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Intégrisme libéral à la BCE


Intégrisme libéral à la BCE
Jean-Claude Trichet, photo Flickr/Parlement Européen.
Jean-Claude Trichet
Jean-Claude Trichet, photo Flickr/Parlement Européen.

Depuis le traité de Maastricht, on nous a raconté que l’indépendance des banques centrales était la condition nécessaire pour une bonne gestion de la monnaie, qu’il fallait  mettre à l’abri des décisions des gouvernants, par essence électoralistes et aux conséquences nécessairement désastreuses. Les décisions de politique monétaires ne seraient donc que des mesures d’ajustement techniques, prises objectivement et presque mécaniquement, sans que l’idéologie n’intervienne. Une pure affaire d’experts devant rester en dehors du débat public.

Le gouverneur de la BCE, Jean-Claude Trichet a donné cette semaine une interview à l’hebdomadaire Le Point qui me semble faire voler ce mythe en éclats. Si notre grand argentier est toujours très sourcilleux quant à son indépendance à l’égard du politique, il semble bien faire allégeance au pouvoir financier.

L’essentiel de l’entretien est un festival de langue de bois parfaitement sans intérêt. On croirait entendre un théologien enfermé dans ses dogmes et inaccessible à toute forme de réalité. On y lit par exemple avec effarement que « personne ne remet plus en cause les principes du pacte de stabilité » alors que celui-ci a volé en éclat à la faveur de la crise, ou que « la population grecque comprend parfaitement la nécessité de redresser ses comptes publics et de prendre les mesures indispensables pour renouer avec la croissance et créer des emplois » ou que la Grèce peut remercier l’euro de l’avoir « rendue plus forte » !

Très curieusement, les journalistes ont évité les questions qui fâchent. Rien sur les déséquilibres croissants entre les pays excédentaires et les pays déficitaires au sein de la zone euro et la viabilité d’une monnaie commune dans ce contexte. Rien non plus sur la polémique sur le modèle allemand lancée par Christine Lagarde. Cependant, interrogé sur la proposition de certains économistes, notamment ceux du FMI, d’autoriser une certaine relance de l’inflation, Trichet fait une réponse d’une étonnante franchise : « Si je vous disais – c’est une hypothèse évidemment absurde – que je ne suis pas contre une inflation autour de 4% vous verriez en temps réel, l’ensemble des participants au marché augmenter nos taux d’intérêt de manière considérable pour tenir compte de l’inflation future. Qui plus est, s’y ajouterait une importante prime de risque pour tenir compte des nouveaux changements possibles. Les ménages perdraient confiance. Les entreprises auraient des financements plus coûteux. Et les Etats verraient le coût du refinancement de leur stock de dette augmenter massivement. L’inflation, qui est au demeurant rejetée par nos concitoyens n’est absolument pas la solution ! »

Manifestement les rentiers d’aujourd’hui, qui pas plus qu’hier n’ont envie de se laisser « euthanasier » par l’inflation,  ont trouvé en Jean-Claude Trichet, mieux qu’un porte-parole, un chien de garde de leurs intérêts !

La réponse de Trichet en dit long sur le fonctionnement du système de domination du pouvoir financier à notre époque de « mondialisation heureuse ».

Les élites détentrices d’une parole autorisée doivent exercer un terrorisme intellectuel sans faille pour interdire tout débat qui pourrait accréditer l’idée même de solutions alternatives. Il est interdit de parler des éventuelles vertus de l’inflation et encore moins des moyens de la susciter. Interdit ! Ainsi, une fois que l’intérêt des classes dominantes transformé en pensée unique, il suffit de s’appuyer sur les représentations qu’en ont les classes populaires pour leur conférer une légitimité démocratique.

Trichet nous renseigne aussi sur la nature totalitaire du pouvoir financier à l’âge hyper-capitaliste. Frédéric Lordon est encore en dessous de la réalité lorsqu’il parle de « dictature du capital », car la dictature est assumée comme tel avec la violence qui va avec. Le capital aujourd’hui exerce sa domination de manière sournoise, cachée derrière des lois économiques présentées comme des vérités naturelles et l’absence d’alternatives envisageables.

