Accueil Culture Le roman dont Rio est l’héroïne

Le roman dont Rio est l’héroïne


Le roman dont Rio est l’héroïne

Après trois romans, quelques pamphlets, un recueil de nouvelles et deux essais — faut-il les voir comme des tentatives ? — consacrés au Brésil, dont l’un à son maître Georges Bernanos, Sébastien Lapaque attaque la rentrée littéraire avec un roman qui, à coup sûr, ne passera pas inaperçu. C’est à Rio de Janeiro, là où Bernanos posa bagage en 1938, que La Convergence des alizés prend racine. Et c’est en Argentine, en Uruguay, puis enfin à Paris, que vont éclore, de branches nervées de personnages et d’aventures, la fleur et le fruit d’un livre qui plonge au cœur des hommes et dans l’épicentre d’un pays chapelet de mystères. Car, faut-il s’en étonner, c’est en rosaire que l’histoire s’enroule et se déroule, serpente et se faufile, jusqu’à créer la corolle dentelée qui donne au récit ses saveurs épicées.

La Convergence des alizés débute dans l’adversité, mystère douloureux. Helena Bohlmann, une brillante thésarde en climatologie a subitement quitté Belém en laissant à José Luiz Inacio Correia de Melo, dit Zé, un Brésilien né d’une mère cabocle et d’un père portugais, un mot d’adieu en forme d’anaphore pour le moins troublante : « Je t’aime, je t’aime, je t’aime. » Une phrase qui lance l’amant à la recherche de sa namorada. Ce dernier cheminera avec pour fil d’Ariane les mots du blog altermondialiste Apocalypse Agora. C’est sur ce même blog qu’écrit Zelda Martín, aimable Argentine exilée à Rio qui deviendra l’assistante du présentateur populaire de TV Mundo, Ricardo Accacio, dont les prisonniers du centre carcéral de Bangu ont juré la perte. Ce climat de violence carcéral se retrouve dans les favelas, ces zones incontrôlées qui entérinent la misère sociale d’une ville mise à sac par la finance globalisée dans lesquels deux jeunes noirs, Sidney Pouce-Coupé et Paulo Leãozinho, vivent sous le joug des frères Cardero, cols blancs de la blanche.

Entre ces tristes desseins, des flashes, des éclats et des couleurs, mystère lumineux. Sébastien Lapaque esquisse ici et là des aplats pigmentés qui font voir le Brésil comme dans un kaléidoscope. Il y a bien sûr les couleurs du drapeau national, du jaune, du vert, du bleu et la valeur, le blanc. On les retrouve sur les oiseaux, les fleurs, les arbres et les fleuves. Mais avant tout, ces couleurs racontent l’histoire des maisons royales de Bragança et des Habsbourg. En géopoète, Lapaque écume les lieux et les places : Copacabana bien sûr, Ipanema, le Pain de Sucre, le Corcovado, Belo Horizonte et sa teinte d’argile rouge, l’île de Paqueta, créé par Dieu pour enfermer le calme du monde entier – seul endroit de la planète où il existe un cimetière pour oiseaux – , et tant d’autres noms que l’on décline dans des roulements suaves sentant bon la cachaça, le sucre de canne et le limão verde. Samba !

Pas d’histoire d’amour sans évocation du Salut et de la foi. Maria Mercedes, prostituée un peu fanée du Bum-Bum café – comment ne pas y voir une nouvelle Marie de Magdala ? — aime la fête dédiée à la reine de la mer et des mères, la déesse Yemanjá ; et les lancers de cauries, ces coquillages qui servent à la divination. Sait-elle qu’elle trouve sa rédemption en recueillant Sidney Pouce-Coupé pourchassé par des narcotrafiquants ? Que dire aussi de Gabriela, la contrite, qui cherche dans son voyage dans l’intérieur du pays et auprès de son oncle, le pouvoir de lier et délier, poursuivant la réconciliation ? Mystère glorieux.

Entre les lignes, des personnages vagabondent au Brésil, en Argentine et ailleurs, rémanences d’images réelles. Il y a Malraux venu à Brasília en août 1959, poser la première pierre de la Maison de la Culture française en prononçant un fameux discours avec « ce final incroyable » : « Salut, Capitaine intrépide, qui rappelle au monde que les monuments sont au service de l’esprit ! » ; Claude Lévi-Strauss, à qui le Brésil révéla sa vocation ethnographique, lui-même clef de ce roman. Et puis Jorge Luis Borges, omniprésent dans les pages de La Convergence des alizés, l’immense poète argentin qui prononça à l’université de Belgrano, en 1978, le jour du match de coupe du Monde entre l’Argentine et la Hongrie, un discours sur l’immortalité.

L’immortalité, et si tout était là ? Car ce livre est un mystère, un mystère joyeux.

*Photo : Remy Scalza



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Affaire Millet : Pour qui sonne le glas à Saint-Germain-des-Prés ?
Article suivant Docteur Yersin et Mr. Millet

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération