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Hommage au courage des Ukrainiens

Une tribune libre d’Eduardo Mackenzie


Hommage au courage des Ukrainiens
Funérailles d'un soldat mort à la guerre, Hostomel, Ukraine, 22 novembre 2025 © Evgeniy Maloletka/AP/SIPA

Journaliste colombien farouchement anti-communiste, Eduardo Mackenzie désespère de l’attitude de Donald Trump dans le dossier ukrainien.


L’affirmation récente de Donald Trump selon laquelle l’Ukraine aurait déjà perdu la guerre, compte tenu de la situation sur le terrain, est sans aucun doute une exagération visant à saper la résistance acharnée et héroïque du peuple ukrainien. Le président américain souhaite une capitulation rapide de Kiev afin d’ouvrir en Russie comme en Ukraine un vaste champ d’opportunités aux entreprises et investisseurs de son pays, alors même que son plan de paix, censé constituer la base de négociations, n’est rien d’autre que la condensation des objectifs de Moscou.

Scandaleux Steve Witkoff

Un plan de « reconstruction » de l’Ukraine et de relance des investissements américains en Russie assorti de la levée des sanctions occidentales contre Moscou constituerait un pacte abject, une tache indélébile dans l’histoire des États-Unis, puissance capitaliste et démocratique qui s’était juré d’être le champion de la liberté dans le monde. Le 26 novembre 1988, Ronald Reagan, alors président des États-Unis, faisait à la radio un discours à la nation dont Donald Trump gagnerait à s’inspirer. Écoutons-le : « Le protectionnisme est utilisé par certains politiciens américains comme une forme bon marché de nationalisme, une feuille de vigne pour ceux qui ne sont pas prêts à maintenir la puissance militaire de l’Amérique et qui manquent de la détermination nécessaire pour faire face à de vrais ennemis – des pays qui utiliseraient la violence contre nous ou nos alliés. Nos partenaires commerciaux pacifiques ne sont pas nos ennemis ; ce sont nos alliés. Nous devons nous méfier des démagogues prêts à déclarer une guerre commerciale contre nos amis – affaiblissant ainsi notre économie, notre sécurité nationale et le monde libre tout entier – tout en agitant cyniquement le drapeau américain. »

L’agression et l’invasion de l’Ukraine par la Russie dure depuis trois ans et demi et les objectifs de Vladimir Poutine – la « dénazification » et la démilitarisation de l’Ukraine, l’asphyxie de son économie, la réduction de ses libertés et de ses capacités de défense et la facilitation d’une offensive ultérieure pour annexer l’Ukraine et tous les autres pays européens paraissant naïfs ou faibles-, sont bien visibles dans la proposition qu’il tente d’imposer à Trump, à travers des émissaires américains scandaleusement pro-russes comme Steve Witkoff, le meilleur partenaire du président américain dans ses parties de golf et ses placements en crypto-monnaies.

Les 28 points du plan russo-américain « pour mettre fin à la guerre en Ukraine », diffusé le 21 novembre, ont fait l’unanimité en Europe sur un point : ils ne favorisent que les Russes. Moscou exige que Kiev limite ses forces de défense à 600 000 hommes après la guerre et ne rejoigne pas l’OTAN, et exige également que l’Ukraine lui cède la région du Donbass, à l’est du pays. Evidemment, ce plan a été modifié à Genève par les Ukrainiens, les Américains et les Européens, et Witkoff a présenté une nouvelle mouture à Poutine.

Parallèlement, les préparatifs de Moscou en vue de nouvelles mobilisations stratégiques pour intimider les gouvernements des pays baltes, ainsi que ceux de la Pologne et de l’Allemagne – avec le déploiement flagrant de drones au-dessus de plusieurs aéroports et l’attaque contre une ligne ferroviaire polonaise qui aurait pu faire des centaines de blessés – et ses actions visant à semer la confusion au sein de la société française et à créer des dissensions au sein de l’UE, avancent à doses homéopathiques mais avec une grande constance et une précision chirurgicale. La Norvège et la Suède sont également menacées par Moscou. La première pour avoir interdit aux navires russes de pêcher dans sa zone économique exclusive, et la seconde pour avoir rejoint l’OTAN en mars 2024.

A cela s’ajoute que la propagande triomphaliste russe gagne du terrain en Occident grâce à des analyses faussement neutres sur des questions sensibles telles que les prétendus succès de l’« offensive hivernale russe » en Ukraine et la « reconquête » à court terme de territoires dans l’est du pays. La dernière initiative de Poutine dans ce sens a été sa déclaration du 27 novembre selon laquelle la Russie ne souhaite pas attaquer l’Europe et que, si nécessaire, il signerait une « feuille de papier » en ce sens. Mais cette mascarade ne trompe pas les dirigeants européens.

