: « Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne », « Tout homme coupable est une éducation manquée qu’il faut refaire », « Je voulais résorber le bagne par l’école », tout ça, tout ça…

Décomposition française

Alors lire, en état de décomposition avancé et dans une « bonne copie » de seconde, cette phrase d’anthologie – « Je veux être Château Briand ou rien » – m’a convaincue de trois choses : être un « classique » vous expose, au sens suppliciant du terme ; Élisabeth Borne aurait pu s’épargner cette palinodie sur la question du brevet ; l’Éducation nationale est en passe de remporter la lutte contre les inégalités.
Dans l’ancien monde, avant que l’exception ne devînt la règle, on appelait ces bourdes des perles. Le professeur les relevait – non sans délectation – et en faisait une lecture goguenarde à la classe. Les auteurs en avaient le rouge au front. C’était le temps des maîtres harcelants. Aujourd’hui, ces fautes se retrouvent dans toutes les copies (hormis à Stan et à l’École Alsacienne, chez les petits Oudea, N’Diaye, Chatel, Ferry, Bayrou …), signe d’un effondrement lexical et syntaxique, d’une incapacité à élaborer un raisonnement, du néant culturel. Le pédagogisme sévit depuis longtemps ; Covid et TikTok ont fait le reste. L’égalité dans l’ignorance.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli: « Cramés », de Philippe Pujol: ceux que vous appelez racailles

Alors pourquoi avoir renoncé à rendre le brevet obligatoire pour accéder à la classe de seconde ? Cette mesure aurait-elle, comme le soutient Anne Genetet, ex-ministre, sur son compte X, « élevé le niveau d’exigence et celui de nos élèves » ? Aucun risque ! Le bruit que faisaient le SNES-FSU et ses satellites autour de cette « régression historique » (comprendre : des têtes qui pensent et qui dépassent) n’était qu’agit-prop. Mes élèves de filière générale, Hugolâtres et Rimbaulogues, sont tous titulaires de ce diplôme, le plus souvent avec mention. Et s’il y a des trous dans la raquette, il faut faire confiance aux professeurs. Ils truquent déjà les notes pour les épreuves finales, pourquoi pas le contrôle continu? Ça fonctionne pour le baccalauréat, ça devrait marcher pour le brevet. On convoque les professeurs en début d’année pour une réunion sur l’harmonisation. On projette les moyennes (générale et par discipline) de l’examen de l’année précédente : celles de l’établissement, de l’académie, puis les moyennes nationales. On voit où on se situe par rapport à la courbe : au-dessus, très bien ; au-dessous, pas bien. Le tour est joué.

Passation de pouvoirs entre Anne Genetet et Elisabeth Borne, ministère de l’Education nationale, Paris, 24 décembre 2024 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Aurions-nous, enfin, atteint le Graal, l’Égalité ? Presque ! Il reste quelques consciences à écrêter, à coup d’animations pédagogiques. Par exemple, l’exposition « Tous migrants » qui tourne dans les CDI d’Occitanie, financée par la MGEN et proposée par l’association Cartooning for peace1 – un « réseau international de dessinateurs de presse engagés qui combattent, avec humour, pour le respect des cultures et des libertés » -. L’élève, dessins à l’appui, peut y lire que le migrant « se retrouve devant l’énigme d’une nouvelle identité à façonner, expérience complexe et d’autant plus conflictuelle que le nouvel arrivant est parti à son corps défendant, arraché à son pays », que « les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts », qu’il s’agit « de s’intégrer, malgré les discriminations et les injustices, dans une société de mixité, seul horizon de partage et de développement ». Pour être sûr qu’il ait bien gobé l’info, on l’invite à « donner un préjugé illustré par l’un des dessins de ce panneau » et on lui souffle la bonne réponse : « Les idées reçues, l’ignorance conduisent certaines personnes, voire certains États à des réactions nationalistes ». Le tout, bien sûr, « avec humour » et dans « le respect des cultures et des libertés ». Il y a aussi « Dessine-moi l’écologie », « Dessine-moi la Méditerranée », « Dessine-moi l’égalité des genres »… À l’ISFEC2 où sont formés les professeurs-stagiaires de l’enseignement catholique de Toulouse, on a dépêché, le 23 janvier, une intervenante sur la question du genre et de l’égalité filles-garçons. Les enseignants ont été encouragés à porter des signes distinctifs associés aux mouvements LGBT, à afficher des drapeaux ou accessoires de même nature dans les classes, à favoriser un langage neutre et inclusif pour éviter de « genrer » les élèves.
« Je veux être Château Briand.e.s ou rien ». Quel étendard !


