Accueil Monde Merkel, super Mario et les gnomes de Karlsruhe

Merkel, super Mario et les gnomes de Karlsruhe


Merkel, super Mario et les gnomes de Karlsruhe

Angela Merkel affronte Mario Draghi, gouverneur de la BCE

Les seize juges du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, la cour suprême allemande, se trouvent dans la situation d’un empereur romain à l’issue d’un combat de gladiateur. Ils ont entre les mains la vie ou la mort du traité budgétaire européen, et par conséquent le destin de l’euro. Ils doivent en effet se prononcer mercredi 12 septembre sur la compatibilité de ce traité avec la Loi fondamentale de la République fédérale. Pouce en haut, et la chancelière Angela Merkel le fait ratifier sur le champ par le Bundestag, où elle dispose d’une large majorité en sa faveur. Pouce en bas, et c’est le retour à la case départ, c’est-à-dire à la panique provoquée par la spéculation contre les maillons faibles de la zone euro, Grèce, Portugal, Espagne, Italie. S’ils n’obéissaient qu’à leur intime conviction, la majorité de ces juges suprêmes enverraient au diable ce traité qui va à l’encontre des principes posés dans leur fameux jugement du 30 mai 2009 concernant le Traité de Lisbonne. Celui-ci stipulait qu’en raison de l’inexistence d’un peuple européen[1. Pour ces juges, faute de peuple européen, le Parlement de Strasbourg n’a pas de vraie légitimité politique. Celle-ci émane des populations des Etats, donc des Etats.] contrôlant démocratiquement les institutions de Bruxelles, toutes les décisions de ces dernières devaient recevoir l’approbation du Bundestag.

De plus, tout nouveau transfert de souveraineté devrait faire l’objet d’un référendum. Sur les gradins du cirque, le public, debout et vociférant, ne cache pas sa préférence : pouce en bas ! Et que les dépensiers de l’Europe ensoleillée ôtent leurs pattes du magot germanique ! La plèbe d’outre Rhin est d’autant plus furieuse qu’elle à l’impression d’avoir été victime d’une escroquerie diabolique conçue par le très rusé président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi. En effet, si la décision de ce dernier de racheter, sur le marché secondaire, sans limitation de montant, les bons d’Etat émis par les pays de la zone euro en difficulté ne transgresse pas la lettre des statuts de la BCE, elle en bouscule largement l’esprit. Pour sacrifier son deutschemark adoré, l’Allemagne avait en effet exigé que la BCE ne pourrait en aucun cas faire marcher la planche à billets pour tirer un Etat de la zone euro d’une mauvaise passe financière. Avec le tour de passe-passe de Draghi (on n’achète pas de la dette directement aux Etats, mais aux banques et aux investisseurs privés), le contribuable allemand a la désagréable impression de s’être fait gruger dans une partie de bonneteau napolitain.

Et pourtant, il est fort peu probable que les gnomes de Karlsruhe prennent sur eux la lourde responsabilité de porter un coup fatal à l’euro en retoquant le traité budgétaire. Ces juristes sont également des citoyens, qui savent évaluer jusqu’où l’application stricte du droit ne peut pas aller : la mise en danger grave de l’intérêt national allemand. Or cet intérêt, à court terme, implique la survie de l’euro. Supposons en effet que la monnaie européenne explose : l’Allemagne, peut-être accompagnée de quelques pays « vertueux », se doterait d’une nouvelle monnaie, deutschemark rétabli ou « eurofort ». Cette devise deviendrait dans la seconde un aimant pour tous les investisseurs recherchant la sécurité, à l’image du franc suisse[2. La banque centrale helvétique est contrainte d’intervenir régulièrement sur le marché des changes en achetant massivement de l’euro, pour éviter que le CHF n’atteigne des sommets stratosphériques.]. La compétitivité des produits allemands à l’exportation s’en trouverait altérée, et la faiblesse des autres monnaies européennes diminuerait considérablement les achats de produits d’outre-Rhin. Les pays dits émergents ne se sont pas encore substitués aux pays de la vieille Europe pour faire tourner à plein régime la machine allemande. En attendant, donc, il faut bien s’accommoder de l’euro tout en préservant un avenir qui pourrait tout à fait s’en passer.

L’intérêt de l’Allemagne, dans les prochains mois, c’est de desserrer le nœud coulant qui étrangle les pays en difficulté juste ce qu’il faut pour qu’ils ne soient pas totalement asphyxiés, mais pas plus. La situation actuelle convient tout à fait à Berlin : le taux de change de l’euro est compatible avec la compétitivité des entreprises allemandes, et ces dernières peuvent se financer à des taux défiant toute concurrence, car les investisseurs prêtent à l’Allemagne à un taux négatif. Le projet d’union politique européenne, que Mme Merkel s’apprête à mettre sur la table dans les prochaines semaines se limitera probablement à un comité de surveillance budgétaire, assorti du renforcement des compétences de la Cour européenne de justice pour punir les contrevenants. Tout autre bond en avant fédéraliste se verrait censuré par Karlsruhe, et l’issue d’un référendum sur cette question est loin d’être assurée pour les partisans allemands de l’Europe fédérale.

Donc, ces juges, qui sont aussi des épargnants, vont sans doute donner au traité budgétaire non pas un feu vert, mais un feu orange : tout engagement financier nouveau de l’Allemagne en faveur de ses partenaires devra être approuvé par le Bundestag à l’euro près.
Et pendant ce temps, Angela Merkel se frotte les mains. Super Mario de Francfort est devenu le punching ball de la presse : on l’accuse de vouloir faire de l’euro une nouvelle lire italienne, l’horreur absolue…La popularité de la chancelière, toujours grande, n’est pas affectée par les concessions qu’elle a dû faire à ses partenaires de l’UE, qui ont mis Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, au bord de la crise de nerfs. Lorsqu’il va falloir élire un nouveau Bundestag, à l’automne 2013, les europhobes allemands, dont la CSU bavaroise est le représentant le plus bruyant, n’iront pas chez les sociaux-démocrates, ni chez les Verts trop « bruxellois » à leur goût. Pour peu qu’Angela Merkel réussisse à soumettre les pays en crise à une discipline prussienne dans la gestion de leurs dépenses publiques, elle sera le seul choix possible pour tous ces Allemands nostalgiques du deutschemark. Bien joué, gnädige Frau !

*Photo : European Council



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Iran : entre la bombe et le bombardement
Article suivant Big Barroso te regarde

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération