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Deborah Mitford, la dernière sœur


Que serait Jules sans Edmond (Goncourt) ? Qui se souviendrait de Averell Dalton s’il n’était flanqué de ses trois épouvantables frangins ? Des sœurs Brontë si elles n’avaient été que voisines ? L’appartenance à une fratrie extraordinaire suffit à en faire entrer chacun de ses membres dans la légende. Une légende qui, au XXe siècle, auréole en particulier les six filles de Lord Redesdale, les célèbres sœurs Mitford.

« Ma femme est normale, je suis normal et nos filles sont toutes plus folles les unes que les autres ! », déclarait leur père, un peu interloqué d’avoir mis au monde une telle progéniture. Nancy, l’aînée, s’inspire pourtant largement de son géniteur pour écrire les romans qui la rendront célèbre.
Pamela, la seconde, n’est célèbre que parce qu’elle fut la seule normale dans cette tribu d’extravagantes. Diana, la numéro trois, se tourne vers le côté obscur de la force en devenant la maîtresse de Mosley, le fondateur du parti fasciste anglais, qu’elle finira par épouser en Allemagne en présence d’Adolf Hitler en personne. Hitler sera d’ailleurs la grande passion de la sœur numéro quatre, Unity.
Après la fasciste chic et la nazie amoureuse, la gauchiste : Jessica, s’engage avec son compagnon, le neveu de Churchill, dans les Brigades internationales. Plus tard, ils s’installeront aux États-Unis, où elle deviendra l’égérie du Parti communiste. Quant à la dernière, Deborah, née en 1920, elle épousera Lord Cavendish et c’est elle qui, dans un volume de souvenirs délicieux, Duchesse à l’anglaise, vient mettre une dernière touche à la légende des sœurs Mitford.[access capability= »lire_inedits »]

Deborah explique que si ses sœurs sont devenues célèbres, cela n’est pas à cause de leurs alliances ébouriffantes, ni de leur beauté, ni même de leurs talents littéraires, mais parce que toutes se sont fracassées sur la folie totalitaire de leur époque.
En 1933, Diana conduit sa jeune sœur Unity, alias « Bobo » , en Allemagne, où celle-ci va « s’ engouffrer dans le nazisme, avec une ferveur toute religieuse ». Unity, « la plus étrange » des six sœurs, selon Deborah, trouve dans la nouvelle Allemagne des certitudes monstrueuses et absolues. Au point d’être subjuguée par Hitler qu’elle poursuit de ses assiduités comme une véritable midinette: « Aujourd’hui, on l’arrêterait pour harcèlement. En février 1935, Hitler a fini par la remarquer, et a demandé à un membre de son entourage d’inviter Unity à sa table. Dès lors, le destin de ma sœur était scellé. » Unity tente de mêler sa mère et sa plus jeune sœur à cette passion : en 1937, alors que toutes trois se trouvent à Munich, le Führer les accueille et, très bourgeoisement, leur fait servir le thé dans un appartement que Deborah décrit comme « entièrement marron et blanc, vraiment laid et très ordinaire ».

Quatre ans plus tard, lors de l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne, Unity se tire une balle en pleine tête dans un petit square de Munich. Le pire, c’est qu’elle survivra à cette tentative de suicide, sans que l’on puisse retirer la balle qui s’est logée dans son crâne.
À cette époque, Diana, Lady Mosley, qui allaite encore, est emprisonnée au motif qu’elle menace la sécurité nationale du Royaume-Uni. Convoquée le lendemain de l’arrestation par le Foreign Office, Nancy, la charmante romancière de La Poursuite de l’Amour, est interrogée sur les rapports entre Diana et les nazis. Elle répond que sa sœur est « une personne extrêmement dangereuse ». Trois ans plus tard, elle persiste et déclare aux services de renseignements que Diana désire sincèrement l’effondrement de l’Angleterre et qu’on ne doit la libérer sous aucun prétexte.

Unity, elle, est rapatriée à demi-morte en 1940, dans des conditions atroces et rocambolesques qui évoquent, sous la plume pourtant légère de Deborah, à un supplément au Voyage au bout de la nuit. Elle survivra huit ans, Walkyrie rayonnante transformée en spectre grisâtre, atteinte de démence précoce.
Un demi-siècle plus tard Deborah, de son château de Chattworth, raconte ces horreurs avec l’indulgence souriante d’une très grande dame qui a tout vu, n’a pas lu grand-chose, mais qui, au fond, n’a jamais cru qu’aux valeurs éternelles de la vieille Angleterre.[/access]

Deborah Devonshire, Duchesse à l’anglaise, traduction J.-N. Liaut, Payot, décembre 2011.

Février 2012 . N°44

Article extrait du Magazine Causeur



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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