Michael Lonsdale: un homme et un Dieu


Michael Lonsdale: un homme et un Dieu

Michael Lonsdale Padre Pio Renouveau charismatique

Pour l’adaptation en français de la mini-série italienne Padre Pio, vous doublez la voix du vieux saint qui, la veille de sa mort, raconte sa vie à un visiteur envoyé par l’Église. Ça ne doit pas être évident pour un acteur de s’adapter à l’interprétation d’un autre…

Michael Lonsdale : Non, d’ailleurs, je ne le fais presque jamais. Mais pour Padre Pio je ne pouvais pas laisser passer l’occasion ! Il fallait donc que je suive le mouvement des lèvres et que je reconstitue les expressions de Sergio Castellitto, l’acteur italien… Mais si vous me demandez comment j’aurais joué moi-même Padre Pio, la réponse est que je n’en sais rien ! Tout mon travail de comédien est basé sur l’improvisation, je mets des oreillettes et on m’envoie le texte, comme je l’ai fait pour le dernier film du réalisateur portugais Manoel de Oliveira, Gebo et l’ombre. C’est très chouette, pas besoin de mémoriser. J’apprends de moins en moins par cœur. Et puis on ne sait jamais d’avance comment on va jouer, sauf avec certains metteurs en scène très exigeants, comme Spielberg : sur le tournage de Munich, il avait une idée très précise du caractère du vieux mafieux que j’incarnais.

Pourquoi avez-vous accepté de faire une exception pour Padre Pio ? Seriez-vous particulièrement sensible au culte des saints, à leur charisme particulier ?

Oui, et particulièrement à celui de Padre Pio, qui guérissait les gens et envoyait promener le diable. Il y a une très belle scène où il approche sa main de la tête d’une jeune femme folle et déclare : « Va-t-en, laisse cette personne ! » Elle s’arrête alors de gigoter, et ça y est, le démon est parti. Je suis très charismatique, je vais à Paray-le-Monial tous les étés et j’y ai assisté à beaucoup de guérisons.[access capability= »lire_inedits »]

Y a-t-il quelque chose de commun, selon vous, entre le charisme des saints et celui des comédiens ?

Les saints ont une mission : être le vecteur d’une guérison. Nous, les comédiens, devons être le vecteur d’un caractère, d’une situation, d’un rôle… C’est autre chose, on soigne aussi, mais on se soigne soi-même !

Est-ce pour vous soigner que vous êtes devenu comédien ?

Je me suis souvent posé la question. Pendant la guerre, quand les Américains ont débarqué au Maroc, il y avait un cinéma pour les officiers, ouvert tout l’après-midi. Et, comme je n’allais pas à l’école, ils ont dit à mes parents : « S’il aime le cinéma, il peut venir ! » J’y allais tous les jours, je voyais tous les grands films, c’était en 1942…

…comme dans Casablanca !

Oui, enfin ça ne se passait pas du tout comme dans le film. J’étais fou, je rêvais, j’étais fasciné par les acteurs. Mais il n’y avait pas grand-chose au Maroc, et je ne suis devenu comédien qu’une fois arrivé en France. J’ai mis longtemps à oser. Finalement, alors que j’étais en train de me convertir, mon père spirituel, un dominicain qui m’a baptisé à l’âge de 22 ans, m’a envoyé voir le père Carré, l’aumônier des artistes. Celui-ci m’a recommandé à Mme Tania Balachova, le meilleur professeur de théâtre à l’époque. Il avait vu juste. En bonne pédagogue qu’elle était, elle a compris qu’avec moi, seule la menace fonctionnerait : un jour, elle m’a menacé devant tout le monde de me renvoyer si je ne me donnais pas totalement. J’ai eu très peur et, quelques semaines après, quand elle a créé un cours d’improvisation, j’ai commencé à me donner vraiment.

Vos débuts de comédien correspondent donc à votre conversion. Pourtant, au début des années 1950, la mode était plutôt à la révolution en général et au marxisme en particulier. Être croyant dans le monde du théâtre et du cinéma, ce n’est pas trop la croix et la bannière, si j’ose dire ?

Dans nos cours, on se passionnait trop pour le théâtre pour s’occuper de politique. La situation a changé après 1968. Il y avait toujours beaucoup de croyants parmi les acteurs – Claude Rich, Michel Serrault, Catherine Salviat, Jacques Dufilho… – mais ils restaient discrets sur le sujet car beaucoup de choses intéressantes venaient des réalisateurs de gauche, et ceux-là n’aimaient pas la religion. À partir des années 1980 et de la découverte du Goulag, beaucoup d’artistes se sont engagés dans la lutte anti-totalitaire. Moi, je n’ai découvert le Renouveau charismatique qu’en 1987.

C’est sans doute une chance pour vous, car si vous aviez été « repéré » comme croyant, on ne vous aurait sans doute pas offert d’aussi beaux rôles…

Oui, surtout que j’avais en prime le handicap de mes origines. Tania Balachova disait que j’étais moitié anglais, moitié français, et moitié belge-et-suisse et que, pour cette raison, je ne ferais pas grand-chose avant 30 ans. Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire, mais elle m’a donné un conseil : « Ne faites pas le difficile, prenez tout ce qui viendra, il faut vous habituer à la caméra, à l’ambiance d’un tournage. » Elle a eu raison ! J’ai fait des petits films et je suis tout de suite tombé sur des gens intéressants, comme Marcel Hanoun. Puis j’ai rencontré Jean-Marie Serreau, et j’ai commencé mon cheminement vers Beckett, Ionesco, Duras… Mais ce que j’appréciais dans ce métier, c’était d’incarner des personnages inédits. Le répertoire m’intéresse peu. On m’a proposé d’entrer à la Comédie-Française. Il y a des gens formidables, c’est très bien joué, mais pourquoi serais-je allé jouer un Tartuffe de plus ?

Est-ce dans votre entourage familial que vous avez pris goût à la comédie, donc au travestissement ?

En tout cas, ça vient de très loin… Je suis un enfant naturel qui a été caché à la naissance. Ma mère était partie avec un homme qui n’était pas son mari, ce qui a provoqué un drame dans la famille française. Mon grand-père, qui était lui-même un enfant naturel, devait ignorer mon existence. Mais les bébés perçoivent tout et enregistrent tout. Un jour, mon père spirituel, le dominicain dont je vous ai parlé qui m’a orienté vers le théâtre, m’a dit cette phrase : « Vous ferez en public des confidences que vous ne pouvez pas faire en personne dans la vie. » C’est bien plus tard que j’ai compris ce qu’il voulait dire.

Ces dernières années, vous avez ajouté à votre collection de grands auteurs et metteurs en scène des figures comme Sœur Emmanuelle, Thérèse de Lisieux et saint François…

Laissez-moi vous raconter ma rencontre avec Thérèse de Lisieux. Un jour, à Paris, une femme assez ronde m’a abordé et m’a dit : « Je suis protestante, mais je voudrais être catholique. Voulez-vous être mon parrain ? » J’ai accepté et, pour me remercier, elle m’a offert un gros livre de sœur Thérèse qui rassemble des textes, des chansons, des pièces de théâtre. Il y avait une photo qui m’a particulièrement frappé : celle de Thérèse assise, habillée en Jeanne d’Arc. Elle était déjà au couvent à cette époque, mais elle a joué plusieurs pièces. Cette photo m’a touché à un moment très particulier de ma vie, alors que je venais de perdre ma mère. Elle était tombée malade quand j’avais 40 ans. C’était très dur, elle ne pouvait ni parler ni rien faire, mais je l’ai gardée à la maison. Je gagnais bien ma vie, avec les grands films comme James Bond et d’autres. Je ne me voyais pas l’envoyer à l’hôpital. Pendant onze ans, j’ai pu payer des infirmières, et quand elle est partie je me suis occupé de sa sœur qui habitait chez nous. Une merveille d’amour et de gentillesse, j’étais son enfant à elle aussi. Deux ans après, elle est partie aussi et je me suis retrouvé seul… C’est alors que j’ai lu le livre de Thérèse et que je suis tombé sur cette photo où elle fixe l’objectif sans essayer de « faire la sainte ».

