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Honneur à Gentil


Honneur à Gentil

jean michel gentil

Ce billet sera long, forcément long.
Je ne connais pas le magistrat Jean-Michel Gentil pas plus que les deux collègues instruisant avec lui, à Bordeaux, l’affaire dans laquelle l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy vient d’être mis en examen pour abus de faiblesse le 20 mars après avoir été placé sous le statut de témoin assisté le 22 novembre 2012 (Libération, Le Monde, Le Parisien).
Magistrat, je n’avais pas pour habitude – on me l’a assez reproché – de venir au secours du corporatisme des juges s’indignant à la plus petite atteinte. Magistrat honoraire, je n’ai pas davantage pris le pli d’un soutien automatique aux susceptibilités parfois trop vives du corps judiciaire.
Aussi me semble-t-il que ma réaction d’aujourd’hui, qui manifeste un engagement total pour la défense du juge Gentil et contre la haine collective qui s’est exprimée à son encontre par une part dévoyée de l’UMP, donnera la mesure exacte de ce qui s’est produit depuis la soirée du 20 mars et qui n’est rien de moins qu’un coup de force contre la démocratie dans son incarnation essentielle : l’Etat de droit.
Après la mise en examen de Nicolas Sarkozy, écoutons les aboyeurs éructant sur commande.
Dans le lot, il en est dont on ne présumait que le pire et il est survenu.
Patrick Balkany qui déclare à un contradicteur : « je vous emmerde », dénonce « l’ignominie » – de ce spécialiste, c’est une garantie ! -, Nadine Morano met en cause le caractère « grotesque et abject » et fait référence à Outreau (oui!), Geoffroy Didier condamne « l’acharnement » et Christian Estrosi « les relents politiques et l’instrumentalisation ». N’oublions pas Brice Hortefeux et Lionnel Luca : ce serait dommage.
Il en est d’autres dont on espérait la tenue, la retenue et qui, plus par tactique que par conviction pour certains, ont lâché scandaleusement la bonde. Un Claude Guéant, un Laurent Wauquiez, un François Fillon incriminant une décision « injuste et insupportable » et surtout un Henri Guaino au comble de l’ignorance et de la vulgarité : « La façon de travailler du juge indigne… il a déshonoré un homme, les institutions, la justice…la qualification d’abus de faiblesse grotesque, insupportable…il est irresponsable de diffuser une telle image du pays, de la République, de nos institutions… ». Cette dernière charge, qui porte précisément gravement atteinte à nos institutions et à la République, serait comique si elle concernait un sujet mineur.
Guaino, depuis, continue à tenir des propos de plus en plus virulents et approximatifs dans une surenchère inspirée par l’amitié et par la jouissance de sa propre fureur largement fabriquée.
Face à ce torrent délirant – au point qu’il est légitime de le croire au fond destiné scandaleusement presque plus à l’homme Gentil qu’au magistrat -, Jean-François Copé, avec son « incompréhension » et même Rachida Dati, avec sa relative mesure, semblent presque raisonnables. Le premier, sans doute étonné par son langage acceptable, éprouve tout de même le besoin de faire acte de solidarité, mais judiciaire, avec Guaino (nouvelobs.com). Quel courage !
Je relève avec bonheur que la sobriété d’Alain Juppé, pour une fois, lui a servi puisqu’il s’est contenté de rappeler la présomption d’innocence. Je félicite Jean-Pierre Raffarin et Valérie Pécresse de s’être abstenus.
Force est de constater que depuis la première cohabitation qui a fait prendre conscience aux politiques de l’enjeu de la justice dans le combat pour la conquête ou la sauvegarde du Pouvoir, on n’a jamais connu un tel déferlement collectif d’insanités odieuses.
Il aurait fallu être « sidéré » suite à la mise en examen de NS si on avait suivi la tonalité dominante des médias qui appellent séisme ce qui les surprend parce qu’ils sont incapables d’anticiper le cours d’une justice par nature imprévisible et lourde d’éléments ignorés et accumulés entre le 22 novembre 2012 et le 20 mars 2013 et durant cette dernière journée. Pour ma part, je suis saisi d’effarement devant ces violences ineptes de la part de membres d’un parti qui, dans notre espace démocratique, est censé porter la parole de l’opposition dite commodément républicaine. Tous ces médiocres Fouquier-Tinville n’ont, et pour cause, jamais eu l’occasion de connaître le fond de ce dossier et s’ils en savent quelque chose, c’est seulement sur la base de la relation directe ou indirecte propagée par le principal intéressé à l’égard duquel, à la longue, leur inconditionnalité va fondre comme neige au soleil. Ce qui est dramatique c’est de constater à quel point leur attitude globalement indécente est dévastatrice pour certains citoyens qui se croient autorisés par elle à diffuser par exemple de véritables menaces de mort à l’encontre du juge Gentil.
