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En France, en 2025, même la Star Ac’ devient un espace d’affrontements identitaires

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


Longtemps, j’ai pensé que cela ne changerait jamais. Qu’il serait toujours possible de dialoguer sans s’accorder sur tout.

Au collège Jules Ferry à Langon (33), dans mon équipe de basket et à l’école de musique, j’ignorais la religion de mes copains.

Le dimanche, à la table de mon grand-oncle, ancien résistant et déporté, maire et conseiller général communiste d’une terre entre Garonne et coteaux, se retrouvaient, autour d’une lamproie ou d’une alose, le curé de la paroisse et des barons de la droite locale. Dès son arrivée tonitruante, Robert Escarpit avait l’habitude de dévorer tous les chocolats. Quand je questionnais mon grand-oncle sur son dernier échange téléphonique avec Chaban-Delmas, il avait toujours la même réponse : « Quelques souvenirs en commun. » Pour sa dernière campagne électorale, lors d’une soirée de collage d’affiches (on ajoutait du verre pilé à la colle pour ne pas être arraché par les concurrents), un militant du FN a arrêté sa voiture, baissé sa vitre et craché : « On aurait dû le fumer à Dachau. » Cela fut la seule morsure dans cette fin des années 1980 pour lesquelles j’éprouve tendresse et nostalgie.

À l’université Michel de Montaigne, à Bordeaux, Sylvain était chiraquien, Patrick vaguement anar et Thomas se passionnait pour les radicaux valoisiens. Nos soirées de poker étaient animées. Quand nous perdions, avec nos verres pleins et nos portefeuilles vides, Sylvain nous faisait crédit en inscrivant nos dettes sur un papier où nous devions apposer notre signature. Après, il s’agissait tout simplement de dérober le document. Ça gueulait un peu, puis on riait beaucoup. 

À lire aussi, Olivier Dartigolles : « Alors Olivier, il est comment ton Bayrou? »

Aujourd’hui, que sont mes amis de droite devenus ?

Si je n’ai pas aimé la soirée place de la République avec des crétins célébrant la mort de Jean-Marie Le Pen, j’ai rappelé lors de débats médiatiques le contenu précis de ce qui précédait et suivait le « détail ». « Je suis un passionné aussi par l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, je me pose un certain nombre de questions et je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé, je n’ai pas pu moi-même en voir, je n’ai pas étudié spécialement la question. » Puis : « Ce n’est pas une vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire. C’est une obligation morale ? Je dis qu’il y a des historiens qui débattent de cette question. » Il n’emploie jamais le terme « génocide ». Quand Élisabeth Lévy me répond que « le détail nous a beaucoup indignés mais il n’a eu aucune conséquence sur la vie des juifs », et qu’il ne faut aujourd’hui retenir de Le Pen qu’un visionnaire sur l’immigration ou la sécurité, cela m’apparaît tout simplement inacceptable. A-t-il été possible d’en discuter ensemble ? Non.

Je n’ai pas pu avoir de débat, pourtant légitime et indispensable, sur l’élection de Donald Trump, car cette « victoire culturelle » ne tarderait pas, m’a-t-on dit, à s’imposer dans le reste du monde occidental… J’ai vu quelques masques tomber. Fini la rigolade, on ne discute plus ! Le paradoxe est de les voir adopter exactement les mêmes comportements obtus et dogmatiques que ceux qu’ils n’ont cessé de pourfendre en parlant de France Inter et de la « bien-pensance de gauche ». Siamois d’une même tragédie où le débat d’idées, l’altérité et la complexité sont remplacés par une fièvre permanente.

Je déteste cette époque où chacun choisit ses sujets et ses victimes – et il m’arrive d’en faire autant –, où même la Star Academy, avec une finale entre Ebony et Marine, devient un espace d’affrontements identitaires.

Que s’est-il passé ?

« Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta »

Et avec eux, cette chronique.

Le Tournoi des 6 Nations, du rugby et des hymnes nationaux

Le deuxième et très attendu match du Tournoi des 6 nations, entre l’Angleterre et la France, aura lieu à Twickenham à 17h45 heure française…


Le Tournoi des 6 Nations est synonyme d’hiver qui entame son crépuscule et de crépuscules qui repoussent leur entame, de tenues maculées de boue, de sueur et de sang, de mêlées disputées dans les derniers frimas qui laisseront place aux premières douceurs du printemps et forcément de rivalités entre nations historiquement rivales, avec en point d’orgue le Crunch (rencontre entre la France et l’Angleterre) et la Calcutta Cup (entre l’Écosse et la Perfide Albion). Symbolisant à peu près tout cela à la fois, les hymnes y sont entonnés, plus que partout ailleurs, avec ferveur, un sentiment national puisant dans les profondeurs de l’Histoire et parfois quelques larmes dans les yeux.

Call of Ireland. Particularité rugbystique, l’équipe irlandaise regroupe les quatre provinces de l’île d’Émeraude (Leinster, Munster, Connacht, mais aussi… l’Ulster) ; à l’hymne national de la République d’Irlande  (Amhrán na bhFiann ou Chanson du soldat) s’ajoute donc le beaucoup plus vibrant Call for Ireland qui inclut l’Irlande du Nord ; dans l’histoire dramatique, on retiendra l’interprétation en 2007 face aux Anglais à Croke Park – le stade habituellement dédié au rugby étant en rénovation -, là même où des soldats britanniques massacrèrent des Irlandais lors d’un match de foot gaélique en 1920 en pleine guerre anglo-irlandaise.

God Save the King. Pendant le long règne d’Elisabeth II, c’est la reine que l’hymne anglais célébra ; depuis l’accession sur le trône de Charles III, c’est à lui que s’adresse cette courte prière chantée ; l’air servit même un temps de chant patriotique dans de nombreux autres pays, dont les États-Unis avant que ceux-ci se choisirent Star Spangled Banner comme chant national – en référence à la bannière étoilée continuant de flotter aux premières lueurs de l’aube à Baltimore assiégé par les… Britanniques –  ; la petite histoire raconte que Lully pourrait être l’auteur de la mélodie, et même s’il est difficile d’y croire, agissons, comme dans un western, « quand la légende est plus belle que la réalité, imprimons la légende » ; en matière de rugby Swing Low, Sweet Chariot est néanmoins beaucoup plus clairement associé au XV à la rose que God Save the King

Flower of Scotland. Assister à l’hymne écossais en direct de Murrayfield, antre du XV au chardon, est une émotion difficilement comparable ; entamé à la cornemuse et terminé a capella, il rappelle les combats de Robert Ier d’Ecosse contre Edouard III d’Angleterre (dont le sobriquet est accompagné d’un bruyant « bastard » ajouté dans le texte par les supporters en tartan) et évoque les collines et les vallons du pays ; jugé trop violent par les fragiles dont l’époque regorge, certains ont déjà voulu l’interdire, mission impossible au pays de William Wallace.

Hen Wlad fy Nhadau. Si l’hymne écossais est le plus émouvant, son pendant gallois chanté à tue-tête dans un Millenium Stadium chauffé à blanc et vêtu de rouge est sans doute le plus puissant. C’est en se promenant sur les bords de la rivière Rhondda, dans le sud pastoral du pays, que germa l’idée dans l’esprit de James James ; au Pays de Galles, contrairement à d’autres nations du rugby, le ballon ovale est d’extraction ouvrière, ajoutant un surcroît de force à ce chant évoquant la terre des ancêtres, « braves guerriers, si nobles et si vaillants, qui versèrent leur sang pour la liberté » ; l’air est connu des Bretons qui l’empruntèrent à leurs cousins gallois pour composer le Bro gozh ma zadoù.

Ce n’est qu’en 2017 que l’Inno di Mameli devint officiellement l’hymne italien, plus d’un siècle après qu’il fut entonné pour la première fois dans le contexte de la création d’un Etat encore morcelé ; il évoque les « Fratelli d’Italia », ces « frères d’Italie » au service d’un pays qui s’est « soulevé avec le casque de Scipion » ; détail qui ne manque pas de piquant, l’auteur de l’hymne, le poète Goffredo Mameli, fut tué par des… Français en 1849.

Enfin, la Marseillaise, chant de guerre pour l’armée du Rhin et hymne contre la tyrannie, dont les premiers couplets ont été rédigés par Rouget de Lisle, fut commandée par le maire de Strasbourg après que la France eut déclaré la guerre à l’Autriche ; repris ensuite par les fédérés marseillais qui assiégèrent les Tuileries, l’hymne devint officiellement celui de la France sous la Troisième République en 1879 ; son rythme fut modifié à plusieurs reprises, par Giscard et Mitterrand ; gageons qu’il donne un surplus de force et de courage à Antoine Dupont, Thomas Ramos et Louis Bielle-Biarrey jusqu’au terme du Tournoi.

Henri IV ne tient jamais la chandelle!

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Ce n’est pas son genre. Malgré ses soucis de santé, le priapique Béarnais au sang chaud honore ces dames. La bande dessinée de Philippe Charlot et d’Éric Hübsch nous le rappelle avec humour.

Sacré Henri IV ! Il nous étonnera toujours et on en voudra un peu plus au fanatique et cruel Ravaillac de l’avoir assassiné. On le retrouve dans la bande dessinée, La chandelle du bon roy Henri, hilarante et savante, œuvre du scénariste Philippe Charlot et du dessinateur Eric Hübsch. On le sait : le premier s’intéresse de près aux problèmes de santé des grands de ce monde. Il s’était déjà penché sur le Royal Fondement de Louis XIV ; aujourd’hui, il s’intéresse au vigoureux vit d’Henri IV. Celui-ci, grand amateur et consommateur de dames, est handicapé par une rétention urinaire qui, à force, pourrait atténuer, voire éteindre la vaillance de sa chandelle. Heureusement que le jeune saltimbanque Thibault, qui pratique l’hypnose au Pont-Neuf, croise son chemin…

Envie pressante

 « Jouer avec la grande Histoire pour en écrire des petites. » Voilà l’ambition de Philippe Charlot qui rappelle, non sans à-propos que « nous avons la chance de vivre à une époque où l’on sait soigner sans douleur, sans amputations, sans saignements (…). Cela m’amuse aussi d’imaginer ces personnages qui ont marqué l’histoire ramenés à un peu d’humilité devant leur fragilité. » Et de poursuivre : « Je vis en Béarn où tout le monde se considère descendant plus ou moins direct d’Henri IV. Son appétence pour les jeunes bergères aurait laissé tant de bâtards que chacun s’enorgueillit d’un petit air de famille. »

A lire aussi, Marie-Hélène Verdier: Vive Henri IV!

On rit beaucoup dans cette bande dessinée de bonne tenue ; les personnages ne manquent pas de piquant, de mordant. Ils nous replongent dans un Paris surprenant, souvent imbibé de croyances et de religions. La ligne presque claire – mais teintée de fantastique – des dessins de l’excellent Eric Hübsch, contribue à faire de cet album une belle réussite. On le referme avec l’envie pressante (comme l’eût ressenti le bon roy Henri et sa chandelle insatiable) de le parcourir de nouveau. C’est bon signe.

La chandelle du bon roy Henri, Philippe Charlot (scénario) et Eric Hübsch (dessin) ; Grand Angle ; 64 p.

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Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Avec Céline Pina, Martin Pimentel et Jeremy Stubbs.


Céline Pina analyse le cas de l’influenceur algérien Doualemn, dont l’OQTF a été annulée au motif que son expulsion le priverait des bienfaits de la vie de famille. C’est ainsi que la justice bride l’exécutif, en empêchant ce dernier d’exercer sa souveraineté afin de protéger ses citoyens. Les droits d’un seul individu priment sur ceux de toute une nation – au nom d’une justice « supérieure » qui est celle imposée par la Cour européenne des droits de l’homme.

Martin Pimentel se penche (non sans humour) sur le cas de Merwane Benlazar, le comique accusé de servir la cause salafiste après son passage sur « C à vous » avec Anne-Elisabeth Lemoine. Outre ses piètres qualités d’humoriste, cet individu montre combien le service public est prêt à tolérer une forme de propagande multiculturelle si ce n’est islamo-gauchiste.

