Le FN, parti gay friendly?


Le FN, parti gay friendly?

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On est au soir du premier tour de l’élection présidentielle de 2012. Ce dimanche 22 avril, salle de l’Équinoxe, dans le 15e arrondissement de Paris, la famille FN est aux anges. Marine Le Pen, présidente du parti depuis quinze mois, n’est pourtant que troisième et, par conséquent, ne sera pas présente au second tour. Mais avec cette place d’honneur elle fait mieux, en pourcentage, que son père dix ans plus tôt. Rien que cela, c’est une victoire, et pas qu’une petite. Assis à une table, tel qu’au café du village, le patriarche contemple, heureux, son œuvre et celle qui désormais en dispose. Dans la salle sous perfusion de funk, c’est l’éclate. Documentariste régulier des soirées frontistes, Serge Moati en prend plein la bobine. Julien Rochedy, à l’époque patron du FNJ, le Front national de la jeunesse, affiche un sourire gin to’ sur sa belle gueule proprette. Debout l’un près de l’autre, deux garçons regardent le spectacle de la foule en fête. Ils se tiennent par la main dans l’intimité des lumières syncopées.

Vincent, 21 ans, et Adrien, 17 ans, habitent le Val-de-Marne. Ils sont en couple, comme on dit quand c’est du sérieux – cependant Adrien n’est pas tout à fait certain d’être « gay », alors que Vincent, le plus grand, n’a semble-t-il plus de doute à ce sujet. Le Front national ne les effraie manifestement pas. Ils se sentent là en terrain hospitalier. Pour eux, les « casseurs de pédés » ne sont pas, comme on serait enclin à le penser, à l’extrême droite, du moins pas au FN, au sujet duquel ils ont quelque idée qui les met d’autant plus en confiance : « Il y a beaucoup de gays dans la direction du parti », croient-ils savoir. Rien à craindre, donc. Leur « histoire », avec le FN, est celle de « petits Blancs » vivant en banlieue parisienne et s’y sentant « minoritaires ».[access capability= »lire_inedits »] « Dans ma classe, au collège, on n’était que trois Blancs, j’ai été traumatisé », raconte Adrien, dont les parents sont séparés et pas du tout adeptes des théories du Front national. « La prof d’histoire n’arrivait pas à donner ses cours, poursuit-il. Les autres refusaient qu’elle parle de l’histoire de France, ils voulaient qu’elle leur parle de la guerre d’Algérie. Il y en avait qui essayaient de s’intégrer, j’avais une copine parmi eux, mais elle se faisait  traiter de “collabo”. » Quant à Vincent, il avait à l’époque changé de filière de formation afin de ne plus être entouré « que de Noirs ». Il avait opté pour un apprentissage d’agriculteur, à la campagne, à la ferme, « avec les cochons ». Pour ces deux garçons, le Front national était comme un refuge, un foyer d’accueil où leur sexualité, qui plus est, pensaient-ils, espéraient-ils, ne ferait pas débat, quand l’homosexualité continuait d’être mal vue « en banlieue », leur aire de provenance – mais pas que là, c’est évident.

Pour les garçons perdus, Marine Le Pen c’est un peu « maman ». Elle est, pour coller à cette image maternelle, la Louve romaine davantage que la Liberté dépoitraillée guidant le peuple. La présidente du Front national donne la tétée à plein de petits Remus et Romulus, et certains parmi eux sont homosexuels. Le Refuge, à propos, est le nom d’une structure associative venant en aide aux jeunes gays et lesbiennes rejetés par leur entourage familial. Le parallèle avec le FN est moins osé qu’il n’y paraît : sans doute, pas mal de jeunes gens, et qui sait, de jeunes filles, rejoignent-ils le FN, soit parce qu’ils souffrent d’un sentiment d’inversion – politique ou sexuelle – dont ils espèrent qu’il disparaîtra une fois le pas franchi, soit parce qu’ils fuient l’image d’invertis que la société leur renvoie, alors qu’ils se savent « sains », dans leur tête et dans leur corps.

Certes, on peut penser que c’est d’abord pour les idées qu’il défend qu’on adhère au Front national. Il n’y a pas, à ce que l’on sache, de déterminisme politique lié à l’orientation sexuelle, et inversement. Mais comment expliquer que le FN, qui ne produit aucun discours « LGBT » (Lesbiennes, gays, bi, trans) et dont on ne s’attend pas à ce qu’il tende une main particulièrement charitable aux homosexuels, exerce sur une partie d’entre eux un pouvoir d’attraction somme toute assez fort ? Pourquoi les « petits Blancs » gays mal dans leur peau, « en recherche », ne se précipitent-ils tous pas dans les bras du Parti socialiste, a priori conçu pour les comprendre et les accepter « tels qu’ils sont » ? Est-ce seulement affaire de « fausse conscience », de fâcheuse erreur d’aiguillage ?