Il paraît que Nicolas Sarkozy a choisi de ne pas s’exprimer à la télévision parce qu’il craignait, à cause de son intervention, de « solidariser » les magistrats. Qu’il ne le craigne plus : c’est déjà fait, et qu’on arrête de suspecter ceux-ci de ne se préoccuper que d’eux-mêmes alors que leur révolte en l’occurrence – c’est trop rare pour ne pas être souligné et j’ose les grands mots – les place à l’avant-garde d’une République qui est menacée aujourd’hui par ceux-là même qui l’invoquent sans pudeur.
Le concert partisan contre Gentil a choisi, faute de pouvoir répliquer efficacement à une administration de la Justice préjudiciable à sa cause, de s’en prendre au juge et de l’accabler au prétexte qu’il serait partial et animé par des intentions malignes à l’encontre du seul NS puisque celui-ci, il ne faut pas l’oublier, est en bonne compagnie avec d’autres mis en examen.
Parce que JMG a été président de l’association des magistrats instructeurs et qu’il a écrit, avec d’autres, le 27 juin 2012 un article pour dénoncer la corruption, ses actes ultérieurs de juge seraient forcément inspirés par la malveillance à l’encontre de son illustre et difficile mis en examen n’hésitant pas, à la fin de la journée du 20 mars, à déclarer au magistrat : « Ne vous inquiétez pas, je n’en resterai pas là » ?
Cette thèse absurde, de même d’ailleurs que celle qui laisserait croire à un quelconque lien avec l’ouverture d’information dans le dossier Cahuzac comme si JMG pouvait prévoir les développements de celui-ci à Paris, n’est destinée qu’à tenter de « tuer » le juge faute de pouvoir valablement battre en brèche son action.
Pour adopter le même schéma pervers, parce que NS a détesté la magistrature durant ses cinq années de présidence (sauf les quelques magistrats inconditionnels et soumis à sa botte), a-t-on jamais contesté au président Sarkozy l’honneur d’être le garant de l’unité et de l’indépendance du corps judiciaire alors que la réalité de sa pratique n’inclinait guère à cette confiance ?
Autour de l’ex-président, on n’entend que : « Il est sincère, il est innocent, il est honnête » pour manifester à quel point l’écart serait énorme entre sa personne et l’infraction qui lui est imputée et qui n’exige pas que matériellement il soit venu lui-même lors de sa ou ses rencontres chez les Bettencourt, homme ou femme, solliciter l’argent octroyé par abus d’une faiblesse. Combien de fois , dans ma vie professionnelle – la comparaison ne se veut pas offensante-, ai-je entendu ce propos convenu que l’accusé ne ressemblait pas à son crime ou à son délit !
Il convient aussi de prendre la mesure qu’un ancien président de la République demeure, en dépit ce qui lui est reproché ou qu’il a accompli, protégé par le souvenir de la fonction qu’il a exercée et que cette dernière a une solennité, une dignité abstraites qui empêchent d’aller au bout de toutes les malhonnêtetés concrètes, d’analyser celles-ci et de les condamner médiatiquement, politiquement, comme la morale publique le commanderait. On n’ose pas penser qu’un ancien président puisse être gravement impliqué, surtout dans un processus aussi indélicat. Pourtant, pour peu qu’on se penche avec finesse, acuité et talent sur « Les lois du sarkozysme » comme l’a fait Thomas Clay dans un livre récent, on comprend aisément le venin subtil que ce quinquennat a fait couler dans nos veines.
Sur ce plan, d’ailleurs, qui de bonne foi, sans jamais se mentir, de droite ou de gauche, a jamais pu estimer improbable, irréaliste l’idée que NS ait pu être d’une intégrité toute relative ? Avec une éthique souple ? Qu’on se rappelle les Hauts-de-Seine, son appartement, ses arrangements, sa pratique de l’Etat, l’affaire Tapie-Lagarde, ses visites officielles et privées comme au Mexique notamment, sa passion avouée de l’argent, les obscurités suspectes, dévoilées sortant de son quinquennat ou de sa périphérie comme des champignons en leur saison, qu’on se souvienne de la manière dont il a traité par exemple les relations Woerth-Bettencourt et soudoyé par l’amitié et le favoritisme le procureur Courroye, qu’on garde en mémoire la pantalonnade « royale » de l’Epad et les mille épisodes médiatiques et politiques qui montraient que la République irréprochable était restée enkystée dans le paysage du candidat en 2007 : au regard de tout cela, avons-nous eu en Nicolas Sarkozy un de Gaulle à la moralité personnelle impeccable ou un homme rompu à toutes les manoeuvres et prêt à toutes les audaces, même celles de la transgression ? On nous décrit un sulpicien alors que c’est un cynique qui nous a éblouis, conquis, trompés et quittés contre son gré. Tout sera possible le concernant, sur tous les plans.