Amanda Sthers: une saga familiale cosmopolite

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Amanda Sthers, romancière, cinéaste et auteur dramatique, entre autres, est née à Paris en 1978. Sa mère, une Bretonne, s’était convertie au judaïsme pour pouvoir épouser son père, le brillant psychiatre tunisien Guy Maruani. Je rappelle ces données familiales, car elles jouent un rôle important dans l’œuvre d’Amanda Sthers. En effet, c’est tout un univers juif séfarade qui baigne la plupart de ses fictions, inspirées, comme il se doit, de ses propres origines. Ici, avec Les Gestes, paru il y a peu, la romancière entreprend une saga familiale, transposée, il est vrai, en Égypte, pour être sûr de brouiller les pistes. La vérité se mérite, pour Amanda Sthers, dont les romans se veulent avant tout des interrogations sur la vie, sur l’identité des êtres humains, sur l’amour. Ces thèmes étaient déjà au cœur de sa célèbre pièce, devenue culte, Le Vieux Juif blonde, qui est rééditée aujourd’hui avec une préface inédite, et dont je note qu’elle est étudiée à Harvard, ce qui n’est pas rien.

Un roman de la transmission

La préoccupation principale des Gestes est peut-être celle de la transmission. Le narrateur, Marc, prend la plume pour expliquer à Camillo, un enfant sud-américain qu’il est sur le point d’adopter, dans quelle famille il entre. Il le prévient : « Je me demande si tu trouveras ta place ici, Camillo, toi qui vis au bord du fleuve Magdalena qui sépare les cordillères, dans un coin vert et chargé de bourdonnements d’insectes. » De fait, l’histoire de cette famille vaut le détour. Entre l’Égypte et la France, elle se déploie au rythme des rencontres, des mariages, des naissances. Le berceau des Ayoub est Alexandrie, mais ils ont de lointaines racines portugaises. Ils sont musulmans, ce qui n’empêche pas la grand-mère de Marc, Florentine, de recevoir une éducation catholique. À cette époque, en Égypte, toutes les confessions cohabitaient naturellement. La meilleure amie de Florentine, Rachel, est juive. Amanda Sthers ne néglige pas ce personnage, à propos duquel elle écrit : « Sa famille a émigré à Alexandrie au XVe siècle, ce sont des Juifs ibériques qui ont fui pendant l’Inquisition, installés dans le quartier de Souk el-Samak depuis des générations et complètement assimilés. » Ainsi, on voit évoluer un monde parfaitement bigarré, dans lequel Amanda Sthers semble tout particulièrement à l’aise.

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Une part autobiographique

Le destin de la famille se poursuivra ensuite en France, notamment avec Hippolyte, le fils unique de Florentine, qui deviendra archéologue après des études à la Sorbonne. Il retournera en Égypte à l’occasion de fouilles. Mais désormais la famille est implantée à Paris, un peu comme celle d’Amanda Sthers. Je suppose que la romancière a distillé dans ce livre beaucoup d’éléments qui lui sont propres. La Tunisie devient l’Égypte, pour satisfaire au principe du « mentir-vrai ». Ce faisant, une mise à distance est rendue possible, qui permet à la romancière un retour sur soi plus net, plus significatif. Grâce à l’Égypte en toile de fond de son roman, elle cerne mieux ses propres origines familiales, et comprend ce qu’elle doit à ses ancêtres de là-bas. Se sentant profondément juive, comme elle l’a déclaré souvent, Amanda Sthers a choisi de s’arrêter sur le côté paternel de sa généalogie intime. En tout cas, c’est ce que le lecteur peut conclure. Des explications précises, elle en donne. Ainsi, elle fait dire à son personnage Marc, au début : « Se préoccuper de l’origine des choses est une spécificité humaine. Ton grand-père [Marc s’adresse, je le rappelle, à Camillo] était archéologue, j’ai été élevé avec cette obsession d’hier ; à travers ce texte, je te la transmets et je t’en sauve également. » C’est avec de telles notations, tout en finesse, que le roman d’Amanda Sthers fait entrer le lecteur dans une vraie réflexion. La romancière écrit certes un roman, et même, pourrait-on, une sorte de saga (au sens anglais du terme). Mais il y a une pensée, derrière ce qu’elle raconte, et même une philosophie. Elle cherche un sens à tout ça.

Les corps conducteurs

Le destinataire de ce texte que nous lisons, le petit Camillo, va devenir membre à part entière de cette famille-continent, dont il devra certes apprendre les usages, mais pas seulement : la morale, aussi. Je suis frappé, chez beaucoup de romanciers contemporains, par ce désir d’éthique qui renaît chez eux, après une période de relativisme hérité des terribles années 70. Sur ce plan, Les Gestes est une vraie réussite littéraire, avec des personnages doués de sens moral, et qui tentent, sans toujours y parvenir, d’agir avec discernement pour, peut-être, choisir la vie qui leur convient, une vie tournée vers les autres. Car, comme tout roman peu ou prou mené à son terme, Les Gestes est avant tout une grande histoire d’amour entre les êtres humains, ce que Claude Simon avait illustré jadis par la formule géniale du titre d’un de ses romans : Les Corps conducteurs (1971). Les personnages d’Amanda Sthers, eux aussi, sont des corps conducteurs…

Amanda Sthers, Les Gestes. Éd. Stock.

Du même auteur, une réédition, Le Vieux Juif blonde. Préface inédite. Grasset.

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Du wokisme comme bien-pensance et déni généralisé: l’affaire Karla Sofía Gascón

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Non seulement Karla Sofía Gascón, l’interprète d’Emilia Pérez, le film de Jacques Audiard, est rayée de la liste des oscarisables, mais Netflix se désolidarise de l’acteur / trice, et le réalisateur ne veut plus lui parler — de peur sans doute qu’elle emporte le film dans sa déchéance personnelle. Pour avoir dit son sentiment sur le début de « submersion » de l’Espagne par les immigrés, et malgré son Prix d’interprétation à Cannes en mai dernier, elle est chargée de tous les péchés d’Israël, et définitivement rejetée par la profession et tous les vecteurs culturels du wokisme. Trump, qui prétend sonner la fin de la dictature wokiste, a du boulot devant lui.


Quelle est la teneur exacte des tweets supposément monstrueux qui valent à Karla Sofía Gascón d’être mise au ban de la profession ? Les voici, mis bout à bout :

« Combien de fois encore l’histoire devra-t-elle expulser les Maures d’Espagne… Nous n’avons toujours pas compris ce que signifie cette menace civilisationnelle qui s’en prend constamment à la liberté et à la souveraineté de l’individu. Il ne s’agit pas de racisme, il s’agit d’islam… Chaque fois que je vais chercher ma fille à l’école, il y a de plus en plus de femmes voilées avec des jupes qui descendent jusqu’aux talons. Peut-être que l’année prochaine au lieu de l’anglais nous devrons enseigner l’arabe. »

Minorités et bienveillance

Et voilà qui suffit pour que les amateurs de déni, les fortiches de la bien-pensance, les thuriféraires de Big Brother — qui est définitivement de gauche, vous l’avez sans doute remarqué —, qui l’instant d’avant soutenaient bec et ongles la première « nominée » transgenre, la rejettent dans les catacombes puantes du racisme version bobo.

Il faut pourtant bien admettre que nous sommes un bon nombre, en France, à pouvoir dire et écrire la même chose. La submersion n’est pas un sentiment — sauf pour les Parisiens qui par définition n’habitent pas Marseille, ni Lyon, ni Grenoble, ni Nantes, ni… Et qui ne connaissent de la France que ce que leur en racontent Le Monde, Libé et Médiapart.

J’en déduis un fait troublant : il y a une hiérarchie dans les minorités qui doivent monopoliser notre bienveillance, nos subsides et notre sentiment de culpabilité — trois éléments qui ne font pas partie de mon patrimoine.

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On connaît le principe de l’intersectionnalité des luttes, ce beau principe au nom duquel une femme tripotée il y a trente ans par un Castelroussin peut porter plainte pour viol, mais pas si elle est violée aujourd’hui par un immigré, car elle doit tenir compte des « différences culturelles ». Ce beau principe au nom duquel des féministes défendent le port de la burka en France et condamnent le voile en Iran.

Ce n’est pas un principe horizontal, structuré comme un rhizome. C’est un principe pyramidal. Défendre les LGBT ou les transgenres c’est bien, sauf si l’un d’eux attaque les damnés de la Terre — migrants nigérians illégaux, Pakistanais du VIIe siècle égarés dans le nôtre, Algériens bourreaux d’écrivains — et de leur propre peuple.

En bas, tous ceux qui sont malmenés par le patriarcat qui, comme nous le savons, contrôle tout dans ce pays — sauf l’institution judiciaire, manifestement, qui condamne des réalisateurs sur des on-dit, sans preuve et au mépris de la présomption d’innocence : le Syndicat de la Magistrature fait du bon boulot. Au milieu, les « éveillés », qui se sont retournés contre leur propre culture, et décident qu’il faut dorénavant interdire Voltaire ou Montesquieu sous prétexte qu’ils s’opposent à l’esclavage en utilisant le mot « nègre » — comme tous les écrivains de leur temps. En haut, tout en haut, les peuples qui ont souffert de la traite Atlantique et de la « colonisation » — bouh, que c’est mal…

Effacement à la carte

Rappelez-vous la « loi Taubira », votée à l’unanimité des 81 députés présents, les autres ayant soudain succombé au désir de fréquenter la buvette ou les toilettes de l’Assemblée : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité ».

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Les historiens ont fait remarquer à la dame qui a fait perdre Jospin en 2002 que l’accord de Londres du 8 août 1945, qui définit les crimes contre l’humanité, ne fait pas de distinction entre les diverses formes d’esclavage — un principe repris par le Statut de Rome du 17 juillet 1998.

À quoi servait donc cette loi Taubira ? Son autrice s’en est expliqué dans l’Express en mai 2006 : c’est afin que « les jeunes Arabes (…) ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes ». En clair, on efface treize ou quatorze siècles de traite saharienne, accompagnée de mutilations insensées, on efface le fait que l’esclavage sévit toujours dans certains pays musulmans, et on fait porter la « faute » sur les Occidentaux qui ont bon dos et dont on espère, un de ces jours, une compensation financière. Tout comme l’Algérie fait porter sur les colons, qui ont fait de leur mieux pour faire entrer ce pays dans la modernité, la responsabilité de cinquante ans de gabegie et d’annexion des ressources pas une caste islamo-militaire. Et pourquoi pas la responsabilité des 200 000 morts de la guerre civile des années 1990-2000, sur laquelle Kamel Daoud a écrit ce si beau livre couronné cette année du Goncourt ?

Je n’irai pas voir Emilia Pérez — les comédies musicales franco-mexicaines sur fond de narco-trafic ne m’attirent guère, et les Mexicains, qui en connaissent un bout, s’en sont offusqués de leur côté. Mais je sais que tomber à bras raccourcis et messages courroucés sur une personne qui énonce des vérités basiques est une infamie.

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Jeu de massacre

Fidèle à l’esprit de la série culte qui a marqué les esprits, Strip Tease revient sur grand écran la semaine prochaine avec cinq inédits


Au départ, Striptease, on s’en souvient, c’est une émission culte de la RTBF, la chaîne de télévision publique de nos voisins belges. Créée en 1985, elle migre sur Canal + puis sur France 3, et enfin sur RMC Story, d’où conflit judiciaire pour plagiat. Le concept de base ? Ni musique, ni voix off, ni interviewer, ni même de scénario, mais des tranches de vie servies comme du gigot froid, en s’interdisant plusieurs prises, naturellement : un regard cru, bien saignant, sur des primates qui, l’espace d’un moment, se laissent déshabiller au sens figuré, avec leur consentement présumé. D’où le titre.

Yves Hinant et Jean Libon sont les deux inventeurs du « concept ». Ils sont connus pour leurs longs métrages documentaires Ni juge ni soumise (2017) et Poulet frites (2021) – ce dernier, captivant, toujours visible sur Netflix, suit (en noir et blanc) le travail d’investigation d’un commissaire de police bruxellois pour élucider un crime de sang sur une prostituée, dont tout semble accuser un pauvre bougre, boucher de son état, aux méninges assez limitées.  Crime qui s’avèrera commis par un psychopathe bengali sans papiers localisé à Londres… et qui court toujours !  

Cette fois, le fameux duo s’est adjoint une brochette de comparses documentaristes pour enfiler, sous le titre générique Striptease intégral, quelques perles dans le collier du vécu banal, voire trivial.

L’odeur de l’essence : Cassi, Shady et Jolve [sic], trio de pétasses influenceuses sous le ciel de Dubaï, dans le miroir de leur snaps, mirant en selfies compulsifs leurs faux ongles, leurs fausses dents, leurs faux cils, tout en baragouinant un idiome de 30 vocables où reviennent en boucle les expressions « truc de ouf », « la vie d’ma mère », « c’est ouf », « je kiffe », « c’est hardcore » … Convertie dans l’immobilier sur le net, l’une d’entre elles se vantera : « j’ai vendu un appart à une Luxembourgeoise de 50 balais qui kiffait mes snaps ».

Miroir mon beau miroir : au cœur du festival « off » d’Avignon, Coline, la cinquantaine révolue, plantureuse reine de l’impro dotée d’un enviable optimisme, tracte, chante, fait son show dans un théâtre déglingué de 20 places, encouragée par son manager à na pas lâcher prise quoiqu’il en coûte.  

Zéro déchet :  génitrice médailles de baptême des mioches en sautoir, géniteur chevalière en or au doigt, bienvenue dans cette fertile tribu catho bon genre où après la messe de l’Ascension on déjeune en famille, le petit curé de la paroisse comme invité d’honneur. Pas de gâchis chez ces servants du vinaigre et du bicarbonate : la bien-pensance fait ménage avec l’hygiène.

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Les antécédents familiaux : père (présumé) décédé à 58 ans d’un cancer du foie, mère suicidaire, autant de mauvais augures cumulés pour Olivier, lui-même affecté d’une fragilité cardiaque et qui, tout médecin qu’il est, redoute en conséquence de clamser à son tour prématurément : chemin de croix de l’hypocondrie. La cinéaste Mathilde Blanc filme ici son papa dans ses paniques.  

Bidoche, court métrage conclusif, est sur le registre formel le plus radical des cinq : en un unique plan fixe, dans une morgue, l’autopsie d’un macchabée par le médecin légiste – combinaison blanche, pas de masque mais des gants, et des lunettes. Myope ? Astigmate ? Devant la table en métal gris, le praticien découpe attentivement la dépouille, dans des bruits de succion et de vidange, tandis que le magnéto enregistre son rapport, qu’il émet au micro d’une voix privée d’affect : « les carotides sont bien larges, bien souples »… Vers la fin, le légiste mande un photographe qui grimpe sur l’escabeau pour effectuer le cliché scientifique.

Poésie, quand tu nous tiens… À dire vrai, c’est moins l’accroche formelle ou l’acidité dans l’intention que le pathétique de cette galerie qui afflige.  Est-ce bien toi, là vraiment,  « mon semblable, mon frère », comme disait l’autre ?

Striptease intégral. Documentaire de Jean Libon, Clémentine Bisiaux, Régine Dubois, Mathilde Blanc, Yves Hinant. Belgique, couleur, 2024.  Durée : 1h30
En salles le 12 février 2025.

A voir sur Netflix : Poulet frites. Documentaire d’Yves Linant et Jean Libon. Belgique, noir et blanc, 2021. Durée : 1h43

Le bon, le lâche et le tyran

Le président Emmanuel Macron s’est pour l’instant contenté de dire que l’Algérie se « déshonorait » en maintenant en détention l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Garder Sansal incarcéré révèle la détestable nature du régime algérien.


16 novembre 2024, sur le tarmac de l’aéroport d’Alger, Boualem Sansal est l’objet d’une arrestation arbitraire par un régime totalitaire. La France macronienne ne réagit pas.

Boualem Sansal est un combattant de la liberté et de la démocratie. Ses armes sont ses mots, il est un homme doux et généreux. Personne, jamais, ne l’a vu menacer, appeler à la violence ou à la haine. Boualem Sansal est bon, c’est un écrivain de l’humanisme et il ne hait pas même ses ennemis. Un État islamo-militaro-policier ne parait-il pas bien fragile s’il est mis en danger par des mots ? Mais le tyran n’a pas osé porter accusation pour délits d’opinion.

A la recherche d’une justification, d’une poudre magique à jeter aux yeux, le régime algérien a accusé l’écrivain « d’atteinte à la sureté de l’État ». Malhonnête et ridicule ! Une assertion qui ne peut être crue ou approuvée que par des militants islamistes comme une certaine nouvelle députée européenne et par ses amis soumis, ou bien par des cerveaux indigents et serviles. Ou lâches.

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Or depuis son arrestation, rien ne filtre, aucune activité des autorités françaises, pas même un mot du président pourtant habituellement si allant pour des déclarations martiales tous azimuts. Un citoyen français est abandonné comme un banal fêtard du festival Nova ou un vulgaire kibboutznik français, et apparemment la France de Macron, comme celle de Giscard du temps du détournement d’un avion Air France à Entebbe, abandonne sans vergogne son devoir de protection de ses citoyens !

N’y aurait-il rien à attendre du président français, pas même une possible remise en cause des accords consulaires qui permettent aux caciques totalitaires de venir librement en France ? pas même la révocation des enfants des mêmes à poursuivre des études dans les établissements de la République qu’ils vomissent ? Notamment ceux de l’abominable ministre algérien de l’Information, le chef de la censure qui ne cesse d’éructer contre la France et aussi, allez savoir pourquoi, contre les Juifs… étonnant amalgame. Pas l’ombre d’une menace sur les aides et les coopérations françaises ? Juste un mot à la réception des ambassadeurs de France à l’Elysée, un « l’Algérie se déshonore » navré, mais pas la moindre action annoncée ni même envisagée par la France.

Et le temps passe dans le silence, deux mois et demi de silence ! Imaginez le silence dans une geôle résonnant du mutisme d’une patrie choisie. Silence de la France même quand l’Union Européenne appelle à la libération de l’écrivain. La France a abandonné la liberté aux barbares. Car Boualem est un combattant français de la liberté et de l’universalisme. Ce faisant la France n’a gagné qu’un peu plus de mépris de la part de ces mêmes barbares.

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Les tyrans unis d’Alger ont arrêté notre concitoyen à la manière de leurs ancêtres barbaresques qui arraisonnaient, pillaient, violaient et enlevaient pour asservir ou rançonner. Boualem Sansal est en effet un otage, un otage français. Mais l’Algérie en voulant, semble-t-il, viser la France, s’est enferrée.

Il pouvait paraitre aisé d’arrêter l’écrivain de langue et de culture françaises, puisque Macron dénie l’idée d’une culture française, des Lumières françaises, de l’apport inestimable de Voltaire, de Diderot, de Rousseau, de Condorcet… Si le premier item de la devise française, « Liberté », ne faisait pas vibrer le président français, pourquoi faire cas de la liberté d’expression, première caractéristique d’une démocratie ? Les dirigeants algériens pensant-là sentir un désir plus ou moins conscient de tyrannie dont eux se délectent, ont cru qu’ils pouvaient continuer à culpabiliser, à menacer, à se jouer de la France.

Mais avec cette arrestation, le régime s’est montré aux yeux de tous, non seulement tyrannique mais encore bien mauvais politique. Il s’est enfermé dans une situation impossible : garder Sansal incarcéré révèle sa détestable nature dictatoriale, mais, le libérer pourrait paraitre une démonstration de faiblesse. Ces potentats exposent au grand jour une peur irrépressible d’un intellectuel âgé, pacifique et malade.

Oui, Boualem Sansal est malade ! Malade, et les résultats de ses examens sont mauvais. Alors voilà peut-être une issue : une libération pour raisons médicales et humanitaires. Un peu de courage, sinon d’humanité, Messieurs les bourreaux !

Le western du célèbre trio se termine dans un cimetière, espérons qu’ici le mort ne soit pas « le Bon » de cette sinistre mise en scène algérienne.

L'indifférence et autres horreurs

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Le Mammouth est mort ce soir

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Éducation: l’amer de toutes les batailles


Dans la jungle, terrible jungle, le Mammouth est mort ce soir… 161 milliards d’euros annuel, 1.200.000 agents, un cinquième de l’emploi public, l’éducation est unebête de haut parage, marchant à gros équipages. « Sur l’animal à triple étage ; Une Sultane de renom, Son Chien, son Chat et sa Guenon, Son Perroquet, sa vieille, et toute sa maison ; S’en allait en pèlerinage » (La Fontaine). Dans une énième feuille de déroute et l’indifférence générale, Elisabeth Borne a annoncé les grandes orientations de la rentrée 2025. No stress, Allegro ma non troppo : plus besoin de brevet pour passer au lycée, à l’eau les groupes de niveau, le pass Culture au congélo, modules en ligne sur l’IA, bientôt des cours de soutien scolaire pour les enseignants qui décrochent. Le ministère a un cap et des mantras : « L’élévation générale du niveau et la réduction des inégalités sont les deux jambes d’une politique éducative qui réussit… Plus que jamais, nous devons prêter une attention aux plus fragiles et ouvrir à tous le champ des possibles ». En attendant Godot de Mauroy, les cuisseaux de veau, les cuissots de chevreuil et le salut par le haut débile, la garde meurt et Michard l’attend.

Le cimetière de l’éléphant

L’électrocardiogramme du Mammouth est plat. Plus rien ne fait débat. Pas de débat sur la nullité des peintres qui se succèdent tous les trois mois rue de Valois, pas de débat sur la glissade continue depuis trente ans dans les classements Pisa, sur la clochardisation des enseignants et de l’Université, sur l’obscurantisme, l’éthique à Nikoumouc, l’auto-censure, Voltaire et l’affaire Caillasse passés sous le tapis de prière, sur Madame Bovary, Diane, les nymphes dénudées et La Liberté guidant le peuple qui doivent aller se rhabiller pour ne choquer aucune conscience,  sur le harcèlement dans les cours de récré – Qu’est-ce qu’elle a ma sœur ? -Elle te plait ma sœur ! -Elle ne te plait pas ma sœur…, sur les rezzous sociaux et l’IA dégénérative qui contaminent le processus de transmission et l’apprentissage ; en un mot, pas de débat sur l’impossibilité de sauver l’Éducation nationale.  

Les politiques, le corps enseignant, les médias, se satisfont de l’omerta, du statu quo. Réformer serait confesser le naufrage, risquer une responsabilité, des heures supplémentaires. Au programme, Moonwalk, hologrammes de refondations, sempiternelle querelle des Anciens et des Modernes… À droite, un Grenelle de la dictée, le Yalta de la blouse. À gauche, Mérieuseries, un plan Marshall de l’estime de soi, le latin sans déclinaisons, des châteaux forts en pots de yaourt bio… Un monde de simulations, simulacres, folie. À l’image du colonel McStraggle dans Le 20eme de cavalerie (Lucky Luke), les hiérarques de la rue de Grenelle inspectent des épluchures de pomme de terre dont l’épluchage a été mimé. Et pourtant, elle coule…

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Chez les usagers aussi, la messe est dite. La bourgeoisie a compris l’arnaque, exfiltre ses enfants à l’étranger. Pour les classes populaires, premières victimes du naufrage éducatif, c’est la double peine : diplômes en chocolat et coulis de discours « léninifiants » égalitaro-pourtousistes. Tartufferie au carré, L’École des fans sauce Tonton mayonnaise renforce les déterminismes et la reproduction sociale. La bataille d’Ernaunie, les vaincus de son cœur, concours de honte, duels de transfuges, trempettes de la renommée, légions de Sorbonagres ès péritextes d’emprise scripturale, ne changent rien à l’affaire. Les vestales, choreutes pédagochistes ont mis le feu au temple, liquidé Ganesh. « It was you Charley… You was my brother, Charley, you shoulda looked out for me a little bit. … I coulda had class. I coulda been a contender. I coulda been somebody, instead of a bum, which is what I am, let’s face it ». (Sur les quais, Kazan, Brando, Steiger).