  1. https://www.cartooningforpeace.org/expositions/ ↩︎
  2. Institut Supérieur de Formation de l’Enseignement Catholique de Toulouse ↩︎

Affaire Philippe Carli: comment perdre son job en un clic

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Le patron de presse Philippe Carli photographié en 2015 © MEIGNEUX/SIPA

Pensée unique. Face à Mediapart et à la meute, il est toujours préférable d’assumer ce qu’on a dit, ou pensé. Parce qu’il s’est excusé pour avoir partagé sur des canaux personnels des idées non politiquement correctes, le patron de presse a finalement dû démissionner. Il aurait mieux fait de dire à ses contradicteurs que ses opinions politiques n’affectaient en rien son travail, estime notre chroniqueur.


Philippe Carli, le président du groupe de presse Ebra (1er groupe de la presse quotidienne régionale, avec les Dernières Nouvelles d’Alsace, Le Dauphiné libéré, L’Est républicain etc.), a démissionné. « Dans l’intérêt du groupe Ebra, j’ai décidé de quitter mes fonctions de président ». Cet homme est bien complaisant.

Son départ résulte d’une lâcheté ordinaire, de sa soumission au médiatiquement correct. Quelle faute gravissime avait-il commise ? Il avait « liké » sur LinkedIn des messages émanant de personnalités comme la députée européenne Sarah Knafo par exemple. Mediapart qui met un acharnement compulsif à détruire la liberté d’expression de ceux qui ne partagent pas ses combats et n’adhèrent pas à sa vision hémiplégique, a évidemment épinglé le président Carli.

Ne jamais s’excuser pour ses idées

La CGT, comme il se doit, a réclamé le lundi 27 janvier son départ « en raison de sa proximité affichée avec des figures d’extrême droite ». Et elle l’a donc obtenu. Philippe Carli avait pourtant à sa disposition d’autres solutions, des réponses plus personnelles et déterminées.

Plutôt que de s’excuser d’abord, pour être en définitive renvoyé ensuite avec la pire des offenses : son consentement apparent. Avec des justifications filandreuses destinées à masquer une déroute.

Il pouvait dire qu’il était certes le président du groupe Ebra mais qu’adulte, il faisait ce qu’il voulait et qu’avoir « aimé », à titre personnel, certains messages de Marion Maréchal, d’Éric Zemmour ou de Sarah Knafo ne le disqualifiait pas pour son activité principale. Il pouvait, au lieu de s’aplatir, réagir vigoureusement. Mettre, sans y être contraint, sa démission dans la balance et défendre des principes auxquels le groupe Ebra aurait dû être sensible autant que lui. Il pouvait élégamment rétorquer à Mediapart que ce n’était pas cette inquisition honteuse qui lui ferait jeter l’éponge. Il pouvait poliment suggérer à la CGT de s’occuper de ce qui la regardait et de ne pas imposer son idéologie syndicale à ce qui relevait de la liberté de pensée et d’expression.

Résistance !!

Il pouvait, en résumé, n’être même pas un résistant mais juste assumer ses idées. Au contraire il a accepté d’être dépouillé de sa liberté, de sa responsabilité. Profondément, au détriment de ceux qui se battent pour ne pas voir sacrifier les valeurs foulées aux pieds par Mediapart, la CGT et les éradicateurs d’opinions et de comportements qui ne leur plaisent pas.

Même si modestement je n’ai rien à voir avec la présidence d’un grand groupe de presse et que mes écrits ou mes paroles n’ont évidemment pas la même incidence, il ferait beau voir qu’on prétendît m’interdire, si j’en avais envie, de dire ponctuellement du bien de Jean-Luc Mélenchon, de certains députés LFI, de tel ou telle écologiste, de personnalités avec lesquelles je ne suis pas naturellement accordé !

