Kurdistan : le témoignage de notre envoyée spéciale


Kurdistan : le témoignage de notre envoyée spéciale

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À Arbat, près de Sulaymaniyah au Kurdistan Irakien, une école s’est transformée en camp d’accueil pour des réfugiés de tous horizons : des Yézidis fuyant Sinjar, des Shabaks ou encore des Arabes chiites. Cependant, égaux devant la menace des Djihadistes et la misère, les différents groupes éthno-religieux ne le sont pas devant les opinions publiques occidentales. Certains sont plus connus et attirent plus de sympathie que d’autres. Dans cette « hiérarchie », les Shabaks occupent le bas de l’échelle.

On estime leur nombre entre 250 000 et 400 000 en Irak, en grande partie dans la plaine de Ninive. Cette minorité religieuse possède sa langue et ses propres rites. Persécutés sous Saddam, les Shabaks ont souffert à partir de 2003 de la volonté de milices kurdes de les assimiler à leur ethnie, afin d’étendre leur territoire vers Ninive. Pas assez Arabes pour l’un, ils n’étaient pas assez Kurdes pour les autres. Mais aujourd’hui, dans l’urgence, ils sont unanimement reconnaissants envers le gouvernement kurde qui a mis à leur disposition abris, eau, nourriture et médicaments… Pour ceux qui avaient quelques minutes à peine pour laisser toute une vie derrière eux, la petite école d’Arbat est un véritable havre malgré les conditions très difficiles : environ 60 personnes s’entassent par salle de cours. Par manque de place, nombreux sont ceux qui sont contraints de dormir dehors. Malgré leur histoire et leur situation désespérée, dans cette cour d’école, les Shabaks revendiquent surtout le droit de s’exprimer.

Dès notre arrivée, une petite foule de personnes se précipite à notre rencontre : tous souhaitent témoigner, raconter les exactions commises par l’Etat Islamique (EI) et faire part de leurs souffrances et de leurs aspirations. Les événements récents ont mis en avant les situations alarmantes des minorités chrétiennes et des Yézidis en Irak, au point cependant d’en faire oublier d’autres. Quand on lui parle de l’asile offert par la France aux Chrétiens d’Irak, Moustafa, 19 ans, regrette : « Certains pays offrent leur aide aux Chrétiens, mais pourquoi seulement eux ? Personne ne parle de nous ». Une question qu’on se pose également au sein de la communauté religieuse du monastère de Sulaymaniah.

Moustafa a fui le village de Bartella, il y a quelques jours, à la suite de l’offensive victorieuse des Djihadistes dans la plaine de Ninive. Contraint d’interrompre ses études, lui qui voulait devenir professeur, craint que son avenir ne soit désormais brisé : « Le premier grand événement de ma vie, c’était la guerre en Irak de 2003 ; j’étais alors tout petit. Depuis la situation n’a fait que s’aggraver […] depuis le début, jusqu’à maintenant, je n’ai connu que la guerre » confie-t-il.

Comme lui, ils sont des milliers de Shabaks à avoir été contraints à l’exil à cause de la percée fulgurante de l’EI dans le nord de l’Irak. Les départs sont précipités, les familles ont à peine le temps de prendre le nécessaire avec eux. Les Djihadistes n’étaient qu’à 10 kilomètres lorsque les Peshmergas, les combattants kurdes, ont prévenu Moustafa et ses proches de leur arrivée imminente. Une centaine de familles a alors pris la fuite. « Parce que nous sommes d’une religion différente, ils nous auraient tués », raconte le jeune homme. Et il sait de quoi il parle : son oncle et ses cousins ont déjà été tués. Lui et sa famille ont eu la vie sauve, mais, comme les autres, ils ont dû abandonner tous leurs biens, et se retrouvent à présent dans dénuement presque total : « Ils nous ont pris nos biens et les ont redistribués à d’autres ».

La plupart des réfugiés Shabaks souhaitent continuer leur route vers le sud de l’Irak. C’est le cas d’Ahmad et sa famille, arrivés avant hier à Arbat, après un périple de plus d’un mois. Fuyant son village proche de Mossoul, ils ont erré jusqu’à Erbil, dormant parfois dans les rues et devant compter sur la générosité des habitants. Ils sont passés par Kirkouk, où sa fille est tombée malade, avant d’arriver à Arbat. Pour lui, « Cette errance est la pire chose qui me soit arrivée […] Je suis triste partout où je vais ». Comme beaucoup de réfugiés, il est reconnaissant de l’aide et de l’accueil que le Kurdistan leur a réservé. Cependant, lui et sa famille ne peuvent pas rester. Les villes kurdes sont bien trop chères pour ces villageois démunis. Ils ont donc décidé de se diriger vers Bagdad, espérant trouver dans la capitale plus d’opportunités professionnelles, un toit, et une chance de refaire leur vie. Mais surtout, ils espèrent intégrer des villes à fortes communautés chiites. C’est pourquoi Ahmed ainsi que de nombreuses familles Shabak réfugiées à Arbat, préparent leur départ pour Bagdad, Najaf ou encore Kerbala.

À propos de l’aide de la communauté internationale, les Shabak restent prudents. Moustafa est convaincu que les Peshmergahs seuls ne peuvent pas faire face à Daech, et que l’Irak a besoin d’un soutien extérieur dont il déplore l’inexplicable retard. Selon lui, l’intervention américaine ne devrait pas se limiter à quelques frappes aériennes, mais doit s’étendre à une intervention au sol. Ahmad est plus méfiant et réservé : « Je ne peux plus croire ce que les Américains racontent […] Ils nous ont promis des choses, mais ils n’ont rien fait », dit-il en faisant référence à l’invasion de 2003, « ni le terrorisme, ni l’insécurité n’ont été résolus ». Les événements récents semblent lui donner raison.

De notre envoyée spéciale à Sulaymaniyah

*Photo: Khalid Mohammed/AP/SIPA.AP21608390_000009



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