Le déni n’interdit aucun délire. « J’en ai marre – marabout – bout d’ficelle – selle de ch’val – ch’val de course – course à pied – pied d’cochon… ». L’université est au taquet sur la déconstruction, le « 10 améliorable note plancher », le Hamas pour tous. Pour jouir sans entraves, la « Fac Marabout » résout toutes les peines : de cœur, de sexe, de stress, d’argent…  « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent ». Dans la noosphère, à l’avant-garde des médiums, l’université Paul-Valéry Montpellier 3 propose un Master 2du tonnerre : « Parcours Responsable d’évaluation, de formation et d’encadrement ». Le pitch est gouleyant : « Vers une bienvivance qui trans-forme, une approche du care et du leadership capacitant et vibratoire : même à distance, ‘We care, We can’… Pas d’émancipation sans transmission, lectures, pensée, raison. L’écroulement éducatif est une bombe à fragmentation qui crétinise la jeunesse, menace l’économie, le lien social, la démocratie. C’est du pain béni pour les analphabètes fichés S, Alberich trotskistes, Iznogoud de l’insoumission qui carburent à l’insulte, aux slogans et feux de poubelles. Quels enfants allons-nous laisser à notre monde ?

La gauche n’y croit plus

« Le populisme est aussi une crise de l’éducation » (Le Monde, 5 janvier). Dans un papier confus, Philippe Bernard lâche le morceau et le progressisme. La promesse hugolienne de fraternité et d’émancipation par l’école a vécu.  Rien ne se passe comme prévu. « Alors que la scolarisation n’a jamais été si massive, les démagogues, de Trump à Le Pen, ont le vent en poupeLa généralisation sans précédent de l’éducation et l’élévation spectaculaire de son niveau théorique (sic), loin d’affermir la démocratie, en accompagnent l’effritement ». En échec, l’école Récré A2Chouette de classe n’émancipe plus. A Hénin-Beaumont, à Villeneuve-Saint-Georges les prolos, les sans-grades, les petits, trahis, votent à droite. La gauche Viesse de Marmont fédère les premiers de cordée et progrès. Ça interroge …

Appelés à la rescousse par le chroniqueur du Monde, Francois Dubet et Marie Duru-Bellat, cadors de L’Emprise scolaire et des inégalités, noient le poisson dans des bourdieuseries de Prisunic, un argumentaire de chaudron troué (Freud). « La massification de l’éducation et la dictature du diplôme ont ouvert un fossé béant entre vainqueurs et vaincus du tri scolaire (…) Les vainqueurs, convaincus de ne devoir leur réussite qu’à leur mérite, « se sentent légitimes » et défendent « des valeurs universelles de la raison et de l’expertise ». Les vaincus, « humiliés par leur défaite scolaire », se sentent « ignorés et méprisés » et leurs opinions sont plus autoritaires et traditionnelles (…) Le toujours « plus d’école » a atteint ses limites, il a affaibli les démocraties alors que nous pensions que l’école en était le vecteur essentiel ».

Le plus drôle pour la fin, avec les pistes de safari explorées par le « grand journal du soir » pour sortir Elmer de l’ornière. « Les réponses à ces effets pervers de la massification éducative ne sont pas simples. Elles supposent de ne plus tout attendre de l’école, de reconnaitre la multitude des savoirs, académiques ou non, d’inventer de nouvelles formes de coopération avec les familles, de valoriser des compétences comme la confiance en soi, le sens de la coopération et la maitrise des émotions, facteurs de réussite ». N’oublie jamais Babar :la sélection (imaginaire), le niveau (théorique) et les diplômes (qui ne valent plus rien) restent toujours coupables ! Un sociologue qui l’ouvre, c’est une école qui ferme.

« Et le désert reprend son immobilité ; Quand les lourds voyageurs à l’horizon s’effacent » (Leconte de Lisle, Les Eléphants).

Le grand blond avec une chemise noire

Pour les médias et les partis de gouvernement, Jean-Marie Le Pen était le diable de la République. Son goût du scandale et ses fréquentations douteuses l’ont campé dans ce rôle. Pourtant, pendant soixante ans de vie politique, par son histoire personnelle, son verbe et sa culture, il a été la voix de la France périphérique.


J’étais des manifs anti-Le Pen de 2002. Je me souviens encore de ma fille Clara dans sa poussette rouge. Dehors, la République en danger frémissait dans une kermesse multicolore. De la joie, de l’exaltation. Vivre l’Histoire en direct. On était un peu Lamartine en 1848. Ou Jules Vallès en 1870. Ce fut l’acmé du « barrage », du front républicain, du camp du Bien.

C’était une vague. Une immense vague qui déferlait sur la France. L’entre-deux-tours, le « fascisme à nos portes » et tout un immense barnum médiatico-psychologique. La menace du grand blond avec une chemise noire.

La quinzaine antifasciste originelle : manifestation contre Jean-Marie Le Pen, 22 avril 2002. © AP Photo/Patrick Gardin/SIPA

Antifascisme de théâtre

Tous nos copains étaient là. Je dirigeais Reporters sans frontières. Autant vous dire que l’« extrême droite » y comptait peu de sympathisants… Emmanuelle [Ménard, son épouse, NDLR] était responsable « Afrique et justice internationale » à la FIDH, la Fédération des ligues des droits de l’homme, pas vraiment un repère de « fachos » ! Nous avions voté au premier tour pour François Bayrou. Nous nous apprêtions à glisser un bulletin Chirac pour le second. Nous résistions !

Et pourtant, dans nos têtes, quelque chose clochait. Emmanuelle est d’une famille de droite. On ne se mélange pas aux « extrémistes ». Mais on est méfiant face à cette gauche donneuse de leçons. De mon côté, je tiquais à la lecture des éditos de Serge July dans Libé. Il dénonçait le fondateur du FN en des termes hallucinants. Sous des « unes » sinistres. Comme un parfum de lynchage… Je détestais. À trop lire nos gauchistes, j’aurais bien fini par avoir de la sympathie pour le patron du FN.

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Dans cet « antifascisme de théâtre », pour reprendre le mot de Jospin, le grand vaincu de 2002, les journalistes ne jouaient pas les seconds rôles. Il faut dire qu’entre Jean-Marie Le Pen et les médias, rien n’a jamais été simple. Soyons honnêtes. Le traitement journalistique de Jean-Marie Le Pen m’a toujours sidéré. Je me souviens d’une séance photo à Montretout, le fief de la famille Le Pen à Saint-Cloud, où le photographe envoyé par la revue Médias, que nous avions relancée avec Emmanuelle, voulait à tout prix faire une photo du patron du FN avec ses chiens en « contre-plongée ». Manière de montrer le patriarche sous un angle bien dégueulasse, bien fascistoïde, bien terrifiant. Pinochet en son domaine campagnard. Pour nous, ce fut non. Une lumière rouge clignotait dans nos têtes.

Bien après l’accession coup de tonnerre en finale de la présidentielle, nous sommes allés avec Emmanuelle au moins une fois par mois durant toute l’année 2012 le rencontrer chez lui. Bien sûr, Le Pen en sortait des vertes et des pas mûres. Il fallait s’accrocher. Nous avions un projet de bouquin, après notre Vive Le Pen !, un petit opuscule qui contait ses rapports avec la presse et qui avait fait tant polémique.

Notre livre n’est jamais sorti. Je me suis présenté aux municipales à Béziers, chez moi. J’avais d’autres chats à fouetter. Marine, qui suivait ça du coin de l’œil, était très inquiète. Elle savait que son père en disait trop, elle savait que papa moulinait dans les souvenirs pas toujours reluisants, pataugeait aussi dans le marécage des blagues insoutenables.

L’art du scandale

N’était-il que le fou de la République, l’homme qui, dans les cours d’Ancien Régime, pouvait tout dire sans risque aucun ? Je ne le crois pas. Jean-Marie Le Pen vient des profondeurs du pays, de sa province, de sa dureté. Il a connu, ado, l’occupation allemande. Il s’est engagé dans les guerres coloniales. Il a ferraillé à l’Assemblée avec Pierre Mendès France, il était le bras droit de Tixier-Vignancour, l’avocat pétainiste. Ses mots étaient déjà violents. Il a bourlingué, il a galéré avant son coup de chance financier des années 1970.

Il a roulé sa bosse bien plus que l’immense majorité de notre classe politique composée aujourd’hui d’hommes gris en costard cintré avec le petit Mac bien propre qui se déplie sur la table. Pendant soixante ans de vie politique, il a été le chantre et le héraut des contradictions françaises : dans les années 1950, c’est bien lui qui défend bec et ongles l’Algérie française et rêve… d’intégrer réellement 9 millions de musulmans en qui il voyait l’avenir de la Patrie !

Jean-Marie Le Pen, bière en main, au comptoir d’un bar parisien, mars 1996.

Mais Jean-Marie Le Pen, au-delà de tout, c’est aussi et surtout le verbe. Rugueux, âpre, le verbe qui sent le foin, qui sent l’homme primitif et les bas instincts, le verbe qui fouille nos entrailles et fait vibrer les âmes perdues. C’est le corps de garde qui prend d’assaut votre salon. C’est un physique de catcheur dans un monde de danseuses. Quand il passait à la télé, c’était le carton d’audience. Parce qu’on savait qu’une tranche de vie allait se dérouler sous nos yeux, façon Tontons flingueurs. C’était la raison de son succès : il bousculait l’ordre établi, il renversait la porcelaine dans le magasin.

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Et puis il y avait son côté sombre. Cette face cachée que l’ancien d’Algérie aimait escalader à mains nues. Les allusions monstrueuses, le « Durafour crématoire », le « point de détail », la « fournée ». Les amitiés lugubres avec d’authentiques collabos. La nausée.

L’ombre du nom Le Pen

La prise du pouvoir, avec ces mots d’épouvante, était impossible. Le chef du FN s’est alors complu dans ce rôle de diable de la Ve, sorte de croquemitaine bien utile aux partis de gouvernement.

Je pense que tout cela a coûté cher aux idées patriotes et à tous ceux qui souhaitaient que la France retrouve un peu d’ordre et stoppe la folie de l’immigration incontrôlée. Il a couvert d’opprobre le patriotisme. Il l’a sali avec ses saillies infâmes. Il a rendu honteuse la fierté d’être Français.

Même en 2024, l’héritage est lourd. Jordan Bardella, largement favori des législatives, a encore trébuché devant un improbable barrage composé des fous furieux de LFI, des écolos loufoques et d’une gauche complètement décrédibilisée.

L’ombre portée du nom Le Pen recouvre encore bien des braves gens qui n’en peuvent plus de subir l’insécurité et l’importation massive de populations étrangères. Le Pen s’est confondu avec le peuple interdit de la France périphérique. Aujourd’hui orphelin du menhir breton, pour le RN, les dés sont à nouveau jetés. Ils ne l’étaient pas avant. Bardella et les jeunes loups le savent.

Je n’ai jamais voté pour Jean-Marie Le Pen – pour sa fille, oui –, mais je ne l’ai jamais considéré comme un diable. Parce que c’était un Français fils de l’histoire de France. Avec son courage et ses immenses défauts, avec sa gouaille, sa culture, sa vulgarité et… ses sordides obsessions.

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En France, en 2025, même la Star Ac’ devient un espace d’affrontements identitaires

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Ebony et Marine attendant les résultats de la grande finale de la Star Academy le 26 janvier 2025 © JP PARIENTE/SIPA

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


Longtemps, j’ai pensé que cela ne changerait jamais. Qu’il serait toujours possible de dialoguer sans s’accorder sur tout.

Au collège Jules Ferry à Langon (33), dans mon équipe de basket et à l’école de musique, j’ignorais la religion de mes copains.

Le dimanche, à la table de mon grand-oncle, ancien résistant et déporté, maire et conseiller général communiste d’une terre entre Garonne et coteaux, se retrouvaient, autour d’une lamproie ou d’une alose, le curé de la paroisse et des barons de la droite locale. Dès son arrivée tonitruante, Robert Escarpit avait l’habitude de dévorer tous les chocolats. Quand je questionnais mon grand-oncle sur son dernier échange téléphonique avec Chaban-Delmas, il avait toujours la même réponse : « Quelques souvenirs en commun. » Pour sa dernière campagne électorale, lors d’une soirée de collage d’affiches (on ajoutait du verre pilé à la colle pour ne pas être arraché par les concurrents), un militant du FN a arrêté sa voiture, baissé sa vitre et craché : « On aurait dû le fumer à Dachau. » Cela fut la seule morsure dans cette fin des années 1980 pour lesquelles j’éprouve tendresse et nostalgie.

À l’université Michel de Montaigne, à Bordeaux, Sylvain était chiraquien, Patrick vaguement anar et Thomas se passionnait pour les radicaux valoisiens. Nos soirées de poker étaient animées. Quand nous perdions, avec nos verres pleins et nos portefeuilles vides, Sylvain nous faisait crédit en inscrivant nos dettes sur un papier où nous devions apposer notre signature. Après, il s’agissait tout simplement de dérober le document. Ça gueulait un peu, puis on riait beaucoup. 

À lire aussi, Olivier Dartigolles : « Alors Olivier, il est comment ton Bayrou? »

Aujourd’hui, que sont mes amis de droite devenus ?

Si je n’ai pas aimé la soirée place de la République avec des crétins célébrant la mort de Jean-Marie Le Pen, j’ai rappelé lors de débats médiatiques le contenu précis de ce qui précédait et suivait le « détail ». « Je suis un passionné aussi par l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, je me pose un certain nombre de questions et je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé, je n’ai pas pu moi-même en voir, je n’ai pas étudié spécialement la question. » Puis : « Ce n’est pas une vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire. C’est une obligation morale ? Je dis qu’il y a des historiens qui débattent de cette question. » Il n’emploie jamais le terme « génocide ». Quand Élisabeth Lévy me répond que « le détail nous a beaucoup indignés mais il n’a eu aucune conséquence sur la vie des juifs », et qu’il ne faut aujourd’hui retenir de Le Pen qu’un visionnaire sur l’immigration ou la sécurité, cela m’apparaît tout simplement inacceptable. A-t-il été possible d’en discuter ensemble ? Non.

Je n’ai pas pu avoir de débat, pourtant légitime et indispensable, sur l’élection de Donald Trump, car cette « victoire culturelle » ne tarderait pas, m’a-t-on dit, à s’imposer dans le reste du monde occidental… J’ai vu quelques masques tomber. Fini la rigolade, on ne discute plus ! Le paradoxe est de les voir adopter exactement les mêmes comportements obtus et dogmatiques que ceux qu’ils n’ont cessé de pourfendre en parlant de France Inter et de la « bien-pensance de gauche ». Siamois d’une même tragédie où le débat d’idées, l’altérité et la complexité sont remplacés par une fièvre permanente.

Je déteste cette époque où chacun choisit ses sujets et ses victimes – et il m’arrive d’en faire autant –, où même la Star Academy, avec une finale entre Ebony et Marine, devient un espace d’affrontements identitaires.

Que s’est-il passé ?

« Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta »

Et avec eux, cette chronique.

Le Tournoi des 6 Nations, du rugby et des hymnes nationaux

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Jeunes supporters anglais de rugby, Stade de Bath, 7 février 2025 © Simon King/ProSports/Shutterstoc/SIPA

Le deuxième et très attendu match du Tournoi des 6 nations, entre l’Angleterre et la France, aura lieu à Twickenham à 17h45 heure française…


Le Tournoi des 6 Nations est synonyme d’hiver qui entame son crépuscule et de crépuscules qui repoussent leur entame, de tenues maculées de boue, de sueur et de sang, de mêlées disputées dans les derniers frimas qui laisseront place aux premières douceurs du printemps et forcément de rivalités entre nations historiquement rivales, avec en point d’orgue le Crunch (rencontre entre la France et l’Angleterre) et la Calcutta Cup (entre l’Écosse et la Perfide Albion). Symbolisant à peu près tout cela à la fois, les hymnes y sont entonnés, plus que partout ailleurs, avec ferveur, un sentiment national puisant dans les profondeurs de l’Histoire et parfois quelques larmes dans les yeux.

Call of Ireland. Particularité rugbystique, l’équipe irlandaise regroupe les quatre provinces de l’île d’Émeraude (Leinster, Munster, Connacht, mais aussi… l’Ulster) ; à l’hymne national de la République d’Irlande  (Amhrán na bhFiann ou Chanson du soldat) s’ajoute donc le beaucoup plus vibrant Call for Ireland qui inclut l’Irlande du Nord ; dans l’histoire dramatique, on retiendra l’interprétation en 2007 face aux Anglais à Croke Park – le stade habituellement dédié au rugby étant en rénovation -, là même où des soldats britanniques massacrèrent des Irlandais lors d’un match de foot gaélique en 1920 en pleine guerre anglo-irlandaise.

God Save the King. Pendant le long règne d’Elisabeth II, c’est la reine que l’hymne anglais célébra ; depuis l’accession sur le trône de Charles III, c’est à lui que s’adresse cette courte prière chantée ; l’air servit même un temps de chant patriotique dans de nombreux autres pays, dont les États-Unis avant que ceux-ci se choisirent Star Spangled Banner comme chant national – en référence à la bannière étoilée continuant de flotter aux premières lueurs de l’aube à Baltimore assiégé par les… Britanniques –  ; la petite histoire raconte que Lully pourrait être l’auteur de la mélodie, et même s’il est difficile d’y croire, agissons, comme dans un western, « quand la légende est plus belle que la réalité, imprimons la légende » ; en matière de rugby Swing Low, Sweet Chariot est néanmoins beaucoup plus clairement associé au XV à la rose que God Save the King

Flower of Scotland. Assister à l’hymne écossais en direct de Murrayfield, antre du XV au chardon, est une émotion difficilement comparable ; entamé à la cornemuse et terminé a capella, il rappelle les combats de Robert Ier d’Ecosse contre Edouard III d’Angleterre (dont le sobriquet est accompagné d’un bruyant « bastard » ajouté dans le texte par les supporters en tartan) et évoque les collines et les vallons du pays ; jugé trop violent par les fragiles dont l’époque regorge, certains ont déjà voulu l’interdire, mission impossible au pays de William Wallace.

Hen Wlad fy Nhadau. Si l’hymne écossais est le plus émouvant, son pendant gallois chanté à tue-tête dans un Millenium Stadium chauffé à blanc et vêtu de rouge est sans doute le plus puissant. C’est en se promenant sur les bords de la rivière Rhondda, dans le sud pastoral du pays, que germa l’idée dans l’esprit de James James ; au Pays de Galles, contrairement à d’autres nations du rugby, le ballon ovale est d’extraction ouvrière, ajoutant un surcroît de force à ce chant évoquant la terre des ancêtres, « braves guerriers, si nobles et si vaillants, qui versèrent leur sang pour la liberté » ; l’air est connu des Bretons qui l’empruntèrent à leurs cousins gallois pour composer le Bro gozh ma zadoù.

Ce n’est qu’en 2017 que l’Inno di Mameli devint officiellement l’hymne italien, plus d’un siècle après qu’il fut entonné pour la première fois dans le contexte de la création d’un Etat encore morcelé ; il évoque les « Fratelli d’Italia », ces « frères d’Italie » au service d’un pays qui s’est « soulevé avec le casque de Scipion » ; détail qui ne manque pas de piquant, l’auteur de l’hymne, le poète Goffredo Mameli, fut tué par des… Français en 1849.

Enfin, la Marseillaise, chant de guerre pour l’armée du Rhin et hymne contre la tyrannie, dont les premiers couplets ont été rédigés par Rouget de Lisle, fut commandée par le maire de Strasbourg après que la France eut déclaré la guerre à l’Autriche ; repris ensuite par les fédérés marseillais qui assiégèrent les Tuileries, l’hymne devint officiellement celui de la France sous la Troisième République en 1879 ; son rythme fut modifié à plusieurs reprises, par Giscard et Mitterrand ; gageons qu’il donne un surplus de force et de courage à Antoine Dupont, Thomas Ramos et Louis Bielle-Biarrey jusqu’au terme du Tournoi.

Henri IV ne tient jamais la chandelle!

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© Grand Angle

Ce n’est pas son genre. Malgré ses soucis de santé, le priapique Béarnais au sang chaud honore ces dames. La bande dessinée de Philippe Charlot et d’Éric Hübsch nous le rappelle avec humour.

Sacré Henri IV ! Il nous étonnera toujours et on en voudra un peu plus au fanatique et cruel Ravaillac de l’avoir assassiné. On le retrouve dans la bande dessinée, La chandelle du bon roy Henri, hilarante et savante, œuvre du scénariste Philippe Charlot et du dessinateur Eric Hübsch. On le sait : le premier s’intéresse de près aux problèmes de santé des grands de ce monde. Il s’était déjà penché sur le Royal Fondement de Louis XIV ; aujourd’hui, il s’intéresse au vigoureux vit d’Henri IV. Celui-ci, grand amateur et consommateur de dames, est handicapé par une rétention urinaire qui, à force, pourrait atténuer, voire éteindre la vaillance de sa chandelle. Heureusement que le jeune saltimbanque Thibault, qui pratique l’hypnose au Pont-Neuf, croise son chemin…

Envie pressante

 « Jouer avec la grande Histoire pour en écrire des petites. » Voilà l’ambition de Philippe Charlot qui rappelle, non sans à-propos que « nous avons la chance de vivre à une époque où l’on sait soigner sans douleur, sans amputations, sans saignements (…). Cela m’amuse aussi d’imaginer ces personnages qui ont marqué l’histoire ramenés à un peu d’humilité devant leur fragilité. » Et de poursuivre : « Je vis en Béarn où tout le monde se considère descendant plus ou moins direct d’Henri IV. Son appétence pour les jeunes bergères aurait laissé tant de bâtards que chacun s’enorgueillit d’un petit air de famille. »

A lire aussi, Marie-Hélène Verdier: Vive Henri IV!

On rit beaucoup dans cette bande dessinée de bonne tenue ; les personnages ne manquent pas de piquant, de mordant. Ils nous replongent dans un Paris surprenant, souvent imbibé de croyances et de religions. La ligne presque claire – mais teintée de fantastique – des dessins de l’excellent Eric Hübsch, contribue à faire de cet album une belle réussite. On le referme avec l’envie pressante (comme l’eût ressenti le bon roy Henri et sa chandelle insatiable) de le parcourir de nouveau. C’est bon signe.

La chandelle du bon roy Henri, Philippe Charlot (scénario) et Eric Hübsch (dessin) ; Grand Angle ; 64 p.

La chandelle du bon roy Henri - histoire complète

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Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Bruno Retailleau lors d'une session de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 15 janvier 2025 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Avec Céline Pina, Martin Pimentel et Jeremy Stubbs.


Céline Pina analyse le cas de l’influenceur algérien Doualemn, dont l’OQTF a été annulée au motif que son expulsion le priverait des bienfaits de la vie de famille. C’est ainsi que la justice bride l’exécutif, en empêchant ce dernier d’exercer sa souveraineté afin de protéger ses citoyens. Les droits d’un seul individu priment sur ceux de toute une nation – au nom d’une justice « supérieure » qui est celle imposée par la Cour européenne des droits de l’homme.

Martin Pimentel se penche (non sans humour) sur le cas de Merwane Benlazar, le comique accusé de servir la cause salafiste après son passage sur « C à vous » avec Anne-Elisabeth Lemoine. Outre ses piètres qualités d’humoriste, cet individu montre combien le service public est prêt à tolérer une forme de propagande multiculturelle si ce n’est islamo-gauchiste.

