Viva Ragazza!


Viva Ragazza!

 

presse féminisme

Cinquante-trois gonzesses, cinq mecs, deux gays, un endormi, un émasculé et moi-même, c’était l’incroyable casting sexuel du magazine Ragazza il n’y a pas si longtemps. Une revue tout en shopping et célébrités, conçue pour et par l’industrie de la sape et des sacs à main et qui, suprême résistance de ses dirigeantes, avait conservé l’esprit et le souffle féministe des pionnières du genre à la fin des années 1950. Le plafond de verre ? Entre deux réunions sur les vestes de crêpe satin et les chemises trousseau en soie travaillée, il occupait toutes les conversations. Alors que je touchais un salaire honteusement plus élevé que mes consœurs de « la mode portée », un département où s’agitaient de jeunes nubiennes déscolarisées avec des cintres entre les dents (avec qui, forcément, les échanges s’avéraient plus compliqués que la moyenne), je m’étais moi-même passionné pour ce combat des femmes « payées 16 % de moins en moyenne que les hommes à compétences égales », selon les sources officielles.

Pour l’hétéro mou que j’étais alors, perturbé par les femmes dès la naissance et élevé par une mère au moins aussi tendre que le Mollah Omar, ce cours de rattrapage express de féminisme de bureau avait valeur de sainte parole pour un pécheur sexiste sur la route du Seigneur. Après tout, quel homme censé pouvait tolérer qu’une femme gagne moins que lui, surtout quand c’était la sienne ? Ou même pire, qu’il l’aimait ? Au fond, je crois que c’était un peu mon cas, sauf que je devais les aimer toutes autant, comme un jeune pourceau sous Viagra. J’étais en quelque sorte le Snàporaz de la Cité des femmes de Fellini (1980) : un bon garçon légèrement veule et « phallocentré », une sorte de gros saucisson dans un foulard de soie. Le genre machiste par défaut et pétomane de couette. Bref, d’accord pour le « Girl Power » mais tant que la bouffe est servie à l’heure ! Et puis, un jour, est arrivé le discours féministe que j’attendais.[access capability= »lire_inedits »] Pas de la rédaction, bien sûr – nous étions bien trop occupés à considérer comme « canon » n’importe quel article à partir du moment où il pouvait cisailler la pensée masculine dominante –, mais de New York, et plus précisément du siège de l’ONU, où une jeune actrice à la mode qui avait survécu au sexisme d’Hollywood (et accessoirement à celui de la machine à broyer des films pour enfants) avait déclaré à la foule ébahie cette évidence : le féminisme est aussi et peut-être même encore plus une affaire d’hommes, de pères, de frères, d’amants, de maris… Une idée au moins aussi vieille que Gisèle Halimi, mais qui sonnait à mes oreilles comme la promesse d’un monde meilleur raconté par les laboratoires Vichy et leur déo stress-resist à effet soixante-douze heures.

Jésus ! C’en était donc fini du féminisme à moustaches et de la guerre des sexes ? Les coupeuses de couilles en douze allaient rentrer leurs sabres dans un fourreau YSL. Nous allions pouvoir enfin nous aimer et nous reproduire. Et peut-être même, pourquoi pas, partir en vacances sur la Riviera italienne avec Clémentine Autain qui aurait laissé tomber sa coupe de Chaussée aux Moines et troqué ses sandalettes conte une paire de Louboutin. J’étais tellement excité que j’inventais aussitôt toutes sortes de néologismes à l’apéro (les « fémimecs », les « fémicools », les « fémimâles », etc.) dont, heureusement, beaucoup ne rentreraient ni dans l’histoire ni dans le dictionnaire.

Avec la féministe en chef du journal, une femme tornade à la Rosa Luxemburg tombée amoureuse d’un garçon remarquablement plus docile et patient, je me voyais déjà à la tête d’une nouvelle mixité politique où plus aucune fille, même jolie, ne rejetterait d’emblée le féminisme « parce qu’elle aime les hommes ». Une ère de dialogue érotique et sentimental où Gilles Lellouche et Jean Dujardin feraient des comédies de potes sur les injustices faites aux femmes, où le président « goujat » (dixit Sophie Marceau) prendrait la parole dans nos pages pour dire que s’il n’a pas convolé avec la Gayet, c’est d’abord et bien sûr pour épouser la cause des femmes… J’en avais d’ailleurs parlé à son sympathique aide de camp, le jeune Gaspard Gantzer. Et il n’avait pas dit non, le bougre !

