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Geoffroy Lejeune: “Le nombre de militaires ayant signé la tribune sera certifié par huissier”

La patron de "Valeurs" dévoile les coulisses de la tribune des militaires


Geoffroy Lejeune: “Le nombre de militaires ayant signé la tribune sera certifié par huissier”
Le journaliste Geoffroy Lejeune © JOEL SAGET / AFP

Entretien avec le directeur de la rédaction du magazine Valeurs actuelles


Elisabeth Lévy. La rédaction de Valeurs actuelles a-t-elle été à la manœuvre pour obtenir une deuxième tribune de militaires ?

Geoffroy Lejeune. Nous avons été sollicités par des militaires qu’on ne connaissait pas avant. Ils se sont adressés à nous parce que nous avions été le relais de la première tribune, tout simplement. Il nous a fallu quelques jours pour aboutir au texte qui a été écrit à plusieurs mains. Nous avons précipité la publication car, comme le texte circulait pour le recueil des signatures, il y avait des fuites dans la presse, C News en avait diffusé des bribes. État-major, politiques, journalistes, tous ceux qui voulaient l’avoir l’avaient lu. Pour éviter qu’il soit attaqué sur la base de quelques extraits, j’ai donc décidé de le publier intégralement.

Et pour la première, comment cela s’est-il passé ?

L’auteur du texte, Jean-Pierre Fabre-Bernadac, m’a appelé personnellement après son passage chez André Bercoff sur Sud Radio. J’ai mis quelques jours à réagir, puis nous avons travaillé deux jours avec lui, notamment pour décider de la façon dont on présenterait les signataires. Nous avons  publié le texte le 21 avril. Mais la polémique a commencé seulement quand Marine Le Pen est entrée dans la danse. Nous lui avons proposé de répondre dans le journal la semaine suivante, mais elle voulait que ça aille vite. Sa réponse a donc paru sur notre site le 23. Le lendemain, pour des raisons purement politiciennes, Jean-Luc Mélenchon s’agite sur le sujet sur le mode « des putschistes veulent prendre le pouvoir ». Au même moment l’attentat de Rambouillet le fait beaucoup moins réagir : cela donne une idée de ses priorités. C’est à ce moment que nous avons été sollicités par des militaires en activité qui voulaient défendre leurs aînés et récuser le procès en putschisme.

Sans les déclarations de Mélenchon et du gouvernement, la deuxième tribune aurait-elle existé ?

Assurément, non. Comme vous l’avez constaté, le deuxième texte s’attache en premier lieu à défendre l’honneur des gens qui ont été salis par ces accusations en putschisme. Sans les envolées lyriques de Pannier-Runacher sur le « quarteron de généraux en charentaises » ou « le bruit de bottes » de Gérald Darmanin, ces militaires n’auraient pas décidé de répliquer.

Il paraît que, pour le CEMA, les anciens, c’est toujours compliqué à gérer…

Évidemment, c’est compliqué ! Mais rien n’obligeait les politiques à utiliser de tels quolibets caricaturaux et de telles invectives à l’encontre de gens qui ont servi leur pays. On s’est moqué des messagers pour disqualifier le message, leur constat sur le délitement de notre pays. Du reste, quelques jours après, un sondage Harris Interactive a montré que ce constat était largement partagé, au-delà de la droite.

Je ne vois pas de tentation insurrectionnelle au sein des armées

Avant d’en venir au fond, les signatures. Vous affichez 249 989 signatures mais cela comporte les soutiens de civils. Combien de militaires d’active parmi les signataires ?

Quand nous avons publié le texte, dans les conditions que j’ai évoquées, le processus de recueil des signatures était loin d’être achevé et il ne l’est toujours pas. Nous avons mis en place un système informatique qui permet aux gens de signer en toute sécurité et qui nous permet à nous de vérifier la qualité des signataires. Quant aux soutiens, nous avons recueilli 200 000 signatures en 24 heures et nous en sommes à 249 989. Nous n’avions jamais connu un emballement pareil.

D’accord, mais cela ne me dit pas combien de militaires en font partie, ni comment vous pouvez être sûr que ce sont des militaires.

Je ne vais pas vous dévoiler les détails, mais sachez que c’est un processus très sécurisé et assez compliqué. Notre priorité a été d’assurer aux militaires un total anonymat. Nous ne divulguerons ni les noms, ni les grades, ni quoi que ce soit. Je peux juste vous dire que tous les métiers de l’armée sont représentés. Nous ferons certifier par un huissier le nombre, l’identité et la qualité des signataires. Mais le grand public ne connaîtra que le nombre.

Pirater le système informatique de Valeurs, ça doit être faisable ?

Ça ne se passe pas sur notre site mais chez un prestataire. Reconnaissez que ce système a fait ses preuves, car pour l’instant aucun nom de signataire n’est parvenu jusqu’à vous…

Venons-en au fond. Ce n’est pas à un fils de militaire que je vais apprendre que la première vertu, et la première force de l’armée, c’est la discipline.  L’obéissance au chef. Or, le chef des armées c’est le président et il est défié dans des termes peu amènes.

Pas défié, interpelé. Je reconnais que la question se pose. Mais je suis convaincu que personne, dans les signataires de cette tribune, ne veut affaiblir les institutions. C’est un cri d’angoisse et de patriotisme et je suis très à l’aise avec cette démarche. Si j’avais perçu une volonté de déstabiliser le pays, j’aurais été plus méfiant. Bien sûr, comme tout le monde, je suis travaillé par la question de l’anonymat sur internet. Mais les militaires ne peuvent pas s’exprimer. Quand je marche dans la rue, beaucoup de soldats et beaucoup de policiers m’arrêtent : « Merci, grâce à votre journal, les gens savent ce qu’on ne peut pas dire ! »

S’ils ne peuvent pas s’exprimer, c’est pour éviter la politisation de l’armée. Or, cette tribune ne se contente pas de recenser des faits neutres car ça n’existe pas, elle fournit leur interprétation, exprimant en cela une opinion politique. Peu importe qu’on la partage ou pas. N’y a-t-il pas là une transgression d’une longue tradition républicaine ?