JMG a décidé de porter plainte contre Henri Guaino. L’offense qui lui a été faite justifie amplement cette initiative mais je crains que judiciairement il ait eu tort de faire passer sa blessure personnelle avant l’exigence absolue de mener son instruction à son terme. Pour le déstabiliser et ruiner cette procédure, NS utilisera, j’en suis persuadé, tous les moyens. J’évoque seulement l’ex-président et non pas son avocat l’excellent Thierry Herzog. Je ne reconnais plus celui-ci. Un homme si respectueux de l’Etat de droit, pugnace certes mais toujours courtois avec les magistrats, lucide, fin, quasiment infaillible sur le plan de l’analyse juridique, a été transformé d’une manière telle qu’à l’évidence c’est NS qui a gangrené, mal conseillé son conseil. La contagion de NS sur Thierry Herzog est dévastatrice. Psychologiquement, le 22 novembre 2012, ce dernier commet une maladresse en se moquant d’une prétendue erreur du juge. Juridiquement, il en commet une autre en laissant entendre que son client, témoin assisté, est nécessairement à l’abri d’une mise en examen. Au lieu d’apaiser son rapport avec le magistrat pour mieux sauvegarder les intérêts de NS, il adhère à la stratégie de tension de celui-ci et joue un rôle à la fois peu conforme à sa qualité et à mon sens guère efficace. Certes il va engager un recours contre la mise en examen. Peut-être la Chambre de l’instruction de Bordeaux lui donnera-t-elle raison ? Il fait allusion aussi à une possible requête en suspicion légitime contre le juge à cause de son article du mois de juin 2012. Il écrit dans le JDD un article très partisan, avec une citation erronée, où il feint de s’interroger sur les motivations de JMG pour laisser croire à la partialité politique de ce dernier. Je redoute je ne sais quoi, mais de mauvais augure pour Gentil, avec un Thierry Herzog chauffé à blanc et préparé à tirer toutes les conséquences de l’action pourtant légitime de Gentil contre Guaino. Tout sera mis en oeuvre pour que le sort judiciaire de NS lui permette encore un avenir politique.
Je suis d’autant plus persuadé qu’on se trouve confronté à une configuration exceptionnelle pour le meilleur et pour le pire qu’à ma grande stupéfaction j’ai pu lire un article de Me Georges Kiejman venant se mêler d’une affaire à laquelle, il est vrai, il n’était pas totalement étranger mais qui ne nécessitait pas de sa part un avis qui ne lui était pas demandé sur l’infraction d’abus de faiblesse et sur son imputabilité en l’occurrence à NS qui n’est que mis en examen de ce chef, donc présumé innocent, donc aussi assujetti à un avenir judiciaire incertain. Qu’un avocat avec le talent, l’histoire, l’influence de Me Kiejman se soit aventuré dans une telle prise de position anticipée, inutile et imprudente – « mauvais coup à la justice » ! – manifeste comme des forces troubles se coalisent pour freiner, délégitimer avant l’heure une instruction qui doit être bien peu critiquable et bien conforme à la vérité pour qu’on veuille ainsi s’acharner contre elle et faire douter des capacités juridiques de ceux qui la mènent !
Un garde des Sceaux pas seulement enivrée par l’encens parlementaire du mariage pour tous aurait mis depuis longtemps un holà décisif à ces offensives qui n’ont rien à voir avec la contradiction au coeur d’une bonne justice mais tout avec une machine de guerre pour empêcher que justice, quelle qu’elle soit, soit faite. Christiane Taubira est confrontée à une restriction de ses crédits. Est-elle la cause ou la conséquence de son action seulement verbale ? Sauf pour la gauche énamourée et nostalgique, elle n’a plus de crédit comme ministre parce qu’elle n’a su depuis le début que résister à la tentation de l’action concrète et opératoire. Le verbe s’est fait Taubira mais la politique pénale n’a pas suivi. Elle ne s’est pas immiscée dans le cours de ces affaires sensibles et cette heureuse abstention lui a interdit aussi, par là même, de pourfendre l’attitude d’une opposition qui a lâché sa bride comme elle désirait. CT n’a fait que le service minimal pour défendre Gentil parce que partisane et sectaire, décrédibilisée, dépassée, elle regarde, parle et poursuit son inaction.
JMG n’est pas seul. Il doit le savoir. J’ai honte de cette droite. Cette gauche n’est guère irréprochable. Il y a les citoyens.
Puisqu’avec NS, la politique n’est jamais loin du judiciaire, gardons en mémoire une autre promesse trahie : « Si je perds, vous n’entendrez plus jamais parler de moi ». Cet engagement date du mois de janvier 2012.
Oui, honneur à Jean-Michel Gentil, à la Justice, à l’Etat de droit, à une authentique démocratie, honte aux aboyeurs qui la déshonorent.
Franchement, même avec un pouvoir socialiste qui peine, avec un ministre de la Justice qui échoue, avec un président de la République qu’on accable de sarcasmes, même en chanson, et qui tient son cap, avec ou sans NS en 2017 avez-vous vraiment envie de les voir revenir, ceux qui ont tout oublié des cinq ans passés, dépassés et rien appris de leur défaite ?

*Photo : dennis and aimee jonez.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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