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Pourquoi aime-t-on tant critiquer «La Nouvelle Vague»?

«La Nouvelle Vague, une bande à part», un documentaire inédit diffusant un parfum entêtant qui s'appelle mélancolie...


Pourquoi aime-t-on tant critiquer «La Nouvelle Vague»?
"Baisers Volés" (1968) de Francois Truffaut avec Jean-Pierre Leaud © Les Films du Carrosse / Collection Christophe L via AFP.

Ce soir, à 22 h 35, Arte diffuse «La Nouvelle Vague, une bande à part», un documentaire inédit de Florence Platarets


On y revient toujours, sans enthousiasme, un peu à reculons. Elle a tant de facettes détestables. Une préciosité ridicule, un ennui souverain, une errance technique, un caporalisme estudiantin et ce magistère intellectuel qui ferait sourire, aujourd’hui, dans les cours d’art dramatique. Le prétexte de l’âge n’explique pas tout. L’emphase et la démagogie sont des maladies enfantines à vocation durable. Les jeunes turcs des Cahiers débordaient de mots, à défaut d’images. Ils avaient le stylo plus incisif que la caméra, le goût pour la castagne en salle de montage et l’aplomb des enfants-rois.

Un agaçant ressac

De guingois et toujours patraque, aux abords du Luxembourg, la Nouvelle Vague résiste depuis maintenant plus de soixante ans aux assauts d’un cinéma léché et scénaristiquement plus stable. Cette Nouvelle Vague est instable, par nature ; présomptueuse par destination.

Elle agace par sa volonté de déconstruire le cinéma de papa, par sa geste révolutionnaire en provenance des beaux quartiers et surtout, par son mépris pour l’apprentissage d’un métier. Elle croit au talent inné et aux décors naturels, à l’indépendance artistique et à l’inconfort du public. Elle fustige les institutions pour mieux les détourner à son profit. Comme la mondialisation a gagné la bataille idéologique, la Nouvelle Vague est devenue une religion à l’académisme plombant. Ses errements ont fait florès. L’amateurisme ayant force de loi s’est propagé dans les milieux culturels, c’est pour mieux vous endormir, mes enfants. La cinéphilie a besoin de totems pour alimenter son mal-être et réactiver ses troupes. Ce soir (ou en replay déjà disponible sur le site d’Arte), le documentaire de Florence Platarets revient sur la naissance de ce mouvement esthétique et politique dont le corps bouge encore. Un documentaire très réussi par le choix des archives et la présentation équilibrée des forces en présence. Ils sont tous là. Truffaut, Godard, Varda, Chabrol, Rohmer, Langlois, etc… Et, la vieille garde, droite dans ses bottes, les Autant-Lara et Delannoy, tous les réprouvés du système, passablement agacés qu’on vienne mordiller leur pellicule.

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Dans un premier temps, Clouzot et Cocteau ont applaudi au génie de cette jeunesse en marche. Plus circonspects, Audiard et Ventura se sont marrés. Martine Carol et Gina Lollobrigida n’apprécièrent guère l’arrivée d’Anna Karina et de Bernadette Lafont sur leur terrain de jeu. Entre grognards et hussards, le match a connu des épisodes plus ou moins houleux, piques dans la presse, campagnes de déstabilisation, insultes radiophoniques, puis, les producteurs ont sonné la fin de la partie. En avançant dans leur carrière, les jeunes loups ont eu le goût pour les gentilhommières et les coupés italiens énergivores. La morale bourgeoise fut saine et sauve. Il faut que tout change pour que rien ne change. Vous connaissez la formule de notre bon prince palermitain.

Un grain si particulier propre aux années 60

La Nouvelle Vague est une marque générique, fourre-tout qui recouvra bien des sensibilités différentes. Dans une période lointaine, elle a constitué une langue étrangère tant sa grammaire vitreuse plongea les spectateurs dans l’incompréhension, voire l’effroi. Oui, il y eut dans cette vague, de la frime, de la peur, de l’arrivisme, de la bricole, de vastes champs d’incohérence comblés par un discours trop alambiqué pour être crédible, d’une certaine façon, nous vivons encore sous l’emprise malsaine d’un intellectualisme déconnant, mais, reconnaissons-le aussi, elle fut à l’origine d’immenses réussites visuelles et surtout sentimentales. C’est pourquoi, on adore la détester et qu’il nous est si difficile d’en réchapper.

Elle aura donné aux années 1960, un grain si particulier, ce faux-rythme qui colle à la peau des héros germanopratins, cette liberté bredouillante qui s’exprime maladroitement dans les corps et les paroles et cette friabilité qui émeut. Qu’on le veuille ou non, notre imaginaire a été perfusé par leur regard. Nous devons à tous ces réalisateurs une part de notre romantisme niais et de nos bégaiements amoureux. Nous sommes nombreux à défaillir à la vue d’un tee-shirt côtelé, d’une jupe plissée à carreaux, d’un trench voltigeant, d’une coupe à la garçonne, d’un Pschitt orange, d’une Austin-Healey, d’un drugstore recouvert de moleskine, du Herald Tribune distribué sur les Champs et de ce parfum entêtant qui s’appelle mélancolie.    

Ce soir sur arte à 22h30 (canal 7)




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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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