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La démocratie des maîtresses d’école


La démocratie des maîtresses d’école

Au piquet, les députés ! Et accessoirement, à la caisse. Terre de conflits, la France vient de refaire son unité face à une menace de taille : l’absentéisme parlementaire, à Paris et à Strasbourg/Bruxelles. On nous le répète à longueur d’éditos, ce manquement à la loi est insupportable. Que les gamins sèchent les cours c’est le minimum syndical, que des ouvriers pètent les plombs on a du mal à le leur reprocher, qu’un collégien agresse un prof, c’est regrettable mais il a eu une enfance malheureuse, que des minorités d’étudiants bloquent des facs, il faut les comprendre ; mais que les députés fassent preuve d’un tel manque d’assiduité, nous ne saurions le tolérer. On paye, on en veut pour notre pognon.

En vrai l’absentéisme est aussi vieux que le Parlement. Heureusement, les interventions avisées de quelques grands moralistes empêchent que l’on planque sous le tapis ce scandale d’Etat permanent. En tête de nos maîtresses d’école nationale, il faut saluer Jean-Michel Apathie et Olivier Duhamel qui distribuent avec gourmandise blâmes et punitions aux garnements qui nous gouvernent. Ah, le sourire heureux qu’on imagine sur le visage d’Apathie quand il peut désigner un bonnet d’âne, brandir une mauvaise moyenne, sermonner et donner un petit coup de règle sur les doigts du délinquant ! Après le fiasco de la loi Hadopi – rejetée par 21 voix contre 15 au cas où cela aurait échappé à quelqu’un -, l’instit qui ne sommeille jamais vraiment chez Apathie, s’est déchaîné : « 93,77 % des députés n’étaient pas à leur travail, hier. Mais qu’est-ce qu’ils foutent les députés, en France ? », écrivait-il sur son blog au lendemain de l’épisode, assez rigolo pourtant, des députés fantômes sortant des lourdes tentures du Palais Bourbon. Bon, Apathie est prof de bonnes manières politiques. On n’est pas à l’Assemblée, ni nulle part d’ailleurs, pour rigoler. Et les petits malins qui croient qu’ils sont payés pour « labourer leur circonscription » vont comprendre leur douleur. Il est assez plaisant de reprocher à des élus de s’intéresser à leurs électeurs – je parle de leurs électeurs de chair et d’os, ceux qui précisément, peuplent ces mystérieuses et lointaines circonscriptions que nos parlementaires perfides persistent à labourer, sans doute pour en tirer quelque bénéfice occulte.

Quant à Olivier Duhamel, je ne l’ai pas entendu – et pour tout dire, je n’ai pas le courage de m’avaler en ce samedi matin toutes ses excellentes chroniques – mais je suis sûre qu’il ne décolère pas depuis la parution d’un rapport sur l’absentéisme des parlementaires européens. Figurez-vous qu’il s’est trouvé un estimable chercheur, ancien collaborateur d’un eurodéputé italien, pour plonger des heures, sans doute des semaines durant, dans la chatoyante et abondante littérature qui témoigne de l’activisme de l’euro-assemblée – et que produit toute institution comme pour témoigner de son existence même. Je l’imagine, l’Indiana Jones en costard-cravate à la recherche des heures perdues (pour l’eurocontribuable), à l’assaut des comptes-rendus de séances, des rapports divers et variés. Il dû bicher à compter, recenser, calculer les temps de présence et de parole des uns et des autres – et combien de fois chacun est-il sorti faire pipi, le citoyen a le droit de savoir. Il n’a pas perdu son temps, le Flavien Deltort, à compter les europoux dans les chevelures de nos élus. À l’arrivée, un magnifique classement qui rappelle les prix d’excellence de notre enfance et, encore plus inestimable, un article dans Le Monde qui annonce triomphalement en « une » : « Pervenche Bérès, notée 9/10, Marine Le Pen 0/10. » On l’a échappé belle : cela aurait pu être le contraire.

Coup de chance, une ruse de l’actualité a placé en même temps sous les feux d’icelle ceux qui truandent avec le temps de travail parlementaire érigé en critère suprême de la moralité politique, et ceux qui plaisantent sur les sujets sur lesquels on ne plaisante pas, à commencer par l’Europe (qui a déjà été l’occasion d’un grand moment de fusion extatique dans le studio de la matinale de France Inter mais c’est une autre histoire). Attaqué sur deux flancs, le camp du Bien l’a mauvaise : non seulement nos députés ne foutent rien à Paris, c’est Apathie qui le dit, non seulement ils jouent les Arlésiennes à Bruxelles/Strasbourg, mais en plus, M’dame, ils s’en fichent tellement de l’Europe que, quand on leur met sur pied une belle séance du mercredi sur les enjeux européens – le truc qui devrait réjouir à l’avance n’importe quel insomniaque –, ils ne déplacent même pas. En décembre, Apathie avait donc déjà servi le lamento du citoyen grugé à propos d’un débat de politique générale organisé en matinée pour nos heureux députés. « Hier, écrivait-il, le Premier ministre de la République française, ce n’est pas rien le Premier ministre de la République française, venait leur causer de l’Europe. Eh bien, 80 % des députés français ne sont pas venus. Consternant. » Apathie, c’est le genre de prof qui manie à merveille le lyrisme disciplinaire. « Petit à petit, au fil des minutes, ici et là, poursuivait-il, quelques élus apparemment écrasés par la chaleur de décembre, s’installent les épaules basses et l’air fatigué sur les sièges qu’ils occupent au nom du peuple français. Au plus fort de la tempête, peut-être ont-ils été une centaine dans l’hémicycle, cent sur 577, quelle tristesse, quelle honte. » De quoi arracher des larmes au cancre le plus endurci.

