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Justice, avez-vous dit ?

Jean-Marie Rouart publie "Drôle de justice" aux éditions Albin Michel


Justice, avez-vous dit ?
Le romancier Jean-Marie Rouart. L'ancienne juge et députée d'extrème gauche Eva Joly © BALTEL/SIPA / DR/

Le nouvel essai de Jean-Marie Rouart tombe à point nommé. On a rarement autant critiqué la justice et l’Etat de droit qu’actuellement!


Avec Drôle de justice, Jean-Marie Rouart dénonce les dérives d’une justice de plus en plus idéologique. Le nouveau livre de l’Acédémicien tombe à pic. Après la condamnation de Marine Le Pen à quatre ans de prison, dont deux ferme, et cinq ans d’inéligibilité à effet immédiat – décision détonante – pour détournement de fonds publics, le débat s’enflamme. On ressort la fameuse phrase de François Mitterrand : « Méfiez-vous des juges, ils ont tué la monarchie. Ils tueront la république. » Le trouble s’installe, surtout quand la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, tient à affirmer que son modèle en matière de justice se nomme Eva Joly. Cette dernière avait fait preuve d’un acharnement singulier à poursuivre Roland Dumas, alors président du Conseil constitutionnel et ancien ministre des Affaires étrangères. Avec le soutien du Monde, le juge d’instruction avait « mis le paquet » pour déstabiliser l’ancien résistant. Mais Roland Dumas tint bon. Il faut relire le chapitre qu’il lui consacre dans ses mémoires, Coups et blessures. « Pendant cinquante ans, écrit-il, j’étais de l’autre côté de la barre. Je n’ai jamais eu beaucoup d’admiration pour les juges, sauf pour quelques individus, les magistrats résistants pendant l’occupation ; ou encore ceux qui, au moment de la guerre d’Algérie, refusaient de condamner sur un dossier vide. » Il ajoute : « Dès qu’une affaire touche à la politique et a quelqu’un en vue, la sérénité et la vérité laissent la place au fantasme, voire au mensonge. »

A relire: L’État de droit, c’est plus fort que toi !

Jean-Marie Rouart, dans son livre très autobiographique, s’insurge contre les abus, les excès et les manquements de la Justice. Il n’est pas avocat, comme Roland Dumas, mais c’est un écrivain dont la voix porte. Ses interventions ne passent pas inaperçues. Elles lui ont valu beaucoup d’ennuis, notamment judiciaires. Il a été flanqué à la porte, à deux reprises, ce qui n’est pas banal, du Figaro. Mais, lui aussi, tient bon. Pas question pour lui de se coucher devant la Justice. Il suffit de lire Drôle de justice pour s’en convaincre. Jean-Marie Rouart s’est illustré en prenant la défense du jardinier marocain, Omar Raddad, accusé de l’assassinat odieux de Ghislaine Marchal, divorcée d’un grand équipementier automobile. Il a pris tous les risques, et il l’a payé chèrement. Cela lui a permis de côtoyer Jacques Verges, avocat du jardinier, homme iconoclaste, « mitraillette égarée dans un sac Hermès », pour reprendre l’expression de l’académicien. Vergès, l’insaisissable, n’avait pas hésité à comparer Omar au capitaine Dreyfus. Rouart a été de ce combat, comme de beaucoup d’autres, que l’on découvre dans son livre. À propos de Vergès, il a retenu la leçon suivante : « L’argument philosophique qui sous-tendait sa défense des inculpés, c’est que les notions d’innocence et de culpabilité, autant dire le droit lui-même, sont des produits aléatoires. » Comme l’a écrit Pascal : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Jean-Marie Rouart, sûrement trop pudique, ne cite pas l’hommage que lui a rendu d’Omar Raddad. Alors je le fais : « Rouart ne m’a pas défendu. Il a défendu la justice. Il a défendu la France. »

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Pour Jean-Marie Rouart, « l’ordre juste » est celui des vainqueurs. « J’ai toujours éprouvé un malaise devant la bonne conscience des jurés de Nuremberg », affirme-t-il. Il ne remet pas en cause les jugements rendus à l’encontre des dirigeants nazis, c’est une évidence, mais il demande : « qui sont les juges ? Les Alliés. Et parmi ces Alliés : les Soviétiques. » Or ces derniers se sont rendus coupables d’actes criminels. Il rappelle le massacre de Katyn, en 1940, dénoncé par Robert Brasillach qui s’était rendu en Pologne, le 9 juillet 1943, et avait affirmé que les 22 000 officiers polonais avaient été exécutés par les services du NKVD, sur ordre de Staline, et non par les nazis. Brasillach, écrivain collaborateur et antisémite, fut jugé, condamné à mort pour ses écrits, et fusillé le 6 février 1945. Il aurait pu cependant être gracié – comme le demanda Albert Camus, François Mauriac, André Barsacq et beaucoup d’autres intellectuels du camp adverse de celui de Brasillach – et devenir « recyclé-maudit-fréquentable » après un séjour à l’étranger en attendant que les esprits s’apaisent. Mais de Gaulle refusa de lui accorder cette grâce car les alliés soviétiques étaient trop puissants à l’époque. Rouart, qui défend cette thèse, comme je l’ai moi-même fait dans ma biographie de Brasillach*, conclut que les crimes du stalinisme, « qui rivalisent dans l’horreur avec ceux d’Hitler », attendent toujours leurs juges officiels. « Dans ces conditions, écrit-il, comment douter de la légitimité de ceux qui prétendent incarner l’ordre juste ? » On peut également douter de l’impartialité de certaines décisions de justice qui émanent de juges syndiqués ou qui se présentent, après s’être mis en disponibilité, à la présidentielle en défendant des idées gauchistes.

Un livre courageux, donc, qui mérite d’être lu.

Jean-Marie Rouart, Drôle de justice, Albin Michel, 180 pages

Drôle de justice

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* Robert Brasillach, l’illusion fasciste, préface d’Alain Griotteray, Perrin.




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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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