Municipales : la vague bleue n’a pas droitisé la France


Municipales : la vague bleue n’a pas droitisé la France

fn verts ump

La jeunesse emmerde le front républicain, chanteraient aujourd’hui les Béru en pensant à David Rachline, Julien Sanchez, ou Fabien Engelmann. Car les nouveaux maires frontistes de Fréjus, Beaucaire et Hayange ont à peine trente ans de moyenne d’âge, en bons représentants  de la génération Philippot. Parmi la dizaine d’édiles lepénistes élus hier soir, ces trois-là peuvent se targuer d’une longue implantation locale, par-delà leurs différents itinéraires : Rachline vient de la mouvance nationaliste-révolutionnaire, Sanchez du lepénisme version Jean-Marie et Engelmann de la CGT. S’il est encore bien trop tôt pour analyser en détails les données sociologiques de ces municipales, quelques précédents électoraux nous permettent de comprendre les ressorts du succès frontiste.

Primo, contrairement à une idée répandue, il n’existe pas de continuum socio-politique entre les nouveaux électeurs frontistes et les sympathisants UMP. Les rodomontades de la droite méridionale ne doivent pas nous faire oublier la différence d’intérêts entre le chômeur d’Hénin-Beaumont ou de Fréjus et la mémé niçoise lasse de se faire piquer son sac à main sur la promenade des Anglais. Avec un zeste de scientificité en plus, Christophe Guilluy et les autres spécialistes de la carte électorale française nous démontrent depuis déjà quelques années qu’un néo-électorat frontiste s’enracine durablement dans les zones rurales et périurbaines grandes perdantes de la mondialisation.

Secundo, un petit coup d’œil sur le plan de Paris confirme l’étroite corrélation entre abstention, vote FN et (trop rares) foyers populaires. Le Nouvel Obs a eu l’honnêteté de reconnaître que les derniers prolos parisiens ne votent plus à gauche. Ils s’abstiennent en masse, comme les 38.5% de Français inscrits sur les listes qui ont préféré aller à la pêche dimanche, sans parler des électeurs absents des registres électoraux… Pour le Front, Paris est un cas d’école : si Wallerand de Saint-Just, figure du barreau et de la droite nationale propre sur elle a su dépasser son ancrage bourgeois pour fédérer quelques voix populaires au premier tour, cela laissait augurer des lendemains qui chantent dans les villes moins rupines. Ainsi de Marseille, où Stéphane Ravier emporte un secteur de plus de 150 000 habitants, devenant de fait la plus importante commune gérée par le FN.

Vous m’avez compris, le populo, s’il en a ras la casquette, ne saurait être assimilé à un droitard impénitent, qui rêve de faire suer le burnous à des régiments de nécessiteux. Preuve en est, la drolatique tribune de Laurence Parisot dans Le Monde de ce week-end. L’ancienne présidente du  Medef joignait sa voix aux imprécations d’Olivier Py pour intimer au peuple de faire front… républicain. « Peu importe de voter à droite si l’on est à gauche ou à gauche si l’on est à droite. Souvenons-nous de la honte et de la peur du 21 avril 2002 au soir. Souvenons-nous des titres des journaux nationaux le lendemain : la France se réveillait avec la gueule de bois ; souvenons-nous de ce que la presse étrangère découvrait avec stupéfaction du pays des droits de l’homme. », lit-on dans cette magnifique défense et illustration de l’UMPS. Hélas, l’électeur rebelle n’a pas toujours entendu l’appel antifasciste patronal, confiant même sans ciller la mairie de Villers-Cotterêts (quel symbole !) au parti lepéniste.  Si j’étais complotiste, je jurerais que Parisot roule aujourd’hui pour le FN, en alliée objective d’un mouvement tribunicien qui poursuit les mêmes fins que ses rivaux : croissance, ordre et intégration républicaine pour tous, en jurant d’user de moyens un peu plus musclés. Mais non, Parisot mord sincèrement, les arrière-pensées électorales en moins, la conscience de classe en plus, là où NKM avait déjà frappé.

D’un électorat bobo l’autre, après le dénouement à leur profit du match NKM/Hidalgo, les Verts se la jouent gros bras de l’écologisme municipal et fer de lance de la lutte anti-FN. Que ceux qui croient encore en la radicalité autoproclamée d’EELV en rabattent un peu : non seulement les Verts excellent dans les centre-ville bourgeois, parisiens, lillois ou grenoblois, mais une fois élus, ils se font les parfaits télégraphistes de l’urbanisation et de la grande industrie. À Grenoble, il semblerait que tout change au profit des Verts pour que rien ne change, car le maire Eric Piolle a toutes les chances de développer nanotechnologies et partenariats industriels locaux, comme il l’annonçait entre les deux tours de l’élection.

Ah, je vois au moins une bonne raison de se réjouir du tsunami droitier d’hier soir. Après pareille soufflante, qu’il reste ou non à Matignon, Jean-Marc Ayrault consentira peut-être à renoncer au projet de grand aéroport nantais. Objecteurs de croissance, tempérez votre optimisme, l’ambitieux Valls pourrait envoyer la troupe dans le bocage s’il venait à prendre du galon. Dis Manuel, c’est encore loin Notre-Dame-des-Landes ?

*Photo : DUCLOUX/SIPA. 00679069_000021.



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