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Monsieur Macron, l’antisionisme n’est pas (forcément) l’antisémitisme

La France pourrait adopter une définition de l'antisémitisme qui intègre l'antisionisme


Monsieur Macron, l’antisionisme n’est pas (forcément) l’antisémitisme
Emmanuel Macron au diner du Crif, 20 février 2019. ©Erez Lichtfeld/SIPA /00895751_000041

Emmanuel Macron a assuré lors du diner du Crif, le 20 février dernier, que la France pourrait adopter une définition de l’antisémitisme qui intègre l’antisionisme. Un amalgame potentiellement dangereux. 


Lors du diner du Crif, Emmanuel Macron a annoncé qu’il souhaitait que la France endosse une définition de l’antisémitisme qui intègre l’antisionisme. Réaction tristement inadaptée à un problème dont l’actualité a rappelé l’acuité et l’extrême gravité, dont on peut se demander s’il s’agit d’une simple maladresse, ou d’un calcul cynique pour fuir les réponses nécessaires à mettre en œuvre au-delà des simples mots, mesures qui déplairaient à l’électorat islamophile que LREM tient à préserver. On aimerait d’ailleurs savoir ce que notre président pense des sorties de son ami Yassine Belattar sur Alain Finkielkraut…

Antisionisme et antisémitisme sont des choses différentes

Oui, l’antisionisme est très souvent un masque de l’antisémitisme. Peut-être même n’est-il de manière générale que cela. Sur ce point, Emmanuel Macron a raison et on peut se réjouir de ses déclarations. Antisionisme et antisémitisme sont, pour autant, des choses différentes, et il est dangereux de les associer au point de risquer de les confondre. Assimiler le peuple d’Israël à l’Etat d’Israël ouvre la porte à l’idée selon laquelle ce serait cet Etat le pays des juifs, cet Etat et nul autre. Cette idée m’est intolérable. Juifs français, Français juifs, mes concitoyens juifs sont chez eux dans notre pays.

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Je suis favorable à la pérennité de l’Etat d’Israël, pour des raisons aussi bien morales que stratégiques. Je ne nie pas cependant que les conditions de la création de cet Etat soulèvent de vraies questions éthiques. On peut donc très bien imaginer que quelqu’un estime illégitime l’existence actuelle de l’Etat d’Israël, sans pour autant avoir la moindre hostilité envers le judaïsme ni envers les juifs en tant que tels.

Un musulman est plus libre en Israël que dans beaucoup de pays musulmans

La souffrance millénaire du peuple juif, exilé et persécuté, n’efface pas la souffrance des Palestiniens. Mais la disparition de l’Etat d’Israël, juridique ou culturelle sous le poids d’une immigration non-juive massive, ne ferait que provoquer des souffrances plus terribles encore. Quand bien même on jugerait injuste la recréation moderne de cet Etat, elle ne serait pas guérie par une nouvelle injustice qui déposséderait les juifs israéliens de ce qui est (re)devenu pleinement leur terre depuis trois générations.

De plus, la légitimité profonde d’un Etat n’est pas seulement liée aux conditions de sa naissance ni à des règles juridiques, mais aussi et peut-être surtout à la manière dont il garantit ou non les droits fondamentaux de ses citoyens et la dignité de ses habitants. Rappelons donc qu’Israël assure les droits des non-juifs vivant sur son sol, y compris les musulmans, bien mieux que n’importe quel autre Etat de la région. Un israélien musulman dispose d’une liberté civique et religieuse dont ne peuvent que rêver les habitants de la quasi-totalité des pays musulmans, en particulier ceux qui n’appartiennent pas à la branche localement dominante de l’islam. Comme l’écrit Pascal Bruckner, « aujourd’hui, l’État d’Israël est la seule zone de paix, de prospérité et de respect des libertés individuelles dans un Moyen-Orient en proie au chaos. »

Le sionisme est un pragmatisme

Ce constat a des conséquences morales, mais aussi stratégiques et purement pragmatiques. Disons-le tout net : l’éventuelle disparition d’Israël donnerait des ailes aux islamistes, qui y verraient une victoire. On pourrait croire que ce serait la fin d’un point de crispation mondial, et donc un facteur d’apaisement. Il n’en est rien : comme tous les totalitarismes, l’islam littéraliste théocratique veut le pouvoir absolu, sans partage et sans limites, qu’elles soient politiques, éthiques ou géographiques. A ses yeux, tout ce qu’il peut obtenir n’est pas un élément d’un compromis équilibré, mais une étape dans un projet hégémonique, une preuve de sa puissance et un encouragement à exiger toujours plus.

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Je ne sais pas si j’aurais été sioniste il y a 70 ans, mais pour toutes les raisons évoquées je le suis aujourd’hui. Pour autant, je suis farouchement opposé à l’idée que l’on criminalise l’antisionisme en l’assimilant à l’antisémitisme. D’une part, parce que toute limitation juridique de la liberté d’expression est un pas dans une direction terrible, et même s’il doit se faire – ce qui est loin d’être sûr – il ne peut s’envisager qu’avec une extrême prudence, et certainement pas comme un coup médiatique alors même que l’essentiel n’est ni vraiment dit, ni fait. D’autre part, parce qu’un tel rapprochement induit une confusion entre ces deux notions, dangereuse y compris pour les juifs.

