«L’euro est mort. Debout la France!»


«L’euro est mort. Debout la France!»

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Hier après-midi, Nicolas Dupont-Aignan réunissait ses troupes à Paris à l’occasion du congrès de Debout La République, pardon, de Debout la France, selon le nouveau nom du parti approuvé par 87% des suffrages. La salle Olympe de Gouges était comble, remplie d’un bon millier de spectateurs arborant drapeaux bleu-blanc-rouge, sweat-shirts aux couleurs du parti tandis qu’un militant aux cheveux poivre et sel se distinguait par son t-shirt flanqué de la croix de Lorraine « De Gaulle-Dupont Aignan/ 1945-2015. Virons les collabos ! »

Après une petite errance dans les rues du onzième arrondissement, je découvre une flopée de nouveaux adhérents assis en rangs d’oignons à la tribune. Prenant la parole à tour de rôle, chacun explique les raisons de son engagement à DLR DLF. Philippe, militant picard, décrit la désindustrialisation qui étrangle nos campagnes, et retient une larme sur le sort des « chômeurs victimes des politiques DE DROITE et de gauche depuis trente ans ». Sur cette ancienne terre chevènementiste aux mains de l’ancien ministre Georges Sarre treize ans durant (1995-2008), la référence au « rassemblement des républicains des deux rives » rappelle les grands discours de la campagne présidentielle du « Che » en 2002. Ironie de l’Histoire, il y a douze ans, opposant une fin de non-recevoir aux appels du pied de Chevènement, le jeune député divers-droite Dupont-Aignan n’avait pas osé franchir le Rubicon, de même que Pasqua et Séguin. Depuis, l’espace politique des souverainistes de droite et de gauche s’est réduit comme peau de chagrin, mais l’alliance reste toujours aussi difficile, comme l’a montré l’échec de la tentative de liste commune Chevènement-Dupont-Aignan aux dernières européennes, une initiative torpillée par les lieutenants de ces deux personnalités aux idées si proches. Et puis, il faut compter avec l’émergence d’un nouvel acteur anti-européen qui a le vent en poupe : le Front national.

Le jeune auvergnat qui vient de saisir le micro s’était d’ailleurs laissé prendre dans les filets de Marine Le Pen, au point de devenir directeur de campagne d’une candidate FN aux dernières municipales, à seulement 20 ans ! Le jeune homme dit s’être « fait avoir par ce qu’on appelle le vote utile », avant de prendre conscience de son erreur : « Le FN, c’est le système ET les extrêmes ! » Une « PME familiale » reproduite à l’échelle locale, où le clanisme, le racisme et l’affairisme régneraient en maître. Tout le contraire de Debout la France – je m’y suis enfin fait ! – qui parie sur la méritocratie, la compétence et le rejet de la xénophobie. Sous les applaudissements, le frontiste repenti pérore : « Marine Le Pen ne pourra jamais rassembler une majorité de Français. A long terme, le rassemblement, c’est nous ! » Un troisième larron prénommé Samuel se présente alors comme un cadre « dans une très grosse entreprise européenne » vivant entre Paris et  Berlin. La petite quarantaine, il surprend son monde en avouant ne pas forcément adhérer aux options économiques défendues par Dupont-Aignan mais suscite des clameurs dans la salle lorsqu’il exalte un « besoin d’exemplarité » et de « valeurs qui font la fierté d’être Français». « On aime notre pays », a fortiori lorsqu’il voit un jeune ukrainien parti se faire soigner gratuitement à Paris. Entre les lignes, on devine Samuel plutôt libéral, enclin à tempêter contre les déficits publics mais « la grandeur de la France » vaut bien le prix d’un rapatriement sanitaire !

Après cette mise en bouche, l’historien Eric Anceau, spécialiste de Napoléon III à la ville,  responsable du projet au sein de DLF, annonce la venue d’une série d’« experts » proches des idées de NDA. L’ex-prof Claire Mazeron, aujourd’hui inspectrice d’académie, officie « dans la  France périphérique si bien décrite par Christophe Guilluy ». Elle déclare rester « intrinsèquement de gauche » mais n’en soutient pas moins explicitement Dupont-Aignan contre la faillite de l’école qu’engendre « la vision néolibérale de l’Europe de Bruxelles ». On croirait entendre Michéa lire à haute voix son petit essai L’enseignement de l’ignorance (Climats, 2006) à voir ainsi fustigés « l’école de l’adaptabilité au service des entreprises » et le « marché de l’éducation ».

Moins politique, l’économiste Jacques Sapir présente un petit topo sur l’état (désastreux) de la zone euro. « L’euro est mort ! », annonce-t-il telle une Pythie lisant l’avenir dans l’inertie de la Banque centrale européenne. Il y aurait bien un grand plan d’investissements à lancer dans tout le continent sous l’égide de la BCE mais l’Allemagne, l’Autriche et la Finlande disent niet… En conséquence de quoi, la France est condamnée à rejoindre la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie dans le peloton de tête des Etats européens en crise. À moins que nous prenions le chemin de la Grèce, qui a perdu 30% de son PIB ces dernières années et s’achemine vers de nouvelles élections générales, dont Syriza devrait sortir vainqueur. À Paris comme à Athènes, Sapir souhaite un rassemblement des euros-réalistes de tous bords pour gérer l’inévitable sortie de l’euro. Un UMPS vertueux soudé par DLF, autant dire qu’on a connu des rêves plus déraisonnables…

Juste avant LE grand discours, s’avance « un homme dont la vie est menacée ». Hervé Falciani, les cheveux gominés et coiffés en arrière, l’allure cravate-jean d’un golden boy niçois, résume succinctement son parcours. Jadis employé d’une banque suisse peu regardante sur la probité de ses clients, il a été arrêté par Interpol puis a révélé les pratiques douteuses du Parti populaire espagnol, dont le trésorier l’a remplacé sous les verrous ! Menacé de mort par des porte-flingues des marchés financiers , Falciani explique par sa seule présence la fébrilité des agents de sécurité à l’entrée. Comme de bien entendu, il conclut son intervention par un éloge de Nicolas Dupont-Aignan, arrivant bientôt des loges.

Une petite musique angoissante accompagne le faux suspens : voilà Debout La République officiellement rebaptisé Debout La France ! 87%, le score est bourguibesque. Mais pourquoi diable renommer une marque politique qui commence tout juste à émerger ? Les milieux autorisés, comme dirait Coluche, font état d’une vieille obsession du leader souverainiste, qui rêve d’appeler son parti Debout la France depuis des années mais a attendu que la licence se libère. Ni une ni deux, dans la foulée des Européennes où ses listes ont recueilli 4% des voix (soit 800 000 électeurs), Dupont-Aignan renouvelle le rêve de Philippe Séguin qui, en 1998, avait vainement essayé de transformer le RPR en RPF[1. Avant de se faire doubler par Charles Pasqua l’année suivante, son attelage souverainiste avec Villiers ayant alors dépassé la liste Sarkozy-Madelin aux Européennes de 1999.] Instruit par l’échec de son mentor, NDA a mis tout son poids dans la balance pour faire adopter cette réforme statutaire. Si l’unanimité était de mise dimanche, des voix discordantes se sont fait entendre le mois dernier à l’université d’été de DLR. Avec raison, certains arguaient qu’un parti ne change de nom que lorsque des casseroles judiciaires lui collent aux basques (le RPR en 2002, l’UMP aujourd’hui !) ou qu’il entend renouveler sa doctrine. De surcroît, en passant de la défense de la République à celle de la France, Dupont-Aignan peut laisser entendre qu’il délaisse les valeurs républicaines. Autant de risques qui ne valent pas l’éventuel renfort des trois militants de l’Action française que cette petite révolution réjouit…

Qu’importe le flacon, les militants ont l’ivresse des grandes déclamations. Se plaçant d’emblée sous la tutelle du Général, Dupont-Aignan empile les hommages aux Séguin, Chevènement, Pasqua, Villiers contre « les fausses fatalités de l’Histoire ». « L’euro est mort ! Debout la France ! », répète-t-il en guise de mantra. En direction des sceptiques, il confirme son « attachement viscéral aux valeurs de la République », se targuant d’être « le sixième parti de France »… UMP, PS, FN : tous en prennent pour leur grade, à commencer par le parti frontiste, « l’antisystème devenu allié du système » par sa propension à salir tout ce qu’il touche – défense de la souveraineté, patriotisme social, etc. Aux électeurs libéraux de l’UMP tentés par un vote alternatif, il garantit que « les erreurs dirigistes de 1981, même revisitées par le FN » ne donneront rien. Équilibriste, le président de Debout la France parle à son aile gauche d’accession sociale à la propriété, non sans vilipender « Emmanuel  Macron de la banque Rothschild, qui reproche aux chômeurs d’être des chômeurs.» Le tout en tablant sur une remise à plat de tous les régimes spéciaux de retraite. Après tout, une fois revenu au pouvoir, l’homme du 18 juin accomplissait la prouesse quotidienne de se concilier les faveurs du libéral Jacques Rueff avec celles des gaullistes de gauche à la Louis Joxe… Exhortant ses partisans à l’unité, NDA récite une phrase prémonitoire de son petit Séguin illustré : « Levez-vous, c’est debout qu’on écrit l’Histoire !» Avec ou sans Dupont-Aignan ?

*Photo : WITT/SIPA. 00695266_000023.



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