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Merkel, le goût amer du Saint empire

À la tête de l'Allemagne pendant 16 ans, Merkel a reçu la Grand’Croix de la légion d’honneur


Merkel, le goût amer du Saint empire
Angela Merkel, Bruxelles, le 22 octobre 2021 © Alexey Vitvitsky/SPUTNIK/SIPA Numéro de reportage : 01045269_000013

Que d’honneurs pour le départ d’Angela Merkel ! Que de doux mots pour une chancelière qui a toujours fait passer les intérêts allemands en priorité, naturellement. La France ne ferait-elle pas mieux d’en faire autant ?


Le sommet européen du 22 octobre 2021 marquera pour la postérité, l’insolente domination allemande sur les ternes institutions européennes. En effet, après de longues heures de négociation sur des questions fondamentales comme l’énergie, la crise institutionnelle ouverte avec la Pologne et la crise migratoire, Angela Merkel s’est vue ovationnée par ses pairs. Drapé dans les oripeaux modernes de ces sommets internationaux, entre moquettes tristes et parquets sans âmes, le falot président du Conseil Charles Michel s’est empressé de tresser les lauriers à la chancelière et à sa mise convenable. Une Allemagne faussement humble, « une machine à compromis » selon le mot historique de Xavier Bettel, le Premier ministre du Luxembourg, « un monument » a renchéri Michel sous les applaudissements de la foule des nouveaux féodaux venus saluer une dernière fois l’impératrice Angela ! En veine de bons mots, le Premier ministre belge s’est lancé dans une comparaison hasardeuse en osant dire que «  sans Angela, c’est Rome sans le Vatican, Paris sans la tour Eiffel » … avant de sortir une vidéo où l’ancien président américain Barack Obama trousse quelques compliments à la chancelière. On se gardera de persifler sur cette séquence où l’on ne peut que constater où va la loyauté de l’Allemagne et de l’Union européenne… On ne brocardera pas non plus, par pitié envers Charles Michel, cette utilisation sirupeuse de l’image de M. Obama dont on sait le grand intérêt qu’il porte à l’Europe… 

Un drôle de pot de départ

Je préfère m’attarder sur la photographie de groupe. Légèrement en retrait mais très visible avec sa veste jaune paille dans la forêt de costumes sombres de ses homologues, la chancelière avait tout d’une impératrice du Saint-empire goûtant son sacre électif par de gros bourgmestres. L’espace d’un instant, dans cette triste cité administrative qu’est devenue Bruxelles, on se serait cru revenu au temps du Saint empire germanique et de ses princes électeurs venus de Trêves, de Souabe ou de Bade, pour se comparer, discuter mais surtout embrasser le chausson doré des Habsbourg. On rira de cette comparaison, on m’objectera que c’est une simple ovation administrative, banale, de la même eau que celle qu’on offre à nos Gisèle, comptables de l’entreprise depuis 20 piges et qui s’apprêtent à prendre leur retraite après le pot réglementaire et la remise du cadeau de la boîte, un mug putassier sur lequel on a inscrit à la va-vite « Gisèle on t’aime », « la retraite on kiffe », « tes collègues qui t’aiment ». Peut-être… Il y avait beaucoup de cela, surtout dans la bouche des frugaux. Vous savez le pote hollandais qui se goinfre de directives sur le dos des Grecs ou des Français, ou le riche Danois qui vient faire le pique assiette sans dépenser un fifrelin. 

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On dira que je suis un « haineux », face à l’Europe, cette belle patrie de glace et de vent, et surtout « envieux » envers les Allemands si rigoureux et si clairvoyants qui ont eu cette suprême intelligence de porter sans discontinuer à la magistrature suprême de leur pays le même exécutif. On aura tort. J’admire réellement le tour de force de l’Allemagne qui au gré de ses alliances et surtout de son positionnement géographique a fait oublier la brutalité de son histoire récente et s’est muée en champion de l’équilibre et du compromis, dixit le même Charles Michel, genou en terre. J’admire ce tour de force parce qu’en fait on n’applaudissait pas ce 22 octobre 2021 la seule Mme Angela Merkel, la tacticienne politique habile, la chancelière avisée. On applaudissait Gustav Stresemann, vous savez cet autre chancelier qui pris les accents de l’humanisme sirupeux face à Aristide Briand quand dans le dos et dans d’obscures alcôves, ses mains travaillaient à un réarmement complet de son pays. J’admire ces applaudissements plus que tout car devant nos yeux enamourés pour Angela se joue un spasme de l’histoire. Ce spasme, c’est le double langage allemand. Cette faculté à gémir de douleur et à demander grâce quand on est faible (Stresemann dans l’entre deux guerres, Adenauer et Willy Brandt après guerre) et à parler haut quand on est fort. Derrière les faux airs gentiment bourgeois de Mme Merkel se cache cette duplicité. Duplicité sur le couple franco-allemand quand on ne rêve que de coucheries avec les États-Unis, gémissement sur les droits de l’homme et petit tripot sur l’immigration avec Erdogan. Je ne parle même pas de la maladie chronique du tiroir caisse et de l’adoration inconditionnelle du Deutsche Mark, pardon de l’Euro. Un amour de l’argent comme seules les nations n’ayant jamais payé les réparations de leur avanie peuvent se prévaloir sans sombrer dans la honte. J’admire donc ce tour de force et ce visage si humble et si doux de Sainte Angela. Mais il semble que cette rouerie de la politique étrangère allemande soit goûtée avec délices par sa toute première victime, la France. 

Merkel décorée par Macron de la Grand’Croix de la légion d’honneur 

La chancellière allemande reçoit la Grand’Croix de la légion d’honneur, Beaune (21), 4 novembre 2021 © Philippe Desmazes/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22621766_000002

Qu’avait-on besoin de lui ceindre la Grand’Croix de la légion d’honneur ? Il y avait dans cette douce orgie de Beaune quelque chose d’intemporel. Il m’est revenu en mémoire la chevrotante voix d’Aristide Briand déclamer en 1929 avec emphase à la tribune de la Société des nations : « Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l’arbitrage, à la paix! ». On connaît la suite mais il semble que la France, en tout cas ses dirigeants les plus en vus, persistent dans la même naïveté… Les adieux d’Angela et sa tournée d’Europe, en France en particulier, ont ainsi souligné avec force la stature contemporaine de l’Allemagne, première puissance d’Europe. Merkel nous quittant, ce sont aussi les 20 dernières années où l’Union européenne s’est cru indépassable. Authentique prison des peuples, gardienne de l’austérité derrière un paravent de fausses richesses, surtout pour les pays du sud, cette Europe c’était en fin de compte celle d’Angela, sainte patronne d’une partie de l’élite dirigeante française qui, reprenant les accents briandistes entend toujours sauver la France en construisant l’Europe… allemande. Cette Europe du Saint Empire contre laquelle s’est pourtant toujours dressée la France capétienne, championne de la liberté des peuples. 

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En France, toujours, où «tout finit par les chansons» selon le mot intemporel de Beaumarchais, il conviendrait de se réveiller. Merkel partie, elle laisse en héritage une Union européenne veinée de fractures importantes : la crise actuelle avec la Pologne en est la plus emblématique même si d’autres couvent comme les questions énergétiques et migratoires. Il serait pourtant illusoire de penser que l’Allemagne deviendra plus solidaire ou se muera en ce compagnon de route introuvable, ce partenaire stratégique que l’on espère comme le Messie dans les cercles autorisés de Paris. D’ailleurs, le site du Point.fr nous apprend mardi 9 novembre que face à un afflux de migrants à la frontière entre la Biélo-Russie et la Pologne, l’Allemagne «a appelé mardi l’Union européenne à «faire front commun» pour parer à la situation, assurant par la voix de son ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, que «la Pologne ou l’Allemagne ne peuvent pas faire face à ceci toutes seules». Tiens donc. Est-ce la même Allemagne qui a laissé les pays du sud, singulièrement l’Italie, en proie avec les vagues migratoires venues de Libye ? Est-ce toujours la même Allemagne qui a été le moteur de l’accord honteux passé avec la Turquie en 2016 ? 

Dans ce crépuscule merkelien, je formule donc le vœu, optimiste, que la France se réveille enfin du rêve cauchemardesque franco-allemand et qu’elle défende, pour de bons, ses seuls intérêts. 



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Jean Dy est diplômé en relations internationales. Spécialiste des questions maritimes

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