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Mexique: le sous-commandant Marcos n’est pas mort


Mexique: le sous-commandant Marcos n’est pas mort
Marcos en 1995. Sipa. Numéro de reportage : 00271959_000006.
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Marcos en 1995. Sipa. Numéro de reportage : 00271959_000006.

Souvenez-vous : il y a vingt ans, les Indiens du Chiapas se soulevaient, protestant contre la politique du gouvernement mexicain à leur égard. Le monde découvrait alors la région la plus délaissée du Mexique et cette étrange silhouette au visage cagoulé, pipe constamment à la bouche même en trottant à cheval se faisant appeler sous-commandant Marcos, surnom composé des premières lettres de six communes du Chiapas.

 Un guérilléro très fréquentable

Dans les années 1990, de Régis Debray -qui vit en lui l’une des meilleures plumes d’Amérique latine- à Danielle Mitterrand, en passant par Alain Touraine, toute l’intelligentsia de la gauche française -gauche caviar diront les sceptiques- succombe au charme de ce sympathique rebelle, sorte de Che Guevara des temps modernes, grand orateur sachant aussi bien écrire que mener son cheval sur les hauteurs des montagnes hostiles du Chiapas, et sans doute aussi manier un AK 47, il est vrai que personne ne semble s’être trop penché sur ce dernier point.  Cette figure nouvelle, qui à travers le seul fait d’exister a alerté l’opinion publique sur les discriminations dont sont victimes ces Indiens –descendants des Mayas- de la part du gouvernement mexicain, contraint ce dernier à négocier en 1994 avec l’EZLN (Ejército zapatisto de liberación nacional), à ne pas confondre avec l’ELN colombien.  Suite à deux ans de négociations, les accords de San Andrés reconnaissent la culture des indigènes –on les appelle ainsi au Mexique- et leur droit à l’autogestion.

Quand je me trouvais au Chiapas il y a deux ans, le guide, indien du cru qui avait rencontré Marcos une fois –sans sa cagoule précisa-t-il- et qui semblait encore remué de cette rencontre rien qu’à l´évoquer expliqua que si les habitants du Chiapas étaient pauvres –ce qui était visible à l’œil nu, nul besoin de grandes enquêtes sociologiques pour s’en rendre compte- ils l’étaient deux fois plus avant que l’EZLN et son sous-commandant au passe-montagne ne décidassent de secouer le gouvernement du PRI, « Parti révolutionnaire institutionnel » à la tête du Mexique depuis plus de soixante-dix ans. Rien de surprenant à ce que Marcos soit très aimé non seulement au Chiapas, où il n’a jamais proposé de toucher aux coutumes locales -si étranges ou répugnantes puissent-elle sembler, comme le fait d’acheter sa femme au sens littéral par exemple, ce qu´avait fait le guide- mais aussi dans le reste du Mexique, et ceci bien que la population n’ait que peu d’attrait pour les théories socialistes.

De Marcos à Galeano

Vingt ans après, la lutte s’est considérablement affaiblie. L’EZLN, qui n’a jamais eu comme but de changer toute la société mexicaine ni de s’emparer du pouvoir considère les accords de San Andrés comme une victoire ; les pessimistes, les déçus de l’EZLN ou ceux qui s’y opposent estiment quant à eux que le travail a été bâclé. Pour l’EZLN, le sous-commandant Marcos n’a jamais été qu’une « marionnette » (selon leurs mots) qui, par son charisme, le mystère sur son identité véritable soigneusement entretenu –et ceci malgré que son prénom et son nom aient été divulgués publiquement dès 1995 par Ernesto Zedillo, le président mexicain de l’époque- et le fait de ne pas être indigène, devaient permettre  de faire connaître le Chiapas, ne serait-ce que de nom au reste du monde. C’est ce qui s’est passé : la charmante cité de San Cristobal de las Casas a vu affluer des touristes du monde entier, et tandis qu’on y trouve des T-Shirt ou autre produits pour les aficionados de l’EZLN et du sous-commandant, les restaurants s’y sont multipliés. Mais quant à savoir si ce nouveau commerce profite réellement aux Indiens, le doute est permis.

Après être devenu célèbre, Marcos aurait pu reprendre son métier d’enseignant de fac ou plus sexy, se reconvertir en rock star, ou bien, plus obscur mais plausible, s’enrichir et prendre du ventre sur le bon dos du peuple tout en l’abreuvant de grands discours façon Fidel Castro. Il n’en a rien été. Après s’être retiré de la direction de l’EZLN pour prendre le pseudonyme de Galeano, puis avoir déclaré dans un discours être prêt à tenter de faire la lumière sur le sort des 43 étudiants « disparus » il y a  deux ans au Mexique si leurs familles le souhaitaient, il s’est mis à soutenir les grèves d’enseignants se plaignant de leurs conditions de travail à Oaxaca et au Chiapas, et leur a envoyé au début du mois dix tonnes de vivres, un acte évidemment symbolique et pas fondamentalement utile je vous le concède. Reste qu’à l’approche de la soixantaine, Marcos –Galeano pardon- n’est jamais redescendu de ses montagnes, porte toujours sa cagoule (dont on se demande bien en quoi est-elle faite pour qu’il supporte ainsi  l’excessive chaleur humide du Chiapas), n’a visiblement pas cessé la pipe et ne semble pas avoir trahi ses idéaux.

Serais-je en train de vous dresser le portrait complaisant d’un terroriste ? L’EZLN n’est certes pas un mouvement non-violent. L’organisation estime qu’il est des fois nécessaire d’utiliser la force si la voie diplomatique ne parvient pas à ses fins -ou si on vous tire dessus- et bien qu’il les ait peu utilisées, il détient des « armes aspirant à être inutiles » selon ses mots, dont il serait intéressant de connaître la provenance. Marcos a-t-il déjà assassiné des gens ? Il est possible que dans le feu de l’action –le soulèvement indigène de janvier 1994 notamment, qui fit plus de 200 morts- il ait tiré sur quelqu´un. Mais le guide était formel : si l´EZLN vint parler aux villageois du Chiapas pour leur proposer de combattre avec eux, il n´en a jamais forcé un seul à les rejoindre.  À mon humble avis, je ne vous ai pas fait l´éloge d’un terroriste. Tout au plus celle d´un « bolchevique » du pays des Mayas.



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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