Non seulement les Gilets jaunes sont majoritaires, mais leurs revendications égalitaires sont parfaitement légitimes. Au haut de la société de le comprendre. Sous peine de choir.
Au cours des dernières semaines, on a abusivement opposé la France périphérique à la France urbaine. Sous entendant que la première serait un reliquat attardé, sinon honteux, d’une histoire achevée. Une France des giratoires, déclassée, franchouillarde, voire populiste, raciste, homophobe. Une graine de fascisme, noir ou rouge. Au minimum des gens peu instruits auxquels il faudrait à nouveau prodiguer de la »pédagogie » pour essayer, encore une fois, de faire entrer dans ces cervelles épaisses la vérité et la lumière du TINA thatcherien (There is no alternative) ou sa version nouvelle PCC (Pas de changement de cap) du capitaine Macron-Achab.
Ils sont le peuple
Ce qui frappe, chez les Gilets jaunes, c’est non seulement leur détermination, leur méthode délibérément sans méthode, mais aussi leur composition sociologique, et la nature de leur révolte. Contrairement à ce qu’affirment ceux qui sont dérangés par cette forme incongrue de rébellion (politiciens LR-PS-LREM, chroniqueurs, syndicats), il s’agit d’un mouvement majoritaire et soutenu à 70/80% par la nation. Opposer Paris et la province revient à opposer 12 millions à 55 millions de Français. À supposer que le grand Paris n’ait aucun problème socio-économique ce qui est le grand mensonge médiatique que l’on entend parfois. En outre c’est à une énorme sous-estimation du nombre des manifestants que le pouvoir s’est livré. S’il a reconnu au maximum 131 000 manifestants, qui peut croire, s’il est allé sur le terrain, la fable que dans chacun des 100 départements il n’y avait que 1300 participants en moyenne aux norias de Gilets jaunes qui se relayaient ou klaxonnaient sur les giratoires ? Comment peut-on fantasmer aussi une opposition entre des élites urbaines, connectées, mondialisées, métissées, et en même temps diffamer des ruraux, des beaufs, ou des chemises brunes ?
Nos élites scélérates
Ce mouvement est un très profond spasme de survie de gens qui travaillent, élèvent des enfants, n’arrivent plus à vivre de leur travail ou de leurs retraites, de leurs indemnités chômage. Ils le disent, ils le crient, mais ceux qui ont des oreilles n’entendent pas, ou les méprisent. Ceux qui ne s’occupent que de dette souveraine, d’euro, de déficit et d’ajustements budgétaires, de G7, d’émission monétaire, d’écarts entre des taux d’intérêts fixés par les créanciers, de Bruxelles et de projets doctrinaires d’hyperfédéralisation, sont déficients pour se demander ce qui reste en fin d’année sur les comptes des ménages ou en fin de mois dans les frigos. Se demandent-ils quel sera le Noël de ces 50 millions de Français ? Pourtant la baisse réelle du pouvoir d’achat a été mesurée : elle est constante depuis trente ans et a été évaluée à – 0,3% rien qu’en 2018…(INSEE). Les agriculteurs qui nourrissent le pays ne parviennent pas à vivre… Et se suicident par centaines. C’est la »périphérie » qui nourrit les »connectés-mondialisés ». Et eux, à quoi servent-ils ?
La sécession de la plèbe
La situation rappelle un épisode célèbre de l’histoire de Rome lorsque le peuple a fait grève et s’est retiré sur une colline (l’Aventin). L’élite patricienne, qui détenait le pouvoir politique, militaire et financier, fixait, seule, les lois, supposées sacrées et intangibles, et les appliquait à sa guise, s’est rapidement retrouvée isolée par son égoïsme, sa morgue, sa stupidité. Et sans plus rien à manger ou à boire. Ce fut la deuxième sécession de la plèbe (5e siècle avant JC) qui provoqua la démission des tyrans.
Qui a observé les ronds-points a vu la nation entière : Français de souche ou issus de l »immigration, hommes et femmes, jeunes, retraités, chômeurs, travailleurs pauvres, professions libérales, enseignants, soignants, artisans, commerçants, manuels, conducteurs, agriculteurs… Ces gens découvrent, en échangeant entre eux, que les grandes souffrances existentielles qu’ils gardaient pudiquement au fond de leur cœur sont communes à toutes les régions et à toutes les couches de la population. Et ils comprennent que les cyniques qui s’enrichissent, leur donnent des leçons, les punissent, leur mentent (taxe carburants, ISF, exilés fiscaux, CSG), tout en dissimulant des salaires indécents, qui atteignent de cinquante à cent fois le montant des minimas sociaux.
Ces Gilets qui ne veulent pas mourir
La revendication des Gilets jaunes est parfaitement cohérente et intelligente : ils veulent avoir de quoi vivre et pouvoir croire en l’avenir pour eux, leurs parents retraités, leurs enfants. Qui considérerait que c’est d’un catalogue de mesures du type de celles que quémandent les apparatchiks du syndicalisme commettrait un profond contresens. La quasi-totalité des grands intellectuels indépendants : philosophes, juristes, économistes, sociologues, géographes de ce pays, ont pris fait et cause pour les Gilets jaunes.
Avec ses drapeaux tricolores, ses Marseillaises répétées, la nation des ronds-points demande la liberté, la démocratie, la justice, la dignité. Tous unis, chrétiens ou non, croyants ou non, dans le besoin d’espoir et d’amour que véhicule Noël, les Gilets jaunes nous renvoient au mot de Jaurès : »La nation est le seul bien des pauvres ». Car c’est la nation seule qui est capable de solidarité. Et c’est d’elle même qu’en vient d’ailleurs la demande.
Une émeute ? Non, une demande de révolution!
C’est bien à un rejet absolu et résolu de l’ancien système politique, européen, économique, financier, mondial, social, fiscal, médiatique, que l’on assiste puisque c’est ce système qui a échoué et met en péril l’existence physique des Gilets jaunes et de ceux qui leur sont chers. En un mot, c’est une demande de Révolution. En 1788 les fédérations ont commencé leurs doléances. En 1789 on a pris la Bastille. En 1790 c’est la Fête de la Fédération, au Champ de Mars, une occasion, manquée. Puis le parti de l’étranger persuade le roi de lui obéir et de fuir; fusillade au champ de Mars : la Terreur pouvait commencer.
Il ne dépend que du pouvoir élyséen de tirer les conséquences des ronds-points et des péages – s’il en est capable – et de rendre au peuple le pouvoir souverain de choisir son destin. Sinon, on peut craindre le pire.
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