Accueil Politique J’ai le Môquet

J’ai le Môquet


J’ai le Môquet

Il est beau, il est frais mon Guy Môquet ! Qui n’a pas son Guy Môquet ? La France a perdu la bataille du rugby mais elle n’a pas perdu la guerre de la crétinerie. A la suite de Bernard Laporte, entraîneur reconverti en ministre d’appoint, on se bouscule au portillon pour singer la première décision de chef d’Etat de Nicolas Sarkozy. C’est ainsi qu’un zélé employé des Postes a eu la brillante idée de faire figurer au dos des carnets de timbres le visage du jeune homme tué par les Allemands et un extrait de sa lettre : « Vous tous qui restez, soyez dignes de nous, les 27 qui allons mourir. »

Faire étudier la lettre au collège, on pouvait adhérer. Autant l’avouer, l’idée paraît d’autant plus séduisante qu’elle a suscité les glapissements de tous ceux qui pensent que parler de la France revient à faire le lit du fascisme ou quelque chose d’approchant. Certes, il ne manque pas de textes plus significatifs que cette lettre qui est certes émouvante mais qui n’est que cela – ce qui n’enlève rien au courage et au sacrifice de l’adolescent. Mais après tout, rien n’oblige à communier dans le pathos et ces quelques lignes peuvent inciter des élèves à être autre chose que des individus réduits à eux-mêmes.

Puis vinrent le XV de France et son prophète Bernard Laporte, et la France toute entière convertie à la religion du rugby par trois mois d’intense propagande médiatico-sondagière assaisonnée de frénétique matraquage publicitaire. Nul n’a oublié la brillante initiative de l’entraîneur qui trouva spirituel de faire lire la lettre aux joueurs, quelques heures avant leur premier match – contre les Argentins. Des millions de téléspectateurs purent l’entendre haranguer ses troupes. « Le drapeau tricolore est hissé, c’est l’heure du premier combat », lançait-il au terme d’une envolée dans laquelle il était question d’un « mec décidé à se battre pour son pays ». Ni la vulgarité, ni l’obscénité ne semblaient choquer Claire Chazal, notre Marianne cathodique, la grande sœur des Français et des Bleus – toutes disciplines confondues – qui, en ce grand jour, présentait son journal en direct du Stade de France.

Heureusement, la France a perdu. Eut-elle gagné que l’on aurait sans doute applaudi Laporte. Au contraire, son effarante invention suscita une réprobation unanime. Après la défaite. Il fallait bien alimenter la polémique qui suit toute catastrophe nationale. A vrai dire, une partie non négligeable des commentateurs ne trouva pas grand-chose à redire à ce petit cérémonial, sinon qu’il avait coupé les jambes de nos héros et fait fondre leur mental d’acier. On avait compris : l’excès d’émotion nuit à la performance. Trop sensible, ce Chabalak.

Sans doute cet épisode ne reflétait-il rien d’autre que le zèle d’un courtisan un peu épais. « Vous avez vu, chef ? Je fais comme vous avez dit ! » Seulement, rien n’est plus répandu que la sottise conjuguée à la servilité. Après « Guy Môquet joue au rugby », nous avons donc le droit à « Guy Môquet envoie des lettres ». (Bon sang mais c’est bien sûr : je viens de comprendre le lien entre le jeune homme et les carnets de timbres). On a échappé de peu à « faites comme Guy Môquet, utilisez la Poste ».

Il y aurait bien de quoi s’énerver, mais ce serait dommage de passer à côté du caractère hautement comique de la situation. Sans compter qu’elle ouvre d’appréciables perspectives. En termes de créations d’emplois pour commencer. « Devenez lecteur ou (lecteure) de la lettre de Guy Môquet. » Et imaginons que tous les membres du gouvernement, suivant l’exemple de notre sportif, se mettent à rivaliser dans le fayotage : Roselyne Bachelot décrèterait que la lettre doit être lue aux malades dans les hôpitaux, Rachida Dati la ferait apprendre aux prisonniers, tandis que Brice Hortefeux exigerait des candidats à la régularisation qu’ils la récitent par cœur. Il faudrait aussi l’afficher dans les commissariats et obliger les maris maltraitants à la copier cent fois. Quant à Bernard Laporte, ce grand patriote, il pourrait proposer qu’elle soit lue dans les stades. Lors du match France-Maroc du 16 novembre, il aurait pu la déclamer lui-même entre les huées qui ont salué La Marseillaise et les insultes qui ont ponctué, tout au long du match, l’apparition de chaque joueur non-musulman. Encore aurait-il fallu que le secrétaire d’Etat aux Sports ait eu conscience qu’il se passait quelque chose.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Le Caseur
Article suivant Passifs mais pas naïfs
Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération