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Dévaluation : la messe est dite


Mario Draghi

Ce jeudi 8 décembre, alors que Mario Draghi, dit « Super-Mario », abaissait de 1,25% à 1% le principal taux directeur de la Banque centrale européenne (BCE), il annonçait subrepticement, par la voie d’un simple communiqué de presse, une nouvelle mesure: le LTRO ou « Longer-Term Refinancing Operation ». En pratique, cela signifie que, le 21 décembre 2011 et le 29 février 2012, la BCE accordera aux banques des prêts en euros à un taux de 1% sur trois ans et ce, sans aucune limite de montant. Pour que chacun puisse se faire une idée, rappelons qu’à l’heure où j’écris ces lignes, le taux Euribor à douze mois − c’est-à-dire le taux auquel les banques se prêtent de l’argent entre elles pour un an − est de 1,976%. Les institutions financières de la zone euro pourront accéder à des financements deux fois moins chers et pour une durée trois fois plus longue que ceux dont ils bénéficiaient jusque-là.

Cette offre faite aux banques commerciales par le Banquier central en chef s’apparente à la proposition qu’on ne peut pas refuser de Don Corleone. Le message du planificateur central monétaire tient en cinq mots : les vannes sont grandes ouvertes. Sans surprise, 523 banques européennes ont souscrit au premier volet de cette offre, le 21 décembre, pour un montant de 489 milliards d’euros.

Ça va mieux en le disant : Mario Draghi est tout sauf un imbécile incompétent. Qu’on lui reproche son passé de vice-président de la « Pieuvre »[1. Goldman Sachs.] pour l’Europe, c’est de bonne guerre, mais du point de vue de l’adéquation des moyens qu’il met en œuvre aux fins qu’il poursuit, cette expérience professionnelle aurait plutôt tendance à le crédibiliser. Et même en admettant que je le surestime, il est entouré d’une pléthore de conseillers hautement qualifiés et de techniciens expérimentés. En conséquence, si Monsieur Draghi fait un tel cadeau aux banques, il doit avoir une bonne raison pour cela.[access capability= »lire_inedits »]

Et cette bonne raison, amis lecteurs, c’est que ces dernières semaines, nous avons frôlé un nouveau « credit crunch » − ce qui arrive lorsque les banques refusent de se prêter de l’argent entres elles, provoquant ainsi une raréfaction du crédit pour l’ensemble de l’économie. Celui de 2008/2009 étant encore dans les esprits, il est inutile de rappeler les dommages causés par ce genre d’événement.

Pour comprendre que « Super-Mario » nous a sans doute évité une mini-apocalypse, il faut établir un parallèle qu’on peut tracer avec la crise dite des « subprimes ». En 2008, si les banques refusaient de se prêter de l’argent entre elles, c’est parce qu’elles craignaient de se retrouver créancières d’une institution qui, contrairement à ce que dit l’adage, n’aurait pas prêté qu’aux riches mais aussi à des débiteurs potentiellement insolvables. Pour la doxa relayée par nos responsables politiques et les médias, cette situation devait être imputée à la « dérégulation financière », c’est-à-dire que les carences de la réglementation auraient permis aux banques d’organiser le suicide économique de leurs actionnaires. Après tout, on n’en est pas à une incohérence près.

Quoi qu’il en soit, à supposer que cette analyse ait été pertinente il y a trois ans, elle n’explique nullement pourquoi les banques européennes ont frôlé la faillite en 2011 : cette fois, ce n’est pas parce qu’elles ont eu l’outrecuidance de prêter à des ménages vivants sous le seuil de pauvreté mais parce qu’elles ont financé la gabegie de nos États qui − cela ne vous aura pas échappé − se trouvent dans une posture fort délicate depuis quelques mois. Il faudrait donc en conclure que, durant les dernières décennies, la dérégulation financière a incité les banques à prêter de l’argent à nos États, politique extrêmement risquée qui constituerait une nouvelle preuve de la dangereuse instabilité des marchés. Cette fantasmagorie ne fera même pas rire ceux d’entre vous qui ont déjà entendu parler des « ratios de solvabilité » du comité de Bâle (i.e. les ratios Cooke et McDonough)[2. Lesquels, justement, incitaient les banques à gonfler leurs portefeuilles de crédits immobiliers et de dettes souveraines au détriment des crédits aux entreprises.].

La réalité est évidemment bien différente. Ce qui s’est passé, c’est que les États, après avoir instrumentalisé l’industrie bancaire pour nous pousser à nous endetter, ont dû mettre la main à la poche pour sauver les banques qui menaçaient de faire faillite. Du coup, ils ont mis en péril leurs propres finances déjà grevées par des décennies de déficit budgétaire. Or, du fait de la règlementation bancaire, les banques ainsi sauvées se trouvent être les créancières de leurs sauveurs.

Retour à la case départ : nous voilà assis sur une montagne de dettes construite pendant quarante années à coup de d’État-providence, de relances budgétaires inefficaces et de politiques monétaires laxistes. Une génération a dépensé le capital de ses parents et grands-parents sans mettre un sou de côté, hypothéquant de ce fait l’avenir de ses enfants et petits-enfants. La conclusion est d’une simplicité biblique : d’une manière ou d’une autre, quelqu’un va devoir payer.

Vous pouvez espérer qu’une hausse des impôts, une baisse de la dépense publique ou une combinaison des deux nous sortira de l’impasse. Il y a une vingtaine d’années, cela aurait sans doute suffi. Mais au risque de passer pour exagérément pessimiste, je crains qu’il ne soit beaucoup trop tard. Nous croulons déjà tellement sous l’impôt qu’une nouvelle hausse a de très faibles chances de se traduire par une augmentation significative des recettes − sans compter que vous pouvez constater comme moi l’effet sur l’opinion publique d’une telle politique. Par ailleurs, contrairement à ce que claironnent quelques-uns qui croient avoir trouvé là la nouvelle pierre philosophale, le défaut de paiement est purement et simplement exclu pour des États qui doivent, chaque jour que Dieu fait, financer leurs trésoreries par de nouveaux emprunts. En conséquence, il y a une seule solution : l’inflation !

Et c’est là que le LTRO de « Super-Mario » ou, pour utiliser le petit nom qu’on lui donne dans les milieux financiers, le « bazooka de petit calibre », entre en jeu. Après quatre décennies de monnaie-papier dont la valeur n’est gagée sur rien d’autre que la confiance que nous faisons à nos États pour bien la gérer, force est de constater que la croissance est en berne, que le pouvoir d’achat est en régression et que nous sommes, collectivement, ruinés. L’heure de la grande dévaluation est donc venue. L’opinion publique y a été préparée à coup d’arguments fallacieux et il semble bien que l’inflexible « nein » de nos amis d’outre-Rhin devra, au pied du mur, plier face à la déliquescence des comptes publics des pays du « Club Med ». Croyez-le ou pas : pour moi, la messe est dite.

« Une monnaie papier, basée sur la seule confiance dans le gouvernement qui l’imprime, finit toujours par retourner à sa valeur intrinsèque, c’est-à-dire zéro », disait Voltaire. L’expérience sera douloureuse − en particulier pour les Allemands, Hollandais ou Autrichiens qui n’ont décidément pas mérité ça, mais aussi pour tous les citoyens des pays laxistes qui, à titre individuel, ont refusé de céder au mirage de la vie à crédit. Souhaitons juste qu’elle nous serve de leçon.[/access]

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Janvier 2012 . N°43

Article extrait du Magazine Causeur



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