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Sous le soleil de Sagan

La carte postale de Pascal Louvrier


Sous le soleil de Sagan
Françoise Sagan photographiée en 1978 © RUDLING/SIPA

La carte postale de Pascal Louvrier


Notre auteur Pascal Louvrier vient de publier Vérité BB, chez TOHU-BOHU éditions NDLR.

Dès que l’été revient, l’envie me prend de lire un roman de Françoise Sagan (1935-2004) au hasard, de boire un whisky sans glace et de rester sur le lit, les persiennes closes. Peut-être parce qu’elle est née un 21 juin. Peut-être parce que ses intrigues paraissent légères alors qu’elles distillent une mélancolie vive. Comme les volcans d’Auvergne éteints depuis des millénaires, majestueux sous un ciel aussi rutilant que celui d’Égypte. 

Sagan, 1972

Des bleus à l’âme est un livre à part dans l’œuvre de Sagan. Elle emploie le pronom je. On pourrait dire que c’est la première autofiction, même si je ne sais plus trop ce que signifie ce terme. Donc elle dit je, et raconte l’histoire de Sébastien et Eléonore, frère et sœur, complices inséparables, comme Françoise avec Jacques, son frère. Un chapitre sur deux, elle développe leur histoire. Mais le plus captivant, c’est quand Sagan parle d’elle, en tombant (presque) le masque. Nous sommes en 1972. Elle est connue dans le monde entier grâce à Bonjour tristesse paru en 1954. La fête permanente, les accidents de voiture, l’alcool, la vitesse, les amours masculines et féminines, les aubes blanches sur le port de Saint-Tropez avec sa sœur « jumelle », BB, de tout ça elle en est revenue. Un coup de blues, une baisse de régime, la mort, « ce scandale », qui montre son groin d’un peu trop près. Elle a une poussée de fièvre en voyant l’évolution de son temps. Défenses immunitaires d’un esprit en danger, soudain soumis à de fortes irradiations de médiocrité généralisée. Si elle nous regarde, elle doit vraiment nous plaindre…

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Le suicide est évoqué dans Des bleus à l’âme. Sagan a certainement eu l’intention, à plusieurs reprises, d’en finir avec cette vie qui, au bout d’un moment, ne rime plus à rien. Cette désillusion face aux individus, ces ruptures amoureuses annoncées dans les rencontres, ce bien qui ne gagnera jamais la partie contre le mal, etc. Bien sûr, il ne faut pas en parler, c’est une affaire privée. On ne se tire pas une balle dans le cœur en l’annonçant à tout le monde pour culpabiliser les vivants. Comme l’écrit Sagan : « L’élégance, un peu d’élégance !… Ce n’est pas parce que la vie n’est pas élégante qu’il faut se conduire comme elle. » Merci Françoise de le rappeler.

Transformer le chagrin en texte

Elle ne se prend pas au sérieux, manie l’autodérision, dit qu’elle est devenue célèbre après avoir écrit, à dix-huit ans, « une jolie dissertation française ». Elle est d’une lucidité effrayante : « On laisse se faire les choses, se créer des habitudes de lucidité, on laisse tout filer : le temps, l’argent, les passions, et l’on se retrouve devant une machine à écrire muette comme une comptable épuisée. » Elle dit encore : « Avec toujours, en contrepoint, ce léger fou rire intérieur à son propre égard. »

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Derrière la légende Sagan, il y a une femme qui a écrit de beaux romans. Il y a également Françoise, terrassée par une rupture amoureuse. C’est le point de départ Des bleus à l’âme. Elle vient de laisser filer la superbe blonde Elke, héritière de la marque Mercedes, rencontrée à Saint-Tropez lors d’une soirée alcoolisée. Elke a rejoint sa ville, Munich. Sagan a sauté dans sa Maserati, elle l’a retrouvée, ça n’a servi à rien. La route du retour à dû être difficile malgré la puissance de la Maserati. La vitesse ne calme pas la tristesse d’une passion morte. Mais l’important, pour un écrivain, est de transformer le chagrin en texte. Pour notre plus grand plaisir.

Françoise Sagan, Des bleus à l’âme, Le Livre de Poche.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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