Ce n’est ni la mission ni le rôle des militaires de participer au débat politique. Mais il faut trouver un équilibre entre liberté d’expression et liberté d’opinion. Je persiste à penser que nombre des observations contenues dans ces deux tribunes relèvent du constat. Il est inacceptable que des militaires soient sanctionnés parce qu’ils les partagent. Rappelez-vous le général Soubelet, muté pour avoir tenu des propos prétendument trop durs sur la délinquance. Les militaires voient ce qu’ils voient pour paraphraser Péguy. Ils devraient aussi avoir le droit de dire ce qu’ils voient et de dire que la situation exige une action politique.

Tout de même, ils traitent leurs chefs de fourbes, pervers et lâches !

Quand ils sont en mission Sentinelle pendant trois semaines ou un mois, nos militaires voient beaucoup de choses qu’ils font remonter. La vérité, c’est que tout le monde sait qu’ils ont raison mais qu’on préfère étouffer leur parole. Eh bien aujourd’hui, ils se font entendre de l’ensemble des Français.

Vous savez bien que les mots qu’on choisit relèvent de l’interprétation. Par exemple, ils écrivent que la guerre civile couve. Je ne sais pas si j’adhère à cette affirmation. Je vois bien les multiples fractures qui déchirent la France, mais sommes-nous vraiment à la veille d’une guerre civile ? Et en même temps, je me demande si je fais partie de ces somnambules qui ne voient pas la catastrophe arriver ?

Prenez-le dans l’autre sens. Est-ce que la paix civile existe encore ? Selon moi, pas réellement, pas partout, et pas tout le temps en tout cas. Je vois notre pays se facturer, se communautariser. Je vois aussi l’accélération de radicalités de plus en plus antagonistes qui ne se comprendront probablement plus jamais. Mettons-nous à la place des signataires. Ils vont faire la guerre au djihadisme à l’étranger et se rendent compte quand ils rentrent en France que nous n’avons plus les moyens de nos ambitions. C’est d’ailleurs la formule la plus dévastatrice de la tribune : «lls ont offert leur peau pour détruire l’islamisme auquel vous faites des concessions sur notre sol ». Tous les trois jours, il y a un fait divers sordide qui se révèle à l’analyse être le symptôme d’un dysfonctionnement majeur de l’application des peines. Sur le plan régalien, il y a vraiment un effondrement. Entre Rambouillet, Mérignac, l’assassinat du policier Eric Masson à Avignon, on a le sentiment que ça craque de partout. Cela fait très peur.

Faut-il s’attendre à un mouvement de Gilets jaunes en uniformes qui, au lieu de manifester, s’exprimerait à coups de tribunes dans votre journal ?

Je ne crois pas. L’avertissement a été suffisamment fort et entendu pour qu’il n’y ait pas besoin d’en rajouter. Cependant, vous avez raison d’évoquer les Gilets jaunes. Les militaires sont des gens qui se lèvent tôt, qui travaillent dur, qui se taisent et qui encaissent : ce sont des Gilets jaunes ! Comme les policiers. Pour autant, je ne vois pas du tout de tentation insurrectionnelle au sein des armées.

Espérez-vous un changement de ton à l’Elysée ?

Pour le pouvoir, la tentation de minimiser la portée de la première tribune et de réduire ses signataires à une bande de vieillards séniles qui n’ont rien d’autre à faire était forte. La deuxième constitue un avertissement plus grave, il y a un côté « je persiste et je signe ». Cependant, ce n’est pas l’Élysée qui met de l’huile sur le feu, mais la ministre de la Défense qui s’obstine à ne pas comprendre ce qui est en train de se passer. Le ministre de l’Intérieur fait aussi une magistrale erreur de communication en réduisant ce qui est exprimé à une opinion d’extrême-droite. Et ne parlons pas de Jean Castex, qui ose affirmer : « s’ils sont si courageux, ils n’ont qu’à dire qui ils sont ». Ignore-t-il qu’ils n’en ont pas le droit et que s’ils le font, c’est parce que la première fois, la réaction de l’exécutif n’était pas la hauteur ? L’attaque du Premier ministre sur le courage est inaudible. Nous parlons de gens qui sont engagés dans des opérations pour lesquelles ils risquent leur vie.

Le procès en extrême droitisme est stupide, mais Marine Le Pen n’a-t-elle pas causé du tort à la démarche des militaires ?

J’ai plutôt tendance à penser que c’est Jean-Luc Mélenchon qui porte une immense responsabilité dans le durcissement de cette polémique. Il a agité la menace d’un putsch, alors que Marine Le Pen n’a fait que dire que ce que tout politique doit dire : votez pour moi, ça ira mieux. Le rôle de l’homme politique est de dire : je suis le moyen légal de changer les choses.

Pour nos confrères, c’est l’éternelle ritournelle : Valeurs Actuelles c’est l’extrême-droite. J’ai l’impression que cette accusation ne vous fait même plus de tort ?

Ce n’est jamais agréable. Mais il faut arrêter de perdre du temps à essayer d’y répondre. Nous avons simplement relayé les textes de gens qui font un constat sur la société française, constat partagé par 73% des Français. Si l’extrême-droite, c’est 73% des Français, alors il faut arrêter de se soucier des hurlements de Libération ou Télérama qui ne se parlent plus qu’entre eux.




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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