Amanda Sthers: une saga familiale cosmopolite

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L'écrivain Amanda Sthers, photographiée en septembre 2023 © Laurent Vu/SIPA

Amanda Sthers, romancière, cinéaste et auteur dramatique, entre autres, est née à Paris en 1978. Sa mère, une Bretonne, s’était convertie au judaïsme pour pouvoir épouser son père, le brillant psychiatre tunisien Guy Maruani. Je rappelle ces données familiales, car elles jouent un rôle important dans l’œuvre d’Amanda Sthers. En effet, c’est tout un univers juif séfarade qui baigne la plupart de ses fictions, inspirées, comme il se doit, de ses propres origines. Ici, avec Les Gestes, paru il y a peu, la romancière entreprend une saga familiale, transposée, il est vrai, en Égypte, pour être sûr de brouiller les pistes. La vérité se mérite, pour Amanda Sthers, dont les romans se veulent avant tout des interrogations sur la vie, sur l’identité des êtres humains, sur l’amour. Ces thèmes étaient déjà au cœur de sa célèbre pièce, devenue culte, Le Vieux Juif blonde, qui est rééditée aujourd’hui avec une préface inédite, et dont je note qu’elle est étudiée à Harvard, ce qui n’est pas rien.

Un roman de la transmission

La préoccupation principale des Gestes est peut-être celle de la transmission. Le narrateur, Marc, prend la plume pour expliquer à Camillo, un enfant sud-américain qu’il est sur le point d’adopter, dans quelle famille il entre. Il le prévient : « Je me demande si tu trouveras ta place ici, Camillo, toi qui vis au bord du fleuve Magdalena qui sépare les cordillères, dans un coin vert et chargé de bourdonnements d’insectes. » De fait, l’histoire de cette famille vaut le détour. Entre l’Égypte et la France, elle se déploie au rythme des rencontres, des mariages, des naissances. Le berceau des Ayoub est Alexandrie, mais ils ont de lointaines racines portugaises. Ils sont musulmans, ce qui n’empêche pas la grand-mère de Marc, Florentine, de recevoir une éducation catholique. À cette époque, en Égypte, toutes les confessions cohabitaient naturellement. La meilleure amie de Florentine, Rachel, est juive. Amanda Sthers ne néglige pas ce personnage, à propos duquel elle écrit : « Sa famille a émigré à Alexandrie au XVe siècle, ce sont des Juifs ibériques qui ont fui pendant l’Inquisition, installés dans le quartier de Souk el-Samak depuis des générations et complètement assimilés. » Ainsi, on voit évoluer un monde parfaitement bigarré, dans lequel Amanda Sthers semble tout particulièrement à l’aise.

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Une part autobiographique

Le destin de la famille se poursuivra ensuite en France, notamment avec Hippolyte, le fils unique de Florentine, qui deviendra archéologue après des études à la Sorbonne. Il retournera en Égypte à l’occasion de fouilles. Mais désormais la famille est implantée à Paris, un peu comme celle d’Amanda Sthers. Je suppose que la romancière a distillé dans ce livre beaucoup d’éléments qui lui sont propres. La Tunisie devient l’Égypte, pour satisfaire au principe du « mentir-vrai ». Ce faisant, une mise à distance est rendue possible, qui permet à la romancière un retour sur soi plus net, plus significatif. Grâce à l’Égypte en toile de fond de son roman, elle cerne mieux ses propres origines familiales, et comprend ce qu’elle doit à ses ancêtres de là-bas. Se sentant profondément juive, comme elle l’a déclaré souvent, Amanda Sthers a choisi de s’arrêter sur le côté paternel de sa généalogie intime. En tout cas, c’est ce que le lecteur peut conclure. Des explications précises, elle en donne. Ainsi, elle fait dire à son personnage Marc, au début : « Se préoccuper de l’origine des choses est une spécificité humaine. Ton grand-père [Marc s’adresse, je le rappelle, à Camillo] était archéologue, j’ai été élevé avec cette obsession d’hier ; à travers ce texte, je te la transmets et je t’en sauve également. » C’est avec de telles notations, tout en finesse, que le roman d’Amanda Sthers fait entrer le lecteur dans une vraie réflexion. La romancière écrit certes un roman, et même, pourrait-on, une sorte de saga (au sens anglais du terme). Mais il y a une pensée, derrière ce qu’elle raconte, et même une philosophie. Elle cherche un sens à tout ça.

Les corps conducteurs

Le destinataire de ce texte que nous lisons, le petit Camillo, va devenir membre à part entière de cette famille-continent, dont il devra certes apprendre les usages, mais pas seulement : la morale, aussi. Je suis frappé, chez beaucoup de romanciers contemporains, par ce désir d’éthique qui renaît chez eux, après une période de relativisme hérité des terribles années 70. Sur ce plan, Les Gestes est une vraie réussite littéraire, avec des personnages doués de sens moral, et qui tentent, sans toujours y parvenir, d’agir avec discernement pour, peut-être, choisir la vie qui leur convient, une vie tournée vers les autres. Car, comme tout roman peu ou prou mené à son terme, Les Gestes est avant tout une grande histoire d’amour entre les êtres humains, ce que Claude Simon avait illustré jadis par la formule géniale du titre d’un de ses romans : Les Corps conducteurs (1971). Les personnages d’Amanda Sthers, eux aussi, sont des corps conducteurs…

Amanda Sthers, Les Gestes. Éd. Stock.

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Du même auteur, une réédition, Le Vieux Juif blonde. Préface inédite. Grasset.

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Du wokisme comme bien-pensance et déni généralisé: l’affaire Karla Sofía Gascón

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L'actrice transgenre espagnole Karla Sofía Gascón, Palm Springs, 3 janvier 2025 © Corine Solberg/Sipa USA/SIPA

Non seulement Karla Sofía Gascón, l’interprète d’Emilia Pérez, le film de Jacques Audiard, est rayée de la liste des oscarisables, mais Netflix se désolidarise de l’acteur / trice, et le réalisateur ne veut plus lui parler — de peur sans doute qu’elle emporte le film dans sa déchéance personnelle. Pour avoir dit son sentiment sur le début de « submersion » de l’Espagne par les immigrés, et malgré son Prix d’interprétation à Cannes en mai dernier, elle est chargée de tous les péchés d’Israël, et définitivement rejetée par la profession et tous les vecteurs culturels du wokisme. Trump, qui prétend sonner la fin de la dictature wokiste, a du boulot devant lui.


Quelle est la teneur exacte des tweets supposément monstrueux qui valent à Karla Sofía Gascón d’être mise au ban de la profession ? Les voici, mis bout à bout :

« Combien de fois encore l’histoire devra-t-elle expulser les Maures d’Espagne… Nous n’avons toujours pas compris ce que signifie cette menace civilisationnelle qui s’en prend constamment à la liberté et à la souveraineté de l’individu. Il ne s’agit pas de racisme, il s’agit d’islam… Chaque fois que je vais chercher ma fille à l’école, il y a de plus en plus de femmes voilées avec des jupes qui descendent jusqu’aux talons. Peut-être que l’année prochaine au lieu de l’anglais nous devrons enseigner l’arabe. »

Minorités et bienveillance

Et voilà qui suffit pour que les amateurs de déni, les fortiches de la bien-pensance, les thuriféraires de Big Brother — qui est définitivement de gauche, vous l’avez sans doute remarqué —, qui l’instant d’avant soutenaient bec et ongles la première « nominée » transgenre, la rejettent dans les catacombes puantes du racisme version bobo.

Il faut pourtant bien admettre que nous sommes un bon nombre, en France, à pouvoir dire et écrire la même chose. La submersion n’est pas un sentiment — sauf pour les Parisiens qui par définition n’habitent pas Marseille, ni Lyon, ni Grenoble, ni Nantes, ni… Et qui ne connaissent de la France que ce que leur en racontent Le Monde, Libé et Médiapart.

J’en déduis un fait troublant : il y a une hiérarchie dans les minorités qui doivent monopoliser notre bienveillance, nos subsides et notre sentiment de culpabilité — trois éléments qui ne font pas partie de mon patrimoine.

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On connaît le principe de l’intersectionnalité des luttes, ce beau principe au nom duquel une femme tripotée il y a trente ans par un Castelroussin peut porter plainte pour viol, mais pas si elle est violée aujourd’hui par un immigré, car elle doit tenir compte des « différences culturelles ». Ce beau principe au nom duquel des féministes défendent le port de la burka en France et condamnent le voile en Iran.

Ce n’est pas un principe horizontal, structuré comme un rhizome. C’est un principe pyramidal. Défendre les LGBT ou les transgenres c’est bien, sauf si l’un d’eux attaque les damnés de la Terre — migrants nigérians illégaux, Pakistanais du VIIe siècle égarés dans le nôtre, Algériens bourreaux d’écrivains — et de leur propre peuple.

En bas, tous ceux qui sont malmenés par le patriarcat qui, comme nous le savons, contrôle tout dans ce pays — sauf l’institution judiciaire, manifestement, qui condamne des réalisateurs sur des on-dit, sans preuve et au mépris de la présomption d’innocence : le Syndicat de la Magistrature fait du bon boulot. Au milieu, les « éveillés », qui se sont retournés contre leur propre culture, et décident qu’il faut dorénavant interdire Voltaire ou Montesquieu sous prétexte qu’ils s’opposent à l’esclavage en utilisant le mot « nègre » — comme tous les écrivains de leur temps. En haut, tout en haut, les peuples qui ont souffert de la traite Atlantique et de la « colonisation » — bouh, que c’est mal…

Effacement à la carte

Rappelez-vous la « loi Taubira », votée à l’unanimité des 81 députés présents, les autres ayant soudain succombé au désir de fréquenter la buvette ou les toilettes de l’Assemblée : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité ».

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Les historiens ont fait remarquer à la dame qui a fait perdre Jospin en 2002 que l’accord de Londres du 8 août 1945, qui définit les crimes contre l’humanité, ne fait pas de distinction entre les diverses formes d’esclavage — un principe repris par le Statut de Rome du 17 juillet 1998.

À quoi servait donc cette loi Taubira ? Son autrice s’en est expliqué dans l’Express en mai 2006 : c’est afin que « les jeunes Arabes (…) ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes ». En clair, on efface treize ou quatorze siècles de traite saharienne, accompagnée de mutilations insensées, on efface le fait que l’esclavage sévit toujours dans certains pays musulmans, et on fait porter la « faute » sur les Occidentaux qui ont bon dos et dont on espère, un de ces jours, une compensation financière. Tout comme l’Algérie fait porter sur les colons, qui ont fait de leur mieux pour faire entrer ce pays dans la modernité, la responsabilité de cinquante ans de gabegie et d’annexion des ressources pas une caste islamo-militaire. Et pourquoi pas la responsabilité des 200 000 morts de la guerre civile des années 1990-2000, sur laquelle Kamel Daoud a écrit ce si beau livre couronné cette année du Goncourt ?

Je n’irai pas voir Emilia Pérez — les comédies musicales franco-mexicaines sur fond de narco-trafic ne m’attirent guère, et les Mexicains, qui en connaissent un bout, s’en sont offusqués de leur côté. Mais je sais que tomber à bras raccourcis et messages courroucés sur une personne qui énonce des vérités basiques est une infamie.

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Jeu de massacre

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Striptease intégral © Le Bureau / France 3 Cinéma / Artemis Production / RTBF

Fidèle à l’esprit de la série culte qui a marqué les esprits, Strip Tease revient sur grand écran la semaine prochaine avec cinq inédits


Au départ, Striptease, on s’en souvient, c’est une émission culte de la RTBF, la chaîne de télévision publique de nos voisins belges. Créée en 1985, elle migre sur Canal + puis sur France 3, et enfin sur RMC Story, d’où conflit judiciaire pour plagiat. Le concept de base ? Ni musique, ni voix off, ni interviewer, ni même de scénario, mais des tranches de vie servies comme du gigot froid, en s’interdisant plusieurs prises, naturellement : un regard cru, bien saignant, sur des primates qui, l’espace d’un moment, se laissent déshabiller au sens figuré, avec leur consentement présumé. D’où le titre.

