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Contradictions au Caire


Hier soir, les deux principaux candidats à la présidentielle égyptienne s’affrontaient au cours du premier grand duel télévisuel de l’histoire du pays. A une dizaine de jours du scrutin des 23 et 24 mai, Amr Moussa, d’un côté, ancien secrétaire général de la Ligue arabe et ministre de Moubarak, l’islamiste Abdel Moneim Abou El-Fotouh de l’autre, font figure de favoris parmi les 13 candidats en lice. Comme on peut l’imaginer, la place de la charia et plus largement la question de la place l’islam dans la société ont occupé une place centrale dans le débat, au même titre que les rapports de la nouvelle Egypte à l’ancien régime – dont M. Moussa est issu.

Dans ce contexte, il est intéressant de savoir comme les électeurs égyptiens se positionnent sur ces sujets sensibles. Un récent sondage, manifestement assez fiable, réalisé par le Pew Research Center Global Attitudes Project, nous éclaire justement sur ces questions.
Selon cette enquête fondée sur des entretiens avec un millier de sondés, la plupart des Egyptiens souhaiteraient voir l’Islam jouer un rôle majeur dans leur société et pensent que le Coran devrait inspirer les lois du pays. Pour couronner le tout, ils voient dans l’Arabie Saoudite un meilleur modèle que la Turquie quant au rôle de la religion dans le gouvernement. A la question « Quel pays, l’Arabie saoudite ou la Turquie, est un meilleur modèle pour le rôle de la religion au sein du gouvernement ? « , 61% des sondés ont ainsi répondu l’Arabie Saoudite tandis que seuls 17% ont choisi la Turquie. 22% du panel a rétorqué qu’aucun des deux pays n’offrait de modèle approprié pour leur pays.

Selon cette même enquête, 60% des personnes interrogées souhaitent que les lois de l’Égypte se conforment rigoureusement au Coran. 32% pensent que le pays devrait suivre les valeurs et les principes de l’Islam sans devoir pour autant se conformer strictement aux enseignements du Coran. Or, si ces résultats n’étonnent guère, d’autres réponses paraissent plus surprenantes. La plupart des interviewés approuvent en effet des valeurs et des acquis démocratiques qui n’existent pas en Arabie Saoudite, tels que la liberté d’expression, la liberté de la presse et l’octroi de l’égalité des droits aux femmes. Jusque chez les admirateurs de l’Arabie saoudite, on semble attaché à certaines libertés fondamentales : 64% d’entre eux affirment l’importance d’une presse libre et 61% citent la liberté d’expression comme valeur importante.

Sur les décombres de l’ancien régime, l’armée égyptienne semble toujours remplir le rôle de pont entre passé et présent, et, chose étonnante, malgré la crise politique, les militaires restent populaires. La cote de popularité de l’armée a certes quitté les sommets de l’an dernier (88%), mais quatre Égyptiens sur cinq conservent une opinion positive de l’institution militaire en général et du Conseil suprême des forces armées (SCAF) en particulier. Quant au feld-maréchal Hussein Tantaoui, chef de l’Etat par intérim, il attire sur lui le gros des déceptions et des critiques. Bien que positivement considéré par 63% de sondés, les jours heureux des lendemains de la chute de Moubarak – où sa cote frôlait les 90% d’opinions positives – semblent révolus.
Quant aux leaders religieux, 83% des égyptiens interrogés leur attribuent une influence (très) positive sur le pays. Finalement, parmi les candidats à la présidence c’est Amr Moussa, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Moubarak, qui tire son épingle du jeu avec 81% d’avis favorables.

Mais revenons au débat d’hier soir. Ses deux protagonistes disposent d’un joli capital de popularité malgré la proximité passée de Moussa avec Moubarak, ce qui traduit l’attachement à une certaine continuité politique.
Tout en critiquant le legs des six dernières décennies, les Egyptiens refusent majoritairement de faire table rase du passé. Non sans paradoxes, ils accueillent favorablement les forces politiques islamistes et réaffirment leur adhésion aux libertés démocratiques. En sortira peut-être un modèle singulier dont les contours restent, il est vrai, plus que jamais à définir.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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