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Femme libre, toujours tu chériras le Mur


Femme libre, toujours tu chériras le Mur

Marie NDiaye

Quand De Gaulle, à propos de Sartre, affirmait « on ne met pas Voltaire en prison », il jouait de puissance à puissance, et quand il connaissait l’humiliation de voir certains élèves de Normale Sup refuser de lui serrer la main, il ne s’abaissait pas à leur dire, par exemple, « Cassez-vous, pauvres cons, c’est le contribuable qui paie vos études », et à relever les noms dans la foulée.

Pompidou, son Premier ministre, était normalien et agrégé de lettres lui-même, auteur d’une anthologie de la poésie française qu’il faudrait rendre obligatoire dans les futurs examens d’acquisition de l’Identité Nationale : elle est en effet constituée comme un portefeuille de banquier, le second métier de Pompidou, et l’on n’y trouve que des valeurs sûres qui ne sont pas atteintes pas les crises systémiques et récurrentes de la poésie contemporaine.

Cela n’a pourtant pas empêché ces deux lettrés de flirter plus d’une fois avec Anastasie. On se souvient de la censure de La religieuse de Rivette et des ennuis récurrents (procès, menaces de prison) que connurent les éditeurs Régine Desforges, quand elle exhumait Le con d’Irène d’Aragon ou Jean-Jacques Pauvert entamant l’édition des Œuvres complètes de Sade.
Mais enfin, de Gaulle et Pompidou, hommes du monde d’avant, avaient encore en eux l’image de cette spécialité française, « le grantécrivain »[1. concept emprunté à Dominique Noguez], artiste mais aussi conscience morale, figure de l’intellectuel et savaient que ce genre d’opposition au pouvoir grandit aussi le pouvoir : que l’on songe aux relations entre Napoléon et Chateaubriand, à celles entre Louis XIV et Molière pour comprendre cette dialectique aristocratique où les deux gagnaient dans la contradiction.

On s’en doutait au moins depuis Maastricht, mais si le gaullisme survit partout où survit une certaine idée de la France, il n’ plus cours dans l’actuelle UMP qui ressemble à peu près autant au RPF que Jean-Marie Bockel à un socialiste ou Daniel Cohn-Bendit à un homme de gauche. On pouvait cependant imaginer que les tenants (de tous bords) de la vulgate néo-libérale s’accommoderaient avec indifférence des critiques des écrivains, artistes ou musiciens qui affirmeraient que le monde ne va pas si bien.

La récente affaire Marie NDiaye, que l’on devrait plutôt appeler, affaire Raoult, nous prouve qu’il n’en est rien. Il fallait remonter loin pour trouver un tel concentré de bêtise flaubertienne de la part d’un élu à qui les choses de l’esprit sont décidément étrangères.

Qui sait, Eric Raoult a peut-être cru que Marie NDiaye serait une cible aussi populaire dans son électorat que les groupes de rap, régulièrement stigmatisés et parfois poursuivis. Il est vrai que la plupart des rappeurs chantent là où on leur dit de chanter des horreurs, font sans s’en rendre compte l’apologie des valeurs de leurs ennemis pour hurler à la mort quand on envisage de les censurer. De parfaits idiots utiles.
Seulement, quoique franco-sénégalaise, Marie NDiaye n’est pas rappeuse  et quelqu’un aurait dû signaler à monsieur Raoult que pour l’instant aucun rappeur n’a encore été publié sous la couverture blanche de la rue Sébastien-Bottin. En plus, comme monsieur Raoult n’a pas pu écouter le texte de Marie NDiaye qui est dans un livre, il a ressorti un entretien donné fin août aux Inrocks, donc avant qu’elle ne reçoive le prix Goncourt, entretien dans lequel l’écrivain déclarait en substance qu’elle trouvait la France de Sarkozy, Hortefeux et Besson « monstrueuse ». Et alors ? On ne peut plus dire ce que l’on veut ? Et puis elle n’est pas la seule, ça m’arrive à moi aussi, et puis à d’autres. Avec des envies de Venezuela, tiens…

Le problème, c’est qu’on ne peut pas lui dire : « La France, tu l’aimes ou tu la quittes ». De l’élection de Sarkozy, elle a tiré les conclusions pratiques, calmement, sans lancer d’appels particuliers. Elle et son mari Jean-Yves Cendrey, lui aussi écrivain, ont choisi Berlin dans les jours qui ont suivi l’arrivée de la bande du Fouquet’s aux commandes du vieux pays.

Ce sont de mauvais Français ? Même pas, ce sont des Français fatigués, sans doute, mais qui ne sont jamais restés isolés dans leur tour d’ivoire, bien qu’écrivains. On lira par exemple de Cendrey, le bouleversant Les jouets vivants : il raconte comment son couple et ses enfants vivant tranquillement à Cormeilles en Normandie se sont retrouvés confrontés aux agissements d’un instit pédophile protégé par l’omerta villageoise et comment c’est Cendrey lui-même qui se chargea d’amener l’instit à la police.

Le devoir de réserve imaginé par Raoult prouve surtout sa confusion mentale. Sans doute aurait-il attaqué le préfet d’Alphonse Daudet qui s’en allait rimer aux champs.

Reste une question. Au-delà de l’initiative personnelle d’un député désœuvré soucieux d’apporter sa contribution culturelle à l’identité nationale, la sortie de Raoult reflète-t-elle la haine ou la peur de la Sarkozie pour le du travail du négatif qui est la marque de fabrique de tout écrivain digne de ce nom ?

En attendant la réponse, qui se posait déjà dans les années trente pour Bernanos au Brésil, ne prenez pas de risques, Marie.

Femme libre, toujours tu chériras le Mur.

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