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Mes aïeux et le confort moderne


Mes aïeux et le confort moderne

De ces espaces que quelques-uns de nos ancêtres s’évertuèrent à travailler, résolus à tirer le meilleur parti de terres ou ne poussaient précédemment que forêts inextricables et mauvaises herbes, que reste-t-il ? De l’œuvre de ces paysans qui, poussés par la faim, ciselèrent des paysages, domptant ici un torrent, là une forte déclivité, créant des bocages, construisant villages et hameaux, qu’avons-nous conservé ?

Après des millénaires durant lesquels l’homme a façonné la nature, l’architecture internationale passe par là, les politiques y trouvent des solutions pour loger les ex-ruraux devenus citadins, les industriels de nouveaux marchés.

Arrivent les trente glorieuses, leurs Frigidaires, télévisions et voitures à explosions. L’ancien campagnard, ce terrien, fait un rêve : retrouver le foyer d’antan avec son âtre, sa femme, ses enfants et son chien pour garder les thuyas en leur faisant pipi dessus tout en aboyant sur les passants ! À cela, rien de répréhensible, il a une voiture, l’essence n’est pas chère, les routes en bon état et il a une place de parking au bureau. Le problème, c’est que loin de tout Madame ne pourra plus faire les courses, transporter les petits à l’école, la meilleure, pas la communale où ne vont que les ploucs. S’il le faut, ils achèteront une deuxième voiture. Et puis c’est décidé, ils la construiront, la villa de leurs rêves avec du carrelage partout parce que c’est plus facile pour l’entretien. De plus, le maire, qui dirige l’agence du Crédit Mutuel du village, dont sa famille est originaire, a une idée lumineuse pour attirer de nouveaux ruraux et éviter de fermer l’école : construire un lotissement. À cet effet, il rachète les terrains qui jouxtent la départementale à certains des exploitants agricoles qui composent son conseil municipal. Les banquiers, industriels, géomètres, promoteurs, maires, agriculteurs, mesdames et messieurs sont heureux – et la nation reconnaissante.

Villes après villages, zones commerciales après lotissements, sans oublier les maisons individuelles accolées aux hangars agricoles plantés au milieu des campagnes, le tout assaisonné de remembrements anachroniques et de monoculture : le mitage généralisé du paysage est presque partout irréversible. En moins de cinquante ans, la France a vu (et fait) disparaître la plus grande partie de ses paysages issus des siècles.

On n’inversera pas le cours du temps. Au moins sommes-nous en droit de questionner. Comment ces constructions de mauvaise qualité vieilliront-elles ? Qui paiera la note énergétique sachant qu’une maison individuelle est beaucoup moins économique que l’habitat collectif ? Qui voudra acheter des maisons de 150 000 euros dans vingt ans, quand les premiers enfants du baby-boom reviendront mourir en ville ? Qui entretiendra les rues de ces lotissements désertés ? Qui financera l’éclairage public, les réseaux et canalisations quand seules quelques maisons seront habitées ? Quels voyageurs voudront encore visiter des pays déglingués et sans âme ?



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