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LI-BER-TÉ-DE-CULTE!


LI-BER-TÉ-DE-CULTE!
Un fidèle lors de la priere de l'Aid à Marseille, en 2010 © POCHARD PASCAL/SIPA Numéro de reportage: 00609537_000003

Les adeptes de la victimisation affirment haut et fort que la laïcité est hostile aux religions. Or, celle-ci n’est en rien un athéisme d’État. Son objectif? Elle vise à soumettre les cultes à la loi. 


Ah, la laïcité ! Ce cadre juridique merveilleux qui garantit la liberté de culte pour tous, et vous assure que l’État respectera une stricte neutralité en ne se mêlant jamais de ce que vous faites pourvu que vos activités aient un caractère religieux… Non ? Non.

En réalité, la laïcité subordonne justement la liberté de culte à des droits encore plus fondamentaux, et notamment au respect absolu de la liberté de conscience, de la liberté de pensée et, puisqu’il est impossible de véritablement penser sans confronter ses pensées aux pensées des autres, sans prendre le risque d’être bousculé voire choqué par les idées des autres, à la liberté d’expression. Mais reprenons du début.

La laïcité est un projet politique

Première erreur, croire que la laïcité serait un cadre juridique, alors qu’elle est un projet politique. Celui-ci s’inscrit dans un cheminement historique, que l’on peut résumer – pour simplifier – par un immense « plus jamais ça ! » répondant à la Saint Barthélémy, et faisant écho au « plus jamais ça ! » antique répondant à la condamnation de Socrate. Naturellement, il se traduit par un certain nombre de règles juridiques, notamment la fameuse loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des églises et de l’État, mais les deux ne doivent pas être confondus.

Quel est ce projet politique ? L’émancipation de l’individu, l’épanouissement de sa liberté de conscience et de pensée, en particulier par rapport aux prescriptions religieuses. Sapere aude, ose penser par toi-même. Plus généralement, il s’agit de donner la primauté au choix lucide et responsable sur l’automatisme de l’injonction.

Et puisque la laïcité est en elle-même un projet, elle ne saurait être réduite à un simple espace vide où faire coexister les projets des différentes religions et sensibilités métaphysiques, une neutralité passive. Elle n’est pas une liberté mais une volonté de libération, une détermination active à faire reconnaître et à défendre une liberté.

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Deuxième erreur, croire que la laïcité serait garante de la liberté de culte: non, et heureusement. La loi de 1905 subordonne au contraire la liberté de culte à l’ordre public et au respect des lois: je renvoie à ses articles 25 à 36 relatifs à la police des cultes.
Absolutiser la liberté de culte reviendrait à accepter les sacrifices humains – et j’entends d’ici les libéraux-libertaires et autres « woke » qui me diront que si le sacrifié est volontaire et la religion « racisée », après tout pourquoi pas ? Juger les coutumes aztèques ou carthaginoises à l’aune de notre « morale blanche » occidentalo-centrée est une attitude néo-coloniale et raciste, et puis offrir sa vie à Moloch ou Tezcatlipoca n’est qu’une forme d’euthanasie comme les autres : ma religion – ma mort – mon choix. Ainsi meurt surtout l’idée même de civilisation.

Dieux merci, nous n’en sommes pas là, et je crois pouvoir affirmer sans me faire traiter de (crypto-)fasciste que l’Ordre du Temple Solaire et ses suicides de masse ne doivent en aucun cas bénéficier de la liberté de culte, tout comme il faut la refuser à un groupe dont les cérémonies permettent au gourou d’enseigner « l’orgasme cosmique » aux filles prépubères de ses adeptes.

Troisième erreur, croire qu’il existerait une pancarte magique « c’est religieux » qui empêcherait l’œil vigilant de la loi de voir ce que l’on fait, un joker à brandir au tribunal « c’est religieux, donc je peux ! » Et bien non.

Je n’ai pas le droit de rouler à 180 km/h sur l’autoroute, même si je suis un adorateur d’Hermès, que je vois en lui le dieu de la vitesse, qu’à mes yeux rouler (trop) vite est un rituel religieux et que j’ai une très ancienne parole d’un très ancien oracle qui m’ordonne de le faire. D’aucuns jugeront cette restriction insupportable, hurleront qu’il s’agit d’une atteinte à leurs libertés, d’hermèsismophobie voire de racisme anti-grec, mais c’est ainsi.
De même, la loi française a aboli l’esclavage et garantit l’égalité des droits civiques entre les sexes, et je n’ai pas le droit de faire l’apologie d’un texte qui encourage l’esclavage et les violences conjugales, même si je suis un adorateur de… Ah ? Là, ce serait différent, me souffle Aurélien Taché. Mais non, monsieur le député, c’est exactement la même chose. L’inacceptable ne devient pas subitement acceptable du seul fait que ceux qui s’y livrent prétendent que c’est un Dieu qui le leur a permis ou prescrit.