Cette domination s’exprime principalement par deux canaux. Le pouvoir de l’actionnaire dit « capitalisme actionnarial » qui conduit à garantir le paiement d’une rente quasi incompressible aux détenteurs du capital, quel qu’en soit les conséquences : réductions des coûts de production, intensification du travail, licenciements, délocalisations, suspensions des investissements. Les derniers chiffres du CAC 40 cette année l’ont exprimé avec force. Malgré la crise et la réduction du volume d’activité, le montant des dividendes est resté identique aux années passées, parfois même supérieur aux profits !

Bien évidemment l’idéologie dominante ne va pas présenter ce versement comme une rente, mais au contraire comme une bonne nouvelle pour tout le monde. Car en vertu du théorème de Schmitt « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après demain ». L’histoire n’a fait que démontrer le contraire, mais ce n’est pas grave, nos brillants éditorialistes économiques continuent à y croire. Du coup, le système tient sans trembler. Cette année, l’information est passée dans l’indifférence générale, les médias trouvant beaucoup plus rigolo de s’intéresser aux classements des plus grandes fortunes mondiales qu’à la répartition de la valeur ajoutée en temps de crise.

On retrouve cette mystification avec l’affaire Grecque puisque Trichet se permet d’annoncer aux Grecs que la saignée qu’ils sont censés accepter avec le sourire produira demain de la croissance et de l’emploi ! Pourtant, si l’Etat et la population sont sommés de faire pénitence, certains dans l’ombre font bombance. Les intérêts prohibitifs payés par la Grèce sur sa dette publique sont bien perçus par quelqu’un !

Je ne me lancerais pas aujourd’hui le débat sur la légitimité des intérêts payés sur la dette publique, je préfère laisser cela à des plumes plus compétentes. Je me contenterais d’esquisser un raisonnement simple. La BCE refinance les banques à des taux très bas (entre 0.5% et 1%). Celles-ci prêtent aux Etats à 3.5% (dans le meilleur des cas) puis refourguent les titres de dettes publiques à la BCE en garantie. Dans ces conditions, la différence entre le taux directeur de la BCE et le taux d’intérêt sur les emprunts d’Etat constitue une marge au profit du système financier. Plus les taux d’intérêts payés par les Etats augmentent, plus les banques font de profits, et cela pour un service rendu strictement identique.

Trichet nous rappelle avec sa menace grotesque (un gros mot dans sa bouche pourrait suffire à faire monter les taux d’intérêt) que le pouvoir financier peut faire varier cette marge de manière totalement discrétionnaire et pour des motifs purement subjectifs. Il suffit de déclarer que tel ou tel pays n’inspire pas confiance pour le rançonner avec des taux d’intérêts majorés, lui imposer une saignée et par la même occasion se goinfrer allègrement !

On pourrait s’attendre à ce que le grand argentier de la zone euro cherche à défendre les intérêts des Etats en s’attachant à améliorer leurs conditions de financement : rassurer les marchés sur l’inexistence du risque de banqueroute des Etats ou modérer l’appétit des banques commerciales. Après tout, lorsque le système financier était en situation de faillite virtuelle, la BCE n’a pas hésité à user de « moyens non conventionnels » (en clair de la création monétaire) pour renflouer les banques. Pourquoi ne déclarerait-elle pas aujourd’hui qu’elle n’hésiterait pas à en faire de même (en prêtant directement aux Etats) pour éviter toute situation de défaut de paiement ?

Trichet fait exactement le contraire. Il légitime la souveraineté des marchés financiers, l’irrationalité de leur réaction et la prédation qu’ils organisent. Des populations qui souffrent, des Etats qui se délitent et les profits des banques qui explosent !

On sait désormais que la BCE n’est indépendante qu’à l’égard des souverainetés étatiques. Elle est à l’image de sa grande sœur américaine, une instance de type oligarchique, la garante des privilèges du pouvoir financier et la protectrice des oligarchies financière.

Texte initialement paru sur Horizons.



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