Droit au blasphème : la possibilité d’une île catholique


Droit au blasphème : la possibilité d’une île catholique

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La réaction du Pape François sur les tueries françaises était triplement attendue. On s’attendait à ce qu’il s’exprime sur ce drame, on s’attendait à ce qu’il nous surprenne par sa prose simple et percutante et on s’attendait à la teneur de ses propos.

Concernant le style, les Papimanes  – aussi nombreux que les Papefigues du temps du Benoît XVI – n’ont pas été déçu : « Si M. Gasbarri (responsable des voyages pontificaux, assis à côté du Pape pendant l’interview), qui est un grand ami, dit un gros mot sur ma mère, il doit s’attendre à recevoir un coup de poing! C’est normal… On ne peut pas provoquer, on ne peut pas insulter la foi des autres, on ne peut pas se moquer de la foi! ». La métaphore, à la portée de n’importe quel journaliste, a le mérite de la clarté et nulle explication de texte ne semble nécessaire. Et le Pape de rajouter : « J’ai pris exemple de la limite pour dire qu’en matière de liberté d’expression, il y a des limites, d’où l’exemple choisi de ma mère».

De nombreux catholiques français n’ont pas attendu le style inimitable du souverain pontife pour exprimer le point de vue de la « responsabilité » en matière de liberté d’expression. Elle est devenue le maître mot des e-curés ou autres blogueurs rendus célèbres par ces grandes cousinades en pull en capuche rose et bleu. Leurs billets d’humeur oscillaient avec justesse entre une belle et émouvante compassion envers les victimes et d’autre part, un appel au respect des croyances d’autrui pour apporter la paix. Nos commentateurs en col romain « pleurent ceux qui ne les faisaient pas rire » et déclarent de concert qu’ils « ne sont pas Charlie ». C’est d’ailleurs devenu le mot d’ordre de twittos moins subtils que les blogueurs susnommés et  pour qui la formule souvent remplace la pensée.

Mais que signifient ces réactions ou, pour employer une expression bien trop galvaudée, de quoi sont-elles le nom ? Commençons avec nos twittos imbéciles, qui répètent inlassablement : « Je ne suis pas Charlie ». Bienvenue dans le monde d’un nouveau panurgisme réactionnaire. Ulcérés à juste titre par la guimauve émotionnelle des soi-disant 60 millions « de Charlies » – sensiblerie touchante mais inappropriée à mon sens à l’horreur de ces tueries – ils s’engouffrent comme un seul homme dans la posture réactionnaire, qui devient ici pavlovienne. En se croyant plus malins que leurs compatriotes, voulant affirmer leur singularité revendiquée, ils prennent le parti de la marge, sans comprendre que la réaction pour la réaction n’a aucun sens et surtout qui n’est plus si marginale. Crise d’adolescence tardive pour certains, aussi subversive que le port d’un t-shirt du Che. Tout devient kitsch, insignifiant. Kundera triomphe d’un Muray récupéré à son insu (à ce sujet voir l’excellente saillie d’Alexandre de Vitry dans son article « Muray, moderne contre moderne » dans le Causeur de janvier).

Parlons maintenant, et cela se révèle beaucoup intéressant, de ceux qui formulent un raisonnement qui utilise mais dépasse l’étroitesse du slogan « Je ne suis pas Charlie ». Ils appellent au respect des croyances, à la « responsabilité », nous l’avons dit, et à « ne pas jeter de l’huile sur le feu ». Huile – la caricature du prophète avec la mention « Tout est pardonné », qui attise le feu – les horreurs de ces derniers jours au Pakistan et au Niger. Or, c’est exactement le même vocabulaire qu’utilisent les dignitaires musulmans en France et à travers le monde. Même son de cloche – de muezzin ? – chez Abdallah Zekri, haut responsable du CFCM, président de l’Observatoire contre l’islamophobie, chez le bien moins modéré Amar Lasfar, Président du l’UOIF (proche des frères musulmans) ou encore de la part de l’instance musulmane égyptienne Dar al-Ifta, qui adresse une « mise en garde » à Charlie Hebdo. Plus inattendu, du moins pour les esprits peu avertis, la règle de la responsabilité sévit consciencieusement du côté de certains médias anglo-saxons. Le 15 janvier, la chaine britannique Skynews censure Caroline Fourest alors qu’elle montrait à l’écran la une de Charlie Hebdo. Si la décision de la chaine est ridicule – car il suffit d’un clic pour découvrir cette une désormais mondialement connue – elle révèle d’une manière criante la puritanisme anglo-saxon qui veille à ne pas heurter ses nombreuses communautés.

Et voici précisément ce qui me gêne dans la réaction de ces nombreux catholiques réfléchis. Ils se trompent de pays.  En appelant à cet esprit de responsabilité qui règne dans les pays anglo-saxons, ils souscrivent au caractère multi-culturel de nos sociétés. Les « accommodements raisonnables » au Canada ou le « politiquement correct » américain (le vrai, pas la formule fourre-tout des zemmouriens de bas étage) constituent les outils d’une société qui reconnaît l’existence de plusieurs communautés et qui veille à ménager leur susceptibilité. Trop peu pour moi ! La France a une longue tradition blasphématrice et je ne vois pas pourquoi la présence de musulmans devrait changer la donne. Les catholiques ont pris le temps de s’y habituer – et Voltaire était bien plus violent (et plus drôle) que les dessinateurs de Charlie – s’y sont fort bien accommodé et parfois ont ri avec leur compatriotes laïcards. Depuis bien longtemps, aucun catholique ne s’offusquait des dessins parfois injurieux de Charlie, et l’ignorance prévalait le plus souvent à l’égard d’un tirage presque anecdotique. Nous autres catholiques ne pouvons jouer les vierges effarouchées, il y a bien longtemps que Charlie ne nous choquait plus. Historiquement, les querelles entre l’Eglise et la République sont apaisées  depuis l’Union sacrée de 1914 et institutionnellement réglées depuis les accords Poincaré-Cerretti de 1924. Comme le chante Sardou dans Les Deux Ecoles, la France vivait sereinement son double héritage: « Fille aînée de l’Eglise et de la Convention ». J’aime cette France pacifique bien que contradictoire, fidèle de la messe ou du bistrot, dévote et libertaire. Par leur histoire, les catholiques français « sont Charlie », qu’ils le veuillent ou non. Et si le slogan est réducteur – les dessinateurs ne constituent pas l’ensemble des victimes – il a le mérite de rappeler une part de notre identité qui a été lâchement assassinée.

De manière plus spéculative, je décèle chez certains catholiques une certaine tentation communautaire. Les manifs pour tous ont révélé la béance philosophique entre plusieurs franges de la société et dans bien des cas, l’absence de dialogue possible. Cette crise de l’ « en-commun » participe de notre crise identitaire française et naturellement, nous nous tournons davantage vers ceux qui nous ressemblent. Banalité sociologique mais j’estime que beaucoup de catholiques en ont assez de cette France moribonde incapable de proposer un socle de valeurs communes fidèle à son histoire. Leurs raisonnements intellectuels font moins appel à leur attachement à l’Occident chrétien qu’à l’universalisme catholique. De là à faire sécession ? C’est absurde de le penser mais il y a des sécessions intérieures, l’envie de prendre le large. Je perçois, malheureusement, la possibilité d’une île.

*Photo : wikipedia.



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