La jolie cause que voilà. Sans l’ombre d’un danger – qui oserait trouver une justification à la fainéantise de ces gens grassement payés pour s’occuper de nous ? (En vrai, un député n’est pas si grassement payé et doit accepter une certaine précarité mais on s’en fout, c’est un puissant.) Si un ministre de l’Education s’avisait de publier un palmarès (par région, par exemple) de l’absentéisme des profs, ou s’il décidait de punir avec fermeté celui des élèves, la France entière serait sommée de se lever contre ce mauvais coup porté aux libertés et aux droits de l’enfant. Mais l’absentéisme des députés, c’est un sujet tous publics qui permet de prendre l’opinion à témoin avec la certitude d’être acclamé. À en croire l’excellent Jacques Rosselin, patron de Vendredi, cette affaire d’Etat a été l’un des gros buzz de la semaine. Au lendemain du 1er mai, Plantu y consacre son dessin (pas très drôle) en « une » du Monde. Il faut dire qu’en France, on n’aime pas les tire-au-flanc. Surtout quand c’est les autres. Faire crier haro sur les députés est à peu près aussi difficile, par les temps qui courent, que d’attiser le ressentiment envers les riches.

Pour se rattraper et amadouer les journalistes qui les gouvernent, les élus de la nation ont donc (presque) voté leur propre sanction – s’enverront-ils à la guillotine le jour où TF1 proclamera que le Grand soir est arrivé ? En réalité, ils n’ont rien eu à voter puisque les sanctions financières pour absentéisme sont déjà prévues par le règlement de l’Assemblée, mais enfin, il paraît qu’ils ont décidé de l’appliquer. Comme citoyens, vous vous sentez déjà mieux représentés, non ?

Quelques députés se sont lancés dans de savantes explications sur la confection de la loi, le travail effectué en commissions et toutes sortes d’autres choses – et les voyages d’étude, quelqu’un y songe, au temps que ça leur prend, d’aller vérifier qu’ailleurs, ce n’est pas mieux, à tous les membres d’un groupe d’amitiés franco-truc ?

Tout ça est du pur bla-bla, Apathie et tous les autres le savent bien. En réalité, comme on dirait à Sciences Po, le Parlement a de l’importance mais il en a moins qu’avant. Il joue un rôle essentiel, d’un point de vue symbolique et démocratique – faut-il rappeler que le gouvernement est issu de la majorité ? Il arrive parfois qu’il soit le lieu où l’affrontement politique se met en scène – y compris sous la forme du théâtre de boulevard. Mais en même temps, en France et ailleurs, il a perdu la main dans l’équilibre des pouvoirs et ceci, que l’on me pardonne cette minute de cuistrerie, pour trois séries de raisons : l’absence de différences idéologiques fondamentales entre les camps politiques, la technicisation de la gestion publique et l’arraisonnement du débat public par l’espace médiatique.

Il est normal que nos députés travaillent – il me semble même que dans l’ensemble, ils le font. Je n’en disconviens pas, il faut respecter le Parlement, et même, si vous y tenez absolument, le rehausser, lui rendre toute sa dignité. N’empêche qu’il faut s’y faire : la vraie vie (politique) est ailleurs, du côté de l’exécutif et des plateaux de télé. Et puis doit-on absolument, quand on observe la vie politique, en appeler sans cesse à des réflexes de cour d’école – M’dame, il a séché, et en plus, il avait pas appris sa leçon ? Après tout, si Apathie est si respectueux du Parlement, qu’il invite moins de ministres et plus de députés de base.

Si frapper au portefeuille les mauvais députés s’avérait inefficace – avec tous les revenus de leur circonscription, cette mesurette ne risque pas de les gêner – il faudra bien passer à la vitesse supérieure. La réponse unanime des instits de la démocratie, leur méthode globale à eux, c’est l’interdiction du cumul des mandats. Je ne sais pas pourquoi, mais qu’un député puisse être maire et conseiller général, ça les rend dingues. Quelle est la raison de cette obsession ? Tient-elle à ce que les cumulards occupent deux emplois quand d’autres n’en ont pas ? Au fait qu’on ne peut pas exercer correctement plusieurs métiers ? C’est un peu comme si on nous disait qu’un journaliste qui chronique dans un ou deux journaux et intervient quotidiennement sur une radio et une télé ne peut pas faire du bon boulot. Absurde.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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