Yves Hinant et Jean Libon sont les deux inventeurs du « concept ». Ils sont connus pour leurs longs métrages documentaires Ni juge ni soumise (2017) et Poulet frites (2021) – ce dernier, captivant, toujours visible sur Netflix, suit (en noir et blanc) le travail d’investigation d’un commissaire de police bruxellois pour élucider un crime de sang sur une prostituée, dont tout semble accuser un pauvre bougre, boucher de son état, aux méninges assez limitées.  Crime qui s’avèrera commis par un psychopathe bengali sans papiers localisé à Londres… et qui court toujours !  

Cette fois, le fameux duo s’est adjoint une brochette de comparses documentaristes pour enfiler, sous le titre générique Striptease intégral, quelques perles dans le collier du vécu banal, voire trivial.

L’odeur de l’essence : Cassi, Shady et Jolve [sic], trio de pétasses influenceuses sous le ciel de Dubaï, dans le miroir de leur snaps, mirant en selfies compulsifs leurs faux ongles, leurs fausses dents, leurs faux cils, tout en baragouinant un idiome de 30 vocables où reviennent en boucle les expressions « truc de ouf », « la vie d’ma mère », « c’est ouf », « je kiffe », « c’est hardcore » … Convertie dans l’immobilier sur le net, l’une d’entre elles se vantera : « j’ai vendu un appart à une Luxembourgeoise de 50 balais qui kiffait mes snaps ».

Miroir mon beau miroir : au cœur du festival « off » d’Avignon, Coline, la cinquantaine révolue, plantureuse reine de l’impro dotée d’un enviable optimisme, tracte, chante, fait son show dans un théâtre déglingué de 20 places, encouragée par son manager à na pas lâcher prise quoiqu’il en coûte.  

Zéro déchet :  génitrice médailles de baptême des mioches en sautoir, géniteur chevalière en or au doigt, bienvenue dans cette fertile tribu catho bon genre où après la messe de l’Ascension on déjeune en famille, le petit curé de la paroisse comme invité d’honneur. Pas de gâchis chez ces servants du vinaigre et du bicarbonate : la bien-pensance fait ménage avec l’hygiène.

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Les antécédents familiaux : père (présumé) décédé à 58 ans d’un cancer du foie, mère suicidaire, autant de mauvais augures cumulés pour Olivier, lui-même affecté d’une fragilité cardiaque et qui, tout médecin qu’il est, redoute en conséquence de clamser à son tour prématurément : chemin de croix de l’hypocondrie. La cinéaste Mathilde Blanc filme ici son papa dans ses paniques.  

Bidoche, court métrage conclusif, est sur le registre formel le plus radical des cinq : en un unique plan fixe, dans une morgue, l’autopsie d’un macchabée par le médecin légiste – combinaison blanche, pas de masque mais des gants, et des lunettes. Myope ? Astigmate ? Devant la table en métal gris, le praticien découpe attentivement la dépouille, dans des bruits de succion et de vidange, tandis que le magnéto enregistre son rapport, qu’il émet au micro d’une voix privée d’affect : « les carotides sont bien larges, bien souples »… Vers la fin, le légiste mande un photographe qui grimpe sur l’escabeau pour effectuer le cliché scientifique.

Poésie, quand tu nous tiens… À dire vrai, c’est moins l’accroche formelle ou l’acidité dans l’intention que le pathétique de cette galerie qui afflige.  Est-ce bien toi, là vraiment,  « mon semblable, mon frère », comme disait l’autre ?

Striptease intégral. Documentaire de Jean Libon, Clémentine Bisiaux, Régine Dubois, Mathilde Blanc, Yves Hinant. Belgique, couleur, 2024.  Durée : 1h30
En salles le 12 février 2025.

A voir sur Netflix : Poulet frites. Documentaire d’Yves Linant et Jean Libon. Belgique, noir et blanc, 2021. Durée : 1h43

Le bon, le lâche et le tyran

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De gauche à droite, l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, le président français Emmanuel Macron, le président algérien Abdelmadjid Tebboune © SYSPEO/SIPA - Eliot Blondet -Pool/SIPA - FAROUK BATICHE / PPAGENCY/SIPA

Le président Emmanuel Macron s’est pour l’instant contenté de dire que l’Algérie se « déshonorait » en maintenant en détention l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Garder Sansal incarcéré révèle la détestable nature du régime algérien.


16 novembre 2024, sur le tarmac de l’aéroport d’Alger, Boualem Sansal est l’objet d’une arrestation arbitraire par un régime totalitaire. La France macronienne ne réagit pas.

Boualem Sansal est un combattant de la liberté et de la démocratie. Ses armes sont ses mots, il est un homme doux et généreux. Personne, jamais, ne l’a vu menacer, appeler à la violence ou à la haine. Boualem Sansal est bon, c’est un écrivain de l’humanisme et il ne hait pas même ses ennemis. Un État islamo-militaro-policier ne parait-il pas bien fragile s’il est mis en danger par des mots ? Mais le tyran n’a pas osé porter accusation pour délits d’opinion.

A la recherche d’une justification, d’une poudre magique à jeter aux yeux, le régime algérien a accusé l’écrivain « d’atteinte à la sureté de l’État ». Malhonnête et ridicule ! Une assertion qui ne peut être crue ou approuvée que par des militants islamistes comme une certaine nouvelle députée européenne et par ses amis soumis, ou bien par des cerveaux indigents et serviles. Ou lâches.

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Or depuis son arrestation, rien ne filtre, aucune activité des autorités françaises, pas même un mot du président pourtant habituellement si allant pour des déclarations martiales tous azimuts. Un citoyen français est abandonné comme un banal fêtard du festival Nova ou un vulgaire kibboutznik français, et apparemment la France de Macron, comme celle de Giscard du temps du détournement d’un avion Air France à Entebbe, abandonne sans vergogne son devoir de protection de ses citoyens !

N’y aurait-il rien à attendre du président français, pas même une possible remise en cause des accords consulaires qui permettent aux caciques totalitaires de venir librement en France ? pas même la révocation des enfants des mêmes à poursuivre des études dans les établissements de la République qu’ils vomissent ? Notamment ceux de l’abominable ministre algérien de l’Information, le chef de la censure qui ne cesse d’éructer contre la France et aussi, allez savoir pourquoi, contre les Juifs… étonnant amalgame. Pas l’ombre d’une menace sur les aides et les coopérations françaises ? Juste un mot à la réception des ambassadeurs de France à l’Elysée, un « l’Algérie se déshonore » navré, mais pas la moindre action annoncée ni même envisagée par la France.

Et le temps passe dans le silence, deux mois et demi de silence ! Imaginez le silence dans une geôle résonnant du mutisme d’une patrie choisie. Silence de la France même quand l’Union Européenne appelle à la libération de l’écrivain. La France a abandonné la liberté aux barbares. Car Boualem est un combattant français de la liberté et de l’universalisme. Ce faisant la France n’a gagné qu’un peu plus de mépris de la part de ces mêmes barbares.

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Les tyrans unis d’Alger ont arrêté notre concitoyen à la manière de leurs ancêtres barbaresques qui arraisonnaient, pillaient, violaient et enlevaient pour asservir ou rançonner. Boualem Sansal est en effet un otage, un otage français. Mais l’Algérie en voulant, semble-t-il, viser la France, s’est enferrée.

Il pouvait paraitre aisé d’arrêter l’écrivain de langue et de culture françaises, puisque Macron dénie l’idée d’une culture française, des Lumières françaises, de l’apport inestimable de Voltaire, de Diderot, de Rousseau, de Condorcet… Si le premier item de la devise française, « Liberté », ne faisait pas vibrer le président français, pourquoi faire cas de la liberté d’expression, première caractéristique d’une démocratie ? Les dirigeants algériens pensant-là sentir un désir plus ou moins conscient de tyrannie dont eux se délectent, ont cru qu’ils pouvaient continuer à culpabiliser, à menacer, à se jouer de la France.

Mais avec cette arrestation, le régime s’est montré aux yeux de tous, non seulement tyrannique mais encore bien mauvais politique. Il s’est enfermé dans une situation impossible : garder Sansal incarcéré révèle sa détestable nature dictatoriale, mais, le libérer pourrait paraitre une démonstration de faiblesse. Ces potentats exposent au grand jour une peur irrépressible d’un intellectuel âgé, pacifique et malade.

Oui, Boualem Sansal est malade ! Malade, et les résultats de ses examens sont mauvais. Alors voilà peut-être une issue : une libération pour raisons médicales et humanitaires. Un peu de courage, sinon d’humanité, Messieurs les bourreaux !

Le western du célèbre trio se termine dans un cimetière, espérons qu’ici le mort ne soit pas « le Bon » de cette sinistre mise en scène algérienne.

L'indifférence et autres horreurs

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Le Mammouth est mort ce soir

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La ministre de l'Education nationale Elisabeth Borne et Ministre déléguée chargée de l'IA et du Numérique Clara Chappaz, Paris, 29 janvier 2025 © J.E.E/SIPA

Éducation: l’amer de toutes les batailles


Dans la jungle, terrible jungle, le Mammouth est mort ce soir… 161 milliards d’euros annuel, 1.200.000 agents, un cinquième de l’emploi public, l’éducation est unebête de haut parage, marchant à gros équipages. « Sur l’animal à triple étage ; Une Sultane de renom, Son Chien, son Chat et sa Guenon, Son Perroquet, sa vieille, et toute sa maison ; S’en allait en pèlerinage » (La Fontaine). Dans une énième feuille de déroute et l’indifférence générale, Elisabeth Borne a annoncé les grandes orientations de la rentrée 2025. No stress, Allegro ma non troppo : plus besoin de brevet pour passer au lycée, à l’eau les groupes de niveau, le pass Culture au congélo, modules en ligne sur l’IA, bientôt des cours de soutien scolaire pour les enseignants qui décrochent. Le ministère a un cap et des mantras : « L’élévation générale du niveau et la réduction des inégalités sont les deux jambes d’une politique éducative qui réussit… Plus que jamais, nous devons prêter une attention aux plus fragiles et ouvrir à tous le champ des possibles ». En attendant Godot de Mauroy, les cuisseaux de veau, les cuissots de chevreuil et le salut par le haut débile, la garde meurt et Michard l’attend.

Le cimetière de l’éléphant

L’électrocardiogramme du Mammouth est plat. Plus rien ne fait débat. Pas de débat sur la nullité des peintres qui se succèdent tous les trois mois rue de Valois, pas de débat sur la glissade continue depuis trente ans dans les classements Pisa, sur la clochardisation des enseignants et de l’Université, sur l’obscurantisme, l’éthique à Nikoumouc, l’auto-censure, Voltaire et l’affaire Caillasse passés sous le tapis de prière, sur Madame Bovary, Diane, les nymphes dénudées et La Liberté guidant le peuple qui doivent aller se rhabiller pour ne choquer aucune conscience,  sur le harcèlement dans les cours de récré – Qu’est-ce qu’elle a ma sœur ? -Elle te plait ma sœur ! -Elle ne te plait pas ma sœur…, sur les rezzous sociaux et l’IA dégénérative qui contaminent le processus de transmission et l’apprentissage ; en un mot, pas de débat sur l’impossibilité de sauver l’Éducation nationale.  

Les politiques, le corps enseignant, les médias, se satisfont de l’omerta, du statu quo. Réformer serait confesser le naufrage, risquer une responsabilité, des heures supplémentaires. Au programme, Moonwalk, hologrammes de refondations, sempiternelle querelle des Anciens et des Modernes… À droite, un Grenelle de la dictée, le Yalta de la blouse. À gauche, Mérieuseries, un plan Marshall de l’estime de soi, le latin sans déclinaisons, des châteaux forts en pots de yaourt bio… Un monde de simulations, simulacres, folie. À l’image du colonel McStraggle dans Le 20eme de cavalerie (Lucky Luke), les hiérarques de la rue de Grenelle inspectent des épluchures de pomme de terre dont l’épluchage a été mimé. Et pourtant, elle coule…

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Chez les usagers aussi, la messe est dite. La bourgeoisie a compris l’arnaque, exfiltre ses enfants à l’étranger. Pour les classes populaires, premières victimes du naufrage éducatif, c’est la double peine : diplômes en chocolat et coulis de discours « léninifiants » égalitaro-pourtousistes. Tartufferie au carré, L’École des fans sauce Tonton mayonnaise renforce les déterminismes et la reproduction sociale. La bataille d’Ernaunie, les vaincus de son cœur, concours de honte, duels de transfuges, trempettes de la renommée, légions de Sorbonagres ès péritextes d’emprise scripturale, ne changent rien à l’affaire. Les vestales, choreutes pédagochistes ont mis le feu au temple, liquidé Ganesh. « It was you Charley… You was my brother, Charley, you shoulda looked out for me a little bit. … I coulda had class. I coulda been a contender. I coulda been somebody, instead of a bum, which is what I am, let’s face it ». (Sur les quais, Kazan, Brando, Steiger).