Je n’aurais pas proposé ce post si l’attitude de Philippe Carli, poussé par d’autres frileux, n’était pas révélatrice de la perte d’une vertu capitale dont le manque est dévastateur dans beaucoup de domaines : intellectuel, politique, social, judiciaire ou médiatique. On a compris qu’il s’agit du courage. Être courageux ne fait pas de vous un héros mais tout simplement un homme.

Lettre aux présidents de MSF et Médecins du monde

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Noëlle Lenoir, soirée de soutien pour Boualem Sansal, théâtre libre de Paris, 16 décembre 2024 © Lionel Urman/SIPA

Paris, le 23 Janvier 2025

À Madame Isabelle DEFOURNY, Présidente de MSF
34 Avenue Jean Jaurès 75019 Paris.

À Monsieur Jean-Francois CORTY, Président de MDM
84 Avenue du Président Wilson 93200 Saint-Denis.

Madame la Présidente,

Monsieur le Président,

Chers confrères,

Les signataires souhaitent attirer l’attention de votre organisation sur la situation de l’écrivain français Boualem Sansal, actuellement emprisonné en Algérie depuis plus de deux mois.

Aucune visite n’est autorisée (ni celle de l’ambassadeur de France ni celle de son avocat). Il est affecté d’un cancer de la prostate dont ni le stade ni les symptômes ne sont connus et dont on ne sait s’il est traité.

Nous vous prions de bien vouloir organiser dès que possible une visite d’une de vos équipes compétentes dans ce domaine car nous sommes très inquiets de son état de santé.

Nous savons que vous aurez à cœur de considérer l’urgence de la situation médicale de cet homme, citoyen français, âgé de 80 ans.

Avec nos sentiments confraternels

  • Dr Richard ROSSIN, ancien secrétaire général de MSF et cofondateur de MDM
  • Dr Jacky MAMOU, ancien président de MDM
  • Dr Pierre FOLDES,Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes
  • Les chirurgiens urologues : Marc MAIDENBERG, Jean Romain GAUTIER, Aladin GOUT, Frederic VAVDIN,Sebastien NOVELLAS,Didier LEGEAIS, Bruno d’ACREMONT, Jean-Christophe BARON,Alberto DOMINGUEZ, Olivier ROUSSEAU,André BENZAQUIN,François VALENTIN,Alain BESANCENEZ,Philippe HERITIER,Franck DUCHENE,Michel CLARACQ
  • Les 600 membres du comité des blouses blanches
  • Le Comité de soutien international à Boualem SANSAL
    • Présidente : Noëlle LENOIR
    • Secrétaire général : Arnaud BENEDETTI

Moix, plongeur de combat

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Yann Moix © Arnaud MEYER/Leextra/Editions Grasset.

Yann Moix revient avec une « histoire subaquatique du XXe siècle » en alexandrins.


Avec Yann Moix, il faut s’attendre à tout, mais dans la qualité et l’originalité. Pas question de s’endormir sur les lauriers de la renommée littéraire. Le lecteur doit être surpris, malmené parfois. Les dividendes du boursicoteur pépère de la littérature, très peu pour lui. Ici, il nous livre une traversée du XXème siècle, sous l’eau et en alexandrins, excusez du peu. Ce n’est pas Le Bateau ivre de l’éternel gamin turbulent, Rimbaud, avec le regret de « l’Europe aux anciens parapets », c’est direct une plongée parmi de drôles de poissons, un voyage en apnée – titre de l’ouvrage – qui oblige à s’ébrouer efficacement une fois retrouvée la terre ravagée par les multiples fléaux. C’est en quelque sorte une odyssée sous-marine. Le narrateur est accompagné de l’énigmatique Emmanuelle. Ils nagent en eaux troubles, se moquent de celles dites territoriales. Ça bouillonne en permanence, aucun temps mort, au milieu des millions de morts de l’Histoire d’un siècle qui a vu l’effacement de Dieu et la toute-puissance du diable, l’acmé étant la construction des camps d’extermination nazis. Le style de Moix, corseté par le bel alexandrin, prend de la vigueur et de l’allure. Ça tourbillonne, ça éclate, ça pense au bout de la rime jamais trop riche. Poète Moix, vos papiers ! Vous sentez de la tête. Le rythme ne faiblit jamais, avec orgie d’assonances et d’allitérations. On est emportés par ce livre fou, complètement à contre-courant d’une production littéraire qui exhale le poisson crevé.

