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Le Caseur


Le Caseur

A Paris, une de mes connaissances, qui tient à garder un anonymat qui lui convient fort bien, m’a affirmé, main sur le pacemaker, que Giscard était dans tous ses états. « Le Président s’inquiète de l’omniprésence de Guaino aux côtés de Sarkozy. Ce qui l’effraie encore plus, c’est que le nègre du nouveau régime s’est installé dans le bureau qui fut le sien à l’Elysée avant que les chars russes déferlassent sur Paris et que l’intelligentsia financière française s’exilât en Suisse. »
Même nonagénaire, le jeune giscardien emploie, d’une manière plus que douteuse, l’imparfait du subjonctif et continue à croire que VGE est, a été ou sera président de la République. Avant que l’infirmière ne vienne reconduire à sa chambre le jeune giscardien et qu’il puisse me lancer un « au revoir » qui sonnait comme un adieu, il bredouilla quelques incompréhensibles mots sur une « cache dissimulée sous le parquet – même Chirac en deux mandats n’a rien trouvé –, où Anémone aurait planqué quinze kilos de cantal et Valéry les diamants de la couronne de Centrafrique ».

En refermant derrière moi la porte de l’hospice, j’éprouvai un étrange malaise et mes pensées volèrent vers le pauvre Guaino : qu’il travaille avec Sarkozy, passe encore. Il n’y a pas de sot métier. Mais pourquoi avoir accepté d’être logé dans le bureau de l’ancien président auvergnat et risquer de subir un jour l’assaut véhément de millions d’anciens jeunes giscardiens en furie ? En était-il seulement conscient ? Je décidai de prendre le chemin de l’Elysée pour l’alerter.

Ce ne fut ni un pandore ni un garde républicain qui m’empêcha d’entrer dans le palais présidentiel. Etendue de tout son long devant le portail, une demi folle bloquait le passage. Elle gémissait, pleurait et boursouflait ses lèvres grosses comme des saucisses de Francfort en mille lamentations : « Libérez Guaino ! libérez Guaino ! libérez Guaino ! » J’entrepris d’enjamber la désespérée. Chacun son Rubicond.

– Mais, laissez ma jambe tranquille ! je veux passer.
– Non ! non ! personne ne passe tant que je n’ai pas pu m’enchaîner solidement à Guaino. Les CRS ont pu me virer de l’église Saint-Bernard, ils n’arriveront pas à me déloger de Guaino.
– Mais qu’est-ce qu’il vous a fait, Guaino ?
– Lui, rien ! C’est une victime, une pauvre et malheureuse victime. Il est retenu, comme des centaines et des milliers d’autres immigrés dans les centres de rétention.

Une heure durant, je m’escrimai à expliquer à la mal-comprenante la différence entre nègre et nègre, entre gratte-papier et sans-papier. Elle ne voulait rien savoir. Un car de CRS déboula en trombe et s’empara d’Emmanuelle Béart pour la reconduire à Sainte-Anne. Moi, je profitai de la pagaille pour entrer à l’Elysée.

Assis à son bureau, Henri Guaino se passait une main dans les cheveux. De l’autre, il écrivait, biffait, raturait, torturait à coups de plume une feuille de papier. Parfois il dessinait en l’air d’étranges arabesques, maculant l’alentour de taches d’encres. Jamais son regard ne quittait sa feuille des yeux. J’eus beau toussoter, siffler, humhumer, il ne prêtait aucune attention à ma présence.

L’homme porte beau. On lui donnerait le bon Dieu sans confession, à cet éternel premier communiant, auquel il ne manque que le missel, le cierge et le brassard. Plus d’une douairière le lorgne pour gendre. S’il est vrai qu’à chaque tête correspond un emploi, alors la sienne est d’une prodigieuse polyvalence. Habillé d’une blouse bleue, il ferait un très beau chef de rayon au BHV (position bien plus enviable que raciste en chef au BHL). En blouse blanche, ce serait un pharmacien ou un laborantin très convenable. En costume trois pièces, on se l’imaginerait bien présider le conseil de fabrique d’une petite paroisse de province ou encore le conseil d’administration d’Electricité de France.

La sonnerie du téléphone soudain retentit, m’extirpant de mes pensées et sortant Guaino de son bureau. Je restai seule dans la pièce.

La planque d’Anémone et de Valéry ne devait être qu’une fumisterie. J’eus beau inspecter, à quatre pattes, chaque latte du parquet. Aucune ne semblait vouloir révéler de secret ni fromager ni diamantaire. Je me relevai. La curiosité n’étant pas au nombre de mes vices, c’est bien malgré moi que mon regard tomba sur la feuille qu’Henri Guaino avait noirci de son écriture :

« Homme, 52 ans, taille agréable, sportif, récemment divorcé, bonne situation, ne boit pas, ne fume pas, cherche à rencontrer femme âge et situation en rapport (pas Angela Merkel non plus). Ensemble tout sera possible. Envoyez réponse au journal qui transmettra. »

Je décidai de m’éclipser avec la discrétion qui me caractérise et de garder pour moi cette étrange révélation : Guaino était devenu le caseur de Sarkozy. Quoi de plus normal, pour un nègre, de finir un jour, à faire dans la case.

Traduit de l’allemand par l’auteur.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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