Il est vrai que la capacité de l’Ukraine à renverser la situation et à expulser les troupes russes à court terme est difficile. Cela peut s’expliquer par le fait que, après avoir stoppé et infligé une lourde défaite aux blindés russes qui avançaient sur Kiev le 24 février 2022, et à la suite de violents combats où les Russes ont intensifié leurs lâches bombardements contre des civils à Kharkiv, Soumy, Marioupol et Tchernihiv, la résistance ukrainienne a stabilisé la situation. Le 24 mars de la même année, malheureusement, les Russes entraient dans Marioupol, mais les soldats ukrainiens ont réussi à préserver leurs positions dans les autres régions.

L’aide de Washington fut pratiquement abandonnée par l’administration Trump à partir de janvier 2025. Dès lors, Trump a soumis le président Zelensky à des humiliations à la Maison-Blanche, devant la presse, prélude à la révélation graduelle que la nouvelle politique américaine consistait à réduire progressivement le soutien militaire et diplomatique à l’Ukraine, hérité de l’administration Biden, afin d’accroître la pression sur Kiev et d’obtenir une capitulation déshonorante devant Poutine.

Pertes énormes

Cependant, le président Zelensky a su résister à la doctrine Trump et, grâce au courage et à l’ingéniosité de son peuple, ainsi qu’au soutien diplomatique et militaire européen, il a empêché une invasion terrestre russe sur Kiev. Il continue d’infliger de lourdes pertes aux forces russes et est parvenu à éviter l’effondrement de son gouvernement et l’épuisement des capacités de résistance ukrainiennes.

Les pertes, tant pour l’Ukraine que pour la Russie, sont énormes. Les Russes ont dû recruter en Corée du Nord et payer des mercenaires sans expérience au combat. Ces supplétifs ont subi de lourdes pertes et ne se sont pas distinguées par leur efficacité sur le terrain.

L’Ukraine n’a pas eu recours à des troupes étrangères et, certes, a perdu des portions de son territoire. Mais plus d’un million de soldats russes ont été tués ou mis hors de combat dans cette guerre, selon le Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) de Washington, cité par le New York Times. Cette source ajoute que près de 400 000 soldats ukrainiens ont été tués ou blessés depuis le début de la guerre1.

L’activité urbaine et la structure sociale de l’Ukraine se sont détériorées, mais elles ne se sont pas effondrées. À l’inverse, les sanctions internationales isolent la Russie et fragilisent son économie, l’empêchant de vaincre rapidement l’Ukraine. Les Russes perdent des dépôts de carburant et d’armement, ainsi que la possibilité de naviguer en mer d’Azov. En juillet 2024, la Russie a dû retirer tous ses navires de cette zone, et l’Ukraine a pu de nouveau y faire naviguer ses cargos. Au cours des quatorze derniers mois, les Ukrainiens ont détruit plus d’un millier de véhicules blindés ennemis lors de l’offensive contre Pokrovsk, une offensive que les Russes pensaient pourtant facile.

L’Ukraine dépend de l’aide militaire et du renseignement électronique occidentaux, mais à la fois elle constitue, en fait, un rempart protecteur pour l’Europe continentale. Pourtant, aucune de ces réalités géopolitiques ne semble être prise en compte par les architectes du plan de paix de Trump à Washington. La prise de conscience, parmi les dirigeants et les populations européennes, de ce qu’une défaite de l’Ukraine face aux Russes signifierait pour la liberté du Vieux Continent s’accroît chaque jour. Pour eux, la guerre est désormais, hélas, une possibilité, et ils ne peuvent plus compter, au moins pendant l’administration Trump, sur la protection américaine.

La preuve : la quasi-totalité des gouvernements adoptent, à l’heure actuelle, des lois et des réglementations qui renforceront leurs forces armées et leurs arsenaux dans les années à venir, tant en termes de troupes que d’armements sophistiqués, sur terre comme dans l’espace, en prévision des batailles, hélas, d’un avenir proche. À moins que toute l’Europe ne démontre ses capacités défensives et offensives face à une agression de l’expansionnisme russe, l’obsession de Moscou pour la reconstruction de l’empire soviétique a pris un mauvais départ. Le grand révélateur de cette perspective, et de l’importance de ne pas paniquer ni céder à la lâcheté, a été l’héroïsme et les immenses sacrifices acceptés par l’Ukraine pour sa liberté. Nous n’oublierons jamais cela.


  1. https://www.nytimes.com/es/2025/06/04/espanol/mundo/rusia-ucrania-soldados-muertos-guerra.html ↩︎


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Eduardo Mackenzie est journaliste, auteur notamment de l'ouvrage de référence : Les Cartels criminels, Cocaïne et héroïne une industrie lourde en Amérique latine (PUF, 2000)

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