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Ciao Bella!

Gina Lollobrigida (1927-2023)


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L'actrice italienne Gina Lollobrigida en 1950 © Shutterstock/SIPA

L’actrice italienne Gina Lollobrigida, icône des années 50 et d’une certaine insouciance, vient de disparaître à l’âge de 95 ans


Gina Lollobrigida fut ce corps et ce nom qui allaient si bien ensemble. Les deux corps explosifs de la reine de Saba du septième art, selon la théorie approximative d’Ernst Hartwig Kantorowicz ! Donnez du pain, de l’amour et Lollobrigida aux peuples européens et vous aurez la paix sociale. Au temps du machisme scolaire et du sexisme ambiant, les garçons épelaient sa silhouette dans les cours de récréation avec beaucoup d’agitation. À la parole, ils y ajoutaient le geste qui, aujourd’hui, serait puni par la loi. Nous n’étions pas des goujats, mesdames, seulement des admirateurs d’un cinéma en carton-pâte, produit pour les masses laborieuses dans l’illusion de l’expansion économique et des poitrines généreuses. Car, Gina était la forme la plus avancée du miracle italien de l’Après-guerre, la mascotte des années 1950, la Vénus impériale des Prisunic, les courbes de la Vespa et l’esprit d’une Rome caligulesque fictionnée par Cinecittà, l’écho du roman-photo allié à une imagerie en provenance directe d’Hollywood, trop clinquante pour être honnête. Fellini n’avait pas encore posé sa caméra sur la Via Veneto que déjà Gina affolait les foules et les rotatives. Elle fit vendre plus de papier luisant que n’importe quel philosophe au torse glabre et dépoitraillé. Elle était charbonneuse et sentimentale, piquante et aimante, avec ce tour de force inouï de ne jamais nous révéler sa véritable identité. Là, réside l’inassouvie tentation qui taraude le public. Le mystère se niche dans le silence. Elle fut une pionnière du genre girond et tempétueux, bien avant Ornella Muti ou Monica Bellucci. Nous n’étions pas dupes de tous ces trucages et de cette publicité outrancière autour d’une si charmante personne. Cherchez la star et vous trouverez une victime en puissance du système. Derrière tous ces décors factices et de si nombreuses histoires à l’eau de rose, Gina incarnait malgré tout une féminité que l’on pourrait qualifier de conquérante, quelque chose dans le ton et l’attitude qui ne plie pas, quelque chose de ferme qui bataille, coûte que coûte, sans rancœur, l’époque était moins amère et victimaire. Sa consœur Sophia Loren est faite du même marbre de carrare, cette blancheur étincelante veinée d’incertitudes qui ne se dévoile presque jamais. Gina arrêta relativement tôt sa carrière, comme notre Brigitte nationale, pour se consacrer à la photographie et à la sculpture. Sur le plateau de Thierry Ardisson, elle prévenait Béatrice Dalle des ravages de ce métier: « Il faut être dure…Il faut se défendre ». Elle en connaissait un rayon, entre les producteurs véreux, les projets foireux, les imprésarios garde-chiourmes, une télé à paillettes et des amours bancales. Elle fut l’une des premières actrices de rang international à divorcer. Et dieu que c’était long dans une Italie calotine et peu encline à la paix des ménages. François Chalais parlait à son sujet de révolution. Un jour, à Naples, voulant acheter un cadeau pour sa mère, elle déclencha un bouchon monstre, bloquant une artère entière. Pourquoi Gina, au-delà d’un physique avantageux et d’un accent chantant, nous touche autant alors que sa filmographie tend à disparaître de notre mémoire ? Nous nous souvenons d’elle dans « Fanfan la Tulipe », dans une superproduction voltigeuse aux côtés de Tony Curtis et Burt Lancaster en trapézistes cabossés, et puis évidemment, comment l’oublier, dans une romance à l’italienne, aussi drôle que subtile, tentant de contrer les avances d’un carabinier trop entreprenant (Vittorio de Sica) sous la direction de Luigi Comencini. Ensuite, sa carrière semble s’effacer dans la brume vénitienne. Pourquoi cette Gina en Esmeralda au décolleté rougeoyant sur le parvis de Notre-Dame ou en vieille comtesse bijoutée à la fin de sa vie n’est-elle pas sortie de notre imaginaire ? Certainement que cette grand-mère romaine du fond des âges nous rappelle le bonheur du Cinémascope et des chocolats glacés à l’entracte. Gina, en bohémienne ou en caissière, en princesse de sang ou en roturière, dans les pas de Mario Soldati ou de Roger Vailland, dans la jungle birmane ou à Portofino, était notre Italienne de carte postale aussi capitale qu’un amour de vacances.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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