Confusions dangereuses

Confusion dangereuse parce qu’elle tend à jeter le trouble sur les racines de l’antisémitisme, ou des antisémitismes. Bien qu’ils se nourrissent aujourd’hui facilement d’antisionisme, ou y cherchent une étrange forme d’acceptabilité, ils n’y trouvent pas leur cause. L’antisémitisme d’extrême droite, qui a culminé dans la Shoah mais qui était présent au moins depuis le XIXe siècle, était antérieur même au projet de création de l’Etat d’Israël. Et que dire de l’antisémitisme chrétien, dont les églises se sont aujourd’hui heureusement détournées mais qui fut bien réel, comme par exemple dans les terribles massacres de juifs lors de plusieurs grandes épidémies au Moyen-Âge ? Sans oublier évidemment l’antisémitisme islamique, et pas seulement islamiste, inscrit depuis des siècles dans certains passages du Coran et des hadiths. Raison supplémentaire pour contraindre l’islam à faire face à la critique, et réaffirmer qu’il ne saurait y avoir d’islam humaniste ni républicain sans prise de distance claire par rapport aux textes, sans réévaluation complète de la sacralité des textes sacrés… Tout comme l’Église il y a quelques décennies, l’islam doit repenser son rapport au judaïsme sur le plan théologique, ce qui passe par cette distanciation critique. Sans cela, toute condamnation musulmane de l’antisémitisme restera in fine vaine et creuse, si ce n’est hypocrite.

Confusion dangereuse parce qu’elle minimise la gravité morale de l’antisémitisme. Sur le plan éthique, comment peut-on assimiler l’hostilité à un Etat, fut-il un allié, et l’hostilité à un peuple, à des personnes de chair et de sang ? Certes, en l’occurrence les deux vont souvent de pair. Il n’en demeure pas moins que vouloir la disparition d’un Etat peut-être condamnable, et sa traduction en actes constitue à tout le moins un geste de guerre, mais cela reste sans commune mesure avec l’horreur qui consiste à haïr des enfants simplement en raison de leur ascendance. Or c’est bien cela, l’antisémitisme ! Je n’ai aucune sympathie pour le BDS, et je le sais abondamment instrumentalisé par les islamistes. Mais je ne peux pas mettre les idées de beaucoup de ses sympathisants sur le même plan qu’une justification idéologique des abominations paroxystiques que sont l’extermination glaciale d’hommes, de femmes et d’enfants à Auschwitz, et les meurtres de Jonathan, Gabriel, Arieh et Myriam à l’école Ozar Hatorah.

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Confusion dangereuse, enfin, parce qu’elle pousse à confondre l’Etat d’Israël et le peuple d’Israël. Nier ce qui relie et doit relier les deux serait évidemment absurde, et également dangereux, mais la distinction est importante. Les juifs n’ont pas cessé d’être juifs avec l’exil. Miracle ou mystère, ils en ont même fait naître une évolution plus spirituelle du judaïsme, l’étude prenant la place des sacrifices, et ont traversé des siècles de persécutions sans jamais répondre à l’hostilité par la haine – et hormis chez quelques extrémistes, la fermeté actuelle d’Israël n’est pas de la haine. Cette attitude est un message et un don du peuple juif à l’humanité entière. En France, la prière pour la République est à la fois espoir pour l’avenir, gratitude pour le présent et miséricorde pour le passé. Sans doute, tout juif est un peu chez lui en Israël, comme tout philosophe est un peu chez lui à Athènes. Mais quoi de plus viscéralement français et simultanément d’authentiquement juif que la prière pour la République ? Il est bien là, ce « mariage séculaire des juifs et de la nation française » qu’évoque Georges Bensoussan. Distinguer l’Etat d’Israël du peuple d’Israël me permet d’affirmer avec force que même ailleurs qu’en Israël, les enfants d’Israël peuvent être pleinement et légitimement sur leur terre. Terre où leurs ancêtres ont vécu et où ils reposent, terre qu’ils ont défendue parfois au prix du sang, et surtout, même si une nation n’est pas seulement une question de convictions, terre dont ils partagent les plus belles valeurs et à laquelle ils ont donné une grande part de leur cœur.

Si un abruti ose de nouveau hurler « barre-toi ! » à Alain Finkielkraut, et on comprend toutes les connotations de ce cri, je veux qu’il n’y ait aucune ambiguïté : mon ancien professeur a parfaitement le droit de choisir l’alyah, mais il n’en a pas besoin pour être chez lui. N’en déplaise à Nuit Debout, aux islamo-gauchistes et aux extrémistes de tous bords, il est chez lui dans notre pays, dans chacune de ses rues, et il a bien mérité la place d’honneur qu’il y occupe.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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