Aurélien Taché, ici à l'Assemblée nationale le 19 octobre 2019, a récemment fait polémique sur la polygamie en déclarant : "Ce n'est pas à l'État de savoir si les gens vivent à deux, à trois ou autres". © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 00926993_000035
Aurélien Taché, ici à l’Assemblée nationale le 19 octobre 2019, a récemment créé la polémique en déclarant au sujet de la polygamie : « Ce n’est pas à l’État de savoir si les gens vivent à deux, à trois ou autres ».  © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 00926993_000035

Les cultes obligés de se soumettre à la loi

Et contrairement à ce que disent les abonnés aux geignements victimaires, ce principe de laïcité n’est en rien hostile aux religions. Au contraire, même. « Religion », du latin religio, ne vient pas de religare « relier » mais de relegere « relire avec un œil critique » (Cicéron, déjà, jugeait utile de le rappeler). « Religion » s’oppose à « superstition », superstitio, qui désigne toute croyance que l’on refuse de soumettre à la critique de la raison et du sens moral. Et si « superstition » évoque maintenant les chats noirs et les vendredis 13, superstitio peut aussi se traduire par « secte », « obscurantisme », « fanatisme ».
La laïcité est un projet politique qui, en obligeant les cultes à se soumettre à la loi, au débat démocratique donc à l’examen critique par la collectivité au service du bien commun, agit comme un tamis permettant de distinguer entre religions et sectes, afin que les religions puissent participer à la vie de la cité sans servir de caution morale aux sectes, et afin que l’État puisse combattre l’emprise délétère des sectes sans restreindre injustement les libertés des religions.

Mais il faut, pour que ce projet se concrétise, que la laïcité soit appliquée sans faiblesse, et nous savons tous que ce n’est aujourd’hui pas le cas. Par complaisance multiculturaliste, bien sûr, par lâcheté et clientélisme politique, mais aussi parce que trop de ses défenseurs se trompent fréquemment de cible.

Paradoxe : d’un côté, on oublie souvent que l’entrée en vigueur de la loi de 1905 fut un combat, qu’il fallut la force publique pour que l’Église se résigne à sa défaite, et qu’il n’y a aucune raison pour que l’islam s’adapte plus facilement à la laïcité aujourd’hui que le catholicisme hier – au contraire même. Et d’un autre côté, certains ténors du « camp laïque » s’enferrent dans une opposition stérile à un christianisme désormais sincèrement pacifié: ils ne parviennent pas à dépasser le souvenir des affrontements de jadis, ou ils sont crispés sur des désaccords qu’il ne faut pas nier mais qui ne sont pas des remises en cause de la laïcité, ou encore ils sont obsédés par l’impératif de « ne pas stigmatiser » et se croient obligés de taper à égale mesure sur toutes les religions (ce qui, Hermès me pardonnera de filer la métaphore, revient à harceler les bons conducteurs pour des vétilles plutôt que de se concentrer sur la répression des chauffards), ou enfin ils sont sincèrement incapables de comprendre la différence entre religio et superstitio, religion et secte, et d’en tirer les conséquences pratiques.

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Cette distinction millénaire serait pourtant bienvenue face aux enjeux actuels.

Autoriserions-nous des associations à enseigner à des enfants que la référence normative et morale ultime est un livre validant (entre autres choses) l’utilisation des prisonnières de guerre comme esclaves sexuelles et refusant catégoriquement la liberté de conscience, si ces associations ne se paraient pas du qualificatif de « cultuelles » ? Autoriserions-nous de tels enseignements si elles ne se prévalaient pas de traditions exotiques, donc intouchables sous peine d’être accusé de racisme, et c’est ainsi qu’une antenne du planning familial peut en arriver à justifier l’excision ? L’autoriserions-nous si ces associations ne faisaient pas trembler les élus avec le vote communautaire, et l’État avec des menaces d’émeutes, et si nous n’étions pas collectivement rongés par une telle crainte de manquer de tolérance que nous ne savons plus condamner l’intolérable ?

Et je souligne la différence entre considérer que certains passages d’un livre peuvent être des sources d’inspiration, et affirmer que le livre dans son ensemble serait la suprême pierre de touche. Quel que soit le livre sacré, subordonner l’application de ses préceptes à la raison et à la conscience morale est religieux, alors que placer ces mêmes préceptes au-dessus de tout, hors de portée de la critique, est superstitieux.

Il faut le dire et le redire. La laïcité n’est ni un athéisme d’État, ni un relativisme lâche: elle est, lorsqu’elle est correctement appliquée, la garantie que l’État protègera les cultes qui respectent les lois, et qu’il sanctionnera impitoyablement les autres. Cette distinction, bien sûr, en dérange certains. Devinez lesquels ?

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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