« Réfugiez-vous dans votre musée imaginaire »

Bien sûr c’est une vision accélérée de l’histoire. Moix ne va pas jouer les profs de collège. On ne rabâche pas, on nage souple et efficace. Le narrateur évoque, mais de quelle façon, les grands événements, comme la Grande guerre, avec la figure de Péguy, un ami de Moix, on évoque 39-45, avec la Collaboration, le duo infernal Pétain/Laval, et tous les vendus au régime hitlérien. Il évoque la Shoah. Extrait de l’évocation de la déshumanisation : « D’un baraquement, dans la lumière/Verte, un squelette voûté, presque horizontal,/Marche, très hagard, dans le monde végétal ;/Il boite. Ses souliers lui font mal ; la pénombre/Cache son visage décharné, son œil sombre. » Puis c’est au tour d’Hiroshima, sans Duras que Moix déteste à cause de son passé collabo durant l’Occupation. C’est encore le débarquement en Normandie en compagnie du photographe Robert Capa. Détail : « Ses pellicules sont stockées – original – /Dans des préservatifs ; cette astuce présente/ L’intérêt de les garder au sec (…) » On croit revivre le débarquement salvateur avec explosions, giclures de sang et cervelles. Ses vers charrient la viande humaine. L’Indochine, l’Algérie, la balle prise par JFK, « le bouquet de fleurs de Jackie » filant vers le néant. Ça s’accélère, crawl, respiration, tension du muscle. On oublie que c’est de la poésie, on lit comme si c’était de la prose survitaminée. Au passage, Moix reprend son souffle avec le présent : « Cet État d’Israël qui vient enfin de naître,/L’État palestinien qu’on doit reconnaître (…) »

Le narrateur n’oublie pas quelques grandes figures du XXème siècle. Citons Sacha Guitry – que Moix révère – Sartre, Raymond Roussel, Simone Weil, et beaucoup d’autres encore parmi les merlus hébétés et les lachnolèmes siamois. Mention spéciale pour l’évocation de Soljenitsyne en taule. Il n’est plus rien alors, réduit à « une mouche de cabinet ». En taule, parce qu’il ne valide pas « cette fausse révolution par le bas. » On le bat parce qu’il a osé cracher sur la faucille et le marteau.

Comme le narrateur, on s’inquiète de devoir remonter à la surface pour retrouver la « société liquide », concept emprunté au sociologue Zygmunt Bauman. Peut-on échapper aux « dimanches d’été et leur horrible foule » ? Sourire, tant les calamités sont légion et autrement plus corrosives. Réponse : « un seul antidote est possible : l’art. » Réfugiez-vous dans votre musée imaginaire et jetez la clé à la mer.

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Tombeau de Callas

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Angelina Jolie dans le film "Maria" de Pablo Larraín (2025) © Pablo Larraín

L’interprétation d’Angelina Jolie ne rend pas justice à la mémoire de Maria Callas. On s’ennuie terriblement dans le film du Chilien Pablo Larraín


Dans un immense salon cossu, trois pandores en uniforme, deux types en blouse blanche, et autres comparses – un médecin, un inspecteur de police ? Personne ne dit mot. Posée sur le tapis au pied des hautes croisées, une civière. On distingue, au centre, derrière un meuble, le corps allongé d’une femme vêtue d’une simple nuisette : c’est la Callas ; elle est morte. Ses deux caniches la pleurent.