Le déni n’interdit aucun délire. « J’en ai marre – marabout – bout d’ficelle – selle de ch’val – ch’val de course – course à pied – pied d’cochon… ». L’université est au taquet sur la déconstruction, le « 10 améliorable note plancher », le Hamas pour tous. Pour jouir sans entraves, la « Fac Marabout » résout toutes les peines : de cœur, de sexe, de stress, d’argent…  « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent ». Dans la noosphère, à l’avant-garde des médiums, l’université Paul-Valéry Montpellier 3 propose un Master 2du tonnerre : « Parcours Responsable d’évaluation, de formation et d’encadrement ». Le pitch est gouleyant : « Vers une bienvivance qui trans-forme, une approche du care et du leadership capacitant et vibratoire : même à distance, ‘We care, We can’… Pas d’émancipation sans transmission, lectures, pensée, raison. L’écroulement éducatif est une bombe à fragmentation qui crétinise la jeunesse, menace l’économie, le lien social, la démocratie. C’est du pain béni pour les analphabètes fichés S, Alberich trotskistes, Iznogoud de l’insoumission qui carburent à l’insulte, aux slogans et feux de poubelles. Quels enfants allons-nous laisser à notre monde ?

La gauche n’y croit plus

« Le populisme est aussi une crise de l’éducation » (Le Monde, 5 janvier). Dans un papier confus, Philippe Bernard lâche le morceau et le progressisme. La promesse hugolienne de fraternité et d’émancipation par l’école a vécu.  Rien ne se passe comme prévu. « Alors que la scolarisation n’a jamais été si massive, les démagogues, de Trump à Le Pen, ont le vent en poupeLa généralisation sans précédent de l’éducation et l’élévation spectaculaire de son niveau théorique (sic), loin d’affermir la démocratie, en accompagnent l’effritement ». En échec, l’école Récré A2Chouette de classe n’émancipe plus. A Hénin-Beaumont, à Villeneuve-Saint-Georges les prolos, les sans-grades, les petits, trahis, votent à droite. La gauche Viesse de Marmont fédère les premiers de cordée et progrès. Ça interroge …

Appelés à la rescousse par le chroniqueur du Monde, Francois Dubet et Marie Duru-Bellat, cadors de L’Emprise scolaire et des inégalités, noient le poisson dans des bourdieuseries de Prisunic, un argumentaire de chaudron troué (Freud). « La massification de l’éducation et la dictature du diplôme ont ouvert un fossé béant entre vainqueurs et vaincus du tri scolaire (…) Les vainqueurs, convaincus de ne devoir leur réussite qu’à leur mérite, « se sentent légitimes » et défendent « des valeurs universelles de la raison et de l’expertise ». Les vaincus, « humiliés par leur défaite scolaire », se sentent « ignorés et méprisés » et leurs opinions sont plus autoritaires et traditionnelles (…) Le toujours « plus d’école » a atteint ses limites, il a affaibli les démocraties alors que nous pensions que l’école en était le vecteur essentiel ».

Le plus drôle pour la fin, avec les pistes de safari explorées par le « grand journal du soir » pour sortir Elmer de l’ornière. « Les réponses à ces effets pervers de la massification éducative ne sont pas simples. Elles supposent de ne plus tout attendre de l’école, de reconnaitre la multitude des savoirs, académiques ou non, d’inventer de nouvelles formes de coopération avec les familles, de valoriser des compétences comme la confiance en soi, le sens de la coopération et la maitrise des émotions, facteurs de réussite ». N’oublie jamais Babar :la sélection (imaginaire), le niveau (théorique) et les diplômes (qui ne valent plus rien) restent toujours coupables ! Un sociologue qui l’ouvre, c’est une école qui ferme.

« Et le désert reprend son immobilité ; Quand les lourds voyageurs à l’horizon s’effacent » (Leconte de Lisle, Les Eléphants).

Le grand blond avec une chemise noire

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© Hannah Assouline

Pour les médias et les partis de gouvernement, Jean-Marie Le Pen était le diable de la République. Son goût du scandale et ses fréquentations douteuses l’ont campé dans ce rôle. Pourtant, pendant soixante ans de vie politique, par son histoire personnelle, son verbe et sa culture, il a été la voix de la France périphérique.


J’étais des manifs anti-Le Pen de 2002. Je me souviens encore de ma fille Clara dans sa poussette rouge. Dehors, la République en danger frémissait dans une kermesse multicolore. De la joie, de l’exaltation. Vivre l’Histoire en direct. On était un peu Lamartine en 1848. Ou Jules Vallès en 1870. Ce fut l’acmé du « barrage », du front républicain, du camp du Bien.

C’était une vague. Une immense vague qui déferlait sur la France. L’entre-deux-tours, le « fascisme à nos portes » et tout un immense barnum médiatico-psychologique. La menace du grand blond avec une chemise noire.

La quinzaine antifasciste originelle : manifestation contre Jean-Marie Le Pen, 22 avril 2002. © AP Photo/Patrick Gardin/SIPA

Antifascisme de théâtre

Tous nos copains étaient là. Je dirigeais Reporters sans frontières. Autant vous dire que l’« extrême droite » y comptait peu de sympathisants… Emmanuelle [Ménard, son épouse, NDLR] était responsable « Afrique et justice internationale » à la FIDH, la Fédération des ligues des droits de l’homme, pas vraiment un repère de « fachos » ! Nous avions voté au premier tour pour François Bayrou. Nous nous apprêtions à glisser un bulletin Chirac pour le second. Nous résistions !

Et pourtant, dans nos têtes, quelque chose clochait. Emmanuelle est d’une famille de droite. On ne se mélange pas aux « extrémistes ». Mais on est méfiant face à cette gauche donneuse de leçons. De mon côté, je tiquais à la lecture des éditos de Serge July dans Libé. Il dénonçait le fondateur du FN en des termes hallucinants. Sous des « unes » sinistres. Comme un parfum de lynchage… Je détestais. À trop lire nos gauchistes, j’aurais bien fini par avoir de la sympathie pour le patron du FN.

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Dans cet « antifascisme de théâtre », pour reprendre le mot de Jospin, le grand vaincu de 2002, les journalistes ne jouaient pas les seconds rôles. Il faut dire qu’entre Jean-Marie Le Pen et les médias, rien n’a jamais été simple. Soyons honnêtes. Le traitement journalistique de Jean-Marie Le Pen m’a toujours sidéré. Je me souviens d’une séance photo à Montretout, le fief de la famille Le Pen à Saint-Cloud, où le photographe envoyé par la revue Médias, que nous avions relancée avec Emmanuelle, voulait à tout prix faire une photo du patron du FN avec ses chiens en « contre-plongée ». Manière de montrer le patriarche sous un angle bien dégueulasse, bien fascistoïde, bien terrifiant. Pinochet en son domaine campagnard. Pour nous, ce fut non. Une lumière rouge clignotait dans nos têtes.

Bien après l’accession coup de tonnerre en finale de la présidentielle, nous sommes allés avec Emmanuelle au moins une fois par mois durant toute l’année 2012 le rencontrer chez lui. Bien sûr, Le Pen en sortait des vertes et des pas mûres. Il fallait s’accrocher. Nous avions un projet de bouquin, après notre Vive Le Pen !, un petit opuscule qui contait ses rapports avec la presse et qui avait fait tant polémique.

Notre livre n’est jamais sorti. Je me suis présenté aux municipales à Béziers, chez moi. J’avais d’autres chats à fouetter. Marine, qui suivait ça du coin de l’œil, était très inquiète. Elle savait que son père en disait trop, elle savait que papa moulinait dans les souvenirs pas toujours reluisants, pataugeait aussi dans le marécage des blagues insoutenables.

L’art du scandale

N’était-il que le fou de la République, l’homme qui, dans les cours d’Ancien Régime, pouvait tout dire sans risque aucun ? Je ne le crois pas. Jean-Marie Le Pen vient des profondeurs du pays, de sa province, de sa dureté. Il a connu, ado, l’occupation allemande. Il s’est engagé dans les guerres coloniales. Il a ferraillé à l’Assemblée avec Pierre Mendès France, il était le bras droit de Tixier-Vignancour, l’avocat pétainiste. Ses mots étaient déjà violents. Il a bourlingué, il a galéré avant son coup de chance financier des années 1970.

Il a roulé sa bosse bien plus que l’immense majorité de notre classe politique composée aujourd’hui d’hommes gris en costard cintré avec le petit Mac bien propre qui se déplie sur la table. Pendant soixante ans de vie politique, il a été le chantre et le héraut des contradictions françaises : dans les années 1950, c’est bien lui qui défend bec et ongles l’Algérie française et rêve… d’intégrer réellement 9 millions de musulmans en qui il voyait l’avenir de la Patrie !

Jean-Marie Le Pen, bière en main, au comptoir d’un bar parisien, mars 1996.

Mais Jean-Marie Le Pen, au-delà de tout, c’est aussi et surtout le verbe. Rugueux, âpre, le verbe qui sent le foin, qui sent l’homme primitif et les bas instincts, le verbe qui fouille nos entrailles et fait vibrer les âmes perdues. C’est le corps de garde qui prend d’assaut votre salon. C’est un physique de catcheur dans un monde de danseuses. Quand il passait à la télé, c’était le carton d’audience. Parce qu’on savait qu’une tranche de vie allait se dérouler sous nos yeux, façon Tontons flingueurs. C’était la raison de son succès : il bousculait l’ordre établi, il renversait la porcelaine dans le magasin.

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Et puis il y avait son côté sombre. Cette face cachée que l’ancien d’Algérie aimait escalader à mains nues. Les allusions monstrueuses, le « Durafour crématoire », le « point de détail », la « fournée ». Les amitiés lugubres avec d’authentiques collabos. La nausée.

L’ombre du nom Le Pen

La prise du pouvoir, avec ces mots d’épouvante, était impossible. Le chef du FN s’est alors complu dans ce rôle de diable de la Ve, sorte de croquemitaine bien utile aux partis de gouvernement.

Je pense que tout cela a coûté cher aux idées patriotes et à tous ceux qui souhaitaient que la France retrouve un peu d’ordre et stoppe la folie de l’immigration incontrôlée. Il a couvert d’opprobre le patriotisme. Il l’a sali avec ses saillies infâmes. Il a rendu honteuse la fierté d’être Français.

Même en 2024, l’héritage est lourd. Jordan Bardella, largement favori des législatives, a encore trébuché devant un improbable barrage composé des fous furieux de LFI, des écolos loufoques et d’une gauche complètement décrédibilisée.

L’ombre portée du nom Le Pen recouvre encore bien des braves gens qui n’en peuvent plus de subir l’insécurité et l’importation massive de populations étrangères. Le Pen s’est confondu avec le peuple interdit de la France périphérique. Aujourd’hui orphelin du menhir breton, pour le RN, les dés sont à nouveau jetés. Ils ne l’étaient pas avant. Bardella et les jeunes loups le savent.

Je n’ai jamais voté pour Jean-Marie Le Pen – pour sa fille, oui –, mais je ne l’ai jamais considéré comme un diable. Parce que c’était un Français fils de l’histoire de France. Avec son courage et ses immenses défauts, avec sa gouaille, sa culture, sa vulgarité et… ses sordides obsessions.

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