Le billet du vaurien
Richard Brautigan, mais oui le beatnik oublié, recalé, suicidé, répétait volontiers : « In ABSURDITY we trust. » À quoi d’autre pourrions-nous croire ? Entre deux rasades de whisky (japonais bien sûr), il me demandait si je me souviendrais un jour que nous n’étions que souffrance attendant de hurler ? Ou un trou attendant d’être creusé ? Ou encore une larme attendant de tomber ?
Il voulait savoir si après son suicide, je rendrais une visite aux oiseaux mangeant du pain sur sa tombe…
Il me disait que tout écrivain laisse deux œuvres : l’une est la somme de ses écrits, l’autre est l’image qu’on se fait de lui. Il voulait savoir quelle image je me faisais de lui. Celle d’un amoureux du Japon, comme moi ? D’un joueur de tennis de table ? Celle d’un poète qui adressait à chaque fille qu’il aimait un poème qu’elle oublierait aussitôt ? Lui-même ne se souvenait plus de rien, sauf de la pêche à la truite, un livre qui lui avait rapporté des milliers de dollars et où il était question de tout, sauf de la pêche à la truite.
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Quand on lui demandait quel était son nom, il répondait : « ‘Peut-être qu’il pleuvait fort’, c’est cela mon nom. » Il aimait beaucoup les armes à feu. Elles lui ont permis d’échapper à l’absurdité du monde. C’était au début de l’automne 1984. Des oiseaux mangent encore du pain sur sa tombe. Quinze jours auparavant, il avait revu Akiko par hasard à San Francisco. Quand une Japonaise vous quitte, c’est un monde qui s’écroule, lui avait-il écrit. Elle ne lui a jamais répondu. Elle n’a jamais reçu sa lettre. D’ailleurs, il avait renoncé à la lui envoyer. Depuis, elle nourrit les oiseaux sur sa tombe chaque semaine. Quand on lui demandait qui elle était, elle répondait : « ‘Une tentative de communication’ c’est cela mon nom. »
Tentative absurde et avortée, mais y en a-t-il d’autres ?
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