Sans m’en rendre compte, non seulement j’étais devenu féministe mais plus vraiment sûr d’être un homme. Entre deux sexes, je me laissais aller à quelques tonitruants « Salut les filles ! » dès le petit matin. Ou même à complimenter, façon copine de chambrée, l’une ou l’autre sur le galbe fabuleux de son nouveau jeans ou les formes avantageuses de sa chemise en popeline blanche dont elle avait miraculeusement perdu les boutons du haut. C’était oublier que le féminisme unisexe, même débarrassé des réflexes exterminateurs du MLF, n’était pas non plus encore précisément la fête du slip. Il faut dire qu’à un tel niveau de concentration féminine (93 % des troupes), le magazine Ragazza en avait perdu toute sensualité. Un peu comme si l’esprit de garnison en jupons qui régnait alors dans ses rangs avait tué dans l’œuf la moindre tentative de séduction. Embrasser une femme pour la saluer ? À peine tolérable. La charmer ? Peut-être même la courtiser ? Très vite sexiste. À moins, bien sûr, d’avoir le physique de Conchita Wurst et les manières de Stéphane Bern. La draguer, la toucher ? Compliqué, voire dangereux. Car, au passage, cette passion du féminisme d’entreprise n’avait pas attendu les barbares de Benghazi pour pratiquer une autre forme de révolution : la terreur. À force de lutter contre les inégalités de salaires, de dénoncer le sexisme des politiques, des journalistes, des patrons et d’à peu près tout ce qui se rase les poils de barbe, de lutter contre le harcèlement de rue des lourdauds à casquette et des bidasses en permission, mes sœurs de lutte en avaient parfois, j’en ai bien peur, légèrement perdu la raison.

Sans toujours penser à mal, elles s’étaient mises ainsi à couper chaque semaine deux ou trois têtes qui dépassaient. Jusqu’à provoquer une véritable hécatombe en quelques mois. La pression était devenue telle que toutes ces femmes libérées par elles-mêmes vivaient en réalité totalement recroquevillées sous leur bureau. Préférant tomber malades au premier coup de vent plutôt que de risquer leurs fesses sur le billot du féminisme. Pleurant sans raison, organisant des psychothérapies de groupe autour des imprimantes et photocopieuses, buvant jusqu’à l’épuisement. Et prenant dix ans de plus à chaque bouclage qui, comme un funeste coup du sort, se renouvelait chaque semaine puisque nous étions un hebdomadaire.

Pas toujours facile de faire avancer la cause des femmes avec des cadavres ambulants et des féministes sous Tranxène. Il se disait même dans les couloirs et les ascenseurs, transformés chaque soir en îlots de résistance par les futures exécutées du sérail, que la rédaction avait été placée sous surveillance par la médecine du travail, devant le nombre anormal de dépressions nerveuses. Pour soulager nos frangines de combat, avec mon ami Bernard, un journaliste homo qui aimait tellement les femmes qu’il aurait pu se marier avec, nous avions même entamé une série de sketchs de fort mauvais goût sur le thème du « matriarcat islamique ». Une parodie de dictature féministe où, sur le mode des décapitations filmées de Daesh, nous prenions la mesure des cous de nos collègues avec de grandes règles en fer, avant de mimer leur mise à mort à grands coups de « Women akbar ». C’était lamentable, mais ça faisait beaucoup rire les filles. Alors, nous étions contents. Jusqu’au jour où, sans prévenir, les duettistes à serpettes qui dirigeaient la Ragazza ont soudain perdu le pouvoir au profit d’un élégant barbichu à la diplomatie toute byzantine. C’en était fini du féminisme de guillotine et des causeries sur le plafond de verre. La sape et les sacs à main ont pu reprendre leurs droits. Et, il faut bien l’admettre, la vie aussi.[/access]

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*Photo : Rue des Archives

Juillet-Aout 2015 #26

Article extrait du Magazine Causeur



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