La dialectique sexualité-idéologie tourne ici à plein régime. De quoi, en effet, le « petit Blanc » gay – la question peut être élargie au « petit Blanc » hétéro – est-il demandeur ? Il veut se sentir valorisé et fort, alors qu’il ne se perçoit pas ainsi « à la base ». Les « années collège » – où l’on se jauge et se compare, où naissent les rapports furieux de domination – sont souvent déterminantes. Vincent et Adrien auront sans doute estimé qu’ils n’avaient pas leur place parmi leurs contemporains « blacks-beurs » immédiats, soit qu’ils les jugeaient trop forts pour eux, soit qu’ils se jugeaient supérieurs à eux – ces deux raisons n’étant pas exclusives l’une de l’autre. Que seraient-ils donc allés faire dans la galère PS, où prévaut une idéologie de fraternité fondée sur l’indifférenciation des origines, à leurs yeux une supercherie qui les condamne, pensent-ils, à tenir éternellement le rôle de « lope » (de salope) du « black-beur » dominant ou supposé tel ? Si on quitte le terrain idéologique pour celui, mouvant mais instructif, de l’inconscient, adhérer au FN, c’est dès lors prendre une revanche sur la vie, c’est vouloir renverser le schéma de domination, non tant sexuel que politique. Si l’on préfère, plutôt que de se donner à la puissance « black-beur », ils se donnent à la puissance FN. Ils auraient pu être Jean Genet succombant à l’appel de Tanger, ils seront Renaud Camus répondant à celui de Marine – on sait ce que les désillusions amoureuses peuvent produire en termes de retournement idéologique.

À ce stade, ce n’est pas tant l’orientation sexuelle qui préside au « choix », que l’idée que l’on se fait de sa propre valeur – une homosexualité mal vécue, elle l’est souvent à l’adolescence,  n’arrangeant toutefois rien à la situation. Dans le film Les Garçons et Guillaume, à table !, Guillaume (Gallienne) se rend à un « plan cul » sans trop imaginer, ou au contraire en fantasmant cet instant, qu’il se retrouvera face à deux Franco-Maghrébins. Mais il y a maldonne : les deux « Arabes » pensaient avoir affaire à un « cousin », un « rebeu » comme eux, or non, Guillaume est un « céfran », un « Blanc », un mets qu’ils ne goûtent pas et qu’ils renvoient comme une nourriture avariée – le personnage joué par Guillaume Gallienne n’adhère pas pour autant ensuite au Front national. Cela pour dire que ce qu’un homosexuel fuit en prenant sa carte au FN, c’est autant sa « condition première », s’il y a lieu, que son statut de dominé ou de prétendu tel dans la hiérarchie politico-sexuelle.

Et puis, au-delà des questions ethno-identitaires françaises, il y a l’attrait physique et psychique qu’exerce la « force » sur une partie des homosexuels (et des hétérosexuels bien entendu, mais c’est moins notre sujet), une force en l’occurrence et si

possible sans autre loi que celle, justement, de la force. Tout cela peut en rester au fantasme et à la pratique assistée par ordinateur ou réalisée avec la ou les personnes de son choix, quelle que soit d’ailleurs l’obédience politique à laquelle on appartient : droite, gauche, centre, la liste est longue. Ce fort penchant, cette pulsion pour ainsi dire, peut aussi s’incarner politiquement, de préférence à l’extrémité droite du champ politique, où prévaut le culte de la « force pure », qu’à son extrémité gauche, égalitaire et fraternelle en diable, laquelle, à la période soviétique, ne manquait cependant pas d’images crypto-érotiques glorifiant l’« homme nouveau ».

Mais, malheur, il arrive, c’est même assez fréquent, que l’homosexualité soit jugée contre-révolutionnaire par ceux-là mêmes qui, au début, n’y trouvaient rien ou pas grand-chose à redire. Dans Les Bienveillantes, le roman de Jonathan Littell, le « héros », Maximilien Aue, un nazi, homosexuel, surpris par la police dans Tiergarten, à Berlin, au moment où il s’adonne à une gâterie, ne doit la vie sauve qu’au calcul politique du fonctionnaire de police qui l’interroge cette nuit-là et qui se garde bien de transférer le dossier du suspect que voilà au Bureau central du Reich pour le combat contre l’homosexualité et l’avortement. Vérité révolutionnaire, mais aussi vérité biblique et vérité freudienne d’une certaine manière : l’individu qui ne pense qu’à jouir – l’image accolée parfois aux homosexuels – est improductif, donc contraire aux intérêts de la révolution et plus généralement à ceux de l’espèce humaine.

L’entendez-vous venir, le point Godwin  ? Pour l’heure, les « gays » sont les bienvenus au Front national ou à son avatar le Rassemblement bleu marine, comme l’atteste le « ralliement » à celui-ci, début décembre, d’un des fondateurs de GayLib, l’ex-« branche gay » de l’UMP, aujourd’hui associé aux centristes de l’UDI. L’« outing », dans le magazine Closer du 12 décembre du vice-président du FN Florian Philippot, qu’il soit dû à la seule « sagacité » du magazine ou qu’il lui ait été aimablement servi par un ennemi de l’« outé », peut toutefois fournir des arguments aux « conservateurs » du Front, emmenés par Marion Maréchal-Le Pen. Ces conservateurs-là, proches des catholiques de La Manif pour tous, en ont peut-être assez d’entendre en boucle « It’s Raining Men », le tube disco de 1979 devenu hymne gay, accompagné dans le refrain d’un joyeux « Hallelujah ». De là à bazarder la playlist du parti à la flamme… On ne va quand même pas, dans les congrès, danser toute la nuit sur de la bourrée auvergnate. Là-dessus, progressistes et conservateurs s’accordent, même au FN. Car si l’orientation sexuelle ne détermine pas un engagement politique d’un type particulier, l’appartenance à un « courant » plutôt qu’à un autre ne fait pas de vous obligatoirement un homophobe, ni automatiquement, à l’inverse, un ami des homos.[/access]

*Photo : LCHAM/SIPA. 00656784_000026.

Janvier 2015 #20

Article extrait du Magazine Causeur



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