Qu’elle était verte ma publicité…


Qu’elle était verte ma publicité…

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11 millions. C’est le nombre de voitures Volkswagen équipées du fameux logiciel espion permettant de tromper les contrôles antipollution. En septembre dernier, le monde a découvert, éberlué, que la célèbre marque allemande, symbole de la deutsche Qualität, avait sciemment truqué les résultats de ses véhicules, afin de faire croire qu’ils étaient conformes aux critères fixés, aux États-Unis et en Europe, en matière d’émission de dioxyde de carbone. L’arnaque n’avait pas empêché la firme de Wolfsbourg de vanter pendant des années son « efficience écologique ». VW n’hésitait pas non plus à vendre, à grand renfort de communication, son « éco-conscience », ou encore son « écologie sans compromis ». Certaines de ses campagnes de publicité mettaient en scène des paysages de nature sauvage, ou encore des balades campagnardes en famille. Sans parler de ce slogan, diffusé dans un spot ciblant ses concurrents : « S’ils mentent à leurs enfants, imaginez ce qu’ils vous raconteront quand ils essaieront de vous vendre leur voiture. » Bonne question.[access capability= »lire_inedits »]

Bien sûr il s’agit d’un cas extrême, mais qui démontre une chose : la communication « écolo » des marques n’a pas grand-chose à voir avec la réalité de leurs pratiques industrielles. Quelle multinationale ne dispose pas de son label « durable », souvent autodécerné ? Quelle marque n’a pas sa campagne de pub peuplée de petits oiseaux, de champs de fleurs et de joyeux bobos s’ébrouant dans l’herbe et le foin ? Les plus démonstratifs dans l’évocation bucolique sont d’ailleurs souvent les plus polluants : géants pétroliers, producteurs d’énergie nucléaire ou encore mégabanques n’hésitant pas à financer les activités les moins éco-compatibles.

Cette déferlante de communication verte ne date pas d’aujourd’hui. « C’est au milieu des années 2000 que l’on a vécu une véritable explosion », rappelle Mathieu Jahnich, directeur de Sircome, un bureau de conseil en stratégie de communication, et bon connaisseur des pratiques de greenwashing des grandes entreprises. C’est l’époque du film choc Une vérité qui dérange, mettant en scène le combat d’Al Gore, ou encore du pacte écologique de Nicolas Hulot. L’écologie, avec son eschatologie millénariste et son adoration de la terre mère, devient un thème porteur, attirant pêle-mêle : militants sincères, politiques en quête de visibilité ou encore bateleurs en manque de publicité. Nicolas Sarkozy s’y met à son tour, après son élection en 2007, avec le grand barnum du Grenelle de l’environnement.

Les entreprises comprennent alors qu’elles ont besoin d’un dispositif de communication adapté, en particulier celles qui sont les plus critiquées pour leur impact sur l’environnement. « Depuis quelques années déjà, les grandes entreprises étaient impliquées », explique le patron de la RSE (Responsabilité sociale et environnementale) d’une multinationale hexagonale, « mais à ce moment-là, ça a pris une dimension supplémentaire. » La thématique du développement durable, relayée par tout un jargon bureaucratico-entrepreneurial (« éco-efficience », « financement responsable », « durabilité »…), était déjà apparue depuis une décennie, mais désormais la communication « verte » devient un enjeu clé pour les entreprises.

Les abus les plus criants datent de ce mitan des années 2000, propulsés par la publicité. Et ce, avec d’autant plus de facilité qu’en France tout au moins, ce sont les professionnels eux-mêmes qui décident de ce qui constitue ou non un abus. Seuls les cas les plus évidents de « pratique commerciale trompeuse » sont passibles de recours en justice. Autant dire que les entreprises disposent d’une certaine marge de manœuvre…

On pourrait citer de multiples exemples. À commencer par PSA, qui, en 2007, promeut son dernier 4 X 4 en ces termes : « Une technologie plus propre pour plus de plaisir. » L’argument est le suivant : la Peugeot 4007 « bénéficie d’un filtre à particules additivité de dernière génération […] confirmant ainsi le leadership de Peugeot dans la technologie propre ». Le 4 X 4 de la marque au lion émet pourtant plus de 190 grammes de CO2 au kilomètre, soit bien davantage que les recommandations en 2005 de la Commission européenne (140 grammes au kilomètre en moyenne pour les véhicules neufs). La publicité, selon un procédé habituel baptisé greenwashing, décrète ainsi « propre » ce qui est simplement « un peu moins sale » que la concurrence.

Autre exemple, celui de la lessive Le Chat et de son packaging vert gazon, qui, en 2009, communique sur le thème : « L’écologie, c’est le moment d’en parler moins et d’en faire plus. » La campagne en parle d’ailleurs si peu qu’elle oublie de mentionner la présence de substances allergènes (butylphenyl, methylpropional, hexyl cinnamal, linalool) dans sa composition, ainsi que l’absence de l’écolabel européen, une garantie appliquée aux lessives les moins polluantes du marché.

On pourrait multiplier les exemples de ces écoloblanchiments, qui ne sont souvent que des ravalements de façade, à grands coups de peinture verte. « Des améliorations dans le comportement des entreprises ont cependant été enregistrées à cette époque, ajoute Mathieu Jahnich, avec le développement de nombreuses associations écolos qui ont pointé du doigt les plus gros mensonges. » La régulation devient également un peu plus restrictive, avec la possibilité donnée à la justice de prendre des sanctions plus lourdes, en cas d’abus manifeste. Ainsi de la campagne pour l’eau Cristalline de 2007, qui pointait du doigt l’eau du robinet, accusée de contenir des nitrates, du plomb et du chlore, et la comparait à l’eau des toilettes. En 2015, Cristalline a été condamné à plus de 100 000 euros d’amendes. Mais la condamnation, finalement pas si lourde, n’est intervenue que huit ans après les faits.

Depuis 2008, du fait de la crise financière puis économique, la frénésie de verdissement des entreprises se refroidit à nouveau. Conséquences de la récession, et de son cortège de chômeurs : la nécessité s’impose de relancer la croissance, pour éviter que l’économie mondiale, comme dans les années 1930, ne sombre dans la dépression. Les politiques ne parlent désormais plus que de relance et de réindustrialisation, au grand dam des militants écologistes. L’échec de la conférence de Copenhague, fin 2009, témoigne du passage au second plan, pour les États, de la problématique du réchauffement climatique.

Quant aux entreprises frappées par la crise, elles se recentrent sur leurs fondamentaux : réduire les coûts, améliorer leur compétitivité, afin de survivre dans un univers en rétraction. Le verdissement, dès lors, redevient une problématique secondaire « On a raté à ce moment-là l’opportunité de remettre en cause fondamentalement le système, analyse Tristan Lecomte, le fondateur de Pur Projet, une société qui accompagne les firmes désireuses de reboiser les forêts pour lutter contre le réchauffement climatique. Tout le monde est responsable, les entreprises, mais aussi les États et les consommateurs. »

À la faveur de la COP21 – et même si les attentats du 13 novembre peuvent à nouveau changer la donne –, l’environnement redevient un thème central pour les entreprises, du moins les multinationales hexagonales dont l’activité est soupçonnée de concourir au changement climatique (Total, EDF, Engie, Air France…). Certains dénoncent déjà la manière dont la COP21 a été organisée, qui permet à ces entreprises d’associer leur nom à l’événement. Renault, L’Oréal, Carrefour, EDF, BNP Paribas, Engie ou encore Air France sont ainsi sponsors de la conférence, et pourront afficher le logo « partenaire officiel Paris 2015 » pendant un an. Pour faire partie des heureux élus, aucun critère particulier n’a été fixé, même si certains candidats au sponsoring, jugés trop « éco-incompatibles », ont été découragés.

Pour beaucoup d’entreprises, c’est le moment de communiquer à nouveau massivement autour des problématiques environnementales. C’est aussi l’occasion, pour les associations, de les forcer à bouger en menaçant de les épingler pour greenwashing au moment de la COP. « Suite à des campagnes des associations, les grandes banques, comme Crédit Agricole, Natixis ou encore la Société générale, ont été contraintes de prendre des engagements en matière de financement des activités liées au charbon », témoigne ainsi Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes chez Les amis de la Terre, une association qui décerne chaque année le prix Pinocchio à l’entreprise pratiquant le greenwashing le plus éhonté. Un prix successivement attribué à Areva, Veolia, Samsung, ou encore Shell, pour le décalage entre le discours vert bonbon et la réalité. Parmi celles nominées pour 2015 figurent Total, Chevron ou encore EDF. Mais aussi Engie, qui est pourtant partenaire de la COP21. En changeant de nom au début de l’année, l’ex-GDF Suez avait promis de devenir l’énergéticien d’un « monde qui change ». Sur toutes les chaînes, sa pub annonçait que dans ce nouveau monde « le noir est désormais presque vert », et « chacun de nous, une source d’énergie ». Promesse non tenue selon Les amis de la Terre, qui rappellent que la stratégie d’Engie n’a pas fondamentalement changé et continue à reposer massivement sur le gaz et le charbon. C’est donc la preuve qu’avec le greenwashing ce sont d’abord les cerveaux qui passent au lavage.[/access]

*Image: Soleil.

Décembre 2015 #30

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste, il tient le blog Basculements.

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