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Une nouvelle laïcité


Une nouvelle laïcité

Nicolas Sarkozy a apporté à Rome la divine surprise d’un nouvel évangile républicain : une laïcité plus ouverte, plus soucieuse deconnaissance et d’écoute, moins crispée sur la défense agressive d’une séparation entre Eglises et Etat qui s’apparente à un mur infranchissable. Dans son discours du Latran du 20 décembre, en prenant possession de son siège de « chanoine d’honneur » de la vénérable basilique, il a affirmé sa volonté d’enterrer la hache de guerre entre les « deux France », proclamé haut et fort les origines chrétiennes de son pays, exalté « ce lien particulier qui a si longtemps uni notre nation à l’Eglise », et dit vouloir défendre une « laïcité positive » qui fasse une place aux croyances au sein de la République.

C’est un discours novateur. La « laïcité à la française », que les Français pensent volontiers universelle, est en fait une créationpurement nationale, issue des guerres civiles de la Révolution française. En pays protestant, la révolution a été accomplie au nom de la religion ; en France, contre l’Eglise. En fait, le seul pays où l’on entend la laïcité comme en France est le Mexique. Or, cette « laïcité à la française » interdit non seulement aux cultes d’empiéter sur le domaine de l’Etat, ce qui est la moindre des choses ; elle les rend invisibles et inaudibles. Confondant prosélytisme et connaissance, elle supprime celle-ci pour mieux empêcher celui-là. Mais l’Eglise catholique ne représente plus un danger politique. Le regretté cardinal Lustiger m’a dit un jour que, même si l’on proposait à l’Eglise un rôle politique, elle le refuserait. Le danger vient d’ailleurs : de l’islamisme, qui est, lui, un projet politique, et du communautarisme, résultat précisément de l’affaiblissement des valeurs républicaines.

Aussi bien, il n’y aurait aucun mal à reconnaître les « racines chrétiennes » de la France et de l’Europe. Convaincu qu’on ne saurait bâtir l’avenir si l’on tourne le dos à son passé, avec ce qu’il a de grand et de mesquin, de généreux et de meurtrier, j’avais moi-même pris position pour la mention de ces fameuses racines dans le préambule du Traité constitutionnel. Je pense aussi que les cultes ont parfaitement le droit de se faire entendre dans l’agora – le moindre club de pétanque l’aurait, mais pas l’Eglise catholique ?

Cependant, il faut bien faire attention à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. L’héritage chrétien a été heureusement réinterprété par les Lumières. La laïcité a dessiné un espace public où les religions cohabitent sans se sauter à la gorge. Quelles qu’en soient les modalités, elle est consubstantielle à la démocratie, qui ne peut s’épanouir que dans un espace religieusement neutre. Dans ce domaine, il faut avancer à pas de Sioux, et il vaut mieux en faire moins qu’en faire trop. Le Président devrait le savoir mieux qu’un autre : ministre de l’Intérieur, il a favorisé l’émergence d’un islam français organisé sur le modèle consistorial juif et protestant ; il lui faut faire face à des organisations noyautées par les Frères musulmans.

Alors, oui, il faut revisiter la « laïcité à la française ». Il faut enseigner le fait religieux à l’école et ouvrir le débat public sur la religion, son rôle dans l’histoire des sociétés humaines et sa place dans la République. Mais l’enseignement des religions doit être intégré dans l’enseignement de l’histoire et confié à des maîtres laïcs, et le débat public sur la religion doit être conduit à l’intérieur du cadre laïc républicain, dont les valeurs, et les lois et les principes qui en découlent ne se discutent point. Et surtout, il ne faut pas toucher à la loi sur la laïcité. Interpréter un texte pour mieux l’adapter au temps qui passe est une chose ; le défigurer en est une autre.



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Né en 1946 à Bucarest, historien, spécialiste des Guerres de religions en France, ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi est délégué scientifique du Musée de l’Europe à Bruxelles. Dernier livre paru : "Les religions meurtrières" (Flammarion). A paraître : "L’Europe, cette chimère", avec Krysztof Pomyan (Perrin).

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