Ainsi s’ouvre Maria, sur une séquence muette, dans la lumière mordorée d’un jour parisien. Pablo Larraín s’était employé, en 2016, à démystifier l’épouse du président Kennedy, avec le film Jackie – Natalie Portman dans le rôle-titre. Comme le monde est petit et que la petite histoire rejoint toujours la grande, voilà notre cinéaste chilien qui, cette fois, se retourne sur cette autre icône planétaire, dont les derniers jours nous sont ressuscités, empruntant aux traits d’une autre star : Angelina Jolie.

Anorexique, droguée aux cachets de métaqualone (plus connus sous l’appellation de Mandrax), Maria Callas, en ces années 1970, se survit donc solitairement à elle-même, cloîtrée dans son gigantesque appartement parisien de l’avenue Georges Mandel encombré de bustes gréco-romains et d’antiquités kitsch, d’un mauvais goût ostentatoire. L’attention quotidienne et inquiète de Ferrucio, son chauffeur-majordome (Pierfrancesco Favino) et de Bruna, sa cuisinière-femme de chambre (Alba Rohrwacher) se porte sur la santé physique et mentale déclinante de la capricieuse et instable soprano lyrique : elle fait déplacer son piano à queue dix fois par jour, et s’exhibe à l’occasion sur telle ou telle terrasse de café, mue par le besoin avoué, compulsif, « d’être adulée » encore et toujours. Pas plus qu’elle n’écoute les objurgations du docteur Fontainebleau, son médecin (Vincent Macaigne), elle ne se range aux conseils de Jeffrey, son répétiteur (Stephen Ashfield), lequel accompagne au clavier, dans une salle vide, les cris de crécelle de la cantatrice déchue. Avouons qu’il faut un courage quelque peu masochiste à Angelina Jolie pour endosser cet emploi de diva en bout de course, jusqu’à vous vriller les tympans dans les arias massacrées d’Anna Bolena ou de Tosca.  

En contrepoint des séquences fictionnées – en couleur – alternent authentiques images d’archives, et reconstitutions –  en noir et blanc. Dans cet assemblage, Maria exhume, nappés d’extraits de Norma ou de La Wally, comme une remémoration de sa destinée, quelques « moments forts » de « La Callas »: entre autres, sa rencontre avec Aristote Onassis et, quinze ans plus tard, ses visites à l’armateur lorsqu’il se meurt à l’hôpital américain de Neuilly. Campé ici par le comédien turc Haluk Bilginer dont la moumoute chenue lui assure une ressemblance physique plutôt convaincante avec son modèle, le fameux milliardaire grec nous est ici montré sous l’aspect grotesque d’un vulgaire parvenu se vantant en public de sa fortune, havane au bec, puis comme un sigisbée transi et sentencieux : la caricature est poussée un peu loin.

© ARP-FilmNation

De même confine au ridicule achevé le passage (toujours en noir et blanc) nous dévoilant « Maria » adolescente, plantureuse et mal attifée, flanquée de sa sœur aînée Yakinthi, et prostituant sa voix plutôt que ses fesses à deux officiers SS hypnotisés, dans la Grèce alors occupée par les nazis. Que dire du petit interviewer américain qui, magnéto en bandoulière et bientôt entraîné par Callas dans ses baguenaudes des beaux quartiers, finira, dans le no man’s land photogénique des jardins du Palais Royal, par lancer – plan serré sur sa frimousse juvénile – un « I love you » à son idole ? Idem, JFK (Caspar Philipson) et Jacky (la future épouse d’Onassis comme l’on sait), effleurent l’écran dans une scène expéditive. Non, franchement, Maria ne rend pas justice à la mémoire de la légendaire prima donna.

Peut-être quelques-uns des lecteurs de Causeur auront-ils vu La Mort de Maria Malibran, œuvre-culte du cinéaste et metteur en scène d’opéra Werner Schroeter (1945-2010), éclos dans la mouvance de ce qu’il est convenu d’appeler le « Nouveau Cinéma Allemand », qui eut son heure de gloire dans les années 1970. C’était quand même autre chose ! Au moins l’idolâtrie lyrique se donnait-elle des ailes.  

Maria, film de Pablo Larraín. Avec Angelina Jolie. États-Unis, couleur/noir et blanc, 2024. Durée : 2h04. En salles le 5 février 2025.