Et vous avez trouvé le réconfort dans ce regard ?

C’est plus surprenant que ça. J’ai adressé une prière au Seigneur en expliquant que j’étais à sa disposition. On a alors sonné à la porte : c’était mon parrain qui me faisait une visite-surprise. Il a vu que j’allais mal – j’étais au bord des larmes – et m’a proposé de participer à une réunion à l’église Saint-François-Xavier : des gens qui chantent, prient les uns pour les autres, lisent à haute voix des textes de la Bible choisis au hasard… Quand nous sommes arrivés, la soirée avait commencé et ils chantaient tous en langues, c’est-à-dire sans prononcer de paroles précises. J’ai été pris d’une émotion incroyable, c’était comme une musique céleste. Il y avait aussi des groupes de prière. J’ai complètement plongé dedans, c’était formidable. Je suis né le jour de la Pentecôte, alors l’Esprit saint… ! Au bout de deux semaines, un prêtre est venu me chercher : « J’organise une grande semaine à Paray-le-Monial avec de la danse, du piano…, je t’invite à venir. » Je lui ai dit que je ne savais rien faire. On ne te demande pas de faire, mais de venir, m’a-t-il répondu. J’y suis allé et j’ai découvert une foule incroyable, des témoignages merveilleux. C’était très fort. Sœur Emmanuelle passait, Mère Teresa… J’ai complètement plongé, même si je ne suis pas devenu membre, par manque de temps. J’ai ensuite monté un spectacle sur saint François d’Assise, un autre sur la Petite Thérèse et encore un autre sur saint Bernard de Clairvaux, avec 120 personnes ! On l’a joué tous les étés pendant cinq ans, j’étais heureux comme tout. Plus tard, il y a encore eu un spectacle sur Sœur Emmanuelle.

Qu’avez-vous appris sur vous et sur l’homme en jouant tant de rôles différents depuis soixante ans ?

J’ai appris que « je » est un autre. À travers ces personnages que l’on emprunte, on se soigne, mais on apprend aussi beaucoup sur ce qu’est le frère. On comprend la phrase, si difficile à mettre en pratique : « Aimez-vous les uns les autres. » J’ai beaucoup réfléchi et j’ai compris que chaque être humain était une espèce de pièce unique, dans laquelle Dieu est présent, même si on ne fait pas appel à lui. Chaque être est une création de Dieu. J’ai appris à considérer avec beaucoup d’amour et de soin tous les humains, quels qu’ils soient. J’ai appris à aider et surtout à ne pas juger. Il y a des gens bien partout. Il faut pactiser avec les autres croyants, comme les bouddhistes que j’ai rencontrés, ou les musulmans consternés par ce qui se passe actuellement.

Et que se passe-t-il avec l’islam, selon vous ?

Beaucoup pensent qu’une nouvelle invasion musulmane se prépare, comme aux VIIe et VIIIe siècles, quand les musulmans ont envahi l’Afrique du Nord et l’Espagne, où ils sont restés près de huit cents ans. Il y a très longtemps, un musulman m’a dit : « Poitiers est une ville musulmane, puisqu’on l’a occupée. » Ce qui est triste, c’est que le pétrole est concentré dans ce coin précis du monde où des milliardaires qui ne savent pas quoi faire de leur argent financent des groupes qui tuent des vieux, des enfants… En travaillant à Mantes-la-Jolie, j’ai découvert que dans certains quartiers il y a plus d’Africains que de Français ! Alors ils s’énervent un peu, demandent des mosquées, il paraît même que certains voudraient supprimer les croix des pharmacies ! Ce n’est pas la guerre, mais la guéguerre…[/access]

*Photo : BERNARD BISSON/JDD/SIPA/1408241506

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Mai 2015 #24

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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