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La Bruyère et Emmanuel Macron

Les commémorations qui se succèdent ou les ambiguïtés politiques de notre président font penser aux personnages décrits dans les "Caractères"


La Bruyère et Emmanuel Macron
Emmanuel Macron en visite au futur village olympique de Paris, le 29 février 2024. © Anton Karliner/SIPA

Nous pouvons lire en Emmanuel Macron comme dans un livre ouvert – notamment grâce à l’œuvre laissée par le moraliste Jean de La Bruyère, écrite 300 ans plus tôt.


Pour bien connaître Emmanuel Macron, il faut absolument lire les auteurs du Grand Siècle. Personne n’a oublié la remarque du malicieux Jean d’Ormesson à celui qui venait de se mettre En Marche ! : « Vous savez à qui vous me faites penser quelquefois ? Vous savez, la chauve-souris de La Fontaine, la chauve-souris qui dit : « je suis oiseau : voyez mes ailes. Je suis souris : voyez mes pattes ». Vous avez des pattes et vous avez des ailes, et, est-ce que c’est conciliable ? Est-ce que votre position n’est pas quand même très difficile à tenir à la longue ? » Si la pipistrelle du fabuliste donne à voir notre présidentiel arlequin, à parcourir Les Caractères de La Bruyère, on en apprend aussi beaucoup sur Emmanuel Macron.

En 1688 paraît l’un des textes les plus fascinants du XVIIe siècle : Les Caractères. Dans la forme courte et fulgurante de la maxime ou dans les fragments, un peu plus longs, des réflexions et des portraits, La Bruyère pointe les « ridicules » des hommes de son époque tout en brossant un portrait intemporel de l’homme. En lisant l’œuvre du moraliste, on n’est par conséquent nullement étonné de songer souvent à Emmanuel Macron : « Oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui. » ; « Homme qui est de mise un quart d’heure de suite (…) »  (Les Caractères, Du mérite personnel, 40).

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La Bruyère dit qu’on confond l’éloquence avec : « La facilité que quelques-uns ont de parler seuls et longtemps, jointe à l’emportement du geste, à l’éclat de la voix, et à la force des poumons » et que les pédants « ne la distinguent pas de l’entassement des figures, de l’usage des grands mots, et de la rondeur des périodes. » (Les Caractères, Des ouvrages de l’esprit, 55) Impossible, alors, de ne pas se représenter Emmanuel Macron commémorant à tout-va, la lyre en bandoulière, envoûté par son propre verbe. S’il quitte la chasuble du célébrant, il se déguise en cambiste et le voilà au Salon de l’Agriculture : il sert aux paysans, qu’il s’agit d’entortiller, un autre de ses numéros déjà bien rodé grâce au Grand débat national : « La séance d’empapaoutage en bras de chemise », pour reprendre les mots d’Arthur de Watrigant.

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Emmanuel Macron au Salon de l’Agriculture ; c’est « le ministre ou le plénipotentiaire » des Caractères: « Un caméléon », « un Protée. » Il est « vif et grand parleur, pour faire parler les autres, pour empêcher qu’on ne lui parle (…) pour dire plusieurs choses indifférentes qui se modifient ou se détruisent les unes les autres. »  « Il sait parler en termes clairs et formels ; il sait encore mieux parler ambigument, d’une manière enveloppée, user de tours ou de mots équivoques (…) » Habile : « Tantôt il réunit quelques-uns qui étaient contraires les uns aux autres, et tantôt il divise quelques autres qui étaient unis. »  Il donne de la voix : « Si quelquefois il est lésé dans quelques chefs qui ont enfin été réglés, il crie haut ; si c’est le contraire, il crie plus haut (…) Il ne se lasse point, il fatigue les autres, et les pousse jusqu’au découragement. » (Les Caractères, Du Souverain ou de la république, 12).

Quant aux palinodies et autres volte-face du président, La Bruyère nous en donne aussi la clé : « Un homme inégal n’est pas un seul homme, ce sont plusieurs : il se multiplie autant de fois qu’il a de nouveaux goûts et de manières différentes ; il est à chaque moment ce qu’il n’était point, et il va être bientôt ce qu’il n’a jamais été ; il se succède à lui-même. Ne demandez pas de quelle complexion il est, mais quelles sont ses complexions ; ni de quelle humeur, mais combien il a de sortes d’humeurs. » (Les Caractères, De l’homme, 6).

« Il y a des êtres qui durent peu, parce qu’ils sont composés de choses très différentes et qui se nuisent réciproquement. » (Les Caractères, Des esprits forts, 40).

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est professeur de Lettres modernes

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