Dans son dernier roman, Passé sans silence, Adrien Mangold propose une réflection profonde à la fois sur le souvenir, la création littéraire et la liberté.
Doug Gueyburt est un écrivain célèbre ; il a consacré toute sa vie à son œuvre. Aujourd’hui, il est âgé, très âgé. Il décide donc d’écrire son autobiographie. Malheureusement, sa mémoire lui fait défaut. Pire : il semble atteint d’une amnésie qui pourrait s’apparenter à la maladie d’Alzheimer. Il lutte, fait des efforts pour recouvrer des pans de son existence. En vain. Il se perd dans les méandres de ses souvenirs et va jusqu’à mélanger sa propre vie à celles des héros de ses romans. Ainsi, il se rend à la police, repentant, persuadé qu’il a commis un meurtre et qu’il a dérobé une importante et coûteuse collection d’œuvres d’art ; il aurait, dit-il, cachée cette dernière mais ne se souviendrait plus où. C’est ennuyeux ! « Je suis en possession de la collection d’œuvres d’art la plus chère du monde », avoue Doug au policier enquêteur. « Pardon ? » interroge ce dernier. « Je l’ai volée quand j’avais encore l’âge d’avoir une chambre chez mes parents ». « Qu’est-ce que vous racontez ? » « Vous ne pouviez pas le savoir. Personne ne le sait. Je l’ai cachée le jour même et je n’en ai jamais parlé. Vous voulez connaître la meilleure ? […] Je ne me souviens plus où est la cachette ». Le policier finit par se perdre dans les explications de Doug ; Audrey, la dame qui s’occupe de lui, également ; elle tente parfois de le raisonner, de le réconforter, de le conduire sur les chemins de la réalité.
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« Le roi des évadés »
Ecrit avec vigueur, sans affèterie, tissé de dialogues bien menés, ce roman d’Adrien Mangold, bien que parfois complexe, est intéressant car il interroge notamment sur les mécanismes de la création artistique en général et de la création littéraire en particulier. « Il n’y a que notre réalité qui serve d’inspiration à tous les artistes. L’imagination n’est que la soudure d’éléments de tous horizons et de toutes époques. Elle est le résultat que nous espérons original d’un puzzle aux pièces bien connues ». Il questionne également sur la liberté de l’écrivain : « Les caprices de l’âge n’ont là aucune emprise, et perdre la raison est déjà une évasion en soi. Nul besoin de sens ou de cohérence. L’auteur est le roi des évadés, celui qui partout peut être ailleurs. Qu’importent les murs dans lesquels on l’enferme, il est libre à jamais ». Voilà une belle définition de la fiction littéraire.
Adrien Mangold, Passé sans silence, éditions de l’Homme Sans Nom, 203 pp., 21,90 €.
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