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Dans la tête d’un antifa

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Dans la tête d’un antifa
Manifestation en hommage au militant antifa Clément Méric, décédé lors d'une bagarre avec des skinheads, Paris, 5 juin 2013 © YAGHOBZADEH/SIPA/

Les actions des antifas vont du collage de stickers au caillassage de flics en passant par la destruction des symboles du capitalisme. Leurs groupuscules, indépendants les uns des autres mais très bien organisés, constituent une véritable nébuleuse. Un ancien adepte nous ouvre les coulisses de l’ultra-gauche.


Plusieurs années durant, Riyad a fait partie de groupes antifascistes dont il s’est progressivement éloigné. Aujourd’hui, il témoigne afin de faire comprendre la réalité parfois complexe du petit monde des « antifas ».

Causeur. Antifas, black blocks, dans l’opinion tout ça se confond en une nébuleuse extrême gauchiste.

Riyad. Pourtant, même s’il y a des collusions, les black blocks sont à distinguer des antifas. Les premiers sont autonomes, ils prétendent qu’ils ne sont alliés à aucun camp politique et ils souhaitent simplement tout casser. J’ai déjà pu rencontrer un black block nazi, par exemple ! Cela étant, nombre de black blocks se réclamant de l’antifascisme, ils sont une part de cette nébuleuse beaucoup plus vaste.

Comment se structure le mouvement antifa ? On ne connaît bien que son organisation principale et en quelque sorte « officielle », la Jeune Garde…

Ce sont des groupes très hétéroclites et dispersés. Mais, un peu comme les votes écologistes ont été captés par LFI et la Nupes, la Jeune Garde, menée par Raphaël Arnault, a réussi à se médiatiser comme étant la principale association antifa, alors qu’elle n’est même pas constituée en association. On ne peut donc pas la dissoudre ! Sa seule existence officielle est une cagnotte en ligne. Le fait est qu’ils mènent aujourd’hui la danse grâce à leur médiatisation et à leur implantation. Comme n’importe qui peut s’en revendiquer, forcément, cela facilite les choses… Ils ont réussi à fédérer plein de petits groupes, certains ne comportant que cinq personnes. Cependant, elle est un peu en perte de vitesse à cause de polémiques en son sein.

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Comment agissent les antifas ?

Leurs actions, qui vont du collage de stickers au tabassage de syndicalistes, sont minutieusement préparées et, même quand elles naissent d’un coup de tête, sont soumises au vote du groupe. Ils sont extrêmement organisés, et comptent beaucoup les uns sur les autres. J’ai appartenu à un groupe maoïste qui prônait la révolution par les armes et la prise du pouvoir par la force. Ils manifestaient avec leurs banderoles puis d’un coup, la consigne d’aller frapper les forces de l’ordre était lancée. Si suffisamment de personnes étaient d’accord, ils le faisaient.

Ils ont donc un système interne « démocratique » ?

Oui, enfin, c’est aussi démocratique que Macron ! Le plus charismatique fait une proposition, et les suiveurs suivent. Il ne faut pas croire que dans le communisme, tout le monde est égal. Celui qui sait le mieux s’exprimer, celui qui inspire les gens, devient le chef, même si ce n’est pas officiel.

Les milices d’ultra-droite, parce qu’elles sont paramilitaires, parviennent parfois à se procurer des armes. En est-il de même chez les antifas ?

Ils sont très, très peu nombreux à détenir des armes à feu. La plupart viennent de milieux populaires et se battent avec des techniques de milieu populaire.

Et quelle est la proportion de petits-bourgeois qui jouent à la révolution ?

Il y en a quelques-uns. Cependant, ils ne constituent pas la majorité. Seulement, quand les journalistes s’intéressent aux milieux radicaux, ils tombent plus facilement sur des personnes provenant d’un milieu privilégié… J’ai connu une fille qui se revendiquait du communisme, mais le système de surveillance des antifas a découvert qu’elle portait régulièrement des vêtements de luxe. Elle a été exclue du groupe ! Il y a tout de même des antifas qui vivent leurs idées jusqu’au bout. Les plus radicaux ne sont pas des bourgeois, lesquels représentent selon moi 30 % des effectifs, au maximum.

Jean-Luc Mélenchon est-il un homme de droite, pour les antifas ?

Jean-Luc Mélenchon n’est pas considéré comme étant de droite, mais tous ne s’en revendiquent pas. Certains radicaux anarchistes ont pour credo « Ni Dieu, ni maître ». Encore moins Jean-Luc Mélenchon, donc ! La Jeune Garde, pourtant, le trouve fantastique. Notez qu’ils ont aussi appelé à voter Macron contre Le Pen au second tour…

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Les antifas mènent-ils d’autres actions que la lutte contre le « fascisme » ? Les voit-on s’associer avec les écologistes radicaux ?

Le but de l’antifascisme est de réaliser un front populaire, s’incarnant actuellement par la Nupes. Leur objectif est de former un groupe d’idées très divergentes pour se battre contre le fascisme, le capitalisme, le patriarcat… On ne dit pas de Macron qu’il est fasciste, mais qu’il est « fascisant ». La convergence des luttes est nécessaire car, pour eux, le capitalisme apporte mécaniquement le fascisme. Par la réforme ou par la révolution, il faut faire advenir une société socialiste, démocratique, écologique… Mais les rapports entre antifas et partis politiques sont très houleux : ils se détestent tous ! L’antifascisme est la meilleure idée qu’ils aient eue, sans quoi il n’y aurait aucune union. Par exemple, le PCF est haï, les écolos sont considérés comme des traîtres, mais on va les conserver comme « alliés » parce qu’ils grossissent les troupes.

Quand vous militiez avec eux, comment la violence était-elle perçue ? Assiste-t-on à une radicalisation ou à une augmentation des effectifs depuis la récente réforme des retraites ?

La fin justifie les moyens. Mes camarades n’avaient aucun problème avec la violence. Sur la réforme des retraites, ils expliquent que la violence est certes illégale, mais légitime. Elle est tout à fait autorisée. Les antifas sont ravis de la médiatisation des affrontements de rue, car cela permet de mettre la lumière sur leur combat. Il n’est pas sûr que la violence ait réellement connu une escalade dernièrement. Seulement, les effectifs de certains groupes ont quadruplé, quintuplé ces trois dernières années. L’antifascisme, parce qu’il recrute les déçus de la politique, attire énormément de monde. Certains croient à la révolution populaire et rejoignent des groupes de plus en plus radicaux. En 2022, Gérald Darmanin avait affirmé vouloir dissoudre le groupe antifasciste de Lyon. Or, il n’a pas pu agir, car il n’y avait pas de groupe officiel ! Vu qu’ils n’ont pas d’existence légale, juridiquement, ils sont intouchables.

Mai 2023 – Causeur #112

Article extrait du Magazine Causeur




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Jeune (dés)espoir du journalisme politique. Etudiant, pigiste, et un peu poète.

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