Mondial de football : l’équipe de France a fait oublier 2010


Mondial de football : l’équipe de France a fait oublier 2010

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Dans toutes ses affaires, des plus grandes aux plus insignifiantes, la France a le génie de l’excès: c’est affligeant ou c’est sublime, c’est rarement passe-partout. En quart de finale de la coupe du monde 2014, la France est néanmoins partie sur la pointe des pieds, comme elle était rentrée dans ce mondial, après un match ennuyeux contre une Allemagne à peine mieux inspirée. En lieu et place de la revanche historique, c’est une défaite concédée sur un coup de tête suivie d’une laborieuse confrontation entre deux équipes lessivées a été offerte au spectateur d’un Maracana surchauffé. Si l’équipe de France n’a pas tenu sa revanche, elle a obtenu du moins sa rédemption. A défaut d’effacer 1982, 2014 a fait oublier 2010, ce qui n’est pas rien.

L’humiliation de Knysna a certainement eu un retentissement aussi important dans l’histoire du football français que la victoire de 1998. Il fallait donc mettre en place une stratégie qui permette de faire oublier rapidement que le rêve de l’équipe « Black-blanc-beur » championne du monde s’était douze ans plus tard transformé en vaudeville sordide pour enfant gâtés du ballon rond, à tel point que tout le monde a poussé un grand soupir de soulagement quand les petits cadors boudeurs se sont faits sortir par l’Afrique du sud à l’issue du premier tour en 2010. Le supplice avait beau avoir pris fin, il a laissé des traces, difficiles à effacer. Le coup de boule de Zidane en finale de la coupe du monde 2006 avait été le point de départ d’une lente descente aux enfers qui semblait ne plus devoir prendre fin. Il aura donc fallu que deux anciens médaillés de 1998 viennent au chevet du grand corps malade de l’équipe de France pour lui redonner vie.

Qu’elle a été longue la convalescence de cette équipe de France avec laquelle il fallait repartir de moins que zéro! Laurent Blanc, qui a hérité de la difficile succession de Raymond Domenech, s’y est cassé les dents mais a eu le mérite de sortir la sélection nationale de l’ornière en l’emmenant jusqu’aux quarts de finale de l’Euro 2012 avec un groupe partiellement renouvelé. Il restait néanmoins beaucoup à faire pour Didier Deschamps qui prenait sa relève avec en point de mire la Coupe du monde 2014. Et puis, comme écrivait Péguy, il y eut des prodromes, des signes annonciateurs d’une thérapie réussie et d’une résurrection. Ce fut tout d’abord la qualification inespérée et ce 3-0 contre l’Ukraine que plus personne n’attendait en novembre 2013. Puis, un par un, tous ceux qui symbolisaient le désastre de 2010 sont rentrés en coulisse, laissant la place à une équipe plus jeune, plus inexpérimentée mais aussi plus prometteuse. Le principal responsable du psychodrame sud-africain, Nicolas Anelka, avait bien peu de chances de réintégrer l’équipe de France après l’épisode de Knysna. Il a pris finalement la décision de démarrer une seconde carrière de maître-quenellier sur les pelouses anglaises en décembre 2013, alors même que ses anciens coéquipiers relevaient la tête et qualifiaient in extremis la France face à l’Ukraine. Anelka définitivement écarté et Ribéry victime d’une providentielle blessure, c’était donc le spectre funeste de 2010 qui cessait quelque peu de planer sur la nouvelle équipe de France. Il ne restait plus à Didier Deschamps qu’à redonner à cette équipe une personnalité un peu plus en accord avec ce que pouvaient en attendre ses supporters. On a pu voir clairement que l’éviction de l’ordurier Samir Nasri obéissait à cette logique: valoriser l’esprit de groupe et la retenue, fût-ce au détriment de la performance individuelle. Nasri pouvait toujours se consoler en organisant des concours d’injures avec sa rombière qui semblait aussi bien se débrouiller que lui dans ce registre. Restait à Didier Deschamps à peaufiner la communication des Bleus, cru 2014, et, en la matière, il a su se montrer aussi efficace que ses joueurs sur le terrain, employant quelques artifices rhétoriques éprouvés.

Les Antiques et les Humanistes de la Renaissance ont développé un certain nombre de figures de style que le football s’est fait fort de réemployer avec parfois plus ou moins de bonheur. Les commentateurs ont ainsi fréquemment recours à l’hypotypose rhétorique, dont l’efficacité repose sur « un artifice de représentation de l’idée »[1. Bernard Dupriez. Gradus, les procédés littéraires. Editions 10/18. 2003. p. 240.], une invention visuelle propre à mettre les faits sous les yeux du spectateur en employant le pathos plutôt que l’argumentation[2. Ainsi que dans le sac de Troie décrit par Virgile dans L’Enéide, livre II.]. Passé maître dans ce type de rhétorique, Thierry Roland a imposé des figures de style devenues des classiques que les écoliers de France sont appelés à apprendre par cœur durant encore quelques générations. Ainsi :

 

Il a été fauché,

Comme un lapin

En plein vol,[3. Thierry Roland. Goal volant et austres creastures estraordinaires. Editions Fabula. Paris, Saint-Germain. 1982.]

Ou encore le merveilleux :

 

Le ballon est allé

dans le zig

Et lui est allé

dans le zag,[4. Thiery Roland. J’ai ! J’ai ! Editions Maillot. 1978.]

 

Seul rescapé de la coupe du monde de 2010, Patrice Evra n’est, semble-t-il, pas resté traumatisé par l’événement et cultive, quant à lui, un style rhétorique plus épidictique, c’est-à-dire usant avec force de l’éloge ou du blâme pour frapper l’esprit de l’auditoire. Interrogé lors d’une conférence de presse du Mondial 2014 sur sa responsabilité dans le fiasco de 2010, l’ancien capitaine des Bleus a coupé court à toute critique en employant un fort bel artifice, répondant à ses détracteurs :

 

Je m’aime tout le temps

Le Pat de 2010 et de 2014

Je les kiffe tous les deux[5. Patrice Evra. Le panégéryque du Moi. Editions du Narcisse. 2014.],

 

Laissant Patrice Evra à son éloge et abandonnant Samir Nasri à Juvénal, Didier Deschamps s’est employé lui aussi à travailler la rhétorique épidictique, allant plutôt, cependant, dans le sens du blâme que celui de l’éloge, comme quelques joueurs trop turbulents ont pu rapidement en faire l’expérience. Il faut dire que les entraîneurs de football sont sans doute les plus rodés en la matière, habitués qu’ils sont à être portés au pinacle un jour et voués aux gémonies le lendemain, souvent avec quelques raisons, comme ce fut le cas avec l’étrange Raymond Domenech.

On a donc vu Didier Deschamps s’acharner à faire renaître, par la magie de la rhétorique, des vertus depuis bien longtemps oubliées en équipe de France, telles que l’humilité et l’esprit d’équipe, en sanctionnant avec douceur les poussées d’infantilisme, en coupant court aux caprices de starlettes et surtout en n’hésitant pas à en rajouter systématiquement et en toute occasion une couche dans la célébration du collectif. En aucun cas il ne s’agissait de sortir du Mondial 2014 comme de celui de 2010, accompagné des mots de Quintilien : « Il me semblait voir les uns entrer, les autres sortir, certains que les beuveries de la veille faisaient bâiller. Le sol était sale, gluant de vin, jonché de couronnes à demi fanées et d’arrêtes de poissons » À force d’accolade démonstratives, d’embrassades répétées et de sages déclarations, il a fini par advenir ce à quoi l’on ne croyait plus : la France s’est vue dotée d’une véritable équipe. Pas seulement un agrégat improbable de grands gamins infatués et caractériels, non ! Une véritable équipe de football avec des vrais morceaux de joueurs dedans qui se passent la balle intelligemment et disputent de véritables matchs !

Un mélange d’humilité étudiée et d’entêtement bien renseigné, voilà ce que fut la rhétorique à la Deschamps: une excusatio propter infirmitatem ou figure de la « modestie affectée » qui vise à construire un ethos empreint d’une modestie de bon aloi. Reste à savoir si cette stratégie de communication efficace ne se révélera sur la durée n’être qu’une stratégie. Les grandes messes footballistiques ont ceci d’intéressants qu’elles révèlent en partie les évolutions des sociétés. Le spectacle offert en 2010 était affligeant, celui de 2014 encore préoccupant. L’équipe de France s’est au moins montrée un peu plus digne mais les laissés pour compte comme Ribéry ou Nasri ont démontré, même hors compétition, qu’ils étaient encore capables de faire parler d’eux de la manière la plus détestable. Souhaitons qu’ils ne reviennent tout simplement jamais et aillent cultiver leur rhétorique égotique sur d’autres terrains de jeux, ce serait la plus belle victoire de cette Coupe du monde pour la France.

*Photo : Ben Queenborough/BPI/RE/REX/SIPA. REX40329310_000135. 



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